Citations de Joseph Kessel (1240)
S’il n’est pas de mortel qui ait le droit de dire « toujours », il n’en est pas davantage qui puisse dire « jamais ».
A partir de ce jour, les masseurs attachés à l'hôpital, qui traitaient les soldats blessés, commencèrent à instruire Kersten. Et un mois ne s'était pas écoulé que les soldats préféraient, à tous les professionnels, le sous-lieutenant étudiant. Et lui, il découvrait avec un étonnement presque craintif, avec un étrange bonheur, le pouvoir qu'avaient ses mains de rendre au corps souffrant des hommes la souplesse, la paix et la santé. (p.25)
Le 22 novembre dernier, Joseph Kessel était élu à l'académie française pour succéder au duc de la Force. Notre photo vous le montre en compagnie de deux de ses nouveaux pairs : François Mauriac et Jean Cocteau.
Âgé de soixante-quatre ans, Joseph Kessel fut acteur, avant de devenir journaliste et romancier. Ses livres ont fait l'objet de nombreuses adaptations cinématographiques ("L'équipage", "Au grand balcon", "Le bataillon du ciel", "Fortune carrée", etc...).
Ayant été témoin, au cours d'un récent voyage en Afrique du Sud de la surprenante amitié, nouée entre une petite fille sauvage et un grand fauve, il écrivit "Le lion", ce roman émouvant dont Jack Cardiff a tiré un film portant le même titre et interprété par Paméla Franklin (Tina), Trévor Howard (Bullit), Capucine (Christine) et un magnifique lion de 250 Kg...
(introduction à l'article de deux pages extrait du n° 167 du journal "Pilote", le journal des jeunes de l'an 2000 paru le 3 janvier 1963)
Mais l'aurore surgit d'un seul coup, prompte et glorieuse. La neige du Kilimandjaro devint un doux brasier. La brume se déchira en écharpes de fées, en poudre de diamant. L'eau étincela au fond de l'herbe. Les bêtes commencèrent à composer leur tapisserie vivante au pied de la grande montagne.
Alors cette beauté fut de nouveau toute fraîche, toute neuve pour mes yeux et telle qu'ils l'avaient découverte dans un matin sans précédent. La nature avait beau répéter éternellement ses miracles, elle ne perdait rien, elle, de sa splendeur et de son intégrité.
Il garda les paupières baissées. Ainsi, pour un instant, la personne de son maître fut comme livrée à Rahim et à son émerveillement. Dans tout l'univers du batcha, aucun homme ne pouvait se mesurer à Toursène. Aucun n'avait cette profondeur dans le torse, cette ampleur des paumes, la majesté de ce front. Aucun ne portait en si grand nombre les marques de la gloire sur sa chair, dans ses os: le nez fracturé, l'arcade sourcilière rompue, les balafres et les cicatrices confondues aux rides, les poignets difformes et les rotules disjointes. Chaque blessure témoignait d'une chevauchée, d'un combat, d'un triomphe de centaure dont les bergers, les jardiniers, les palefreniers, les artisans répétaient la légende. Pour un enfant les fables n'ont pas d'âge Chez Toursène, la vieillesse, pour Rahim, ne signifiait rien. Un héros, une idole, sont au-delà du temps.
"Mais le destin, ô mes frères, est nouveau à chacun des pas que l'homme pose devant lui [...]"
Rien n'est plus émouvant que le premier échange avec une capitale exotique dont on ne sait rien, sinon par les récits et les livres. On ajuste avec bonheur ces notions abstraites à l'éclatante vie que découvrent les yeux. Et les images qui ne se laissent pas comprendre et déchirer dès l'abord, enchantent l'esprit par tous les riches secrets qu'il se promet de découvrir.
Le Chant des Partisans
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne
Ohé, partisans, ouvriers et paysans c'est l'alarme
Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes.
Montez de la mine, descendez des collines, camarades,
Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades,
Ohé, les tueurs, à vos armes et vos couteaux, tirez vite,
Ohé, saboteurs, attention à ton fardeau, dynamite.
C'est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères
La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère
II y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves
Ici, nous, vois-tu, nous on marche, nous on tue ou on crève.
Ici, chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait quand il passe
Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place,
Demain du sang noir séchera au grand soleil sur nos routes
Chantez, compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute.
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne
Ami, entends-tu le vol noir du corbeau sur la plaine
"Une place particulière est réservée à Anna Marly, qui en est la
compositrice, auteure de la version d’origine en russe puis l’interprète.
En mai 1943 à Londres, le Français libre André Gillois cherche un indicatif pour l’émission de radio de la BBC « Honneur et Patrie » à destination de la Résistance intérieure. La mélodie composée par Anna Marly est alors retenue. Le 30 mai 1943, Joseph Kessel et Maurice Druon écrivent les paroles en français, pour ensuite enregistrer une première version."
Mes sentiments n'étaient qu'un assez pauvre décalque de l'émerveillement que j'avais connu.
P195
Le secret essentiel de l'art, c'était la faculté de toucher du bout des doigts l'essence de la maladie, de mesurer son intensité et savoir le centre vital d'où elle rayonnait. [..]
Pour rendre les minuscules antennes tactiles capables de sentir tous les nerfs de l'organisme et de répondre pour ainsi dire à leur appel, le praticien devait, en vérité, sortir de son propre corps et pénétrer dans celui du patient.
–Le Führer est décidé, après la victoire du IIIe Reich à supprimer le christianisme dans toute la grande Allemagne c’est-à-dire l’Europe, et à établir, sur ses ruines, la foi germanique. Elle conservera la notion de Dieu, mais très vague, très confuse. Et le Führer prendra la place du Christ comme sauveur de l’humanité. Ainsi des millions et des millions d’hommes invoqueront, dans leurs prières, le seul nom de Hitler et, cent ans plus tard, on ne connaîtra plus que la religion nouvelle qui durera des siècles et des siècles.
- On n'y peut rien. Tout est jeu dans notre existence. Tout est hasard: le bayon, le minerai brut. Une part dans une mine, c'est un billet de loterie. Le coolie qui plonge la main dans la terre à rubis, c'est comme s'il jetait les dés.
Le jeune birman médita un instant. Quand il recommença de parler, sa voix était pleine d'une douce mais ferme certitude.
- Il y a tout de même un moyen de diriger le hasard, dit-il. C'est d'obéir aux vieux préceptes.
(page 234-235)
La tragédie de la grandeur est d'avoir à fouler des cadavres.
Je reviens de Londres (...). Là-bas, c'est vivre en France qui paraît admirable. La faim, le froid, les privations, les persécutions dont nous avons pris l'habitude par force, touchent là-bas l'imagination et la sensibilité à un point extrême. Quant aux gens de la résistance, ils suscitent une émotion presque mystique.On sent déjà se former la légende.
Si je disais cela ici, je ferais hausser les épaules. Jamais une femme qui rechigne des heures entières dans les queues, pleure d'impuissance en voyant ses enfants s'anémier, maudit le gouvernement et l'ennemi qui lui enlèvent son mari pour l'envoyer en Allemagne, fait des bassesses auprès du crémier et du boucher pour avoir une goutte de lait ou un gramme de viande, jamais cette femme ne croira qu'elle est un être exceptionnel. Et jamais le garçon qui, chaque semaine, transporte une vieille valise pleine de nos journaux clandestins , l'opérateur qui pianote nos messages de radio, la jeue fille qui tape mes rapports, le curé qui soigne nos blessés, et surtout Félix, et surtout Le Bison, jamais ces gens ne croiront qu'ils sont des héros, et je ne le crois pas davantage.
Les opinions subjectives et les sentiments n'ont aucune valeur. La vérité est seulement dans les faits. Je veux, quand j'en aurai le loisir, tenir note quelques temps des faits que peut connaitre un homme placé par les événements à un bon poste d'écoute de la résistance. Plus tard, avec le recul, ces détails accumulés feront une somme et me permettront de former un jugement.
Si je survis.
J'ai demandé une fois à Mermoz s'il avait peur dans ses luttes avec la mort.
- Peur ?avait-il répété pensivement.Non ça ne peut pas s'appeler ainsi. Je ne peux pas te l'expliquer. Les camarades seuls pourraient comprendre. C'est une affaire entre nous.
Il réfléchit quelques secondes et ajouta :
- Vois tu la vraie peur, la sale peur, je l'ai éprouvé sur le pavé de Paris, quand j'étais clochard, à l'idée de ne plus pouvoir voler, c'est à dire vivre ma seule vie possible.
La France est une prison. On y sent la menace, la misère, l'angoisse, le malheur comme une voûte pesante et qui s'affaisse chaque jour davantage sur les têtes. La France est une prison, mais l'illégalité est une évasion extraordinaire. Les papiers ? On les fabrique. Les tickets d'alimentation ? On les vole, dans les mairies. Voitures, essence ? On les prend aux Allemands. Gêneurs ? On les supprime. Les lois, les règles n'existent plus. L'illégal est une ombre qui glisse à travers leur réseau. Plus rien n'est difficile, puisque l'on a commencé par le plus difficile : négliger ce qui est essentiel : l'instinct de conservation.
Sa taille ne dépassait pas celle d'une noix. Sa courte fourrure en avait la couleur. Ainsi vêtu depuis les orteils jusqu'au sommet du crâne, il semblait en peluche. Seul, le museau était couvert par un loup en satin noir à travers lequel brillaient deux gouttes: les yeux.
« Quand tu es malheureux, je vois bien que tu es toute ma vie. » (p. 31)
Pourtant je ne reconnus pas cette silhouette. Elle semblait sortir de la nuit des temps. Un grand bouclier tenu à bout de bras la précédait et, couronnant la tête aux reflets d’argile et de cuivre, flottait, à la hauteur du fer de lance, l’auréole royale des lions.
Armé, paré selon la coutume sans âge, Oriounga le morane venait pour l’épreuve – qui d’un Masaï faisait un homme et pour gagner par elle Patricia.
Et plus ardent, plus brave, plus fort que les ancêtres, il venait seul.
Je regardais à peine le paysage à travers la vitre contre laquelle crépitait une pluie d’automne. Le miracle était à l’intérieur, dans cette boîte close, vernie et capitonnée et dans les battements de mon coeur fondus aux halètements de la bête métallique qui m’emportait, m’emportait…