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Critiques de Evgueni Zamiatine (212)
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Nous autres

Nous Autres. Si vous n’êtes pas un(e) expert(e) de SF, et en particulier des dystopies, ce titre ne vous dit peut-être rien. En revanche, 1984 de George Orwell ou Le Meilleur Des Mondes d’Aldous Huxley, vous connaissez fort bien, au moins de nom.



Eh bien sachez que Nous Autres de Ievgueni Zamiatine est le tout, tout premier modèle du genre. L’auteur, grand amateur de Wells, eut l’idée de combiner l’univers SF futuriste avec ce qu’il vivait à l’époque dans son pays, en 1920, à savoir la mise en place de la toute nouvelle U.R.S.S.



Ce n’est pourtant pas encore la grande maestria liberticide de Staline qu’expérimente Zamiatine, mais c’est déjà suffisamment totalitaire pour lui permettre d’entrevoir tous, absolument tous les excès et les dérives que subira le système. Ç’en est d’ailleurs particulièrement émouvant, car pour lui, contrairement à Aldous Huxley douze années plus tard ou George Orwell vingt-neuf ans après, ce n’est pas juste un exercice d’écrivain visionnaire, c’est presque une dénonciation en temps réel de la situation qu’il est en train d’expérimenter dans son pays.



Nous Autres est bien sûr un écrit de science-fiction, mais c’est aussi et surtout un ouvrage politique et philosophique. Cela dit, il serait injuste envers Zamiatine et envers la qualité de l’œuvre dont il est question de ne pas la considérer d’abord et avant tout comme une magnifique œuvre littéraire, car le style y est très présent, quoique pouvant apparaître comme discret, ce me semble un fleuron du genre.



Je m’en explique tout de suite. Nous sommes transportés environ mille ans après le début du XXème siècle (moment où écrit l’auteur). Le narrateur s’appelle D-503. C’est un mathématicien et un ingénieur important de l’État Unique, responsable de la mise au point et de la construction de « L’Intégral », grand vaisseau spatial destiné à la dissémination de la " bonne " parole de l’État Unique de part et d’autre de l’univers.



Il s’agit donc d’un " apparatchik " du système, qui parle, au départ, bien comme il faut, c'est-à-dire comme le prescrit le système, qui pense, qui vit, qui fait parfaitement et consciencieusement tout ce qu’enjoint de penser, de vivre ou de faire le système. Malheureusement pour lui, il fait une rencontre inopinée, très dérangeante car non stipulée dans ses abaques et fort délicate à mettre en équation. Il s’agit d’une femme, I-330, pour être précise.



Non contente de ne pas toujours respecter les prescriptions du système, elle l’oblige parfois, contre son gré, à commettre quelques entorses aux divers règlements. D’abord scandalisé, D-503 va peu à peu éprouver quelque penchant pour cette femme vénéneuse. Quoi ? Un penchant ? Une émotion, donc ? Serait-il malade notre brave D-503 ?



Semant en lui les graines maléfiques de l’aspiration à la liberté, à mesure que D-503 s’éloigne de la façon de penser orthodoxe, le style narratif de ses notes prend des tournures métaphoriques. Et c’est là qu’est le grand talent stylistique de Zamiatine, car cela est parfaitement maîtrisé et cela apparaît par touches successives pour confiner, dans les dernières notes, à de la véritable poésie.



Faut-il vous en dire bien davantage ? Je ne sais pas. Pour moi, ce livre de l'éveil de la personnalité à la libre pensée et aux états d'âme est un véritable chef-d’œuvre, d’intelligence, de pertinence, d’audace, de réflexion et de style. Que demander de plus en seulement deux cents pages et des chapitres ultra-courts qui en permettent une lecture aisée et très rapide ? Chapeau bas Monsieur Zamiatine, ils sont rares les auteurs de votre calibre et ils nous manquent, surtout en ce moment. Nous autres, nous n’avons que Houellebecq, c’est-à-dire, pas grand-chose.

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Nous autres

Voilà un chef d'oeuvre…un livre magnifiquement écrit, aux images saisissantes, une oeuvre engagée, militante, qui a valu à son auteur exil et censure. de la science-fiction écrite par un russe, Evguéni Zamiatine, en 1920, précurseur et influenceur d'un Orwell et de son 1984. Rien que ça ! Une des premières dystopies jamais écrite ayant pour colonne vertébrale l'amour et pour objet la dénonciation du communisme…Un roman violemment hérétique ! Epoustouflée par son audace et sa plume je suis. Quelle claque ! Ce livre raconte l'histoire d'une tentative, celle de faire exploser un Etat totalitaire.



Le monde imaginé par Zamiatine est terrifiant car totalement déshumanisé…imaginez un monde baigné dans des dominantes froides de bleu-vert, heureusement quelque peu réchauffé par les langues rose pâle du soleil levant. Un monde sous cloche, en vase clos derrière une muraille verte qui isole les individus du monde sauvage et naturel, des animaux et de toute végétation, et dans lequel les habitations ont des murs transparents, palais de cristal, de façon à pouvoir toujours observer les faits et gestes de chacun. Seules quelques heures privatives dans la journée autorisent à baisser les stores pour une activité sexuelle avec un individu de sexe opposé, les deux assortis d'un billet rose dont le nombre est prévu et dont le temps est compté. Décompte sexuel. Ces heures privatives sont aussi l'occasion d'aller marcher dans les rues au son d'un hymne, marche martiale au pas. Dans ce monde le chef de l'État, dénommé le Bienfaiteur, veille sur tout et s'occupe de tout. Quiétude et bonheur en échange d'une soumission totale et d'une absence complète de liberté. Les individus n'ont pas de prénoms et de noms mais seulement des numéros. Seul importe l'intérêt collectif, un « Nous » réconfortant remplaçant les « Je » qui vouaient les hommes et les femmes aux tourments, aux questionnements, aux errances. le moindre écart vaut aux Numéros d'être littéralement désintégrés. En quelques secondes, une simple flaque.



« Gaillarde, cristalline, juste à mon chevet, la sonnerie : 7 heures, lever. À droite et à gauche, à travers les parois de verre – j'ai l'impression de me voir moi, répété mille fois, ma chambre, mes vêtements, mes mouvements. Cela donne du courage : se voir comme la partie d'un tout énorme, puissant, unitaire. Quelle beauté précise : pas un geste superflu, pas une flexion, pas une torsion de trop ».



Nous lisons les notes de D-503, mathématicien et concepteur de l'Intégrale, un gigantesque vaisseau qui a pour objet de conquérir d'autres planètes pour les soumettre à la volonté du Bienfaiteur, pour les soumettre au bonheur. C'est un homme heureux et travailleur, avide d'équilibre et de clarté, qui fait les louanges de cette société si bien réglée. Il fréquente la ronde 0-90 durant ses heures privatives. O, comme sa lettre, est tout en rondeurs et en douceurs, ses yeux, des billes bleues et ses lèvres, des anneaux roses. La vision des femmes est réduite à leurs atouts, à ces moments agréables passés une fois les stores baissés.



« Je regarde ses lèvres sans rien dire. Les femmes, toutes, sont des lèvres, seulement des lèvres. L'une les a roses, élastiques et rondes – un anneau, tendre barrière contre le monde. Et puis celles-ci : une seconde auparavant elles n'étaient pas là, et tout à coup – un couteau – et des gouttes de sang suave ».



Mais voilà, tout va se dérégler pour D-503 à cause de, ou grâce à - seule l'histoire nous le dira - I-330. Voyez comme cette lettre est élancée, longue, fine, subtile, vouée à bondir et se tourner intrépide vers le ciel ! Voyez comme elle est belle, et ose sortir du rang par ses attitudes, sa façon de vivre, par les couleurs qu'elle ose propager dans son intérieur, sur ses habits, des couleurs chaudes jaune, orange, rouge…au point d'instiller dans l'esprit de D-503 jalousie et désir, au point de le rendre malade et de l'assaillir de chaos. le pauvre, il est en train de développer une âme, comme en attestent ses rêves (seuls les anciens, les sauvages, rêvaient), ses désirs, sa déconcentration, une maladie incurable à cause de laquelle il va découvrir le beauté.



J'ai adoré voir l'évolution de D-503, d'abord sage Numéro faisant l'apologie de l'idéologie en place puis amoureux transi ayant de plus en plus d'audace au risque de passer dans la Salle des opérations et se voir désintégrer. Les tiraillements en lui sont constants, Zamiatine rend compte de ce combat intérieur avec subtilité. Intéressant aussi de voir l'évolution de sa vision de la femme au cours de ses notes, cette femme d'abord vue comme un objet va se transformer en un personnage militant, combatif, puissant. Nous sommes témoins, via ses notes, du passage d'une apologie à une destruction. En cela ce livre est passionnant.



D'innombrable réflexions s'enracinent dans ce texte, celle de l'opposition entre bonheur et liberté, celle de la définition même du bonheur, celle de l'individualité et de sa conscience, celle du totalitarisme et de l'asservissement, de l'organisation de cette société réglée.



Et que dire de la poésie de ce texte, des images saisissantes qu'Evguéni Zamiatine insuffle, usant de métaphores, s'aidant des sens notamment des couleurs, du toucher, des sensations qu'il utilise en aplats, tel un peintre, talent qui m'avait déjà interpellée dans son court texte « L'inondation » lu récemment.



« le printemps. Un vent venu d'invisibles plaines sauvages, au-delà de la Muraille verte, apporte la poussière jaune et miellée d'on ne sait quelles fleurs. Suave poussière qui dessèche les lèvres – on ne cesse d'y passer la langue – et sans doute toutes les femmes que l'on croise (les hommes aussi naturellement) ont les lèvres sucrées. Cela gêne un peu la pensée logique. Mais ce ciel ! bleu profond, sans un seul nuage pour le souiller (quels goûts sauvages avaient les anciens, si leurs poètes pouvaient trouver l'inspiration dans ces amas de vapeur ineptes, indisciplinés, qui se cognent sottement). Ce ciel bleu, je l'aime lui et lui seul – et je suis sûr de ne pas me tromper en disant : “nous” l'aimons – ce ciel stérile, irréprochable ! Ces jours-là, le monde entier est coulé dans le même cristal éternel, irréfragable, dont sont faits la Muraille verte et tous nos édifices ».



Le sentiment amoureux est restitué avec beaucoup de sensualité, de tragique, de passion au travers des notes de D-503. C'est un sentiment qui le fait exploser. Celui qui va le faire sortir de sa quiétude, de sa programmation, de sa logique toute mathématique. Ces passages sont merveilleux et poignants :



« le moment avait mûri. Et ce fut inévitable, comme le fer et l'aimant – suave soumission à une loi inflexible et précise : avidement, j'entrai en elle. Il n'y avait pas de billet rose, pas de décompte, pas d'Etat unitaire – et moi non plus je n'existais pas. Il n'y avait que ces dents serrées, tendres et aigües, ces yeux d'or largement ouverts – et je m'y enfonçais, je pénétrais toujours plus profondément (…) Les lances de ses cils s'écartent, me laissent entrer – et… Comment raconter ce que fait de moi ce rituel ancien, absurde, merveilleux : ses lèvres touchant les miennes ? Quelle formule trouver pour dire ce tourbillon qui balaie tout de mon âme, sauf elle ? Oui, oui, mon âme – vous pouvez rire si vous voulez ».



L'écriture est à l'image des sentiments de D-503, fluide et claire lorsqu'il fait l'apologie de sa société, elle devient peu à peu, entrecoupée, heurtée, déchirée, haletante, confuse.



Comme il est expliqué en préambule dans cette nouvelle traduction publiée aux éditions Acte Sud, en 1930, dans l'Encyclopédie littéraire soviétique, le roman de Zamiatine est désigné comme “un infect pamphlet contre le socialisme”. La suite est attendue : en juin 1931, Zamiatine, sur les conseils de Mikhaïl Boulgakov, écrira à Staline pour lui demander l'autorisation d'aller vivre, ne serait-ce que provisoirement, à l'étranger ; il partira, grâce à l'intervention de Gorki, pour mourir à Paris six ans plus tard, sans avoir renié son pays. Il ne sera traduit en russe qu'en 1988.



« Nous, anti-utopie prophétique qui anticipe toutes les glaciations du XXe siècle, se lit comme un long poème sur le retour nécessaire des révolutions » nous explique Hélène Rey en préambule et c'est très juste. Ce texte n'a pas pris une ride, il est étonnement moderne et terriblement d'actualité. Il est magnifique !

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L'inondation

L'Inondation, c'est un peu comme un genre de Crime et Châtiment, en version nouvelle et dont la protagoniste principale serait une femme au lieu de l'inénarrable Raskolnikov. Je n'ai pu m'empêcher, tout du long de ma lecture, de faire une sorte de parallèle avec le roman de Dostoïevski, tant les points communs m'apparaissent nombreux.



Je vais donc tenter de me focaliser seulement sur les éléments qui me semblent propres à l'Inondation. Tout d'abord, voici une femme, Sophia, femme ordinaire, s'il en est (dans la moyenne serait une formule autrement plus heureuse mais " ordinaire " est le premier mot qui m'est venu), mariée à un homme qu'elle aime et qui l'aime en retour : bref, un couple sans histoire.



Le premier hic viendra du fait que Sophia, à l'approche de la trente-cinq/quarantaine, ne parvient toujours pas à avoir d'enfant. Son mari, Trofim Ivanytch va peu à peu en éprouver une douleur diffuse. Il ne fait pas ouvertement de reproche à Sophia, mais il sent que quelque chose le sépare imperceptiblement d'elle. La malheureuse s'en rend bien compte et, un jour, alors que le menuisier s'éteint, laissant des enfants orphelins, elle décide d'adopter sa fille, Ganka, qui a alors une douzaine d'années.



Avec le temps, une relation qui va au-delà de l'amour filial rapproche peu à peu Trofim de Ganka. Sophia se sent à la fois frustrée, blessée et humiliée par cette situation. D'autant plus que Trofim ne se prive bientôt plus de dormir auprès de la jeune fille et non plus avec la légitime épouse… Ganka se rend compte de l'ascendant qu'elle prend dans le foyer…



Jusqu'au moment où Sophia, sans l'avoir nécessairement prémédité, se retrouve avec une hache entre les mains, tandis que Ganka est accroupie en train de tailler du petit bois… La tentation est grande d'envoyer un coup de l'outil à celle qui lui a tout pris. le fera-t-elle ? Ne le fera-t-elle pas ? Comment vivre avec en tête une pensée pareille ? Quelles en seront les conséquences ?



Ça je me refuse à vous le divulguer. En tout cas une nouvelle vraiment puissante, qui m'a captivée sur presque toute la longueur, mais qui m'a un peu déçue sur la fin, ce qui est bien dommage car elle avait fait naître une grande tension en moi. Malgré cette toute petite déception finale, je vous la conseille tout de même de bon coeur, sachant que, comme toujours, ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Nous autres

Nous Autres ( L'imaginaire Gallimard - Traduction : Benjamin Cauvet-Duhamel )



L'Autre grand dystopie du vingtième siècle, vous l'aurez déjà compris si le sujet vous intéresse ; je ne m'étendrai donc pas là-dessus, sur son dialogue avec « 1984 » d'Orwell, sauf à encore parler de traductions, le sujet s'imposant de lui-même, et les réponses à apporter diffèrent.



Avant cela, mentionnons simplement que c'est un immense chef-d'oeuvre, à la transparence de brise-glace, absolument indémodable ( à part la courte scène dans l'espace intersidéral, terra incognita au moment de sa rédaction… ).



Contrairement à « 1984 », ce texte a bien été traité et considéré par la bande à Gallimard ; preuve en est : une édition dans la mythique et bien fournie collection « L'Imaginaire », contre un simple poche Folio pour son illustre neveu anglais… en plus de tout les éléments mentionnés dans mon billet sur le livre d'Orwell… vous les retrouverez chez quelques critiques bien intentionnées, comme par exemple :

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/02/24/1984-orwell-traducteurs/

… achevant j'espère de vous convaincre qu'il faut (re)lire « 1984 » dans sa traduction de Célia Izoard…



Pour « Nous Autres », je serais nettement plus circonspect ; ayant comparé les trois premiers chapitres avec cette nouvelle version, le résultat est assez troublant : chaque phrase est complètement différente d'une mouture à l'autre, sans que l'impression générale penche d'un côté ou de l'autre ; comme si la nouvelle traduction tentait scrupuleusement de se différencier, sans réellement y parvenir, tels deux jumeaux endurant leur crise d'adolescence ; on ne saurait facilement dire laquelle on préfère, enjoignant le futur lecteur à lire celle qu'il trouvera le plus facilement… tout en insistant sur le droit d'ainesse… cabotinage ringard supposant le faible intérêt, autre que commercial, à cette nouvelle version chez Actes Sud…



Et pourtant, l'affaire était bien ficelée… faut dire, on a affaire à des experts…

Pour le cas Markowicz, mon opinion n'est pas complètement formée : Actes Sud lui a commandé de nouvelles traductions d'une large partie des classiques russes du 19ème, apparemment pas toujours justifiées selon certains slavologues, leur trouvant un côté parfois « forcé ».

De ce que je peux en juger, son nouveau « Le Maitre et Marguerite » (aux éditons Inculte) est superbe, alors que sa version d'Eugène Oniéguine — comparée à celle de Roger Legras pour L'Âge d'Homme ou de Nata Minor au Seuil — semble superflue.

Pour Dostoïevski, il semble que cela soit plus compliqué de trancher, même si ses oeuvres dîtes « mineures » ont largement bénéficié de ce nouveau coup de lumière.



Pour « Nous Autres », le titre devient « Nous », fidèle à l'original, soit !

Mais ce serait oublier qu'une traduction ne se juge pas à sa littéralité…

Cette expression, oxymorique bien qu'usuelle, se propose en deux mots de réfléchir sur l'altérité face au soi, l'individu transformé à l'intérieur du groupe… nous autres… plus j'y pense et plus ça me plait… cela colle en tout cas merveilleusement bien avec ce livre…



Contrairement à ce que le service de presse a dû relayer, mélange de communication(*) et d'imprécision sciemment organisées, la première traduction n'est pas issue de la version anglaise, mais bien directement du russe ; la préface de la nouvelle traductrice Hélène Henry se charge heureusement de préciser que la toute première adaptation en langue étrangère du texte (1924) n'aurait servi qu'à valider sa traduction française de 1929.

L'article de Télérama intitulé « Trois raisons de (re)lire… “Nous”, de Zamiatine » prétend pourtant le contraire :

« pour la première fois, le texte, dont l'aventure éditoriale fut pour le moins troublée, est traduit à partir de sa version originale russe, et non à partir de sa traduction anglaise. On oublie trop que beaucoup d'écrivains étrangers nous sont encore connus à travers un double filtre, (…etc… blablabla…. achète) »

On prendra donc un malin plaisir à tirer sur l'ambulance, vu que les deux autres raisons avancées ne justifient en rien l'achat de cette nouveauté…



Pour en être complètement sûr, il me faudrait lire en entier ce « Nous », qu'une copie d'un service de com' (*) me passe entre les mains…

Et puis, les couvertures de livres de science-fiction, quand elles se contentent d'être abstraites, sont nettement plus jolies et évocatrices : ici le « Nous Autres » devenant Muraille Verte simplement par un jeu de lettrage, plutôt qu'une illustration qui toujours vieillira mal… : il n'y a qu'à se souvenir des fameuses dorées et argentées de la collection « Ailleurs & Demain » chez Robert Laffont, qui dans les années nonante se sont muées en ignobles posters, dignes de chambres d'ado mal-aérées.





(*) communication : savante construction de malhonnêteté tarifée ou « La Parole du Bienfaiteur »

...

P.S : En y repensant ce matin, je me disais que cette nouvelle version permettait au moins de mettre en lumière un texte injustement méconnu, démontrant bien le problème de notre système, obligé d'avoir quelque chose à vendre pour que la machine COMM se mette en route...
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L'inondation

Recommandé chaudement par Mh17, j'ai eu le plaisir d'écouter ce court récit d'Evgueni Zamiatine sur France Culture. Un régal, le texte est non seulement narré par une femme qui a un timbre de voix et des intonations en totale osmose avec l'esprit du texte mais il est accompagné d'une musique de fonds parfaite, donnant à la tension dramatique du récit encore plus de profondeur.



« L'inondation » est un récit saisissant écrit en 1929, une métaphore de la haine, cette haine qui monte et qui va finir par déborder, par tout éclabousser, par faire rompre les digues de la raison d'un coeur pur, celui de Sofia, puis les digues du silence. L'inondation c'est le jaillissement du sang. le sang mensuel de femme, ce sang chaque fois craint, devenu verdict implacable quant à son incapacité à engendrer. Puis le sang de l'autre femme, abcès crevé qui se vide enfin. L'inondation c'est le jaillissement des mots. « L'inondation », le récit d'un trop plein, du lait de la raison qui déborde :



« Elle ne dit rien, ne leva pas les yeux, seules ses lèvres frémirent comme la peau du lait qui se fronce quand elle est bien prise ».



Nous sommes à Saint-Péterbourg, sur une rive de la Néva, dans les années 1920. Sofia et Trofim forme un couple qui, après treize ans de vie commune, n'a toujours pas d'enfant. Cette absence est vécue de plus en plus comme un malaise, un vide, qu'ils ne s'expliquent pas tout d'abord, malaise rendant la vie pesante et terne, menaçant le couple, jusqu'au moment où le mari comprend et lâche « tu ne fais pas d'enfant, voilà ce qu'il y a ».

A défaut d'avoir un enfant, ils recueillent la jeune Ganka, treize ans, leur voisine devenue orpheline. Très vite, si elle rend la vie de Trofim plus joyeuse, étant bavarde et gaie avec lui, elle reste silencieuse avec Sofia.

« Parfois, seulement, elle tournait lentement vers Sofia ses yeux verts et fixait sur elle un regard attentif en pensant clairement quelque chose – Mais quoi ? ».



Sofia comprend peu à peu que Genka l'a remplacée dans le coeur de Trofim et les nuits c'est avec la jeune femme qu'il les passe désormais. Cette vie à trois se transforme en un huit clos oppressant. le désespoir et la souffrance de Sofia vont croissants face à cette situation humiliante. Superbe la façon qu'a l'auteur de décrire le paysage à l'image du paysage intérieur de la femme bafouée :



« Front contre la fenêtre, le verre teintait, le vent hurlait, dans le ciel défilaient des nuages gris et bas, des nuages de pierre comme s'ils étaient revenus les nuages étouffants de l'été que pas un orage n'aurait crevé »…des nuages qui s'entassent en elle comme des pierres, les unes sur les autres depuis des mois, menaçant de l'étouffer.



Jusqu'au drame d'une grande sauvagerie. Jusqu'à l'inondation. Avec pour seule témoin une mouche, « une mouche aux pattes fines et noires comme du fil à coudre » qui reviendra sans arrêt la hanter et lui faire revivre le drame.



Zamiatine excelle avec ce récit à décortiquer le mécanisme de la haine montante…dégout, colère, exaspération, désespoir, sont les différentes facettes de cet engrenage fatal, présenté au moyen d'images saisissantes. le fantastique que revêt parfois le texte ainsi que la culpabilité qui ronge cette femme jusqu'à l'inondation de la parole fait penser immédiatement à « Crime et châtiment » de Fiodor Dostoïevski.

C'est superbe et je vous recommande à mon tour, comme l'a fait Mh que je remercie chaleureusement, de l'écouter sur le lien suivant :



https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-samedi-noir/l-inondation-de-evgueni-zamiatine-en-direct



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Nous autres

« Oui, c’est certain, ce Taylor était le plus génial des anciens. Il n’est pas allé, c’est vrai, jusqu’à imaginer étendre sa méthode à toute notre vie, à tous nos pas, à nos journées entières – il n’a pas su intégrer son système vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais tout de même : comment a-t-on pu écrire des bibliothèques entières sur un Kant ou je ne sais qui – et ne remarquer qu’à peine Taylor – ce prophète qui a su prévoir l’avenir avec dix siècles d’avance. »



Ce que l’ingénieur américain F. W Taylor a imaginé pour le monde du travail, la spécialisation et l’industrialisation des tâches, l’écrivain russe Evgueni Zamiatine, l’a étendu à la vie entière. Dans Nous, le roman qu’il écrit en 1920, trois ans après la révolution bolchevique, l’existence est entièrement planifiée et séquencée, régulée par les « Tables du Temps ». Sommeil, travail, repas, promenades, conférences, tout est obligatoirement effectué par chacun à la même heure et selon la même durée. Le Un, le singulier, l’individualité sont bannis, les êtres humains ne sont plus nommés, mais numérotés, car ce qui importe n’est pas la destinée de tel ou tel. Ce qui importe est la contribution de chacun à la puissante machine étatique.

Il existe cependant deux petites exceptions à cette impressionnante organisation, une entorse au temps commun. Deux fois dans la journée, de 16 à 17 heures et de 21 à 22 heures, les Numéros bénéficient d’Heures privatives, autrement dit sont libres de s’adonner à des activités plus personnelles comme lire, écrire ou faire l’amour. Encore que les relations sexuelles fassent elles aussi l’objet d’une planification et d’une contractualisation peu propices (c’est d’ailleurs le but) à l’émergence d’un quelconque sentiment amoureux.



C’est durant ses deux précieuses heures de liberté que D- 503, mathématicien et concepteur de l’Intégrale, le vaisseau chargé d’apporter la bonne parole aux habitants des autres planètes, écrit son journal, ou plutôt rédige ce qui devait être à l’origine un poème, un plaidoyer en faveur de « l’État Unitaire » et qui devient, au fil des pages, une douloureuse confession qui nous dévoile l’envers du décors de la tentaculaire cité de verre. Dans cette grande Machine conçue pour fournir à ses habitants un « bonheur mathématiquement exact », où tout, dans ses moindres détails, est anticipé, planifié, il arrive parfois, en dépit de siècles et de siècles de formatage, qu’un individu redresse la tête, et enraye l’impeccable mécanisme.

Jusqu’ici l’un des rouages satisfaits et consentants de l’État Unitaire, D- 503 découvre peu à peu qu’il est doté d’une âme et d’une volonté propre, et, plus troublant encore, que cette âme est capable de sentiments qu’il croyait réservés aux « vieux livres idiots » et aux temps anciens. L’Amour, qui prend ici les traits d’une femme aux « dents blanches et aigües », est à la fois l’imprévu et le révélateur, il est ce qui va entraîner D- 503 sur la voie dangereuse mais ô combien exaltante de la révolution.



Il est difficile pour le lecteur d’aujourd’hui de mesurer l’incroyable portée, l’originalité d’une oeuvre écrite il y a plus d’un siècle et longtemps restée largement méconnue. Né dans le dernier quart du dix-neuvième siècle, Zamiatine a grandi sous le régime tsariste, dominé par une bureaucratie tatillonne et arbitraire. Il a participé à la révolution russe de 1905, puis à celle de 1917, et s’est donc retrouvé aux premières loges pour observer l’utopie communiste en marche. C’est dans ce terreau complexe, ainsi que dans le Taylorisme, qu’il a puisé son inspiration.

D’autres avaient imaginé avant lui des mondes purs et parfaits, que l’on pense à la Cité Idéale de Platon ou à l’Utopie de Thomas More. Mais cela restait terriblement descriptif et abstrait. Zamiatine, le premier, immerge l’être humain dans ces souricières et observe ce qui se passe. Ce faisant, il ouvre la voie à un genre littéraire qui connaîtra un immense succès tout au long du vingtième siècle jusqu’à aujourd’hui : la dystopie.



Tout cela est bel et bon mais n’a malheureusement pas suffi à me faire réellement apprécier ce livre. Le rythme chaotique, confus, laissant de nombreuses phrases en suspens, et surtout la plume, usant et abusant des métaphores, ont eu raison de mon enthousiasme. J’ai eu de plus en plus de difficultés au fil de ma lecture à m’intéresser aux personnages, qui, à l’exception du narrateur, sont perçus de très loin, esquissés à grands traits naïfs et fragmentés, réduits à deux-trois éléments anatomiques. J’avoue qu’à la longue, j’étais lasse de voir mentionnés pour la énième fois les « dents blanches et aigües » de I- 330, son « sourire en X », ou la « fossette enfantine au poignet » de O- 90. 



Il reste qu’à l’heure du contrôle social en Chine et d’une promesse d’avenir gravement hypothéquée par le risque d’émergence d’une intelligence artificielle autonome, à l’heure où un nombre croissant d’êtres humains réclame toujours plus d’ordre et de sécurité au détriment des libertés, Nous apparaît comme un livre aux accents indéniablement prophétiques.

Le génie de Zamiatine réside probablement dans le fait d’avoir compris avant tout le monde que l’avènement de la Cité Idéale ne pourra se faire que contre l’homme, voire sans lui.

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Les insulaires - Province

Evgueni Zamiatine en Mars 1916 à trente-deux ans part en Angleterre. L'ingénieur est chargé d'y veiller pour le compte du gouvernement tsariste à la construction de plusieurs brise-glace. En un an et demi il fait le tour des chantiers de Glasgow, Sunderland , Shields et surtout Newcastle. “Les Insulaires “, satire de la vie provinciale anglaise s'inspire de ce séjour. L'histoire débute avec “le corps étranger”, titre du premier chapitre. Pour qui connaît un peu l'oeuvre de Zamiatine, ce corps étranger, le grain de sable qui vient gripper les rouages bien réglés d'une machine parfaitement huilée et rompt un équilibre péniblement acquis, est présent dans plusieurs de ses oeuvres, dont la belle et audacieuse 1-330 dans “Nous Autres” ou Ganka dans “L'inondation”. Ici, c'est un jeune anglais insipide de l'aristocratie victorienne, appauvrie, mais qui continue à manger chez lui le soir en smoking....Un corps étranger qui n'est nullement un symbole, mais qui synthétise le récit où il figure et dont il est la fin et les moyens.

Dans ce récit où la froideur de l'expression se rallie à des personnages sclérosés, englués dans l'hypocrisie sociale et religieuse et dans des tabous étiquetés “les convenances “ qui tuent tout instinct naturel, on est dans une ambiance étrange qui laisse perplexe. De plus les ornements visuels de Zamiatine, “les appendices” qui progressivement remplacent les personnages donne au récit un côté surréaliste, dont “les vers “ de Lady Kemple , « ...le visage de Lady Kemple: c'était un visage tout ce qu'il y a de plus ordinaire, mais pourtant quelque chose....Et au même moment le pasteur comprit que c'étaient - ses “lèvres “. D'un vermillon décoloré , elles étaient extrêmement minces et d'une longueur inusitée, comme des vers- elles se tortillaient, leurs extrémités s'élevaient et s'abaissaient en ondulant........Les vers de Mrs Kemple se tordaient et sifflaient en grésillant à petit feu. ».



« Province » le second récit du livre qui précède "Les Insulaires" de quelques années, raconte les tribulations d'un cancre, Baryba Anfim, dans la province russe. Jeune homme sans scrupules et brute, jeté à la rue par son père, dans la Russie tsariste pieuse mais sans moral , tour à tour “amuseur chez une veuve respectable”, faux témoin pour le compte d'un avocat, pour finir....., il trouvera son chemin cahin-caha , sans vraiment se fatiguer, mais.....Une satire colorée de la Russie tsariste, et de ses personnages, comédiens en pacte avec Dieu, en public, avec Satan, en privé....., truculent .







Deux textes très différents dans le fond et la forme qui donne une idée de l'ampleur du talent de Zamiatine, un des plus grands auteurs russes du XX iéme siècle.
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La caverne et autres nouvelles

Ce livre est d'abord pour moi la rencontre avec une maison d'édition, les Éditions Interférences, au graphisme très reconnaissable, au papier crème épais, fondée par un ancien libraire, Alain Benech, et sa fille Sophie Benech, traductrice de russe (notamment des livres de Ludmila Oulitskaïa) que nous avons eu l'honneur d'accueillir dans la librairie de ma commune. de ce fait, notre librairie propose quelques recueils de cette maison d'édition qui offre des textes de qualité, inédits, épuisés ou difficilement accessibles aux lecteurs français. Essentiellement des auteurs russes et anglo-saxons. J'ai entré sur Babelio cette maison d'édition pour ce texte de Zamiatine mais le site semble revenir toujours aux éditions du Seuil. L'image qui apparait donc avec cette critique ne correspond pas aux Éditions Interférences qui ne sont d'ailleurs centrées que sur la nouvelle « La caverne ». Point d'autres nouvelles.



Parmi les livres proposés, mon choix s'est porté sur Evguéni Zamiatine dont la lecture de « Nous autres », qui inspira Orwell et Huxley, et de la nouvelle « L'inondation » m'avait profondément marquée. Pour comprendre ses livres, il faut comprendre le contexte dans lesquels ils ont été écrits. Evguéni Zamiatine a trente-trois ans en 1917 lors de la révolution d'octobre, année ô combien charnière pour la Russie. L'auteur a alors une carrière derrière lui dans la construction navale, il a déjà pas mal voyagé et a même un passé de révolutionnaire. Déjà, sur un plan littéraire, il jouit d'un début de reconnaissance avec ses deux livres Province et Au Diable qui lui valurent les foudres de la censure en 1908 par les tsars. En 1917 néanmoins, il porte sur Lénine et le bolchévisme un regard critique qu'il ne cache pas. Lorsque Staline consolide son pouvoir à la fin des années vingt, le régime prend comme prétexte la parution à l'étranger de son fameux roman dystopique « Nous autres » pour déclencher une violente campagne contre lui. Il sera tellement persécuté par la censure que l'auteur russe va demander en 1931 à Staline l'autorisation de quitter la Russie. Il émigrera et, après être passé par Prague et Berlin, mourra à Paris en 1937.



« Nous autres », « L'inondation » et ce très court texte « La caverne » font écho à ce contexte, le premier en critiquant le régime stalinien et le fait de ne pas pouvoir penser librement, le second en décortiquant le mécanisme de la haine montante, le dernier en mettant en valeur, s'inspirant des conditions de vie pendant la guerre civile, un monde lointain de survie, « là où se trouvait Saint-Pétersbourg il y a un siècle », le monde étant comme revenu à l'âge de pierre. Zamiatine imagine alors un retour à l'ère glaciaire, au temps des mammouths, et montre le déclin de la dignité humaine dans ces conditions de vie précisément inhumaines.



A Saint-Pétersbourg, un couple d'intellectuels tente en effet de survivre alors que règnent la pauvreté, la famine et qu'un froid absolument glacial pétrifie cette femme et cet homme dans leur appartement, les différentes pièces étant devenues des cavernes sombres et gelées. Conditions de vie telles que les protagonistes vont avoir recours aux gestes les plus indignes et les plus extrêmes. Tout dans le choix du vocabulaire, dans celui des figures de style utilisées, renvoient à la préhistoire et à la vie dans les cavernes. le teint des protagonistes, Martin et Macha, est d'argile, leurs habits peaux de bête, leur langue en petite queue de lézard, les dents jaunes comme la pierre, dents pierreuses entre lesquelles s'agite la petite queue de lézard, les mammouths semblent rôder, l'importance du feu est vital…Si ce parallèle avec l'ère glaciaire est ouvertement et superbement mis en valeur, les non-dit sous-jacent au texte m'ont obligé de le lire deux fois pour savoir si je l'avais bien compris. Notamment la chute. Malgré ses images fortes et sa poésie, cette nouvelle m'a un peu moins plu que les deux autres livres mentionnés précédemment, le récit étant tellement court, je suis restée sur ma faim. Mais il faut lui reconnaitre un style saisissant, voyez comme l'incipit donne immédiatement le ton :



« Des glaciers, des mammouths, des déserts. Des rochers de nuit, noirs, qui ressemblent vaguement à des immeubles ; à l'intérieur des rochers, des cavernes. Et nul ne sait ce qui barrit la nuit sur le sentier de pierres entre les rochers, ce qui, en flairant le sentier, soulève de son souffle une poussière de neige blanche ; c'est peut-être un mammouth à la trompe grise ; c'est peut-être le vent ; ou peut-être le vent est-il le barrissement glacé d'un mammouth mammouthissime. Une chose est sûre : c'est l'hiver. Et il faut serrer les dents le plus fort possible pour qu'elles ne claquent pas ; et il faut débiter le bois avec une hache de pierre ; et, chaque nuit, il faut transporter son feu de caverne en caverne, de plus en plus profondément ; et il faut enrouler autour de soi de plus en plus de peaux de bête à fourrure ».



Très intéressant, les éditions Interférences offrent certes seulement la nouvelle « La caverne » mais proposent le texte d'abord décliné sous le format nouvelle, dans une nouvelle traduction, mais aussi, dans une deuxième partie, ce même texte, cette même histoire déclinée sous le format d'une pièce de théâtre en deux actes, pièce jusqu'ici inédite. Écrite en 1927 elle ne fut jamais montée mais servit de scénario au film La Maison sous la neige tourné par F.Ermler en 1928. Ermler, cinéaste du début du 20ème siècle, donne une série de témoignages sur les mentalités de la nouvelle société soviétique. Ces oeuvres sont d'intéressants documents sur l'URSS à l'époque de la NEP. Les éditions Interférences permettent d'avoir donc dans un même recueil la nouvelle et la pièce, et Il très intéressant de pouvoir comparer le même récit dans deux styles littéraires différents. Lorsque la nouvelle fait surgir des images poétiques fortes, la pièce, elle, se concentre avant toute chose sur les comportements humains dans de telles conditions de vie.





Une nouvelle étonnante mais dont le format très court ne permet pas de bien cerner tout le talent et l'univers de l'auteur. Ce n'est sans doute pas le texte avec lequel commencer pour découvrir Evguéni Zamiatine, même si la métaphore préhistorique donne au texte un style saisissant et poétique unique mettant en opposition les gestes primaires de survie aux pensées.



« Pour une heure, c'est le printemps dans la caverne ; pour une heure, on s'est débarrassé de ses peaux de bêtes, de ses griffes, de ses crocs, et voici qu'à travers l'écorce congelée du cerveau jaillissent des brins d'herbe verte – les pensées ».

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En coulisses - Psychologie de la création et ..

"Dans une petite gare près de Moscou, je me suis réveillé et j'ai soulevé le store.

Juste devant la fenêtre, comme dans un cadre, flottait lentement la physionomie du gendarme de la gare: un front bas comme écrasé, des petits yeux d'ours, d'affreuses mâchoires carrées. J'ai eu le temps de lire le nom de la gare: Barybino. C'est là que sont nés Anphyme Baryba et mon roman "Province"."

Dans un premier court essaie le grand auteur russe Evgueni Zamiatine (1884-1937) nous parle des coulisses de l'écriture, essayant d'imager, concrétiser avec des mots les mystères du processus de la création. Il suit même “des régimes littéraires” strictes ( oui, oui comme des régimes amincissants !), quand une idée d’œuvre qui “habite longtemps la conscience , les étages supérieures, se refuse absolument à descendre, à se couvrir de chair et de peau.” Et il conclut avec une excellente définition du “critique” 😊.

Dans le deuxième essaie, “Psychologie de la Création “, qui en faites est le résumé d’une conférence, il affirme « Enseigner à écrire des récits ou des romans est impossible », et il développe, ce que je vous laisserez découvrir. Et il a totalement raison.

Et en dernier comme friandise, il nous offre « Le Dragon » un court récit fantastique image de sa prose et de ses propos.

C’est un bijou de 60 pages, chez les Éditions Interférences , dont j’adore les couvertures, le papier, la mise en page, tout. Mais attention le petit bouquin est dangereux ! Il risque de vous faire acheter ou procurer presque tous les livres qui y sont mentionnés, à moins que vous les ayez déjà tous lus. Je viens d’y passer donc je sais de quoi je parle 😄.



« Figé par un gel féroce, Petersbourg brûlait de fièvre et délirait.....Dans la brume, un soleil fiévreux, inconnu, glacé, à gauche, à droite, en haut, en bas -une colombe sur une maison calcinée. De ce monde délirant et brumeux émergeaient dans le monde terrestre des hommes-dragons...... ».
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Nous autres

Nous sommes en 1920 quand Evgueni Zamiatine imagine le monde de demain. Anticipant les dérives autoritaires du régime soviétique, Zamiatine écrit l'une des premières mais surtout l'une des plus belles dystopies, une dystopie d'amour.



Dans ce monde imaginé par Zamiatine, tout est sous contrôle et la police fait régner l'ordre. Les citoyens ont abandonné leur individualité, ce "Je" qui les vouait aux tourments et à la solitude au profit d'un "Nous" réconfortant. Plus de prénoms pour désigner les hommes et les femmes mais simplement des lettres et des numéros. Seul importe l'intérêt collectif et des murs transparents assurent à chacun le pouvoir de surveiller et éventuellement de dénoncer son voisin. le chef de l'état, celui qui se fait appeler "le Bienfaiteur" s'occupe de tout, tel un père sévère mais protecteur. Sachant ce qui est bien pour ses citoyens, il leur promet la quiétude en échange d'une totale soumission. Et en effet, D-503, le héros de cette histoire, est un homme heureux qui ne remet jamais en cause sa vie si bien réglée. Il est mathématicien et concepteur de l'Intégrale, un gigantesque vaisseau spatial qui doit partir à la conquête des autres mondes pour les soumettre à la volonté du Bienfaiteur. Convaincu du bien fondé de sa tâche, il y travaille avec zèle. Dans la vie de D-503, il y a le travail et O-90, une douce jeune femme toute en rondeurs avec laquelle il passe de temps à autre un agréable moment, toujours sous le contrôle du bureau des autorités qui leur délivre pour cela un billet rose.



Mais tout se dérègle le jour où I-330 entre dans sa vie. le désir et la jalousie sèment alors le chaos dans l'esprit de ce pauvre mathématicien si raisonnable. Car I-330 est belle tout autant qu'indocile. Elle fume, boit et fréquente des rebelles nostalgiques du "monde d'avant". A ses côtés, dans ses bras, D-503 va se sentir devenir un autre homme, un homme fait de chair, pleinement vivant. Cette femme, il va l'aimer de toute son âme, contractant par cet amour la plus dangereuse des maladies. Car dans le monde transparent et aseptisé du Bienfaiteur, il n'est pas permis d'avoir une âme, comme il n'est pas permis de rêver. L'imagination appelle la désobéissance et la désobéissance est punie de mort. Pour sauver les citoyens et maintenir l'unité du peuple, les médecins de l'Etat les opèrent afin de leur retirer cette résurgence de l'ancien monde, la faculté de penser par soi-même.

Cette nouvelle conscience de D-503 donnera l'occasion à Zamiatine d'écrire des pages superbes, d'une incroyable poésie. Plus l'histoire progresse, plus cet amour grandit dans le coeur de D-503, brisant toutes ses certitudes. Mais pour un homme habitué à vivre sans passion, confit dans un petit bonheur tranquille, ouvrir son coeur à l'amour n'est pas sans risque. Se sachant atteint de ce mal d'amour incurable, D-503 écrit des notes et ce sont ces notes que nous lisons, des notes tragiques et bouleversantes, les notes d'un homme amoureux.



" le moment avait mûri. Et ce fut inévitable, comme le fer et l'aimant - suave soumission à une loi inflexible et précise: avidement, j'entrai en elle. Il n'y avait pas de billet rose, pas de décompte, pas d'Etat unitaire - et moi non plus je n'existais pas. Il n'y avait que ces dents serrées, tendres et aigües, ces yeux d'or largement ouverts - et je m'y enfonçais, je pénétrais toujours plus profondément. Et ce silence - il n'y avait, là dans le coin - à des milliers de milles -, que ces gouttes qui tombaient dans le lavabo et j'étais, moi - L Univers, et entre chaque goutte - des époques, des ères..."



Tout le génie de Zamiatine est là, dans ces passages d'une rare beauté, qui alternent avec les descriptions glacées d'un monde déshumanisé. Il y a de la passion et du feu dans ces notes de D-503. Ce sont celles d'un homme qui a longtemps marché courbé et qui se redresse enfin, porté par une force qui le dépasse.

"Les ouragans, les orages qui déchirent le ciel, qui réduisent en miette la quiétude trotte-menu - quoi de plus beau en ce monde?" écrivait l'auteur dans sa préface en 1922.



"Nous" fut interdit de publication en URSS en 1924, donnant plus de force encore à ce roman qui semble avoir été écrit hier ou plutôt aujourd'hui. La numérisation et le contrôle toujours plus grand de notre société invite à lire et à relire ce chef-d'oeuvre de Zamiatine. Intemporel et indispensable, il nous met en garde contre les dérives d'un Etat qui promettrait la sécurité en échange de nos libertés. Et si Zamiatine écrivait dans sa préface que ces temps, sans doute inéluctables, étaient encore infiniment lointains, je crois que nous les voyons, au contraire, se rapprocher dangereusement. Aujourd'hui et avant qu'elles ne soient définitivement brisées, il est grand temps de déployer nos ailes...



"J'ai écrit pour ceux qui ne savent pas seulement marcher, défiler au pas cadencé- mais qui ont des ailes pour voler.", Evgueni Zamiatine, extrait De La préface de "Nous".
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Nous autres

L’autre jour, au cours de déclamation, une élève a présenté un extrait d’un roman de Musso. Impossible de citer le titre du roman de cet auteur prolifique, mais peu importe en fait. Ce fut une véritable épreuve pour moi (et pour le prof, je crois) que d’écouter ces platitudes et ces clichés usés jusqu’à la corde. Bon je ne blâme pas la pauvre jeune fille … d’autant plus que pour justifier son choix, elle a déclaré que ledit roman avait été imposé par son professeur de français, ce qui m’a achevé …



Comment un prof de français peut-il imposer ce genre de lecture alors que la vie est si courte et suffira pas à découvrir tous les chefs d’œuvre de la littérature française et étrangère ? Et surtout quel projet pédagogique s’appuie sur une telle lecture ? Celui de faire de nos jeunes des gentils consommateurs soumis aux diktats des marchés, des citoyens à l’imaginaire atrophié, des exécutants qui ne remettront pas en cause l’ordre établi, des électeurs dociles amputés d’esprit critique ? Pire, mille fois pire, celui de les dégouter de la lecture ?



Quel gâchis d’imposer ce genre de lecture quand des romans tels que « nous » n’attendent qu’à être lus, discutés, critiqués ? Car oui ce roman fait partie des tous grands, de ceux qui appellent à la discussion, au débat, à l’argumentation. Le roman de Zamiatine suscite la réflexion, aiguise l’esprit critique et entremêle différentes domaines de connaissance. Et ça, c’est tellement rare, cette joyeuse transversalité !



Alors si j’étais professeur de français, je m’associerais avec le professeur de philo, avec le professeur de mathématique et/ou de physique et avec le professeur d’histoire. Ensemble, on replacerait ce roman dans le contexte historique (pas neutre quand même ici …), on confronterait la vision de l’avenir d’un homme des années 1920 à notre actualité, et à notre vision de l’avenir. On démasquerait les syllogismes, contre-vérités et sophismes qui pullulent dans ce livre, on construirait une argumentation solide pour les démonter … On s’interrogerait sur cette vision de la fin du monde, une vision qui rompt avec la tradition des eschatologies (enfin je ne suis pas une spécialiste en la matière) , où généralement la fin du monde est synonyme de chaos, des massacres, de désordres, de souffrance, … Ici la fin du monde est un monde ordonné à l’extrême, où le bonheur régnerait en maître partout et la souffrance serait totalement éradiquée. Un monde où il n’y aurait plus de raisons de faire la révolution.



Alors certes ce « Nous » n’est pas une lecture facile. D’abord il y a cette plongée dans un monde purement factuel, intégralement ancré dans le présent, dans la réalité, dans la causalité, dans la fonctionnalité. Un monde où le doute, l’émotion, le rêve, le fantasme sont bannis. Un monde sans musique, sans poésie, sans intimité, sans échappatoire. Un grand état supranational où la vie est programmée dès la naissance. Zéro risque, zéro accident.



Et puis Zamiatine était ingénieur et ça se ressent, évidemment. Alors peut-être que pour apprécier ce roman, il faut être sensible aux charmes des mathématiques et de la physique, y compris à leurs paradoxes. Il y a aussi cette ponctuation si particulière, ces tirets qui font tantôt office de parenthèses, tantôt de virgules, tantôt de points de suspension pour indiquer une idée interrompue. C’est assez perturbant. Était-ce voulu par l’auteur, qu’en est-il dans le roman d’origine ?



Mais une chose est sûre : avec ce roman, on ferait un vrai travail d’éducation, on armerait les citoyens de demain contre les fameuses « fake news », sujet tellement à la mode, sans débloquer des budgets supplémentaires … (en Belgique, un budget a été débloqué pour combattre les fake news, alors qu’on aurait pu injecter cette somme dans le système éducatif. Ah oui, c’est vrai, c’est beaucoup moins porteur électoralement …).



Mais voilà je ne suis pas professeur, ni responsable des programmes pédagogiques, ni femme politique ! Dommage …

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L'inondation

C'est l'histoire d'une inondation. Les eaux de la Neva montent, debordent son lit et inondent un quartier pauvre de Saint Petersbourg, l'ile Vassilievski. Avec l'eau enfle et s'intensifie un drame d'infidelite, de jalousie, de non-dits et de haine.



Trofim Ivanytch est un ouvrier marie a Sophia, qu'il aime, mais le fait qu'elle n'arrive pas a tomber enceinte le travaille et mine leur relation. Quand des voisins meurent laissant une orpheline de douze ans, Ganka, ils decident de l'emmener chez eux, comme une adoption. Mais bientot la relation entre Trofim et Ganka se troque en amour charnel, au vu et su de Sophia. Et ce sera la crue de la Neva et l'inondation de leur maison qui va precipiter les evenements. L’inondation est ici la metaphore a laquelle l'auteur associe les sentiments in crescendo de Sophia, qui la submergent jusqu'a l'amener a un acte de destruction, au meurtre.



La capacite de Zamiatine a plonger dans la tete des personnages, surtout de Sophia, et transmettre le passage qui s'y opere, de la surprise et l'incredulite, a la honte, a l’humiliation et la jalousie puis a la haine destructrice qui s'empare d'elle, et enfin, apres l'acte, a la sensation de quietude, courte accalmie qui se mue peu a peu en un besoin interne de tout avouer, pulsion imperative meme quand sa relation avec Trofim s'ameliore et qu'elle tombe enceinte, est remarquable.



L'eau de la Neva qui monte est aussi le sang qui coule. L’inondation est physique dans le quartier et mentale dans la tete de l'infortunee Sophia. Tout cela s’entrelace et s'agglomere et permet au lecteur de saisir tout le malheur de ce drame, qui, comme la Neva, est imprevisible, incontrolable, irrepressible. Les personnages, tous tant qu'ils sont, ne peuvent que le subir.



J'ai lu ce livre dans la collection Les Inepuisables, d'Actes Sud, ou l'editeur veut presenter “des livres destines aux amateurs de joyaux litteraires”. Celui-ci l'est incontestablement. Un joyau litteraire.

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L'inondation

Les phrases sont courtes et les nombreuses métaphores sont belles. du début à la fin les faits sont à peine suggérés et pourtant, dès que l'on a les éléments de départ on se doute de ce qui va se passer.



C'est un peu ça « L'inondation ». Une tension qui monte, une histoire d'homme qui prend forme à pas feutrés, qui s'infiltre et déborde engloutissant tout sur son passage, et puis c'est la Neva, le fleuve qui coule à St Petersbourg, et qui déborde aussi, ravageur et inattendu faisant rompre les digues et ployer tout sur son passage.



Cette histoire dramatique m'a émue.

Trois personnages essentiels nous envahissent tout au long du récit :

Trofim Ivanytch, un macho sordide, Sophia une femme soumise et rongée par la culpabilité et Ganka un petit oiseau sans scrupules .Sordide si je les épingle de cette manière brutale non? Mes mots ont fini de salir ce que l'histoire avait déjà souillé.



C'est sans compter sur le talent d'Evgueni Zamiatine qui par la construction du récit, son sobre dépouillement, son rythme lent au départ bien sûr mais qui s'emballe très vite et la force des mots savamment maitrisés nous ôte tout envie de juger. C'est un peu comme si des phrases sublimes servaient de contrepoids aux actes les plus regrettables. Les mots sont animés par un souffle, une vie intérieure, une mission. ….je les ai aimés ces mots, j'ai suivi leur cadence et j'ai offert à cette lecture tout ce que je pouvais pour me glisser dans les pas de l'auteur.



Au début du récit « Pourtant il y avait quelque chose qui clochait. Quoi au juste, ce n'était pas encore bien clair, cela n'avait pas encore pris la consistance des mots ». Et ainsi nous progressons le souffle court : « Elle n'avait plus rien, ni bras, ni jambes, rien que son coeur qui tournoyait comme un oiseau, tombait, tombait, tombait » nous relisons certains passages tel un chien conduisant son troupeau…… « Ses lèvres frémissaient comme la peau du lait lorsqu'elle est tout à fait prise » ……… Cest beau non ?



J'ai assez parlé. Je partage encore le bruit de la pendule qui « frappait bruyamment du bec dans le mur » Vous l'entendez cette grosse pendule ? et avant de terminer ce billet je vous laisse imaginer un personnage du livre qui « avec difficulté, par degrés, se mit à inspirer de l'air, remontant avec son souffle, comme avec une corde, une pierre qui était au fond ». C'est moi qui manque de souffle quand je lis des phrases comme ça ! Que c'est beau ! Je crois l'avoir déjà dit!



Ce récit écrit en 1929 est un condensé de richesse. Je le classe dans la catégorie "Chef-d'oeuvres"



Vite lu ? Non car les retours sont fréquents. Nous ressassons, relisons, pour vivre un peu plus longtemps avec ces mots là.



Vite oublié ? Certainement pas. Une centaine de pages soulève des montagnes de questions sur la condition des femmes à cette époque.



Vite rangé? Non plus. Ce petit livre va circuler et inonder quelques amateurs, comme le ferait la Neva



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Nous autres

GROS COUP DE COEUR !

C'est un roman de dystopie, un des tous premiers (1923) et qui n'a pas pris une ride, il aurait inspiré George Orwell pour 1984. Je l'ai lu dans cette nouvelle traduction, sans doute plus moderne, plus vive, parfois drôle, racontée au présent. le titre est « Nous », alors que dans l'ancienne traduction c'était « Nous autres », déjà le titre est plus péremptoire, plus direct et à mon avis plus juste. L'écriture est belle, recherchée, parfois abrupte, pas toujours facile, mais s'accordant parfaitement à la pensée du personnage principal, perdu dans ses réflexions contradictoires, une écriture pleine d'images, au rythme saccadé, qui suit le fil de la pensée, une pensée qui se perd. C'est d'une grande réussite, la description d'une réflexion logique et froide, mathématique, unifiée, sans nuances qui se confronte à une pensée plus éthérée, poétique, fantaisiste, à l'intérieur même de l'esprit de notre personnage, D-503. le langage a une importance primordiale dans ce récit. À travers ce roman, c'est évidemment une critique du communisme Stalinien, de la pensée unique, mais aussi du Taylorisme capitaliste, l'aspect Science-fiction n'est alors qu'un prétexte, qu'un médium pour amener ses idées. C'est réalisé avec une grande subtilité, l'auteur parvient à se mettre de l'autre côté, l'âme poétique, le rêve, ne seraient qu'une maladie dangereuse qu'il faut absolument soigner.

Ce roman m'a littéralement transporté, surpris. Il va falloir lui faire une place sur mon île déserte.
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Le miracle du mercredi des cendres

Zamiatine devoile dans cethe nouvelle son cote espiegle, charmeur.

C'est en fait un conte, ou un medecin bienveillant berne un chanoine ingenu et candide pour accomplir une bonne action. Ils sont amis et le docteur sait que le chanoine est choye par son archeveque. Choye physiquement, car qui n’aimerait choyer le chanoine Simplice? “Oh ! ce corps !... Il existe dans certains boudoirs féminins de ces fauteuils recouverts de soie rosé dont les souples rondeurs et les tendres plis semblent vivre et accueillir tout comme la maîtresse du logis. Tel le corps du chanoine”. Alors quand le chanoine se plaint de malaises et d'une “pesanteur inexplicable dans l’abdomen”, le docteur le convoque dans son cabinet, l'anestesie, et a son reveil lui endosse le bebe d'une pauvre femme morte en couches. Il a accouche? Comment est-ce possible? Mais le docteur crie au miracle et comment un simple chanoine pourrait refuser un miracle? Ne croyait-il pas a d'autres miracles? De toutes facons “le Dr Voïtchek garda toujours fidèlement le secret. À tous il racontait que le chanoine, dans la bonté de son cœur, avait adopté le fils d’une pauvre femme morte en couches. La renommée de Simplice n’en avait fait que grandir en même temps que grandissait le petit”. Le chanoine garda toute sa vie en son coeur la verite sur ce fils miraculeux, et ce n'est qu'au moment de fermer les yeux pour l'eternite qu’il lui confia: “Écoute-moi, Félix. Tu pensais naturellement que j’étais ton père. Ce n’est pas tout à fait la vérité. La voici. Moi, je suis ta mère et, quant à ton père... c’est feu l’archevêque Benoît”.



Je suis certain que Saint Pierre a accueilli les bras ouverts cette ame simple, ainsi que cette autre bonne ame, celle du Dr Voitchek, quand son heure arriva.



En attendant la mienne (pas de souci, la Camarde est en greve parce qu'on veut lui repousser l'age de la retraite), Zamiatine m'a rendu tout sourires. Il a de nombreuses cordes a son arc, et il faut croire qu'il excelle a tirer avec toutes. Et je remercie encore une fois le site de la BSR, qui nous permet de les sonder.

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La montre

La montre: nouvelle lue dans la traduction anonyme parue dans “Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques”, n° 641, 1935 (Selon la BRS).



Table des matieres:

Ou nous apprenons ce qu'indique une montre.

Ou nous sommes avertis de l'ouverture de la saison des amours.

Ou les coureurs prennent leurs marques.

Ou nous prenons conscience de l'importance de l'obstination.

Ou les plus timores deviennent intrepides par amour.

Ou une fougue effrenee peut s'averer prejudiciable.

Epilogue: Un tiens vaut mieux que deux saisis par erreur.



Ma conclusion de lecture: Zamiatine pour ses grandes oeuvres! Zamiatine pour ses courtes nouvelles! Tout est bon! Je conseille donc de chercher a lire La montre, sans table de matieres dandinesque.

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La caverne et autres nouvelles

Je continue a piocher dans la Bibliotheque Russe et Slave. Zamiatine cette fois-ci.



La Caverne: une nouvelle publiee en 1921, quand il ecrivait son celebre Nous, qui ne devait voir le jour que longtemps apres.



Cela commence par la description d'un age prehistorique glacial, ou circulent des mammouths et ou des hommes se cachent dans des cavernes, mais tres vite ces cavernes sont localisees, la ou vit l'auteur : “Dans la chambre-caverne de Petersbourg, c’était à présent comme, un peu plus tôt, dans l’arche de Noé : des créatures propres et d’autres sales, dans le désordre du Déluge. Le bureau de Martin Martinytch ; des livres ; des galettes quasi-préhistoriques ressemblant à des poteries ; l’opus 74 de Scriabine ; un fer à repasser ; cinq pommes de terres blanches, lavées avec tendresse ; des sommiers en nickel ; une hache ; un chiffonnier ; des bûches. Et, au centre de cet univers, le dieu : un dieu trapu et courtaud, d’un roux tirant sur la rouille, un dieu de caverne, avide d’offrandes — un poêle de fonte. Le dieu ronflait puissamment. Dans la caverne obscure trônait ce prodige ardent. Les humains — Martin Martinytch et Macha — tendaient leurs bras vers lui en silence, avec vénération et reconnaissance”.



Revenu en Russie (d'Angleterre), plein d'espoir, avec la revolution de Fevrier 1917, il n'a pas fallu longtemps a Zamiatine pour dechanter. Tres vite il devient critique des tendance autoritaires qui s'intensifient avec la guerre civile. La grande violence avec laquelle les bolcheviques suppriment toutes les autres gauches est percue par lui comme un retour a la barbarie: la valeur de la vie humaine est en chute libre; et les valeurs de toutes cultures, qui doivent non seulement s'adapter, mais se convertir, se plier aux maitres du moment. Ajoutant a cela le grand denuement de ces annees, la pauperisation des villes, Zamiatine en vient a decrire dans cette nouvelle une ere de glace, physique et psychique, ou, tous reperes moraux perdus, tout espoir perdu, il n'y a d'autre issue pour des intellectuels qui ont connu autre chose qu’une “petite fiole bleue", le suicide.



Du fond de sa caverne, Zamiatine pousse son cri.

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Le récit du plus important

« Chaque aujourd'hui est dans le même temps berceau et linceul: linceul hier, berceau de demain. (…) Hier est la thèse, aujourd'hui l'antithèse, demain la synthèse… »

...

C'est sur ce paragraphe tiré du « Demain » de Zamiatine que le traducteur et spécialiste des lettres russes Jacques Catteau a décidé d'ouvrir cette édition ne reprenant que cette nouvelle de 60 pages. On peut la retrouver dans plusieurs autres éditions, accompagnée d'autres textes.

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L'histoire en est double, alternée alors que simultanée, emprunte de relativités, celle d'Einstein, celle de la vie et de la mort, celle du bien et du mal.

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Nous sommes en 1923, année où il publie également le texte « Littérature, révolution et entropie », dont un extrait prolonge l'introduction, donnant au révolutionnaire un caractère naturel, de cycle infini, « des hérétiques comme seul et amer remède contre l'entropie de la vie humaine ».

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On y suit une révolte de moujiks contre un président de soviets injuste et violent, surplombée, dans l'espace, par la fin d'une obscure civilisation, dont les quatre derniers survivants disposent d'une dernière bouteille d'air à respirer.

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Le texte en appelle aux mythes fondateurs de la Russie, en même temps qu'il introduit un monde que Jacques Abeille aurait pu prolonger dans son Cycle des Contrées, fait de statues illuminées par deux lunes sanguinaires.

...

Deux lectures sont nécessaires pour bien tout appréhender, le texte en étant réduit à sa moelle, superbe forme où pas un mot n'est superflu, qui rappelle dans son geste celui de Picasso avec son taureau : plus un trait ne pouvant être retiré sans en détruire le sens.

Une richesse de fond et de forme éclatante.

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Un chef-d'oeuvre qui brille dans les silences qu'il ménage, où les questionnements complexes de l'auteur fleurissent comme lilas, le monde entier sous sa plume anthracite.
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L'inondation

L'inondation est un petit roman qui est pour moi un véritable chef d'oeuvre.

C'est un texte d'un auteur russe qui m'était jusqu'ici totalement inconnu, - un certain Evgueni Zamiatine.

C'est presque un huis clos étouffant, si ce n'est le fleuve à côté qui irrigue les pages.

C'est comme un thriller, la tension monte, grandissante comme une crue, comme ces eaux qui montent ici, la Neva, ce fleuve qui traverse Saint-Pétersbourg, ville qui à l'époque du récit s'appelle Petrograd.

Nous sommes à l'automne 1920. La révolution russe semble déjà loin. Trofim Ivanytch est marié à Sofia, ils forment un couple sans histoire, un couple presque ordinaire. Ils s'aiment, du moins semble-t-il.

Sofia et Trofim n'ont pas d'enfant, ou plutôt n'ont toujours pas d'enfant après treize ans de vie commune. Rien n'est dit dans le couple à ce sujet, mais Sofia comprend peu à peu, par des signes à peine perceptibles de la part de Trofim, - et nous ausi dès lors, que si elle ne conçoit pas d'enfant, celui-ci la quittera un jour ou l'autre. Pourquoi ce reproche à demi-mots ? Peut-être sans les mots d'ailleurs ? Pourquoi à elle et pourquoi pas à lui ?

C'est alors que leur voisin le plus proche, le menuisier déjà veuf, meurt du typhus, laissant derrière lui une fille orpheline, Ganka, elle doit avoir une douzaine d'années. C'est une tragédie.

Sofia a le coeur sur la main, mais son désir d'être mère l'emporte aussi dans cet élan... Elle propose à Trofim de recueillir la jeune fille et il l'accepte.

Avec le temps, une relation s'installe, harmonieuse au début, dans cette union qui ressemblerait presque à un amour filial. C'est le bonheur d'une petite famille qui se construit comme cela. Mais peu à peu, le désir de Trofim s'exprime envers la gamine qui a grandi, devenue adolescente, qui continue de grandir effrontément sous les yeux de Sofia...

La suite, je ne sais pas si vous l'imaginez... Moi non, Evgueni Zamiatine oui. Et c'est là que les digues, qui retenaient jusqu'alors les eaux de la Neva, s'éventrent et envahissent les pages du récit.

J'ai été sensible à cette manière de l'auteur de décrire avec des phrases ténues ce basculement des rivages intérieurs avec ceux d'une crue qui envahissent au même moment les berges de la Neva.

Que reste-t-il alors dans le ventre déjà vide de Sofia ? de la honte ? de l'humiliation ? de la résignation ? de l'oubli ? Des pierres qui pèsent lourdes comme le poids de la culpabilité et de l'abandon ? Des pierres à jeter ? Mais à jeter sur qui ?

Les eaux montent au fil des pages. La beauté du monde est peu à peu envahie et effacée par la jalousie et la haine comme une mer qui monte sur le sable d'une plage.

J'ai adoré ce texte abrupt, écrit à l'os, qui permet justement cette tension qui se déploie jusqu'à l'extrême.

C'est une douleur retenue jusqu'à l'asphyxie, comme des digues retenant tant bien que mal des eaux plus fortes que la raison. C'est un texte qui fait mal, qui dit le désespoir jusqu'au point ultime où il peut encore être accepté. Après... Après ? C'est seulement ce qui est arrivé.

Les livres sont des remous, des tangages, les mots sont des ponts, mais les ponts s'effondrent parfois aussi sous la montée des eaux...

Comment ne pas songer ici à Crime et Châtiment, comment ne pas songer à Raskolnikov ? Je ne vous en dis pas plus et je m'empresse de terminer cette chronique avant de me laisser emporter par les flots de la Neva...

C'est un texte superbe.

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Au diable vauvert - Alatyr

Evgueni Zamiatine (1884-1937) se présentait lui-même comme un hérétique chronique. il était le fils d'une pianiste et d'un pope de Lebedian, ville d'une province réputée "pour ses foires, ses Tziganes, ses tricheurs, l'âpreté et la saveur de sa langue russe". Il est l'auteur de cet aphorisme : "Dans les autres pays, on admire les écrivains, chez nous, on leur casse la gueule."

Ce recueil contient deux nouvelles tragiques à l'humour dévastateur. Elles valurent au jeune Zamiatine, bien des ennuis.



1. Au Diable vauvert  (1914) est un court roman d'apprentissage à l'humour grotesque et ravageur car il est doublé d'une satire cruelle de l'armée russe à la veille de la guerre. Mais ne vous y trompez pas, le rire est mêlé de tristesse comme chez Gogol. Ce roman sera censuré  et Zamiatine condamné pour avoir donné une «image profondément insultante des officiers russes», présentés «comme des hommes grossiers, abrutis, dépourvus d'apparence humaine et ayant perdu leur conscience de leur propre dignité ce qui, à n'en pas douter, constitue une atteinte particulièrement grave à l'honneur des armées. » Zamiatine sera envoyé au...fin fond de la Russie, en Carélie, pour deux ans. Mais il reviendra...avant d'être de nouveau condamné cette fois-ci par les Bolcheviques.



Le protagoniste principal Andrei Ivanytch Polovets est un jeune idéaliste au front large amoureux de musique romantique. Il est envoyé comme officier à l'extrême orient russe au milieu de nulle part dans une ville de garnison où on vit en vase clôt. Andreï fait d'emblée connaissance avec une sacrée collection de détraqués. Les officiers, les femmes, leurs domestiques, sans distinction. Il est dommage que leurs noms expressifs sans doute très animaliers pour certains n'aient pas été traduits. le général ventripotent qui ressemble à une énorme grenouille passe son temps à cuisiner. Il a l'air débonnaire comme ça mais c'est un animal lubrique et cruel qui a le destin de tous et de toutes entre ses mains boudinées. Sa femme est folle, sa belle soeur ne vaut guère mieux. La femme du capitaine toute en rondeur a huit enfants dont aucun ne ressemble à son père et elle met au monde un neuvième, le petit Piotr. le parrain désigné d'office lors d'une beuverie a le tort de penser et de lire. le malheureux élu sera mené par le bout du nez au propre et au figuré. Andreï tombe amoureux de la jolie Maroussia (au sourire de souris) marié au capitaine Schmidt, le plus cruel d'entre tous. Pourra-t-il la sauver ? Voudra-t-elle être sauvée ?



2. Alatyr (1915) est une nouvelle satirique qui prend d'abord les allures d'un joli conte de fée avant de devenir très sombre, peignant une humanité animale et craintive qui annonce celle de la Caverne (1920).

Depuis la guerre contre le Grand Turc, la cité d'Alatyr (dont le nom est aussi celui de la pierre légendaire des contes russes) est aux prises avec une surpopulation de vieilles filles. Parmi elles, Glaphira la fille du commissaire et Barbara la fille du pope rêvent au prince charmant. Et leurs pères désespèrent. le commissaire se pique d'inventions scientifiques. Il a décidé de faire du pain non pas avec de la levure mais avec du guano. Ce qui nous vaut une bonne tranche de rire. le pope lui est féru de diableries.Se présentent alors de curieux prétendants…





Le pope avait un chien, et après Dieu le fils,

Il l'aimait plus que tout.

Mais le jour où son chien goba une écrevisse,

Le pope lui tordit le cou.

Il enterra son chien, et sur le frontispice

Du tombeau du toutou,

Grava ces mots témoins du triste sacrifice :

Le pope avait un chien, et après Dieu le fils

Il l'aimait plus que tout.

Mais, le jour où son chien…etc, etc…
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