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Critiques de Jérôme Ferrari (750)
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Le sermon sur la chute de Rome

Le roman débute par une photo, prise pendant une journée caniculaire de l'été 1918, dans la cour de l'école du village où un photographe ambulant a tendu un drap blanc entre deux tréteaux, Marcel contemple d'abord le spectacle de sa propre absence. «Tous ceux qui vont bientôt l'entourer de leurs soins, peut-être de leur amour, sont là mais, en vérité, aucun d'eux ne pense à lui et il ne manque à personne.»

Marcel Antonetti, pas encore né, est absent sur la photo prise l’été en 1918 et il deviendra le fils d’un autre absent sur cette même photo, son père, «fait prisonnier dans les Ardennes au cours des premiers combats qui travaille depuis le début de la guerre dans une mine de sel en Basse-Silésie».

Ce père rentrera au village en février 1919 afin que Marcel puisse voir le jour. «Ses cils ont brûlé, les ongles de ses mains sont comme rongés par l'acide et l'on voit sur ses lèvres craquelées les traces blanches de peaux mortes dont il ne pourra jamais se débarrasser.»


Toute l’histoire des membres de cette famille, ceux qui sont sur la photo et leurs descendants est dès le départ placée sous le signe de la décomposition et de l’absence.
 S’absenter du monde, en détourner le regard en se réfugiant dans ce village Corse qui les a vu naître et qu’ils avaient essayé de quitter, comme le feront Marcel Antonetti et son petit-fils Mathieu, ne les empêchera pas d’ être rattraper par la corruption, envahis par des nécroses qui naissent de l’extérieur mais aussi du tréfonds de l’âme de chacun des protagonistes de cette histoire sombre. Les Empires romain, coloniaux sont gangrénés et comme les corps ils naissent, vivent et finissent par s’écrouler et disparaître sans que les hommes voient venir leur fin parce qu’ils préfèrent ne pas en découvrir les prémices annonciateurs et réaliser qu’ils y ont tous participé.

Je retiens au milieu de cette sombre beauté celle plus lumineuse d’Aurélie la soeur de Mathieu qui part en Algérie faire des fouilles à Annaba, anciennement Hippone dont Augustin fut évêque.

Elle reviendra elle-aussi dans son village mais elle aura intériorisé ses déceptions et aura gagné en lucidité sur les autres et sur elle-même.


«Aurélie comprenait qu’il n’y avait qu’un endroit où elle pourrait vivre librement sa relation avec Massinissa (algérien qui participe avec elle aux fouilles) et cet endroit n’était ni la France, ni l’Algérie, il relevait du temps, non de l’espace, et n’était pas situé dans les limites du monde. C’était un morceau de Ve siècle, qui subsistait dans les pierres effondrées d’Hippone où l’ombre d’Augustin célébrait encore les noces secrètes de ceux qui lui étaient chers et ne pouvait s’unir nulle part ailleurs.»

Si elle-aussi s’absente, elle le fait en sachant pourquoi :

«Elle ne lui laissa pas de lettre. Elle ne voulait pas lui laisser autre chose que son absence car c’est par son absence qu’elle hanterait Massinissa pour toujours, comme le baiser d’une princesse disparue hantait encore le roi numide qui portait son nom.»

Massinissa fut le roi numide qui intégra Hippone à son royaume et Aurélie est la seule qui en elle-même réunit des mondes disparus comme elle relie au sein de sa famille les différentes générations.


«Le sermon sur la chute de Rome» est d’une grande force et l’on n’échappe pas à son emprise. J’en ferai une seconde lecture pour en apprécier encore plus l’écriture en sachant qu'elle n’en adoucira pas l’effet corrosif.

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Le sermon sur la chute de Rome

La cité de Rome au Vème siècle de notre ère... Un médiocre bar corse, de nos jours, repris en gérance par deux enfants du pays... Jérôme Ferrari, je pose la question : il est où le lien ??



La réponse se trouve simplement dans le thème fondamental de ce Goncourt millésimé 2012 : le concept de « monde » – comprendre « entreprise humaine » – et sa vulnérabilité, illustrés par cette mise en résonnance de deux univers apparemment dissemblables. Des « mondes » que tout oppose mais unis en revanche par les paroles de Saint Augustin, figure tutélaire de ce brillant roman : « le monde est comme un homme : il naît, il grandit, il meurt ». Autrement dit, tout monde concret produit par l'humain n'est que passage éphémère inévitablement voué à destruction.



Ça promet.



En ce qui concerne Rome, on sait (sinon on révise, moi j'ai demandé à la copine Wiki, comme ça je peux me la péter tranquille) : la cité fut mise à sac par les wisigoths en 410, d'où les fameuses exhortations consolatrices de Saint Augustin au peuple accablé par le désastre.



Mais pour ce qui est de la gargote... tu es en droit de te demander si, derechef, quelque horde belliqueuse d'hostiles chevelus à coiffe cornue va nous ruiner tout ce qui promettait d'apporter ambiance disco, bibine et chouettes pépés dans ce trou paumé de l'île de beauté. Point du tout, pas plus de wisigoths que de barbares en broche ne viendront contrarier l'ascension de nos ambitieux entrepreneurs gargotophiles. En revanche, Saint Augustin n'étant jamais bien loin, sa philosophie, tout au long du roman, distille en filigrane que « ce que l'homme fait, l'homme le détruit ». Joli programme donc, qui ne sera pas de tout repos, on l'aura compris.



Ainsi, à travers plusieurs « mondes », plusieurs générations, c'est la cruelle histoire d'une déliquescence annoncée que Jérôme Ferrari dissèque ici à la manière d'une tragédie grecque admirablement contée. L'analyse des consciences et des fatalités, subtilement développée, est transcendée par une prose éblouissante, précise, parfois crue, souvent poétique, et par-dessus tout prodigieusement évocatrice. Quant à certaines phrases dont la longueur a pu être déplorée, elles ne gênent en rien la lecture mais bien au contraire suggèrent le vertige de ce mouvement de chute inéluctable dans lequel Ferrari emporte à la fois son histoire et son lecteur.



Selon Saint Augustin, décidément prolixe en aphorismes, « Se tromper est humain, persister dans son erreur est diabolique », réflexion que je me suis efforcée de prendre en compte en choisissant pour une fois de ne pas dédaigner un Goncourt... Et sur ce coup, j'ai sacrément bien fait.






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À son image

Le livre s’ouvre avec un premier chapitre sublime, où la pudeur d’un homme refuse de partager son intimité, dans un monde où pudeur et intimité ont quasiment disparu. Un début qui m’a émue, et m’a donnée plein d’espoirs pour la suite, n’étant pas un fan de Ferrari.

Antonia, jeune femme corse, est photographe. Elle n’a que trente-huit ans quand elle disparaît au détour d’un virage, suite à une nuit blanche. Une mort prématurée qui “constitue toujours, et d’autant plus qu’elle est soudaine, un scandale aux redoutables pouvoirs de séduction.”

Le temps de ses funérailles, Ferrari remonte le temps, à travers des épisodes de la vie de la jeune femme, se servant de sa relation à la photo, pour en faire une profonde méditation sur l’image.



Il part du lien intime qui unit dès l’origine la photographie à la mort......



Des actes brutalement arrachés à la sphère de l’intime pour être exposés en pleine lumière,

Où commence le viol de la sphère intime, l’indécence, l’obscénité ?

“des photos des cadavres, des porcs, des traînées de sang dans la neige.......ils aiment ça, ils adorent ça, tous, et moi aussi.”



Un témoignage nécessaire pour lutter contre « le silence et l’oubli »?....

“Il est encore là quand on vient décrocher les corps pour les entasser sur une charrette, il prend des photos qui ressemblent à des tableaux religieux, des pietà, des descentes de croix.... ”,



L’incarnation de la mort en personne, suspendant le temps,

“Sur les photographies, les vivants mêmes sont transformés en cadavres parce qu’à chaque fois que se déclenche l’obturateur, la mort est déjà passée.”,



L’occasion pour conserver les souvenirs de notre passé, en bien et en mal ,

“....curieusement, les hommes aiment à conserver le souvenir émouvant de leurs crimes, comme de leurs noces, de la naissance de leurs enfants ou de tout autre moment notable de leur vie, avec la même innocence. L’idée qu’ils portent ainsi contre eux-mêmes le plus accablant des témoignages, ne les effleure apparemment pas “,



La mesure de sa puissance bien au-delà de l’Art,

“À Corfou, à la fin du mois de décembre 1915......... il n’a pas seulement pris la photo d’un soldat famélique à l’agonie mais qu’il a capté une fois pour toutes, en une seule image saisissante, le visage du siècle.”,



Pour en arriver, “à Son image “, l’impossible représentation de l’idée de Dieu,....



La mort, la photo, la Corse, le FLNC, et la religion chrétienne sont les ingrédients de ce court roman, qui soulignent l’absurdité de la Vie. Traversant à vol d’oiseau l’histoire du XX iéme siècle, la photo, fil rouge du récit, valide « une mise en scène qui n’a rien à voir avec la réalité mais n’existe que dans l’attente de sa transformation en images. ». Elle souffre « toujours d’un excès ou d’un déficit de signification. »

Les livres de Ferrari m’attirent, par leur sujet et par leur côté qui me défie par les réflexions qu’ils suscitent. Là je suis comblée, et remercie Merik , dont le billet m’a poussée à renouer avec Ferrari, dont je n’avais pas eu l’envie de lire les deux avant-derniers livres.



“.....car Dieu a fait l’homme à Son image......les images sont une porte ouverte sur l’éternité. Mais la photographie ne dit rien de l’éternité, elle se complaît dans l’éphémère, atteste de l’irréversible et renvoie tout au néant.”
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À son image

Original dans son approche de la littérature, captivant par son style et les idées qu’il déploie, Jérôme Ferrari a décidément une source d’inspiration très religieuse… Après Le Sermon sur la chute de Rome qui lui avait valu le Prix Goncourt en 2012 puis deux autres romans que je n’ai pas lus, hélas, il nous entraîne dans une messe de funérailles peu ordinaire dans cette Corse qu’il connaît si bien et où il situait aussi Le Sermon sur la chute de Rome.



À son image, comme le titre le laisse deviner, traite de la photographie, de son pouvoir et du métier de ceux qui gagnent leur vie en fixant sur pellicule, comme autrefois, ou dans une carte-mémoire aujourd’hui, des instantanés de vie ou de mort…

Antonia, héroïne du roman, a pu se consacrer à sa passion de la photographie et gagner un peu sa vie en travaillant pour un quotidien régional mais ne fait plus que des photos de mariage après une expérience traumatisante en ex-Yougoslavie.

L’auteur ne ménage aucun suspense, nous plongeant d’emblée dans le drame de la mort brutale d’Antonia, sur la route du retour chez elle : « La mort prématurée constitue toujours, et d’autant plus qu’elle est soudaine, un scandale aux redoutables pouvoirs de séduction. »

Intervient alors le personnage le plus important du roman : son parrain, un oncle du côté maternel devenu prêtre et à qui revient la redoutable charge de célébrer la messe servant de trame au récit de la vie d’Antonia.

Pas forcément en ordre chronologique, les souvenirs d’une vie brève mais intense remontent. Cela n’empêche pas les digressions, les références à des photos des guerres coloniales, le pouvoir de la presse mais c’est la Corse qui tient la vedette malgré l’épisode de la guerre civile entre Serbes et Croates.

C’est la période où les morts violentes se succèdent sur l’île de Beauté, des jeunes fauchés par un clan rival à cause de dissensions, de scissions, de différents que plus personne ne comprend. Antonia assiste à tout cela et constate comment son collègue plus expérimenté traite le crime : « Sa longue carrière dans la presse régionale lui ayant permis de développer des talents sans aucun doute innés, le journaliste cultivait désormais l’art de parler pour ne rien dire avec une virtuosité qui touchait au génie. Il combinait magistralement lieux communs, clichés, expressions toutes faites et considérations édifiantes de façon à produire sans coup férir et sur n’importe quel sujet des textes rigoureusement vides. »



Ainsi, dans À son image, Jérôme Ferrari explore tout un monde. D’abord celui de la photographie, celui des correspondants de guerre mais surtout le drame de cette jeunesse corse emportée par le mirage nationaliste. Les visages masqués, les armes en évidence mais surtout les règlements de compte sans fin, abrégeant de vies à peine entamées, d’une jeunesse brisée dans son élan ; morts voulues, programmées, alors que celle d’Antonia reste tellement injuste et révoltante.
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À son image

Antonia ne croyait pas en Dieu, mais son oncle, qui lui avait offert son premier appareil photo, en célébrant la messe des morts peut pleurer et espérer qu'elle est auprès du Seigneur. A la lumière de photographies, associées à chaque moment de la liturgie de la messe de requiem pour la jeune photographe corse morte accidentellement, se dévoile « ...le lien intime unissant la photographie à la mort ». Un sujet dont Antonia est souvent le lien charnel.



En 1983, Antonia photographie les flammes qui menacent de ravager le village de ses parents et la peur des habitants. Bien avant en 1911, pour un journal Italien Gaston C. photographie à Tripoli des corps suppliciés et des pendaisons qui l'impressionnent mais lui font sentir à quel point il est vivant. A la même époque dans Les Balkans, Rista M. photographie la guerre et les supplices. Quand Antonia est devenue photographe professionnelle, en 1984, réduite à photographier des joueurs de pétanque, elle fait pour elle des photos des morts de la lutte armée des indépendantistes corses. Des jeunes gens à qui elle trouve un manque de crédibilité, bien que proches d'eux et maîtresse d'un des leurs. Et puis comme « Il est des appels auxquels on ne peut que répondre » Antonia part, contre l'avis de sa famille, photographier la guerre en Yougoslavie. Elle ne développera jamais les photos : impossibles à regarder.





Ces épisodes présentés sans chronologie, qui ont pour point commun la photographie et la mort, sont autant de prétextes pour une réflexion sur la foi, sur le nationalisme corse, sur le rôle de la photographie dans les guerres. Avec ce livre remarquable tant dans la forme que dans le fond, une manière pour Jérôme Ferrari de nous pousser à réfléchir sur l'image du réel à laquelle on s'attache, en réalité un instantané déjà dépassé au moment où il est fixé : ... « Sur les photographies, les vivants mêmes sont transformés en cadavres parce qu'à chaque fois que se déclenche l'obturateur, la mort est déjà passée. » Une image de la mort, quand il s'agit des guerres, souvent manipulée, tout aussi incapable de dire leur atroce réalité, de nous faire réfléchir pour qu'elles cessent : « la photographie ne dit rien de l'éternité, elle se complaît dans l'éphémère, atteste de l'irréversible et renvoie tout au néant. »
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Le sermon sur la chute de Rome

Je termine avec regret ce très beau roman de Jérôme Ferrari qui avec ce « Sermon sur la chute de Rome » m’a réconcilié avec les prix décernés au début de l’Automne. Car Ferrari que je lis pour la première fois, livre un texte à la fois ambitieux mais aussi accessible me semble t‘il. A travers la destinée de jeunes gens dans un village corse qui décident de lui redonner vie en reprenant le café, tournant le dos à des études qui semblaient leur sourire, Ferrari se sert de cette histoire somme toute banale, pour démontré la naissance, l’apogée puis la fin d’un monde. D’une écriture dense, il mène son récit de façon remarquable. De Mathieu à Libero mais aussi surtout grâce à Aurélie, il donne chair et densité à ces personnages. Je me suis même autorisé à lire à voix haute certains passages tant leur musicalité et leur longueurs étaient un plaisir à lire. (Je vois déjà les moqueries, mais j’assume). Une escapade corse à la hauteur de l’ile, belle et généreuse. Et la découverte d’un brillant romancier.

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À son image

L'histoire se passe en Corse où l'on assiste à l'office funèbre d'Antonia. C'est son oncle et parrain, devenu prêtre, qui le célèbre. Antonia s'est tuée dans un accident de voiture, elle qui aimait avant tout la photographie.

Dans ce roman, Jérôme Ferrari nous parle de ce beau lieu qui unit Antonia avec son parrain mais il nous parle avant tout de l'usage de la photographie et de la mort. Il évoque aussi le nationalisme corse et la violence des guerres modernes.

À son image est un livre bouleversant, d'une très grande profondeur de réflexion sur la guerre. L'écriture de ce roman court et riche sur fond de sacré est belle et élégante.

Le récit s'articule autour de douze chapitres qui marquent la cérémonie religieuse. C'est le côté mystique et religieux sur lequel s'appuie tout le roman qui est, en fait, un huis-clos dans l'église corse où est célébrée cette messe des morts en l'honneur d'Antonia, que je n'ai pas vraiment apprécié.


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À son image

« À son image » renvoie celle d'un monde désespérément noir et plombé, porté par la beauté d'une plume majestueuse, adepte de longues phrases comme des salves de mots incessantes.

L'on y entre sur les pas d'Antonia la photographe corse qui sort d'un reportage de mariage pour n'en plus revenir, un banal et stupide accident de voiture et de falaise au bout d'une nuit blanche. C'est son oncle et parrain qui officiera la messe de son enterrement, point d'ancrage final du récit dans une narration qui semble débridée mais ne perd pas le lecteur, à base de retours en flash-back (et d'avancées en contre flash-back). Un parrain devenu prêtre sur le tard, très proche d'Antonia au cours de sa vie, qui a initié sa passion pour la photographie en lui offrant son premier appareil pour ses 14 ans. Jeune adulte elle sera photographe insatisfaite d'être cantonnée à un rôle d'observatrice du quotidien corse, amoureuse insatisfaite de voir son double dans ce nationaliste corse manquant d'envergure en dehors de leur village natal. Elle rêvera d'aller voir ailleurs, de liberté, de Yougoslavie.

Les éléments se mettent en place naturellement dans un puzzle où se mêle tout à la fois photographie de guerre et de quotidien, guerre de scission entre nationalistes corses du FLNC, mais aussi guerre en Yougoslavie, ou religion.



« À son image » semble questionner la photographie dans son rapport à la vie et à la mort : «Sur les photographies, les vivants mêmes sont transformés en cadavres parce qu'à chaque fois que se déclenche l'obturateur, la mort est déjà passée.». Les bios de deux photographes méconnus du début du siècle dernier (Gaston Chéreau et Rista Marjanovic) - « ou plutôt leur contreparties fictives », surgissent dans la narration et élargissent le propos à l'image de guerre : « Car en 1969, il ne peut plus ignorer que ce jour-là, sous la tente d'un hôpital de campagne, au bord du cimetière bleu de la Méditerranée, il n'a pas seulement pris la photo d'un soldat famélique à l'agonie (en 1915) mais qu'il a capté une fois pour toutes, en une seule image saisissante, le visage du siècle. ». Une vision générale sur le monde et ses guerres (et en filigrane l'impact de l'image de guerre), qui m'a semblé pessimiste, limite aquoiboniste. On pourrait y objecter que selon certains (dont Harrari), il y a tout de même de moins en moins de guerres dans le monde.



« Le parrain d'Antonia faisait le tour du cercueil, l'encensoir à la main, en pensant que jamais plus il ne voulait porter en terre quelqu'un qu'il avait connu enfant. S'il restait ici, il lui faudrait pourtant le faire à nouveau. Car rien ne changeait, rien ne cessait, rien ne commençait.»

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À son image

Décidément cet auteur me fascine. Comment peut-on concevoir des phrases aussi longues et en même temps aussi précises, évocatrices et limpides ? Avec Ferrari j'ai l'impression d'avoir tout compris (Jéjé, je vous ai trouvé un slogan, c'est cadeau).



La construction de cette nouvelle oeuvre est tout aussi remarquable. Ancré sur une scène au présent – les obsèques religieuses d'Antonia, jeune photographe d'origine corse – le récit se fragmente en autant de chapitres que d'étapes liturgiques, chacune associée à une photo renvoyant elle-même à certains épisodes significatifs de l'existence d'Antonia.



Ça a l'air touffu comme ça mais chez Ferrari ça roule tout seul, et comme dans son "Sermon sur la chute de Rome", l'intrigue, prenante au demeurant, suscite également d'universelles et captivantes réflexions quant à l'ambivalente fragilité de l'Homme.



Et puis il y a la photographie et son rapport à la mort, l'engagement spirituel ou la lutte nationaliste, des thèmes en parallèle qui transcendent autant de pistes de méditation riches et pertinentes.



Je m'étais promis de faire court. Donc en résumé c'était mon deuxième Ferrari. Et certainement pas le dernier car autant l'avouer, je vous kiffe grave Jéjé.




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Un dieu un animal



Je pense qu’après « Le sermon de la chute de Rome » et donc « Un Dieu un animal » Jérôme Ferrari et moi on va se retrouver d’autres fois. A vrai dire, j’en suis sur. Il signe ici un court roman absolument impressionnant de maitrise. L’écriture est bien là, fiévreuse, intense, dense, la sensation d’une plongée en apnée, au cœur de la solitude, du mal être, de l’incapacité d’être simplement soi-même, deux vies qui s’abiment, pas pour les mêmes raisons mais dont le destin semble tout tracé. Jérôme Ferrari écrit un chant funèbre bouleversant qui trotte dans la tête bien longtemps après l‘avoir refermé. J’ai eu le plaisir de discuter avec Ferrari ce week-end, me disant que c’était son roman préféré, je le remercie de m’avoir si bien conseillé. Avec Gaudé et Ferrari, les éditions Actes Sud peuvent être très fiers de leurs deux Goncourt.

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Le sermon sur la chute de Rome

Tragédie classique aux accents apocalyptiques dans un petit village corse.

Jérôme Ferrari m’avait enchantée dans son précédent roman, « Où j’ai laissé mon âme », et cette fois-ci encore son écriture m’a enthousiasmée : ses phrases peuvent faire une page comme une demi-ligne et dans tous les cas, il vise juste et il captive.

J’ai beaucoup aimé cette histoire, assez sordide, il faut le dire, d’ambitions et de rêves effondrés, cette histoire pathétique de jeunes types immatures, incapables d’affronter la réalité et de percevoir l’inanité de leurs rêves.

Matthieu, jeune corse « parisien » autocentré, étudiant en philosophie s’associe à Libero, jeune corse « local » étudiant en lettres, pour reprendre le bar du village et redonner vie à la région… beau projet, oui mais, quand l’alcool, le sexe et la bêtise s’en mêlent, les choses peuvent se gâter. Parallèlement au parcours chaotique de Matthieu, on suit celui de Marcel, son grand-père, un rescapé du siècle qui a vu ses mondes s’effondrer.

Et puis il y a Saint-Augustin, son sermon, la chute de Rome, et c’est là où j’ai trouvé que la comparaison était certes audacieuse, mais quand même pas mal tirée par les cheveux ! Avait-on besoin de Saint-Augustin pour décrypter le message et ses retombées philosophiques ? Je n’ai pas trouvé que les références augustines ( ?) étaient indispensables et elles ne m’ont pas particulièrement parlé …

Il n’en reste pas moins un texte magnifique pour raconter une histoire pathétique et universelle.

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Un dieu un animal

Le narrateur (est-il Dieu, est-il la voix intérieure de l’homme, est-il notre propre conscience ?) interpelle un jeune homme rentré chez lui après s’être confronté à la violence aveugle de la guerre et de la mort dans un pays arabe.

Il avait peur que son petit village ne devienne son tombeau ; peur d’être imprégné, comme ses parents et ses grands-parents avant eux, par l’odeur de la vieillesse, de l’ennui, « de tout ce qui est joué d’avance ». Il était tenaillé par l’inaction, la rage, une colère sourde de devoir vivre et mourir sans avoir ressenti l’étreinte du monde. Il aspirait à découvrir dans la béance de son âme, la manifestation de Dieu.

A vif, le cœur empli d’attente et de violence, il s’était alors engagé comme mercenaire dans le désert où la guerre faisait rage. Il avait convaincu son meilleur ami de le suivre mais la mort avait fait exploser Jean-Do lors d’un attentat et il était rentré au village, seul, dépossédé de toutes ses illusions, sans plus aucune attache, sans rien à quoi se raccrocher.

« Tu es parti, le monde ne t’a pas étreint et, quand tu es rentré, il n’y avait plus de chez toi. »



Seul le souvenir de Magali, son amour de jeunesse, son premier flirt d’adolescent, offre à sa conscience égarée l’espoir d’un peu de pureté et d’innocence dans ce monde agonisant, comme un rai de lumière au fond des ténèbres.

Alors il lui écrit, une longue lettre…Mais Magali n’a plus 14 ans. Consultante au sein d’une grande firme, elle est devenue une combattante émérite de cet ordre supérieur, de cette entité institutionnelle carnassière et broyeuse d’âmes qu’est le monde sans pitié de l’entreprise. Là, on se bat à coup de termes techniques : management, nouvelles perspectives, développements, commissions, rendements.



Entre le mercenaire et la chasseuse de contrats, le même sentiment de vide et d’humiliation, le même écœurement, le même découragement face à la vacuité, la vanité, l’insignifiance des êtres et du monde.

Trop plein d’abnégation ou au contraire défaut d’humanité ? Leur clairvoyance est terrifiante, elle laisse peu d’issue à la vertigineuse défaite vers laquelle tendent nos civilisations, sauf celle de la mort ou de la résignation.



Jérôme Ferrari met en scène des individus qui tentent de donner un sens à l’existence, qui essayent de comprendre la barbarie qui les cerne et qu’ils contribuent eux-mêmes à répandre.

Dominés par de vaines chimères où, dans un bain de violence et de sang, s’affrontent la quête d’absolu, la recherche de soi, la liberté individuelle et l’ambition de s’accomplir, ces êtres dessinent une humanité misérable, perdue, sur laquelle viennent se briser « toutes les illusions de lucidité ».

Pris à la gorge, on écoute, l’estomac noué et le cœur chaviré, les échos de leurs voix errantes résonner en nous, comme une complainte du désespoir.



Ecrit dans une sorte d’urgence, d’une écriture pleine de fièvre et de fureur qui nous confronte à la brutalité du réel, au monde tel qu’il est, cruel et barbare, « Un Dieu un animal » est aussi un roman abreuvé de spiritualité et de souffle divin, du sein duquel naissent des moments extatiques, véritablement lumineux.

Car ce roman âpre et fort est aussi une quête mystique et rédemptrice qui entremêle à l’implacabilité du sentiment de chaos, une dimension poétique, symbolique, visionnaire, une réflexion sur Dieu illuminée de sombre beauté.



D’emblée, on sait que l’on pénètre dans un univers qui ne laisse guère d’échappatoire, le genre de livre à la fois cruel et plein d’amour qui nous remue de l’intérieur, qui nous ébranle dans le fracas étourdissant de ses mots et qu’on lit le souffle court, comme en apnée, entraîné par le flux d’une écriture inspirée et féroce, immergé dans un monde sacrificiel d’exil et de solitude.

Monde martyr…que « Dieu tire du néant et renvoie sans fin au néant ».

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Où j'ai laissé mon âme

Un roman poignant, réaliste, où les mots violents traduisent avec force l'atroce vérité des guerres évoquées ici : la seconde guerre mondiale, la Résistance, le camp de concentration de Buchenwald , l'Indochine , les camps de prisonniers, l'Algérie, la torture …)

Les hommes y perdent leur foi, leur âme, leur humanité…

Ferrari s'appuie sur une documentation rigoureuse, sur des personnages bien campés témoins et acteurs de cette époque pour composer cette fiction.

Lecture, pour moi, à la fois douloureuse et particulièrement prenante.

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Le sermon sur la chute de Rome

Belle plume; et la réflexion désenchantée sur la destinée des protagonistes de notre époque prend de la hauteur avec, en écho, les mots d'Augustin d'Hippone (Saint Augustin) en 410, à la fin du roman:



"Rome est tombée mais n'est-ce pas, en vérité, comme s'il ne s'était rien passé?

La course des astres n'est pas troublée, la nuit succède au jour qui succède à la nuit, à chaque instant, le présent surgit du néant et retourne au néant, vous êtes là, devant moi mais le monde marche encore vers sa fin, mais il ne l'a pas encore atteinte, et nous ne savons pas quand il l'atteindra [...]"



Le style de l'auteur est le point fort de ce roman. Des phrases qui prennent leur élan et découpent en tranches chaque personnage comme pour mieux détailler la tragédie de chacun d'un long trait de plume. Chaque projet ou destinée ainsi se fissurent tôt ou tard.



Un roman donc assez noir mais ce qui m'a intéressé est la transmission de l'échec du grand-père de génération en génération.

Le récit commence par le déclencheur de tout cela: une photo de 1918. Marcel, le grand-père, y contemple sa famille où il y manque son père, encore détenu pour travailler dans une mine de sel et lui-même, pas encore né.

Le talent de l'écrivain est d'extraire de cette photo la détresse de la mère qui va se transmettre et accompagner la famille, sur fond de déclin de l'empire français (Dien bien phu, Algérie...), jusqu'à la Corse où la dernière génération reprend un bar ...



Ce roman de Jérôme Ferrari n'est vraiment pas mal du tout et son style me plaît.

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Où j'ai laissé mon âme

Un roman que je voulais lire déjà depuis longtemps dont on m'avait assuré qu'il était encore bien supérieur au prix goncourt "Le sermon sur la chute de Rome" qui a récompensé l'auteur. C'est effectivement un livre magistral, un texte fort. Ce livre de Jérôme Ferrari ne peut laisser indifférent. Il évoque une période noire de notre histoire, cette guerre d'Algérie que pudiquement on nommait "les évènements d'Algérie", avec ses attentats, ses règlements de comptes, ses passages à tabacs, ses tortures perpétrées par un camp ou l'autre. Un livre d'homme qui oppose deux psychologies et philosophies différentes. Celui qui obéit aux ordres et accompli sa tache de tortionnaire comme un simple fonctionnaire, et cet autre qui ne se reconnaît plus et va jusqu'à en perdre son âme... Un très grand livre, servi par une superbe plume, à découvrir...
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À son image

Le récit est présenté de manière originale : en célébrant cette messe, le parrain est dans la souffrance et ses idées partent un peu dans tous les sens, les souvenirs remontent et se mêlent au rituel.



C’est lui qui a offert l’appareil photo à Antonia car depuis l’enfance elle était fascinée par les photos de famille, la trace laissée par les anciens, ne sachant pas qu’il allait déclencher une vocation et à partir de ce jour elle ne va cesser de « mitrailler »… des scènes de crimes pour le journal qui l’emploie, des scènes de guerre ou des mariages, des familles.



Jérôme Ferrari nous raconte, certes, l’histoire d’Antonia qui grandit dans la violence de la Corse et des indépendantistes, avec des fréquentations que le parrain n’apprécie pas. Son fiancé aime la violence, notamment une scène où il tabasse un touriste devant sa femme et ses enfants, s’acharnant dur lui à coups de pieds, simplement parce que celui-ci l’a bousculé involontairement. Paradoxalement il va chercher à retrouver ce touriste le lendemain pour s’excuser.



Il nous raconte surtout la Photographie, ce qu’elle signifie : la fixation sur la pellicule d’un moment, d’un geste, de la mort. La photo témoigne que l’instant a existé, ne dit-on pas qu’on a immortalisé un évènement ou l’expression d’un visage (chacun se souvient du cliché de la jeune afghane qui a fait le tour du monde !) avec un paradoxe : saisir l’immortalité l’espace d’une seconde.







« Le regard ne s’appuie sur les images que pour les traverser et saisir, au-delà d’elles, le mystère éternel et sans cesse renouvelé de la Passion. Oui, les images sont une porte ouverte sur l’éternité. Mais, la photographie ne dit rien de l’éternité, elle se complaît dans l’éphémère, atteste de l’irréversible et renvoie tout au néant. Si elle avait existé à l’époque de Jésus, le Christianisme ne se serait pas développé ou n’aurait été, au mieux, qu’une atroce religion du désespoir. » P 108







Saisir un visage pour s’en souvenir, mais aussi pour prouver qu’il a existé. Fixer une émotion, ou la mort. Antonia est fascinée par la mort, et ceci va la conduire à partir en Yougoslavie pour témoigner des atrocités commises quel que soit le camp. Mais, la mort ne se banalise pas surtout quand elle est violente et la jeune femme ne développera jamais les clichés qu’elle a pris pendant cette guerre.







"… Il se demandait ce qu’elle pouvait bien avoir vu pendant ses séjours dans l’effondrement sanglant de la Yougoslavie d’où elle n’avait finalement rapporté aucune photo, malgré le temps et l’argent investis dans ce voyage dont elle rêvait, mais elle refusait de dire quoi que ce soit…" P 107







Le parrain est un personnage très intéressant, sa tendresse contrastant avec la dureté de sa sœur. Il a du mal à gérer sa messe, assailli par ses souvenirs, sa culpabilité (c’est lui qui a offert l’appareil à Antonia) son envie d’être ailleurs pour donner libre cours à son chagrin, ses doutes… à l’exception du premier chapitre, et de ceux racontant d’autres photographes ou évènements, la messe va servir de toile de fond.



La violence est partout dans cette Corse que l’auteur nous raconte, elle est dans la rue, dans les règlements de compte, dans la famille, avec cette mère toxique, qui mène tout le monde à la baguette, programmant elle-même ce que doivent faire ou penser sa fille Antonia, mais aussi son fils, Marc-Aurèle, ou son mari : cette mère qui lui assène, lorsqu’elle veut partir en Yougoslavie, qu’elle n’a plus de fille, ou qui exige qu’elle rentre immédiatement malgré la fatigue qui sera fatale, ou qui fait pression sur propre frère pour qu’il dise la messe de funérailles…



Au passage, Jérôme Ferrari évoque des histoires de photographes qui n’ont rien à voir avec Antonia mais témoignent de leur temps, de leurs guerres. On parcourt le temps avec la Tripolitaine en 1911 avec des clichés de morts atroces, 1913 et les premières photos en couleurs, 1980 avec les arrestations en Corse, les procès…



On pourrait avoir l’impression que l’auteur nous embrouille, en cultivant ainsi le mélange des époques et des pays, sous fond de mouvements indépendantistes, or il n’en est rien, tous les sujets évoqués s’intriquent, prennent tout leur sens.



Ce roman interroge, bouscule le lecteur, ne le laisse jamais indifférent, le prend à témoin presque. J’ai retrouvé le même ressenti qu’à la lecture de « Sermon sur la chute de Rome » qui m’avait laissée un peu désemparée, me demandant si j’avais bien compris ou l’auteur voulait en venir, tout en aimant ce que je lisais.



Un auteur à part donc…
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À son image

« Il y a tant de façons de se montrer obscène »….

Et ici, Jérôme Ferrari en démonte – en démontre – deux, particulièrement : l’angélisme de la religion catholique et la photographie de guerre.



Nous voici donc directement au cœur du problème.

Antonia est une jeune photographe de presse corse, du moins elle a été photographe de presse, jusqu’à se rendre compte qu’être témoin d’atrocités et fixer celles-ci sur la pellicule est obscène.

Oui, se rendre compte qu’il y aura des lecteurs de journaux qui jetteront un regard horrifié vite détourné, vite « oublieux », sur les photos-témoins, sur les femmes éventrées, sur les enfants au ventre gonflé, sur les mourants, sur les pendus, sur les torturés aux yeux cousus, se rendre compte de cela et continuer à photographier, c’est obscène. « Ce désastre, elle ne veut pas le dupliquer ».

Or, ne rien comprendre, ne pas agir, ne pas réagir, Antonia ne peut non plus choisir cette option. « Ca aussi, c’est le péché ».

Antonia est divisée, tourmentée, tracassée par sa vocation et par les conséquences qu’elle entraine inévitablement.



Antonia a un parrain, un curé, qui essaie de parler avec elle, de la protéger en quelque sorte. Nous pénétrons dans sa conscience également, lui qui est divisé devant ce mal, devant le mal quotidien aussi. Que faire ? Comment réagir ? Trouver une réponse en parlant de Dieu ? Jésus aussi a pleuré devant sa propre mort, pourtant.

« L’insupportable angélisme : une forme particulièrement perverse d’assentiment donné à l’obscénité du monde »



Antonia est Corse. Elle assiste donc aux actions du FLNC, mouvement armé pour l’autonomie. Au départ des gamins, et puis doucement – enfin, c’est un euphémisme- qui bascule dans la violence extrême. Antonia ne peut que réagir, encore une fois, et se demander où va sombrer son île, où « on applaudit les revendications d’assassinats ». Encore une obscénité.



Ce roman fait de phrases immenses quasi sans ponctuation m’a littéralement subjuguée. Je me suis sentie portée, et presque sans m’en rendre compte, je réfléchissais.

Au monde perpétuellement en guerre, au regard satisfait des tueurs, aux pleurs des mères, aux prières… et aux témoins de tout cela, les photographes.

« Il n’y avait au fond que deux catégories de photos professionnelles, celles qui n’auraient pas dû exister, et celles qui méritaient de disparaitre, si bien que l’existence de la photographie était évidemment injustifiable. »



Photographier le monde, ou accepter ce monde, quel est le plus obscène ?

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Difficile de se construire en tant que femme quand on naît en Corse. Outre l’atavisme des familles de l’île singulière, le poids de la religion et le FLNC, entrave toute liberté. Antonia a la chance d’avoir son parrain prêtre qui l’aide dans ses passions et projets. Antonia décida de devenir Photographe. Elle aime Pascal, l’indépendantiste en herbe et le meilleur ami de ce dernier aime Antonia en silence. Le ton est donné.



Antonia meure, et en ce jour où son parrain doit célébrer son éloge funèbre, sa vie défile dans la mémoire et le chagrin de ceux qui l’accompagnent dans son dernier voyage.



La vie d’Antonia et la culture Corse sont passionnantes dans cette histoire. Cette jeune femme part dans un pays en guerre pour fuir sa vie et être le témoin de l’horreur ailleurs.



Forcément j’ai moins aimé les descriptions un peu longues sur la photographie et les horreurs de la guerre. Le tout est parfaitement maîtrisé par l’auteur avec un style enlevé.
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Le Principe

Cela m’arrive rarement mais voilà un livre dont je ne peux rien dire car je n’y ai rien compris ou presque. C’est à mon avis un livre raté et pourtant la lecture du début me laissait penser que j’allais vers une belle découverte d’autant plus que Jérôme Ferrari est un auteur que j’ai jusque là apprécié. Mon incompréhension devant ce livre qui est pour moi un méli-mélo qui ne m’a rien apporté fait que je ne mets aucune note (j'ai tenté une relecture après cet avis et finalement ce sera deux étoiles malgré l'enthousiasme de certains....). Peut-être cette incompréhension vient-elle de mon cerveau qui n’a pas la capacité suffisante pour suivre les méandres empruntés par l’auteur.

"Toutes les histoires sont cohérentes et toutes sont incomplètes, comme si le principe ne régissait plus seulement les relations entre la position et la vitesse, l’énergie et le temps, mais débordait de toutes parts le monde des atomes pour étendre son influence sur les hommes dont les pensées s’estompent et se colorent des teintes pâles de l’indétermination.

Tel n’est pourtant pas le cas.

Les pensées peuvent être cachées, secrètes, honteuses, oubliées, elles peuvent être douloureuses, inacceptables ou incomprises, elles peuvent même être contradictoires : elles ne sont pas indéterminées."

Peut-être d'autres critiques me permettront-elles de comprendre ce livre..... à moins que l'auteur lui-même présent demain à la Grande Librairie ne me persuade de m'y replonger. Si mon appréciation évoluait je remettrais ultérieurement un autre commentaire ....

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"Il avait travaillé pour le journal pendant une trentaine d'années et s'était résigné depuis bien longtemps à ne rien attendre de son métier.

Mais tous les week-ends, il sillonnait l'île à la recherche de bergeries abandonnées, il en avait photographié des centaines, les murs de granite, les murs de schiste, les murs de craie recouverts de ronces, les toits effrontés, le long de chemins dont personne ne se rappelait l'existence, il voulait en faire un livre, il cherchait un éditeur, et Antonia ne comprenait pas qu'on pût ainsi s'infliger de longues randonnées en montagne pour photographier des tas de pierres abandonnées dans des lieux sombres et désolés mais quand il lui montra son travail, elle fut frappée par la puissance esthétique émanant de ce minutieux inventaire de la ruine qui ne parlait ni du passé ni de la nature mais seulement de l'inéluctable défaite des hommes. "(p. 72-73)



Les univers romanesques de Jérôme Ferrari sont denses, mêlant le plus sombre de la condition humaine, comme ses fulgurances flamboyantes... J'ai débuté mon ressenti de lecture par un extrait qui me tient à coeur... et le dernier ensemble de mots serait, ...pourrait être un concentré de la voix de cet écrivain corse : "L'inéluctable défaite des hommes ..."



Le pitch a déjà été fait : une jeune photographe , Antonia trouve la mort dans un accident de voiture... Décès si prématuré, et révoltant... Son parrain, le prêtre du village, est pressé par sa soeur [mère d'Antonia] de célébrer la messe funéraire... Il aimerait tant être déchargé de sa fonction, pour n'être plus que le tonton et le parrain de sa nièce , Antonia, qu'il adorait, et à qui, il a offert, pour ses 14 ans, au grand dam des parents, son premier appareil photographique...



Le récit se fait à plusieurs niveaux passant du tout début du 20e aux années 80...avec en alternance cette messe d'enterrement où le parrain se souvient des moments avec sa nièce, leur affection , puis sa rebellion, sa colère contre le Dieu de son parrain qui ne soulage pas la douleur des Hommes...d'autres personnages, lors de cet office des défunts, se souviennent d'Antonia, de sa personnalité, de ses amours, de ses coups de gueule... et en noyau central, cette passion de la photographie, des images : tour à tour esthétiques, poétiques ou toxiques, montrant l'insupportable....



J'ai le sentiment que l'auteur prête sa voix aux deux personnages centraux: Antonia, cette jeune photographe, dans la douleur et les questionnements quant à son métier de photographe [ surtout après le choc de son séjour, pendant la guerre de Yougoslavie, d'où elle ne rapportera aucun cliché !]. Jeune femme déchirée, entre son attachement à un militant nationaliste, et les horreurs de la guerre , hors de son île... dont on assiste par personnages interposés à ses obsèques ! et le deuxième personnage, son parrain et prêtre qui doit assurer cet office des défunts... A travers cet oncle-parrain-prêtre, on fait connaissance avec la courte vie d'Antonia mais aussi avec les rituels religieux, les questions de la foi, du mal dans l'histoire des Hommes...



Une lecture dense, d'une indéniable qualité et originalité, mais pour des raisons qui me restent très

obscures, je reste à la lisière... de l'univers de Jérôme Ferrari...ne parviens pas à m'y immerger totalement , comme je le souhaiterai!



J'ai souvent la sensation de ne ! pas saisir toute la complexité et les ramifications de ses écrits... Ainsi

je me suis replongée dans l'entretien très éclairant de l'écrivain dans le numéro de LIRE de septembre 2018.



Reste un moment de lecture aussi bouleversant, que dérangeant, mais aussi à l'image des polyphonies corses: Sombres, poignantes, musique , voix chavirantes....et philosophie de vie , identité d'une terre...etc.



Je pense que dans un temps futur, je relirai ce roman mêlant à la fois la littérature et la philosophie et tant d'autres choses...!



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*******Je me permets une parenthèse : dans l'interview de Jérôme Ferrari, dans le LIRE de septembre 2018...

il exprime , entre autres questions, ses sentiments et sa posture vis à vis de la religion ...



" Quel rapport entretenez-vous avec la religion ?



-J.F. Je n'ai pas du tout aimé le catéchisme, je trouvais ça niais. (...) En revanche, j'ai toujours apprécié le rituel- j'ai dû être enfant de choeur au village deux ou trois fois-et j'adorais sonner les cloches ! J'ai découvert les textes en latin-qui, eux, ne sont pas du tout niais- par le chant corse.

Ils sont sublimes. Je dois dire que s'il y a bien une chose magnifique en Corse, ce sont les différentes messes chantées en polyphonie. Même si, pour moi, ça ne s'accompagne pas de la foi, elles provoquent quelque chose de très profond.



- A Son image met en scène une messe de funérailles. Que représente pour vous le rituel de la messe ?



-J.F. En Corse, il s'agit encore d'une affaire sociale. Tout le monde se retrouve dans un événement qui dépasse le cercle familial. Dans les moments de deuil, la société nous rappelle que la cérémonie n'est pas réservée aux proches. En même temps, c'est l'aspect le plus rituel et

collectif des chants qui dit le mieux la peine personnelle. " (p. 43)

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