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Citations de Georges Duhamel (197)


Comme beaucoup de professeurs, de savants, de chirurgiens, de médecins qui vivent au centre d'une école, y exercent leurs prestiges et perdent la juste mesure du monde, Vidame avait, petit à petit, pris des manières de tyran grognon. Il prodiguait à ses acteurs de légères tapes sur les joues, tapes qui, parfois, se risquaient jusqu'aux proportions de la gifle. Il avait une façon bien à lui de leur prendre la tête sous le bras ou de leur tirer les cheveux ou de leur donner de gracieux coups de pied au derrière. C'était fait de telle sorte que l'objet de ces cajoleries aventureuses, ne pouvant se mettre en colère, n'avait plus qu'à rougir de confusion et de contentement. En paroles, Vidame, habile dialecticien, se passait toutes les fantaisies qu'il était, malgré tout, forcé d'interdire dans les gestes. Il avait une manière bien personnelle d'insulter ses collaborateurs, surtout les plus anciens, ceux des commencements, de leur faire, en trois mots, mesurer leur ignorance, leur insuffisance, leur maladresse, et surtout leur manque de goût, car on ne parlait, chez Vidame, que de goût, car le théâtre des Carmes était, au dire de Paris, le suprême refuge du goût, de la compétence critique.
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Des hommes, vêtus en civil, marchant par rangées de quatre, comme les soldats à l'exercice, sortaient de la rue Falguière et remontaient le boulevard. Ils avaient les poings serrés, les bras ballants, la voix rauque. Ils chantaient la Marseillaise, gravement, bien en mesure. La foule, sur leur passage, saluait en silence, chapeau bas. La petite troupe, bientôt, disparut dans l'éloignement, vers le boulevard de Vaugirard. 
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- Ah ! Non, disait-il. Ah ! Non ! Ca ne sonne pas net. Vous avez l'air de présenter des excuses. Jamais les lecteurs de l'Assaut n'accepteraient de lire, dans nos colonnes, un article où vous faites, bon gré, mal gré, des concessions à la gauche socialisante.
J'ai repris mon papier, sans un mot, et je suis sorti tout de suite en tirant la porte avec assez de calme. (…)
En somme, la gauche me rejette parce qu'elle me croit trop à droite, et la droite me recrache parce qu'elle me juge trop à gauche. Voilà tout le problème. La France est divisée en deux blocs adverses, et ceux qui, comme moi, se trouvent entre les deux n'ont plus qu'à choir dans le vide. Avoue que c'est dérisoire. 
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- Ce serait quand même extravagant de mettre la presse en mouvement parce qu'un sacré Birault gâte mes préparations et que je ne parviens pas à me débarrasser de ce bonhomme.
- Oh ! S'est écrié Vuillaume, la presse est souvent mise en mouvement pour des choses moins importantes. Il ne faut pas avoir un respect trop vétilleux de la presse. Elle fait beaucoup de mal. Raison de plus pour lui donner la chance de faire parfois un peu de bien. Réfléchis et n'oublie pas que je suis à ta disposition.
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- Tu trouves épatante cette idée de papa ? Moi, je la trouvais ridicule.
- C'est qu'elle touche un peu, malgré tout, à ton métier, même de loin, et qu'elle te vexe, qu'elle t'humilie, comme vous dîtes, vous autres gens cultivés. Tu sais que je ne m'emballe pas facilement. Je répète : l'idée de papa, c'est une idée épatante parce qu'il peut se montrer lui-même, qu'il ne doit pas s'embêter, qu'il a trouvé l'occasion d'exploiter ses dons naturels. Ce truc-là, c'est comme les instituts de beauté : les femmes auront toujours envie d'être belles, même quand elles n'auront pas de quoi manger. Et les hommes, c'est la même chose. Ils ont toujours envie d'être malins, d'être chics, de faire les zigs. Je te le répète, c'est une idée épatante.
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M. Rohner n'a pas le culte de l'intelligence, il a le culte de son intelligence. Il est parfaitement sûr que lui seul est intelligent et que les autres hommes sont plus ou moins doués pour la stupidité. Ce dédain, il ne le réserve pas au vulgaire, il l'étend libéralement aux esprits réputés pour leurs mérites, pour leurs travaux pour leur ingéniosité. M. Rohner méprise indistinctement tous les autres savants et ne laisse jamais perdre une occasion de manifester son mépris. Je n'ai pas encore, des hommes, une expérience approfondie ; mais il me semble que méconnaître à ce point l'intelligence chez les autres, c'est pêcher contre l'esprit.
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Dans les guerres, on fait d'abord tuer les jeunes et l'ont dit, naturellement, que les vieux ne peuvent plus faire campagne. C'est possible. Nous verrons peut-être cela plus tard. Ce dont je suis sûr, c'est qu'on fait tuer les jeunes d'abord parce que les hommes très jeunes ont, plus que les autres, le hautain mépris de la vie. Ils vieilliront, ils connaîtront toutes les douleurs, toutes les hontes, toutes les détresses ; chose terrible à dire, ils se prendront à aimer cette vie misérable et ils n'auront plus la moindre envie de mourir. 
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Nous avons dit tout cela. Nous avons même expliqué avec une foule de détails, que nous étions tous pauvres, que nous vivions tous plus ou moins de petits métiers, que nous pensions assurer notre existence matérielle en donnant quelques heures par jour de travail manuel et que, le reste de notre temps, nous entendions le consacrer à la pensée, à l'art, à la philosophie, à tout ce qui peut embellir et même ennoblir la vie.
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Joseph a tranquillement invité pour les besoins de sa politique personnelle ou de son empire financier, toutes sortes de gens illustres, qu'il n'avait en principe, aucune chance de séduire et qui sont quand même venus. Jamais Joseph n'a fait une invitation de hasard ou de pure courtoisie. Sa règle formelle en ces sortes de choses, est que chaque flûte de champagne, chaque rondelle de foie gras doit rapporter, en définitive, au moins quinze du cent. 
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- La Russie est notre alliée. C'est entendu. Mais la Russie est battue. Les journaux français ont pour elle quelques paroles amicales et vaguement méprisantes. Le Japon n'est pas notre allié ; mais le Japon est vainqueur. Toute la presse retentit de louanges pour le Japon. Moralité : il faut être vainqueur.
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Les sociétés modernes, toutes enivrées qu'elles sont de je ne sais quelle division dérisoire des besognes et des vertus, laissent croire à la plupart des hommes qu'ils peuvent se reposer du courage sur des spécialistes stipendiés à cet effet, puis saisies de brusques démences les mêmes sociétés demandent à l'homme dépourvu quelque effrayante contribution de bravoure et de sacrifice.
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Ainsi que tous les gens sérieux, je ne crois pas à la vérité historique, mais je crois à la vérité légendaire.
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Un œil, un œil vrai, ce n’est rien qu’un peu d’eau, un peu de tissu, si peu. Mais, de tout l’univers matériel, l’œil est la seule parcelle où l’âme se laisse percevoir presqu’à découvert. A travers la périssable substance de l’œil, nous devinons tout l’autre monde.
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L’homme veille, allongé dans son lit. Il ne sent ni ses membres engourdis, ni le souffle de sa gorge, ni les pas mesures du fidèle gardien, dans la poitrine, ni le ruissellement du sang à travers toutes les provinces de la chair. Il veille : il est seul dans le silence et dans le noir. Il veille, et sa pensée, si sereine, si pure, est l’âme même de la nuit silencieuse.
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Le monde islamique forme une masse humaine, cohérente, qui couvre une part de l'Asie et les deux tiers de l'Afrique. En certains points de cet immense domaine, les musulmans sont mêlés aux hommes des autres religions. L'Islam a de grands foyers aux Indes néerlandaises. Il a tenu jadis une partie de l'Europe et il conserve encore certaines citadelles dans la péninsule des Balkans. Il a essaimé dans l'Asie centrale, dans l'Asie orientale et dans certaines régions aujourd'hui contrôlées par le pouvoir soviétique. Au temps de sa grandeur, l'Islam a couvert les pays conquis de monuments qui sont les témoignages d'une civilisation. L'Islam ne construit plus de monuments, mais il fait toujours des adeptes. Encore un peu de temps et il aura, de cette manière, soumis toute l'Afrique.

Cette puissance conquérante de l'Islam, qui reposa longtemps sur la force des armes, était, hier encore, déterminée par le pouvoir d'une religion très simple, puisqu'elle ne suppose que cinq commandements et qu'elle est, dans l'ensemble, monothéiste.

Abd-ul-Wahab, lettré tunisien et ministre de la Plume, me disait, lors de notre dernière rencontre, qu'entre un musulman du Maghreb et un musulman Afghan il y avait moins de différence qu'entre deux chrétiens appartenant à des peuples différents : un Espagnol et un Suédois, par exemple.

C'est l'évidence même. Il se peut que cette homogénéité doive quelque chose à la géographie et au climat, car l'Islam s'étend surtout entre le dixième parallèle sud et le quarantième parallèle nord, et seulement dans l'ancien monde. D'autre part, les observateurs s'accordent à reconnaître que la religion musulmane a, dans les peuples qu'elle a gagnés, des racines plus profondes que celles du christianisme, à l'heure actuelle, dans les peuples occidentaux.

Les peuples ralliés à l'Islam ne sont pas seulement unis par le Coran et les pratiques de la foi : ils sont unis par le droit musulman qui est, lui, infiniment moins simple que la religion. Ils sont unis par des traditions sociales, alimentaires et autres. Le costume occidental n'est somme toute adopté que par un petit nombre de citadins, et encore dans les grandes villes. Le voyageur peut aller de Bagdad à Marrakech, il verra dix peuples différents sans doute, il entendra des dialectes différents, assurément ; mais il éprouvera un sentiment de continuité ethnique, sentiment qu'il n'éprouverait pas de la même manière, malgré les effets monotones de notre civilisation savante, en allant de Naples à Amsterdam, par exemple. (pp. 8-9)
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Il est absolument vain de critiquer la marche d'un monde en proie à tous les délires, et je n'y perdrai pas mon temps. J'ai maintenant cinquante-huit ans sonnés. J'ai vu pendant le demi-siècle où j'ai tenu les yeux grands ouverts, plus de transformations que le monde n'en a connu pendant deux millénaires. Il est inconfortable de vivre dans les remous d'une telle révolution, qu'on me permette de le dire.
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- Attendez, fit le docteur et suivez-moi deux minutes : je compte sur la planche supérieure, sept paires appartenant à des personnes de la bourgeoisie aisée. A part, dans le coin gauche, trois paires de grand luxe, marques américaines, dont l'une portée par un type qui voyage beaucoup, qui met des guêtres, qui est vieux et bute en marchant. Ici, les chaussures de femmes, bourgeoises et prostituées : impossible de distinguer ; le monde s'uniformise. Une mention spéciale pour ces souliers appartenant à une jeune fille élégante, mais sans fortune, et qui a éprouvé un deuil dans le courant de l'année, car elle a fait teindre en noir des souliers neufs. Ici, les chaussures d'enfants : nombreux détails sur la vie de famille, les promenades, les jeux, les défauts de la mère ou ses vertus domestiques. Ici, douze paires et sept ribouis dépareillés représentant proprement le prolétariat, comme vous dites : un terrassier, un chauffeur d'auto - deux peintres en bâtiment, etc... etc... Voilà pour la classification générale. Passons aux remarques particulières. Je prends pour exemple cette bottine à boutons et je dis : homme d'au moins cinquante ans, fonctionnaire, célibataire - je répète célibataire - économe, soigneux, méticuleux, imparfaitement propre - bains peu fréquents - traîne les jambes, se sert de chaufferettes en hiver, ne va jamais à la campagne...
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L'art culinaire et l'hérédité. Hommage à Molière. Mystérieux intermède sur les grands peintres. Signalement de Joseph Pasquier. Une belle figure politique. La loi de 1870 et l'intérêt public. Idéalisme et raison. Un chef-d'œuvre de Courbet. Apologie pour le financier. Métamorphoses du plomb argentifère. Coup d'œil sur un laboratoire et première allusion à la hache.

— Pourquoi veux-tu me faire voir ce bonhomme ? soupira Laurent.

Il avait bien déjeuné. Les vapeurs du kirsch et du moka, remontant des profondeurs, attaquaient et dissipaient toutes ses pensées. Contre cette chimie capiteuse, Laurent luttait sans roideur, soucieux qu'il était d'éclaircir un étrange problème : « C'est curieux, songeait-il, cette cuisine que l'on mange maintenant chez Joseph, c'est, en plus cossu, bien sûr, la propre fille de la cuisine de maman, de la cuisine de chez nous. Quelle filiation mystérieuse ! On ne sent guère la personnalité d'Hélène. Et pas davantage celle des domestiques. Seulement un peu plus de beurre, plus de linge, plus de vin. Mais c'est le goût de chez nous. Il y a une façon d'accommoder le bœuf en sauce que je reconnaîtrai dans mille ans. Et même le goût et même la consistance du bœuf. Comme on devient sensible, après cinq années de bistro ! Quelles pensées ! Quelles pensées ! Est-ce que Joseph m'aurait grisé ? Oh ! je veux dire saoulé, car je garde mon jugement sur tous et sur chacun, cela va sans dire… »

Il répéta, faisant la moue :

— Tu tiens absolument à m'emmener chez ton bonhomme ?

— Oui, dit Joseph, et tu ne le regretteras pas.

L'escalier était spacieux ; Joseph prit le bras de Laurent.

— Je te conduirai moi-même, après cette visite, à la Faculté de Médecine, à la Sorbonne, ou à l'hôpital, comme tu voudras. Et je te répète que tu ne regretteras rien. Regarde, j'ai pris le coupé, plutôt que l'automobile. Question de nuances, Laurent, pour le cas où le bonhomme regarderait par la fenêtre. Et il regardera. Installe-toi, mon petit Laurent. Tu as ta serviette ? Parfait. Quand nous serons là-bas, tu peux ne rien faire du tout. Tu peux aussi, de temps en temps, prendre une note, une adresse, un ordre que je te donnerai pour la frime. Aucune importance. Excuse-moi, mon petit Laurent, mais le principal est que tu aies l'air inoffensif, inexistant. C'est comme ça qu'on entend tout, comme ça qu'on peut tout comprendre. Qui songe à se défier de toi ? Personne. Tu n'es pas Laurent Pasquier, le jeune et distingué – si, si, on le dit déjà – le jeune et remarquable – on dit peut-être remarquable – collaborateur de Renaud Censier – c'est bien Censier, avec un C ? Je te l'ai demandé cent fois, je finirai par le savoir. – Tu n'es pas Laurent Pasquier. Non, pendant dix minutes, un quart d'heure, tu es un petit sot de secrétaire – je mets sot par politesse, pense un autre mot si tu veux – un pauvre petit garçon devant qui un personnage considérable ne doit éprouver aucune défiance.
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Il n'y a rien de plus offensant pour l'âme ni de plus douloureux que d'entendre délirer et souffrir ces hommes blessés au cerveau, ou encore de voir un adolescent de vingt ans se souiller comme un vieillard. Que de fois, me consumant devant ces spectacles honteux, j'ai souhaité que l'on admît à les contempler ceux qui tiennent dans leurs mains les destinées des peuples. Mais laissons cela, hélas! On ne prêtera pas d'imagination à ceux qui n'en ont guère.
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Les cheveux de Suzanne étaient dorés, flavescents par mèches et flamboyants par touffes, comme avaient été, jadis, et même pendant deux tiers de siècle, ceux de son illustre père.
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