Pourquoi les livres les plus connus de Balzac sont-ils aussi les plus difficiles à lire, les plus ennuyeux… ? J’ai entamé la relecture du Lys dans la vallée en juillet dernier, traînant ce roman épistolaire jusqu’en novembre… Celles et ceux qui me suivent assidument savent mon grand intérêt pour La Comédie humaine ! Eh oui, c’est la première fois que je perds mon enthousiasme et que les longueurs balzaciennes, au lieu de me détendre, m’ont endormie.
Faut-il rappeler l’histoire ?
Le jeune Félix de Vandenesse écrit une très très très longue lettre à la femme qu’il aime, Natalie de Manerville, dans laquelle il lui narre par le menu ses premiers émois amoureux pour la Comtesse Blanche-Henriette de Mortsauf, une femme mûre, mariée, pure et vertueuse, qui, quoiqu’il lui en ait coûté, est toujours restée stoïquement fidèle à son mari au point d’en mourir de chagrin. Il ajoute à sa lettre les détails de son autre idylle amoureuse avec Lady Dudley qui a parachevé son éducation sentimentale de manière plus sensuelle…
Déjà, je dois préciser que je n’éprouve aucune sympathie ni même empathie pour les tourments de Félix… Personnage récurrent, chez Balzac, je l’avais pourtant trouvé plein de délicatesse en mari attentionné dans Une Fille d’Eve… Les hasards de l’ordre de publication de l’intégrale de La Comédie humaine en ma possession font que je découvre son enfance malheureuse et ses premières années de jeunesse, directement inspirées de celles de l’auteur, après sa prise de position dans le monde. Il est plutôt niais au début ; perdu dans ses amours, il mène cependant mieux sa carrière, trouvant sa voix et obtenant une place de choix auprès de Louis XVIII.
Je me suis davantage intéressée aux portraits en miroir d’Henriette de Mortsauf et de Lady Dudley, antagonistes, savoureux contraires, dont l’alternance des postures et points de vue rythment un peu la narration. Henriette a tantôt des côtés Princesse de Clèves, se fustigeant d’être tentée sans avoir succombé, tantôt des égoïsmes et des caprices de diva, exigeant un amour platonique voire mystique, tout en regrettant de ne pas aller plus loin. Lady Dudley agit en amazone, au sens propre car elle est excellente cavalière, et figuré car, d’un naturel hardi, elle assume ses désirs et ses choix. Henriette est parfois maternelle avec Félix, le conseille avec bon sens et bienveillance pour mener sa carrière débutante tandis que l’anglaise est pragmatique, entreprenante et libertine. Balzac, sous la plume de Félix, s’amuse d’ailleurs à comparer, de manière générale, la manière d’aimer des femmes anglaises et des femmes françaises…
Encore une fois, la plume de Balzac se met au service de la psychologie féminine et explore même les violences conjugales décrivant le Comte de Morsauf comme un pervers narcissique et un tyran domestique.
Si je devais choisir un personnage, ma préférence irait à la destinataire des lettres de Félix ; en effet, je m’identifie complètement à Natalie de Manerville, à son ressenti plein de bon sens. Elle juge Félix « ennuyeux et ennuyé », l’accuse d’avoir puni Madame de Mortsauf de ne pas être comme Lady Dudley, ne se sent pas de taille à lutter avec le souvenir tenaces des premieres amours de son soupirant et le quitte « sans rancune », donnant au roman une chute exemplaire et brutale.
Même si ma relecture a été laborieuse, je reconnais avoir retrouvé avec bonheur des passages connus et étudiés par le passé comme la mort de Madame de Mortsauf, scène pathétique et controversée par les critiques de l’époque qui lui trouvaient des accents trop humains, des appels trop charnels, même si, au moment suprême, l’héroïne, confessée, retrouve sa vertu et sa piété. Il y a aussi les belles descriptions de la Touraine, les pages consacrées à l’économie rurale et, en filigrane, la transposition romancée de l’amour de Balzac pour Mme de Berny.
Un roman un peu trop long, à connaître, mais je conseille de ne pas commencer par lui pour découvrir Balzac.
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