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André Markowicz (Traducteur)
EAN : 9782020121675
140 pages
Seuil (06/03/1991)
4.42/5   18 notes
Résumé :
Les nouvelles de ce recueil, écrites entre 1913 et 1924, résument le parcours spirituel et politique de cet intellectuel engagé, bolchevik à l'époque tsariste, puis témoin critique et sans concession du " chaos " révolutionnaire.
" " La Caverne, écrit en 1920, est sans doute un reflet de l'effroyable misère de cette époque, mais ce récit de glaciation où rôdent des fantômes de mammouths peut être lu comme une prémonition des cataclysmes à venir et de fin du m... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Ce livre est d'abord pour moi la rencontre avec une maison d'édition, les Éditions Interférences, au graphisme très reconnaissable, au papier crème épais, fondée par un ancien libraire, Alain Benech, et sa fille Sophie Benech, traductrice de russe (notamment des livres de Ludmila Oulitskaïa) que nous avons eu l'honneur d'accueillir dans la librairie de ma commune. de ce fait, notre librairie propose quelques recueils de cette maison d'édition qui offre des textes de qualité, inédits, épuisés ou difficilement accessibles aux lecteurs français. Essentiellement des auteurs russes et anglo-saxons. J'ai entré sur Babelio cette maison d'édition pour ce texte de Zamiatine mais le site semble revenir toujours aux éditions du Seuil. L'image qui apparait donc avec cette critique ne correspond pas aux Éditions Interférences qui ne sont d'ailleurs centrées que sur la nouvelle « La caverne ». Point d'autres nouvelles.

Parmi les livres proposés, mon choix s'est porté sur Evguéni Zamiatine dont la lecture de « Nous autres », qui inspira Orwell et Huxley, et de la nouvelle « L'inondation » m'avait profondément marquée. Pour comprendre ses livres, il faut comprendre le contexte dans lesquels ils ont été écrits. Evguéni Zamiatine a trente-trois ans en 1917 lors de la révolution d'octobre, année ô combien charnière pour la Russie. L'auteur a alors une carrière derrière lui dans la construction navale, il a déjà pas mal voyagé et a même un passé de révolutionnaire. Déjà, sur un plan littéraire, il jouit d'un début de reconnaissance avec ses deux livres Province et Au Diable qui lui valurent les foudres de la censure en 1908 par les tsars. En 1917 néanmoins, il porte sur Lénine et le bolchévisme un regard critique qu'il ne cache pas. Lorsque Staline consolide son pouvoir à la fin des années vingt, le régime prend comme prétexte la parution à l'étranger de son fameux roman dystopique « Nous autres » pour déclencher une violente campagne contre lui. Il sera tellement persécuté par la censure que l'auteur russe va demander en 1931 à Staline l'autorisation de quitter la Russie. Il émigrera et, après être passé par Prague et Berlin, mourra à Paris en 1937.

« Nous autres », « L'inondation » et ce très court texte « La caverne » font écho à ce contexte, le premier en critiquant le régime stalinien et le fait de ne pas pouvoir penser librement, le second en décortiquant le mécanisme de la haine montante, le dernier en mettant en valeur, s'inspirant des conditions de vie pendant la guerre civile, un monde lointain de survie, « là où se trouvait Saint-Pétersbourg il y a un siècle », le monde étant comme revenu à l'âge de pierre. Zamiatine imagine alors un retour à l'ère glaciaire, au temps des mammouths, et montre le déclin de la dignité humaine dans ces conditions de vie précisément inhumaines.

A Saint-Pétersbourg, un couple d'intellectuels tente en effet de survivre alors que règnent la pauvreté, la famine et qu'un froid absolument glacial pétrifie cette femme et cet homme dans leur appartement, les différentes pièces étant devenues des cavernes sombres et gelées. Conditions de vie telles que les protagonistes vont avoir recours aux gestes les plus indignes et les plus extrêmes. Tout dans le choix du vocabulaire, dans celui des figures de style utilisées, renvoient à la préhistoire et à la vie dans les cavernes. le teint des protagonistes, Martin et Macha, est d'argile, leurs habits peaux de bête, leur langue en petite queue de lézard, les dents jaunes comme la pierre, dents pierreuses entre lesquelles s'agite la petite queue de lézard, les mammouths semblent rôder, l'importance du feu est vital…Si ce parallèle avec l'ère glaciaire est ouvertement et superbement mis en valeur, les non-dit sous-jacent au texte m'ont obligé de le lire deux fois pour savoir si je l'avais bien compris. Notamment la chute. Malgré ses images fortes et sa poésie, cette nouvelle m'a un peu moins plu que les deux autres livres mentionnés précédemment, le récit étant tellement court, je suis restée sur ma faim. Mais il faut lui reconnaitre un style saisissant, voyez comme l'incipit donne immédiatement le ton :

« Des glaciers, des mammouths, des déserts. Des rochers de nuit, noirs, qui ressemblent vaguement à des immeubles ; à l'intérieur des rochers, des cavernes. Et nul ne sait ce qui barrit la nuit sur le sentier de pierres entre les rochers, ce qui, en flairant le sentier, soulève de son souffle une poussière de neige blanche ; c'est peut-être un mammouth à la trompe grise ; c'est peut-être le vent ; ou peut-être le vent est-il le barrissement glacé d'un mammouth mammouthissime. Une chose est sûre : c'est l'hiver. Et il faut serrer les dents le plus fort possible pour qu'elles ne claquent pas ; et il faut débiter le bois avec une hache de pierre ; et, chaque nuit, il faut transporter son feu de caverne en caverne, de plus en plus profondément ; et il faut enrouler autour de soi de plus en plus de peaux de bête à fourrure ».

Très intéressant, les éditions Interférences offrent certes seulement la nouvelle « La caverne » mais proposent le texte d'abord décliné sous le format nouvelle, dans une nouvelle traduction, mais aussi, dans une deuxième partie, ce même texte, cette même histoire déclinée sous le format d'une pièce de théâtre en deux actes, pièce jusqu'ici inédite. Écrite en 1927 elle ne fut jamais montée mais servit de scénario au film La Maison sous la neige tourné par F.Ermler en 1928. Ermler, cinéaste du début du 20ème siècle, donne une série de témoignages sur les mentalités de la nouvelle société soviétique. Ces oeuvres sont d'intéressants documents sur l'URSS à l'époque de la NEP. Les éditions Interférences permettent d'avoir donc dans un même recueil la nouvelle et la pièce, et Il très intéressant de pouvoir comparer le même récit dans deux styles littéraires différents. Lorsque la nouvelle fait surgir des images poétiques fortes, la pièce, elle, se concentre avant toute chose sur les comportements humains dans de telles conditions de vie.


Une nouvelle étonnante mais dont le format très court ne permet pas de bien cerner tout le talent et l'univers de l'auteur. Ce n'est sans doute pas le texte avec lequel commencer pour découvrir Evguéni Zamiatine, même si la métaphore préhistorique donne au texte un style saisissant et poétique unique mettant en opposition les gestes primaires de survie aux pensées.

« Pour une heure, c'est le printemps dans la caverne ; pour une heure, on s'est débarrassé de ses peaux de bêtes, de ses griffes, de ses crocs, et voici qu'à travers l'écorce congelée du cerveau jaillissent des brins d'herbe verte – les pensées ».
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Je continue a piocher dans la Bibliotheque Russe et Slave. Zamiatine cette fois-ci.

La Caverne: une nouvelle publiee en 1921, quand il ecrivait son celebre Nous, qui ne devait voir le jour que longtemps apres.

Cela commence par la description d'un age prehistorique glacial, ou circulent des mammouths et ou des hommes se cachent dans des cavernes, mais tres vite ces cavernes sont localisees, la ou vit l'auteur : “Dans la chambre-caverne de Petersbourg, c'était à présent comme, un peu plus tôt, dans l'arche de Noé : des créatures propres et d'autres sales, dans le désordre du Déluge. le bureau de Martin Martinytch ; des livres ; des galettes quasi-préhistoriques ressemblant à des poteries ; l'opus 74 de Scriabine ; un fer à repasser ; cinq pommes de terres blanches, lavées avec tendresse ; des sommiers en nickel ; une hache ; un chiffonnier ; des bûches. Et, au centre de cet univers, le dieu : un dieu trapu et courtaud, d'un roux tirant sur la rouille, un dieu de caverne, avide d'offrandes — un poêle de fonte. le dieu ronflait puissamment. Dans la caverne obscure trônait ce prodige ardent. Les humains — Martin Martinytch et Macha — tendaient leurs bras vers lui en silence, avec vénération et reconnaissance”.

Revenu en Russie (d'Angleterre), plein d'espoir, avec la revolution de Fevrier 1917, il n'a pas fallu longtemps a Zamiatine pour dechanter. Tres vite il devient critique des tendance autoritaires qui s'intensifient avec la guerre civile. La grande violence avec laquelle les bolcheviques suppriment toutes les autres gauches est percue par lui comme un retour a la barbarie: la valeur de la vie humaine est en chute libre; et les valeurs de toutes cultures, qui doivent non seulement s'adapter, mais se convertir, se plier aux maitres du moment. Ajoutant a cela le grand denuement de ces annees, la pauperisation des villes, Zamiatine en vient a decrire dans cette nouvelle une ere de glace, physique et psychique, ou, tous reperes moraux perdus, tout espoir perdu, il n'y a d'autre issue pour des intellectuels qui ont connu autre chose qu'une “petite fiole bleue", le suicide.

Du fond de sa caverne, Zamiatine pousse son cri.
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L'auteur de « Nous autres » dont le récit a failli lui coûter la vie, nous livre un récit hyperréaliste des conditions de vie en Russie, cet écrit date de 1921 donc de l'époque post-révolutionaire. En Russie c'est alors la misère, la famine et il règne un froid glacial, tous cherchent à survivre malgré les restrictions ; c'est chacun pour soi, et la faim et le froid déshumanisent l'homme.
Tout dans l'écriture de Iévgueni Zamiatine , le choix des mots, le rythme du récit nous projette dans la préhistoire à l'ère de la glaciation, la tension et l'horreur montent. Les hommes des cavernes mi hommes mi mammouths hantent les lieux, ils ont le teint d'argile, une langue en « petite queue de lézard », vêtus de peaux de bêtes munis de griffes et de crocs, « à travers les broussailles- des dents jaunes comme la pierre, et entre les pierres- frétillement rapide d'une queue de lézard – un sourire. »
La nouvelle est sombre et me rappelle le récit de Ivan Chmeliov « le soleil des morts » qui est beaucoup plus sombre et difficilement soutenable. Je vous conseille vivement de lire les deux.



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Ces nouvelles sont d'inégales longueurs. Deux mots russes sont traduits par nouvelle en français. le premier signifie littéralement récit et correspond à des textes que nous appelons des nouvelles. le deuxième est très courant, mais correspond à des choses très différentes en français, cela va de la nouvelle au roman. En français cela correspond plutôt à de courts romans. Bref, le long récit Nord, qui fait 57 pages, n'est pas tout à fait une nouvelle. Et le plus court récit, L'électricité (2 pages) n'est presque pas une nouvelle, tant il est bref. Tous ces récits ont été écrits entre 1913 et 1924, mais ils ne sont pas présenté exactement dans l'ordre chronologique dans le recueil. C'est un peu dommage,
J'ai beaucoup apprécié ces textes, mais je ne les conseillerais pas en premier pour découvrir Zamiatine, mieux vaut commencer par Nous autres ou par L'inondation, beaucoup plus abordable. En effet dans ce recueil, l'art de l'ellipse et du non-dit est poussé à l'extrême, ce qui implique de bien comprendre le contexte. D'autre part la plupart de ces récits ont été publié à l'époque, donc soumis à la censure, censure tsariste pour les récits de 1913, censure bolchévique pour les récits à partir de 1917. Pour passer la censure, l'art du non-dit peut se révéler utile, mais complique la tâche du lecteur.
On peut noter que les personnages ne sont guère différents avant et après la Révolution dans leur personnalité comme dans leurs comportements.
Le recueil commence par une brève autobiographie de Zamiatine rédigée en 1924. Il est important de savoir qu'il a fait 3 fois de la prison : en 1905, une autre fois sous les tsars, puis en 1922, et deux fois exilé sous le régime tsariste, en 1911, puis en 1913. En 1916 il travaille en Angleterre comme ingénieur naval et ne revient en Russie qu'en octobre 1917. Jusque là il était proche des Bolchéviks, mais très vite en 1917 il se brouille avec eux. En 1931 il obtient l'autorisation d'émigrer, provisoirement, gardant sa nationalité.
« Trois jours » (1913) très court récit sur la mutinerie du cuirassé Potemkine en 1905, quasi autobiographique puisqu'il a réellement assisté à cet événement à Odessa et participé à la Révolution de 1905.
« Les entrailles » (1913) une histoire sordide qui a quelques points communs avec « L'inondation », mais sans la même force stylistique, c'est une peinture crue de la société rurale de la Russie profonde.
« Le Nord » (1918), le plus long des récits, mais aussi celui qui contient le plus de non-dits et de sous-entendus, de la part de l'auteur, de la part des personnages entre eux aussi, du coup certains personnages restent un peu des énigmes pour le lecteur. le héros imagine d'éclairer les espaces du Grand Nord par une lanterne, tel un phare. Mais les résultats sont dérisoires, et il le paye cher. Un parallèle avec la Révolution ?
« La caverne » (1920) récit situé dans un avenir lointain, où l'homme est revenu à une ère glaciaire, entourés de mammouths, et peinant à se chauffer. Quand on pense au blocus de Leningrad, cela fait froid dans le dos… mais ce n'est certainement pas dans cette optique que cela fut écrit. Mais il n'a en vu que le présent, la fin du communisme de guerre, la famine, le froid du moment. le vol des bûches, symbole de la dignité humaine qui s'éteint en nous...
« L'électricité » (1917) une anecdote, un fait divers pour illustrer l'ignorance, la bêtise
« Léonid Andréiev » (1922) court récit énigmatique dont il faut certainement comprendre la chute à la lumière des premières lignes : « Cela se passait en 1906. La révolution n'était pas encore cette épouse légitime qui veille jalousement au respect de son monopole légal sur notre amour. La révolution était une jeune et libre amante aux yeux de feu, et moi, j'aimais cette révolution... »
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
En octobre, quand les feuilles sont déjà jaunies, flétries, fanées, il y a parfois des journées aux yeux bleus ; par de telles journées, si on renverse la tête en arrière pour ne pas voir la terre, on peut croire que c'est toujours le bonheur, toujours l'été.
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Cela se passait en 1906. La révolution n’était pas encore cette épouse légitime qui veille jalousement au respect de son monopole légal sur notre amour. La révolution était une jeune et libre amante aux yeux de feu, et moi, j’aimais cette révolution...
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[...] il est bien rare que je permette aux gens d'entrer chez moi.
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Videos de Evgueni Zamiatine (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Evgueni Zamiatine
Evgueni Zamiatine (1884-1937) : Une vie, une œuvre (1991 / France Culture). Par Françoise Estèbe. Avec Jean-Pierre Morel (critique aux Nouvelles Littéraires), Leonid Heller et Bernard Kreise. Réalisation : Annie Flavell. 1ère diffusion sur France Culture le 30 mai 1991. Peinture : Portrait de Ievgueni Zamiatine par Boris Koustodiev, 1923. En 1988, la publication pour la première fois en URSS du roman anti-utopiste prophétique de Zamiatine, “Nous autres”, oeuvre politique-fiction, fut l'événement littéraire de la Perestroïka. Esprit lucide et courageux, Zamiatine qui avait pris parti pour la Révolution en 1905, fut un des premiers à analyser la nature profonde du totalitarisme bolchevique et à dénoncer le despotisme nouveau jusqu'au terme de sa vie, en dépit des persécutions. Dans les années 20, Zamiatine, mathématicien, ingénieur naval et écrivain, ami des peintres et des musiciens, est la figure centrale du champ littéraire russe. Prosateur, dramaturge, critique, journaliste (il écrivit notamment dans la revue de Gorki), il est l'auteur de nombreux récits, de nouvelles : “L'inondation”, “Le pêcheur d'hommes”, “La Caverne” ; de romans : “Le fléau de dieu” ; de pièces de théâtre et de scenarii. Rattaché à la tradition de Gogol dans ses premiers récits, il devient le symbole de la culture occidentale au sein des lettres russes et le maître de toute une génération d'écrivains nés après la Révolution. Il s'oppose à la montée du conformisme révolutionnaire en art :
« Il n'est de vraie littérature que produite non par des fonctionnaires bien pensants et zélés, mais par des fous, des ermites, des hérétiques, des rêveurs, des rebelles et des sceptiques. »
Trotsky le désigne comme un émigré de l'intérieur et “Le diable des lettres russes”, après une lettre célèbre à Staline, est contraint à l'exil. Il mourra oublié à Paris en 1937, à l'âge de 53 ans, ignoré des intellectuels occidentaux fascinés par le modèle soviétique, qui n'ont pas su percevoir dans le cri solitaire de Zamiatine l'oracle de la dissidence.
Des extraits de “Seul”, des “Ecrits oubliés”, des “Actes du colloque de Lausanne”, de “Nous Autres”, de “Le pêcheur d'hommes” et de “L'Inondation” sont lus par Jacqueline Danaud et Michel Derville.
Sources : France Culture et Wikipédia
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