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Critiques de Maurice Maeterlinck (131)
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La Vie des abeilles

♫L'heure c'est l'heure

On n'est pas d'humeur

A verser des pleurs

Fières sont les ouvrières

Le jour en tailleur

Le soir en guêpière

Quand la mort vous susurre

Des serments veloutés

Que rien n'est moins sûr

N'aura plus d'importance

Ni la chaleur

Ni les piqûres♫

-Alain Bashung- 1994 -

----♪----♫----🐝----👑----🐝----♫----♪----

Propos lisses

Souvenir d'un impossible avenir

Ingénieux et radieux

Mieux vaut croire à l'essaim

Plutôt qu'au bon Dieu

Propolis

Balbutiements, rentrées chez elles,

Les abeilles oublient qu'elles ont des ailes

Pro-Police

Qu'on leur jette la première pierre

L'api d'air ou hyménoptère mellifère

Progrès, évolution, Darwin

Ce monde reste une énigme

Heureux les yeux qui n'ont point besoin d'illusion

Un principe propice à Ulysse: l'absolue perfection

Hédoniste ou les piqûres

Happy Apiculture

Plutôt que de se demander quoi penser d'un Nobel

Qui prétend en connaître un rayon sur le miel

Mieux vaut relire vous-même "l'avis des abeilles"

A rajouter sur la liste du père Noël 🌟🌟🌟🌟🌟
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Le trésor des humbles

Maeterlinck au pays des mystiques.



“L’essentiel est invisible pour les yeux” disait le Petit Prince de Saint-Exupéry. Maurice Maeterlinck n’en pense pas moins dans ces petits essais mystiques rassemblés, à l’extrême fin du XIXème siècle, sous le titre “Le Trésor des Humbles”.



“Quelle est l’action de l’homme dont le dernier mobile n’est pas mystique ?”



Qui n’a pas déjà eu recours en dernier ressort à ces pensées magiques : si je ferme les yeux et compte jusqu’à cinq alors il ou elle devra me répondre, ou pensera à moi, ou bien les numéros du loto s’alignerons sous mes yeux ou encore je serai invincible face aux épreuves, du deuil à l’entretien d’embauche en passant par la paperasse administrative du dimanche soir ou les douleurs aux lombaires… dans l’obscurité relative de nos paupières complices, nous négocions inlassablement avec l’univers insondable de nos croyances mystiques…



Le dramaturge belge, auteur notamment de la pièce symboliste, puis Opéra de Debussy, Pelléas et Mélisande, nous donne les clés d’un royaume inodore, incolore mais pas indolore… Car il faut accepter un réel effort pour toucher du doigt ce que l’écrivain, après Novalis, Emerson, Plotin et les mystiques médiévaux semble avoir compris, l’auteur reconnaît d’ailleurs que cela demande un peu “d’ivresse d’âme” (on ne peut totalement se départir du soupçon d’un coup de pouce herbacé quelconque afin d’atteindre les hauts sommets fongiques de la mystique médiévale n’est-ce pas…).



“Les abeilles ne travaillent que dans l’obscurité, la pensée ne travaille que dans le silence, et la vertu dans le secret…”



Le chapitre introductif “Le Silence” est d’une richesse inégalée par le reste de l’ouvrage. Pourquoi cette peur du silence ? Peur de l’exigence requise pour mener une vie spirituelle ? Pourtant nous avons beau lutter contre ce “réveil de l’âme” il fait partie de nous, Maeterlinck soulignant que “l’élément spirituel parait lutter au fond de l’humanité comme un noyé qui se débat sous les eaux d’un grand fleuve”.



Maeterlinck voit dans la parole un obstacle au contact profond avec l’âme, avec l’invisible, pour lui, la parole étouffe la pensée. Mais se taire n’est pas chose aisée, nous ne sommes pas très à l’aise à laisser s’installer le silence entre nous et autrui. Peut-être nous sentons tous ce danger du silence, surtout lorsqu’il est partagé, Maeterlinck note que “même les plus imprudents ne se taisent pas avec le premier venu” comme si quelque chose de plus intime, de plus indélébile que des bavardages pourrait s’installer par le silence laissé entre deux êtres qui ne désirent pas se connaître… Le silence est donc un “poids inexplicable” lorsqu’il est partagé et c’est pourquoi nous en sommes tous si “avares”.



Dans un monde en proie au bruit, où la nuisance sonore s’exerce toujours sur les plus faibles, que se soient les salariés plongés dans l’enfer de l’open-space face à la porte close du bureau insonorisé du chef de service, ou les immeubles proches d’une Gare ou du périphérique, avec leurs populations précaires exposées… le silence est pourtant, comme le souligne la philosophe Cynthia Fleury, une “ressource cognitive” indispensable à la production, la concentration, la démocratie la psyché et le sacré, “le fardeau sonore est toujours porté par les plus vulnérables” dénonce Fleury tout en déplorant que l’on assiste à une “confiscation du silence par les espaces de luxes” alors que c’est une “denrée essentielle pour le corps et l’esprit”, ce que confirme déjà Maeterlinck en écrivant “la pensée ne travaille que dans le silence”.



“ce qui nous distingue les uns des autres, ce sont les rapports que nous avons avec l’infini.”



Il ne faut pas aborder la “morale mystique” par le biais de la parole et du langage, toujours réducteurs, ils diminuent ce qu’ils veulent exprimer. Dans le silence, avant la raison qui “donne une forme arbitraire aux mouvements invisibles des royaumes intérieurs” nous ressentons l’indicible qui commande nos actions et notre sens de ce qui est juste.



Ces certitudes, “reines voilées” qui nous guident dans l’existence nous ne pouvons parvenir ni à les formaliser ni à en retracer l’origine profonde. Maeterlinck invite sans doute à être plus attentif à ces voix intérieures, ces intuitions sur les autres, qui ne reposent a priori sur rien, qui ne s’expliquent pas et qui pourtant nous font sentir “qu’il y a des êtres qui protègent dans l’inconnu et d’autres qui y mettent en péril”… qui n’a jamais eu ce pressentiment sur l’influence qu’une personne pourrait avoir sur sa vie.



Dans ces chapitres comme “le tragique du quotidien”, “la bonté invisible” ou encore “la vie profonde” l’auteur nous enjoint à mettre un pied dans les eaux “graves et inattendues” de la vie supérieure, à sculpter notre propre morale et trouver notre idéal dans l’humilité de la vie quotidienne.



Est-ce que Maeterlinck produit le même effet que les moines mystiques du Moyen-Âge, à savoir un égaré illuminé par une croyance dévoyée ? Malgré le risque d’extravagance associé à sa démarche, nous devons nous rendre à l’évidence que bien des intuitions nous parlent.



…Et pour celles qui nous parlent moins, il reste la beauté de la langue, sa poésie incontestée qui nous berce un peu comme si nous étions sur une planète inconnue, face à des couleurs et des formes dont nous serions témoins pour la première fois. Maeterlinck nous déconseille d’entrer dans la lecture des mystiques “par curiosité littéraire”, je dirais pourtant qu’il n’y a pas meilleure raison d’entrer dans “Le Trésor des Humbles”.



Qu’en pensez vous ?
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Les Aveugles

Sur les conseils avisés d'une spécialiste (Musardise pour ne pas la nommer... en entier :) ), je poursuis ma découverte de Maeterlinck qui me parle beaucoup plus que je ne l'aurais cru.



Après l'Intruse, c'est encore à la Mort que nous sommes confrontés. La différence est qu'ici, elle a frappé dès le début de la pièce... mais que nous sommes les seuls au courant, puisque tous les personnages sont aveugles et que le seul voyant est mort au milieu d'eux. Ils le croient partis et la pièce est fait de leurs échanges, de leurs angoisses, de leur rapport à cette réalité inconnue qui les entoure.



Maeterlinck ne nomme pas ses personnages mais il les regroupe tout de même en différentes entités : les aveugles-nés, craintifs et pessimistes ; les vieux aveugles, qui n'ont que des vagues souvenirs d'avoir vu, mais que cela amène à plus s'interroger, à chercher à trouver des solutions; les aveugles encore plus malades, le sourd et la folle, avec qui on ne peut entrer en communication et qui ne constituent donc pour les autres que gêne dans leurs échanges; le sixième aveugle qui discerne encore la lumière et la jeune aveugle, qui se souvient très bien avoir vu, sans doute la plus optimiste, elle qui veut que chaque bruit soit synonyme de bonne nouvelle. Dialogues d'aveugles et donc régulièrement dialogue de sourds puisque leurs questions finissent toujours par se heurter au mur de leur ignorance: ils ne peuvent pas voir, pas se voir entre eux, pas se voir eux-mêmes, pas avoir une vraie connaissance de leur environnement. La nature autour d'eux (vent, mer, feuilles) est presque toujours plutôt menace que bienfait, surtout pour les aveugles-nés qui préfèrent quoi qu'il arrive la protection de l'hospice, le côté rassurant qu'offre le monde civilisé, le fait de savoir qu'on s'occupe d'eux.



Évidemment on ne peut s'empêcher de filer une métaphore facile: ceux qui ne veulent pas voir et veulent rester ignorants, préférant faire confiance à d'autres pour décider de leur sort ; ceux qui sont tombés dans le défaitisme après avoir eu soif d'apprendre étant plus jeune; ceux qui n'ont pas abandonné tout espoir et pensent encore à des lendemains qui chantent. Il y a même l'espoir concret du nouveau né, fils de la folle et qui lui voit et peut être le guide qui les sauvera tous. Mais à l'autre bout de la vie, il y a le vieux prêtre, déjà mort et qui leur annonce leur destin inéluctable à tous.



Comme pour l'Intruse, on ne peut pas qualifier le théâtre de Maeterlinck de follement enthousiaste et optimiste. Mais il a le mérité d'affronter en face la seule vraie question, celle de notre devenir et de l'intérêt de continuer à se battre. Même si le destin inéluctable est posé, le ridicule affligeant des aveugles-nés en face de la candeur touchante de la jeune aveugle me fait penser que Maeterlinck n'était pas si catastrophiste qu'il cherche à le montrer. Mais peut-être est-ce surtout parce que je suis de mon côté un optimiste indécrottable, adepte du clin d’œil qui m'offrirait un destin de monarque, puisqu'on connait le sort réservé aux borgnes dans certains royaumes.
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L'oiseau bleu

Tyltyl et Mytyl, deux enfants pauvres qui, à la veille de Noël, rêvent des richesses qu’ils ne peuvent avoir, se voient confier par la fée Bérylune une mission. Ils doivent trouver l’Oiseau Bleu qui rendra la santé à sa fille. Pour cela, ils sont munis d’un petit chapeau vert serti d’un diamant magique qui fait ressortir, lorsqu’on le tourne, l’âme des êtres animés et inanimés. C’est ainsi que les deux frère et sœur se retrouvent accompagnés dans leur quête par le chien, la chatte, le feu, l’eau, le pain, le sucre, la lumière et le lait, tous doués de parole et désireux de les aider (ou de leur nuire…) dans leur voyage.



Commence alors un long périple qui va les mener au pays des souvenirs, où continuent de vivre ceux qui sont morts, puis au palais de la nuit, où sont enfermés les pires maux, en passant par la forêt où la nature tente de reprendre ses droits, sans oublier le jardin des bonheurs, qui fait ressortir les joies simples de la vie, pour finir au royaume de l’avenir , où se préparent ceux qui s’apprêtent à naître. Un voyage initiatique qui révèlera aux deux enfants la vraie nature des choses et, peut-être, la source du bonheur véritable…





Ecrit en 1908, « L’oiseau bleu » est une pièce de théâtre construite sous la forme d’une fable, composée de six actes et de douze tableaux dont les décors et les costumes sont largement détaillés, donnant une idée précise des souhaits de l’auteur. Constituée de métaphores et d’allégories, l’histoire nous fait pénétrer dans un monde enchanteur, où chaque élément de notre réalité prend une dimension nouvelle, tantôt féérique, tantôt terrifiante. Maurice Maeterlinck fait preuve d’une vision très manichéenne du monde, mais qui colle bien à l’univers du conte, très codifié, voulu par la pièce.



Sous des dehors légers et cet aspect merveilleux et enfantin, l’auteur nous offre un voyage initiatique enrichissant, derrière lequel se cache une véritable parabole du bonheur. Etant donné la précision des didascalies et la variété des différents tableaux, la mise en scène ne doit pas être aisée, néanmoins la volonté de l’auteur est ambitieuse et donne envie d’assister à la représentation ! Une jolie pièce, divertissante et plus complexe qu’il n’y paraît…





Challenge Variétés : Un livre écrit par un auteur avec les mêmes initiales que vous
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La Vie des abeilles

Je tiens à remercier le groupe L’Archipel et l’opération Masse critique pour l’envoi de ce livre.



C’est un livre étonnant et délicieux.

Ce qui m’a ébloui dès l’abord fut le style - qui écrit encore de manière aussi lyrique et poétique de nos jours ?

L’étonnement naît ensuite du mariage de ce style avec le sujet même du livre, une relation de la vie des abeilles. On est loin d’un traité indigeste d’apiculture !

Et pourtant la rigueur scientifique n’est pas absente, Maeterlinck a réalisé durant de nombreuses années de longues et patientes observations et expériences personnelles mais a également tout lu sur ce sujet. Il est extrêmement précis lorsqu’il nous détaille par exemple l’organisation de la ruche, l’architecture de celle-ci, leur géométrie si parfaite, leur construction ; mais ceci n’est qu’un exemple pour souligner la prouesse d’arriver à donner à ce sujet une dimension et une grande qualité littéraire.



L’on sent que l’auteur est passionné par son sujet et certains chapitres sont d’une grande beauté et très poétiques, particulièrement lorsqu’il nous décrit le vol nuptial de la reine, un chapitre de toute beauté ! Il a pleinement réussi à me faire partager son enthousiasme.



J’ai apprécié que Maurice Maeterlinck ne fasse pas d’anthropocentrisme. Il aborde certes des considérations sur l’intelligence des abeilles mais reconnaît que considérer l’homme comme supérieur n’est pas indiscutable.

Les comparaisons avec l’homme sont présentes et l’auteur nous amène bien souvent à nous questionner sur les idées préconçues que nous avons sur les insectes et plus généralement sur le monde animal.

Maeterlinck nous fait admirer la remarquable organisation de la ruche, sans doute une des communautés les plus ordonnées au monde, il nous détaille le rôle dévolu à chacune des abeilles : la reine, tout à la fois personnage principal mais esclave de sa fonction, les ouvrières, et les vierges.

J’ai été frappé par la description peu reluisante des mâles, paresseux, gloutons, qui se font servir et dont le seul rôle sera, pour l’un d’eux seulement, de féconder la reine. Tous les mâles seront tués par les ouvrières peu de temps après le retour de la reine de son vol nuptial. J’ai heureusement échappé, grâce à ma condition d’humain, à ce funeste sort !

Tout n’est pas idéal, ce monde a aussi son lot de peines, de sacrifices et de cruauté.

L’auteur a la modestie de ne pas avoir toutes les réponses aux questions qu’il se pose.

La philosophie est également présente dans ce livre, notamment sur la notion de la nature, élément fondamental dans notre vie. La nature a un rôle que d’autres ont attribué à Dieu. Le regard que nous portons sur la vie des abeilles nous met face à des interrogations sur notre philosophie de vie. Les abeilles ont-elles quelque chose à nous dire ? Quel est leur but ?



Je tiens pour finir à souligner la remarquable et longue préface écrite par Fabrice van de Kerckhove qui vous analyse bien des aspects de ce livre, bien mieux que je n’ai pu le faire ici.



Un regret cependant, mais qui ne tient nullement au livre : il n’est pas long (240 pages), mais le délai de 30 jours imparti pour la rédaction par Masse Critique m’a paru trop court, les descriptions, je l’ai dit, sont extrêmement précises et nécessitent parfois plus d’une lecture pour me les représenter visuellement, et je me suis d’autre part souvent arrêté pour relire des phrases dont j’avais apprécié le style ! Je n’ai donc achevé cet ouvrage qu’aujourd’hui seulement...



















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L'intruse

Je me remets clairement à la lecture du théâtre ces temps-ci, à la faveur des challenges et de la Masse Critique. Deuxième pièce de Maeterlinck donc, et je dois dire que j'y prends goût. le théâtre de Maeterlinck est clairement contemporain, mais loin du théâtre de l'absurde. Il est accessible (en tout cas ici), un théâtre symboliste comme je l'ai déjà expliqué dans ma critique de Pelleas et Melisande, un théâtre obsédé par la mort qui s'approche.



La pièce est totalement une pièce d'atmosphère, un huis clos oppressant où même l'ouverture d'une porte, d'une fenêtre est difficile, ou alors source d'angoisse. C'est que cette famille est regroupée, après un accouchement difficile, coincée entre la chambre de la parturiente et celle du bébé, dans un silence oppressant, rempli de sons qui ne le sont pas moins. C'est une pièce où le son est primordial, j'aime ces pièces qui me donnent très vite des idées de mise en scène, beaucoup de choses à faire avec la bande son ici. La présence forte de l'aïeul aveugle donne évidemment toute son importance au son, lien principal avec le monde de ce personnage anxieux.



Les personnages parlons-en. Des archétypes de la famille (oncle, père, aïeul, les 3 filles), dont on connaîtra certains prénoms mais qu'on continuera à désigner par leur place familiale. Des archétypes de caractère, l'oncle ancré dans la réalité, l'aïeul anxieux et sensible à tous les signes, les 3 filles , personnage fusionné, chargés de faire le lien, le père dans l'entre-deux de la réalité et du monde des esprits. Le lecteur également, personnage invité à l'attente, d'abord un peu perdu sur ce qui se passe, puisqu'on ne lui explique la situation que par bribes. Puis totalement averti de ce qui arrive avec le symbole évident de la faux du jardinier qu'on entend soudain (un jardinier qui fauche pendant la nuit ? cela étonne bien l'oncle… Oh oui, que c'est étonnant, nous ne comprenons pas du tout ce qui se passe…  ) C'est d'ailleurs totalement stupéfiant que cette survenue de la faux soit le moment où le grand-père finit par s'endormir, lui qui reste éveillé à cause de l'inquiétude pour sa fille qui souffre dans la pièce d'à côté. Tellement prompt à interpréter tous les signes, comment ne comprend-t-il pas le plus évident ?



Au-delà de la mort, c'est la pièce de l'absence : absence de la vision, omniprésence des personnages absents (la femme qui vient d'accoucher et le bébé, mais aussi la nourrice partie, la soeur qui n'arrive pas). Cette soeur, avec le double sens du rôle familial manquant mais aussi de la religieuse qu'elle est, devrait être là pour amener cette spiritualité essentielle dans ce moment que l'on sent fatal.



Pour finir, je voudrais souligner la modernité de ce théâtre de Maeterlinck, presque contre son gré. C'est en effet un théâtre qui puise plutôt son inspiration dans les thèmes du Moyen-Age et donc qui ne cherche pas à faire moderne. Pourtant, après avoir lu Pratchett récemment, je ne peux que faire le parallèle avec ce personnage incarné de la mort et rapprocher donc Maeterlinck des littératures de l'imaginaire, en pleine expansion de nos jours, sans doute parce qu'elles sont aujourd'hui les rares à continuer à aborder une spiritualité de plus en plus absente du monde moderne, et si chère à Maeterlinck.

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Pelléas et Mélisande

Pourquoi suis-je moins enthousiaste que la plupart des gens à propos de Pelléas et Mélisande, alors que j'aime beaucoup le premier théâtre de Maeterlinck ? Je viens de relire la pièce et ça se confirme : je préfère définitivement Les Aveugles, L'intruse, Intérieur et La Mort de Tintagiles. Je n'arrive pas à considérer Pelléas et Mélisande comme le chef-d'oeuvre de Maeterlinck, ce qu'il semble être pour tout le monde - même si, ne nous leurrons pas, l'aura de l'opéra de Debussy n'y est souvent pas pour rien. Pelléas et Mélisande me semble un condensé du premier théâtre de son auteur, c'est peut-être un peu ce que je lui reproche. Mais pas seulement. Et d'un autre côté, c'est aussi ce qui fait sa force.





Au moment où Maeterlinck publie Pelléas et Mélisande (1892), il n'en est pas précisément à son coup d'essai. Il a écrit des récits courts, des poèmes, et quelques pièces : La Princesse Maleine, qu'on présente souvent comme un "brouillon" de Pelléas et Mélisande, et L'Intruse, Les Aveugles ainsi que Les Sept Princesses, trois pièces courtes. Or, l'étiquette de dramaturge du morbide lui collait à la peau. Et pour cause ! La mort est le sujet le plus évident de ces pièces, et Maeterlinck a donc cherché, tout en continuant à explorer ses thèmes de prédilection, à se renouveler avec un drame qui serait non seulement celui de la mort, mais aussi un drame passionnel. Rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous ; et, effectivement, on pense vite à la légende arthurienne, notamment aux personnages de Marc, Tristan et Yseut, et à un tas d'autres histoires mêlant amour et mort. Ce n'est pas pour autant que Maeterlinck n'était pas novateur.





Ici, l'histoire commence avec une étrange jeune fille perdue, puis "trouvée" dans la forêt, donc on se connaîtra jamais les origines, et qui a visiblement vécu une histoire traumatisante - on devine que, peut-être, un roi l'aurait épousée contre son gré, car elle est assise au bord d'une fontaine où elle a laissé tomber la couronne qu'elle portait. On n'en saura pas davantage, ce qui n'empêchera pas Golaud - qui n'en sait pas plus que nous -, petit-fils du roi d'Allemonde, de l'épouser rapidement. Aux références arthuriennes viennent s'ajouter celles des contes de fées (et bien d'autres), comme presque toujours chez Maeterlinck. Les choses se gâteront vite pour les personnages (à supposer qu'elles aient bien commencé, ce qui est fort douteux), ne serait-ce que parce que le château d'Allemonde est vieux, décrépi, moisi, lézardé, pourri, et que la jeunesse de Mélisande, tout comme celle de Pelléas, demi-frère de Golaud, ne pourra guère s'y épanouir. du début à la fin, on sentira l'oppression qui pèse sur tous les êtres vivant au château, du grand-père à l'arrière petit-fils.





"Dès que nous exprimons quelque chose, nous le diminuons étrangement." écrira quelques années plus tard Maeterlinck dans le Trésor des Humbles. C'est presque là tout le programme de son premier théâtre, qui repose sur des non-dits, des phrases interrompues, des paroles incompréhensibles ou encore complètement banales, des répétitions et des silences. Pelléas et Mélisande ne déroge pas à la règle, bien au contraire. On peut en tirer une lecture psychanalytique (à mon sens plus évidente que dans d'autres pièces), ou spirituelle, ou les deux à la fois. Parce que bon, Mélisande qui joue, aux côtés de Pelléas, avec son alliance jusqu'à la perdre définitivement dans l'eau, on aura du mal à affirmer que ça ne relève pas d'une volonté inconsciente de Mélisande de se débarrasser de son mari, hein ! Et je ne vais pas m'attarder sur tous les motifs qui jouent aussi bien sur l'aspect psychanalytique que sur l'aspect spirituel, des souterrains à l'eau omniprésente, en passant par les cheveux de Mélisande ou par la fameuse porte qui peine à s'ouvrir. Au final, on se retrouve perdu au milieu de personnages perdus, à la recherche de... C'est là que ça se complique. Sont-ils à la recherche de la connaissance d'eux-mêmes, comme le laisse penser le vieux roi Arkël, ou bien à la recherche d'une connaissance plus universelle, plus métaphysique ? Le regard, la clairvoyance ou l'aveuglement, voir ou ne pas voir, ça semble finalement être la grande question de Pelléas et Mélisande... pour changer ! Déchirer le voile du visible pour accéder à l'invisible, ce fut la grande affaire des symbolistes, et des surréalistes après eux, et cette pièce ne déroge pas à la règle, encore une fois.





Du coup, qu'est-ce qui me dérange dans Pelléas et Mélisande, puisque ces sujets, l'atmosphère et le langage employé (auxquels on accroche ou pas, c'est un peu comme Duras) fonctionnaient très bien pour moi dans les pièces précédentes ? C'est l'histoire d'amour ! Pas parce que je n'aime pas les romances (j'aime pas trop les romances, surtout au cinéma, c'est un fait), ou les histoires d'amour tout court (je mets sur un piédestal Les Hauts de Hurlevent, donc bon), mais parce que les personnages de Maeterlinck sont complètement désincarnés. Ne cherchez pas de drame psychologique ici, il n'y en a pas - on pourrait même se dire que les personnages réagissent de façon très étrange, si on devait les considérer comme des êtres de chair et de sang. Mais Maeterlinck a pensé son théâtre comme "non psychologique", et il tenait à ce que les acteurs jouent à la façon de marionnettes (d'où l'appellation "Trois petites pièces pour marionnettes" pour Intérieur, Alladine et Palomides et La Mort de Tintagiles), ou de coquilles vides, c'est-à-dire sans apporter à leurs personnages le moindre élément psychologisant - ce qui aurait nui à l'essence symboliste de ses pièces. Or, le drame passionnel sans la psychologie, je trouve que ça a ses limites. Pour que ça fonctionne parfaitement (en tout cas dans mon cas), il aurait fallu que je ressente que la quête initiatique, spirituelle, mystique, métaphysique, ou appelons ça comme on voudra, était autant générée par la passion amoureuse que par la mort. Or, il m'a semblé que la mort - et les mystères qu'elle soulève - prenait largement le pas sur l'amour, au point que l'histoire d'amour m'a semblé presque secondaire.





Je note tout de même un élément très intéressant, qui mériterait sans doute qu'on s'y attarde davantage et dont j'ai discuté brièvement avec Meps, lecture commune oblige. Il semble que la pièce soit pensée en boucle. Mélisande aurait-elle vécu la même histoire avant que celle-ci ne débute ? Et l'histoire va-t-elle continuer à l'infini, comme pourraient le laisser penser les derniers mots de la pièce, prononcés par le vieux roi Arkël ?
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Pelléas et Mélisande

Pelleas et Mélisande est régulièrement citée comme pièce emblématique du théâtre symbolique. Les caractéristiques en sont pour les personnages l'expérience de la mort et l'impuissance face à une destinée tragique. C'est un théâtre statique où tout n'est pas dit mais plutôt suggéré.



La plongée dans les symboles commence dès le titre. On sent bien qu'on est introduit dans un contexte de légendes (Pelleas est le nom d'un des chevaliers arthuriens... et Melisande fait clairement penser à Melusine, la fée présente dans les contes du moyen-âge). Au delà du titre, certaines caractéristiques des légendes moyen-âgeuses sont bien présentes: la rencontre près de la fontaine, le château, le vieux roi mourant, tout est là pour poser ce contexte intemporel qui parlera à beaucoup de cultures occidentales. On vise l'universalisme, au-delà de l'intemporel. Les avertissements aux personnages sont nombreux, mais difficilement interprétables, par eux mais aussi par le lecteur (j'avoue m'interroger encore sur le sens de la présence des trois vieux endormis au fond de la grotte visitée par Pelleas et Melisande) On sent que tout concourt à la fois à rapprocher les êtres mais également à les mener vers un destin funeste.



Toutes les générations concourent au drame. Le vieux roi Arkel se montre compréhensif avec son petit-fils Golaud quand il revient de la forêt avec la belle Mélisande qu'on ne lui destinait pas pour femme et dans le même temps incite son autre petit-fils Pelleas à rester au château pour veiller son père alors que celui-ci a pourtant pour projet de partir au loin, ce qui lui permettrait d'échapper à ce qui s'annonce. A l'opposé de l'arbre généalogique, le jeune Yniold semble voir en rêve des prémonitions dramatiques, mais il sera aussi l'agent plus ou moins consentant de la révélation de la tromperie à son père. Les personnages énoncent à plusieurs reprises le sentiment qu'un malheur va se produire, et la mort envisagée du père des deux frères (que l'on ne verra jamais dans la pièce) laisse planer cette atmosphère malsaine et occulte dans les esprits le réel drame qui se joue.



J'ai lu également que le théâtre symboliste était réputé pour sa misogynie. Il est vrai que le personnage de Melisande, princesse abandonnée au fin fond de la forêt, ne sachant pas bien pourquoi elle est là et qui se révèlera être finalement celle par qui le drame arrive n'est pas un personnage des plus valorisants pour la gent féminine. Mais à de nombreux moments, les personnages semblent plutôt ridicules dans leurs agissements, leurs peurs, leur cris d'effroi face à des situations qu'ils ne maîtrisent aucunement. Pelleas et Golaud n'apparaissent pas particulièrement comme des modèles de maîtrise et de bravoure, mais bien plutôt comme des pantins désarticulés ne comprenant rien à ce qui leur arrive.



Si je devais tenter une analyse sans doute simpliste de l'oeuvre, je dirais que Maeterlinck nous démontre l'inutilité d'un combat face à une histoire déjà écrite, la faiblesse des hommes face à la jalousie, au désir. Ou à l'inverse, peut-être nous incite-t-il à davantage observer les signes, à davantage nous faire confiance dans nos prises de décisions qui nous permettraient d'éviter le pire. Vous le voyez, comme souvent avec les symboles, chacun peut facilement décider de ce qu'il aura lui-même envie de leur faire dire.
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La Princesse Maleine

Alors, alors, alors. Voilà que nous allons nous attaquer à un gros morceau, qui m'aura donné du fil à retordre. On aurait pu penser que le gros morceau en question, ce serait, par exemple, Oedipe Roi de Sophocle. Même pas. Attention, je ne dis pas que Sophocle, c'est du gâteau. Mais j'ai réellement cru que La Princesse Maleine allait venir à bout de moi. Préparer cette critique, c'était pire que de m'atteler à celle des Suppliantes (si vous avez lu ma critique des Suppliantes, vous savez de quoi je parle ; pour ceux qui ne l'ont pas lue, c'est mal). Et pourtant, je me souviens bien d'avoir écrit en commentaire sous une critique de 5Arabella (innocente que j'étais!) que La Princesse Maleine, ça se comprenait assez facilement. Ah ah ! Ah ah ah !





Nous allons donc nous pencher sur les débuts de Maeterlinck, ce que je ne renouvellerai pas par la suite (car oui, vous allez supporter mes critiques de Maeterlinck pendant un certain temps). Maeterlinck était un paisible avocat, mais peu doué selon ses dires, et bien plus attiré par la littérature que par le droit. Fréquentant le milieu symboliste, notamment Villiers de L'Isle-Adam dont la personnalité l'a beaucoup marqué, il s'engage peu à peu dans la voie d'une littérature plutôt audacieuse pour l'époque. Il avait bien écrit deux ou trois petits trucs avant, comme le massacre des innocents ou Machins typhoïdes (j'ai pas le titre en tête, mais j'ai lu le texte, j'ai pas capté grand-chose et surtout ça ne m'intéressait pas trop)... Ah oui, c'est pas Machins typhoïdes mais Visions typhoïdes, ce qui sonne effectivement mieux. Mais passons. Donc après ces deux textes, dont le second annonçait tout de même un certain mysticisme qui allait marquer toute la littérature de Maeterlinck, et peut-être surtout ses essais, voilà notre jeune Maurice (c'est son prénom) qui, suivant les conseils de Villiers, se lance en 1889 dans un genre alors complètement novateur (j'ai nommé le symbolisme) avec la publication d'un recueil de poésie, Serres chaudes. Va suivre la même année une pièce de théâtre, La Princesse Maleine.





Maeterlinck a pas mal, sur ses vieux jours, décrié La Princesse Maleine, mais nous n'en tiendrons pas compte. Les artistes qui crachent sur ce qu'ils ont réalisé lorsqu'il étaient plus jeunes et plus fougueux (ou les acteurs qui crachent sur les rôles qu'ils ont joués, comme Alec Guinness ou Ewan McGregor, alors que franchement, c'est plutôt Adam Driver qui pourrait se plaindre, mais passons), on a l'habitude. Le fait est que Maeterlinck pouvait bien dire ce qu'il voulait, La Princesse Maleine a tout de même jeté un petit pavé dans la mare du théâtre francophone de la fin du XIXème. Ce qui se créait sur scène, c'était pour beaucoup du boulevard ou du théâtre "réaliste". Or il n'existe rien de plus opposés que Maleine et le réalisme. Psychologie dans Maleine : zéro. Décor du quotidien : zéro. Dialogues un minimum naturels : zéro. Intrigue qui met en scène la société contemporaine : zéro. L'intrigue est d'ailleurs d'une grande simplicité. Entendons-nous, quand je répète "zéro', ça n'est pas pour dire que La Princesse Maleine, c'est nul. C'est juste que ça ne rentrait pas, à l'époque, dans le moule du théâtre contemporain. Bien sûr, il y eut des précédents, comme le théâtre de Villiers de L'Isle-Adam (peu connu aujourd'hui). Mais il me semble que, d'un point de vue formel, Villiers ne s'était pas aventuré sur des terres aussi exotiques que celles explorées par Maeterlinck. Il est fort possible, voire probable, que je n'aie pas connaissance d'autres tentatives dramaturgiques tout aussi novatrices mais qui eurent moins de succès. Je fais avec ce que j'ai sous la main, et vous pardonnerez mes limites.





J'ai donc dit que l'intrigue se révélait fort simple. Il est justement essentiel de parler de l'histoire, parce qu'elle est très proche de celles des contes traditionnels, et en particulier d'un conte des frères Grimm, Damoiselle Maleen - mais aussi de beaucoup d'autres contes. Dans une Hollande fantasmée, le roi Marcellus va donc marier sa fille, Maleine, au prince Hjalmar, fils du vieux roi Hjalmar (oui, oui, ça rappelle bien un certain Hamlet, fils de Hamlet). Phénomènes climatiques inquiétants se multiplient, annonçant, paraît-il, de mauvais présages. Et comme par hasard, le vieux Hjalmar entre dans une furie sans nom, insultant son hôte et mettant un terme aux noces. Les parents de Maleine lui demandent d'oublier le prince Hjalmar, mais pour son malheur et celui de tout le royaume, elle s'obstine à répéter qu'elle l'aime. Et se fait enfermer dans une tour, avec sa nourrice, ne sachant rien de ce qui se passe à l'extérieur. Quand enfin elles réussissent, on ne sait au bout de combien de temps, à en sortir, la guerre a ravagé le royaume et tout le monde est mort. Errant dans la forêt, elles arrivent enfin dans une ville, et pour tout dire, dans la gueule du loup : elles sont dans le royaume du vieux Hjalmar. Maleine est engagée comme suivante d'Uglyane, fille de la reine Anne, épouse par conséquent du vieux Hjalmar ; notez le jeu de mots sur le nom propre Uglyane, basé sur l'adjectif anglais "ugly" : on est en plein dans l'histoire de la fausse et laide fiancée des contes. Uglyane est promise à Hjalmar. Mais Hjalmar aime toujours Maleine, qu'il croyait morte, et découvre bientôt sa véritable identité. Finies les fiançailles avec Uglyane ! Sauf que la reine Anne n'apprécie pas plus que ça... Et vous savez comme les marâtres peuvent être méchantes dans les contes. Mais voilà, ça ne finit pas comme dans les contes.





C'est du théâtre d'atmosphère, et par conséquent, ça passe ou ça casse. Les dialogues sont faits de répétitions, de répétitions, et de répétitions. Non seulement les personnages répètent ce qu'ils viennent de dire, mais ce qu'ils viennent de dire est repris par d'autres personnages. Ce qui créée une ambiance pour le moins étrange, où les personnages ne sont pas des personnes en chair et en os, mais plutôt des "figures de cire" ; on dit beaucoup dans Maleine que Untel ou Unetelle a un teint de cire, ressemble à une poupée de cire. Maeterlinck écrira d'ailleurs un peu plus tard ce qu'il appellera Trois petits drames pour marionnettes. Non pas qu'il ait voulu réellement remplacer les acteurs par des marionnettes, mais parce qu'il cherchait à casser toute sensation de réalisme pour le spectateur. C'est assez difficile à exprimer, surtout lorsqu'on n'a pas lu tous ses articles et essais sur le théâtre, mais chez Maeterlinck, il y a un besoin d'accéder à quelque chose qui transcende le visible, qui transcende ce qui est directement accessible par les sens, ce qui est compréhensible immédiatement dans les dialogues. C'est typique du symbolisme, mais chaque artiste symboliste suivait sa propre voie, et la sienne est très spécifique. Je ne vais pas m'étendre sur les notions de théâtre du silence et de théâtre statique, car il existe pléthore d'analyses sur le sujet, mais ce qu'on peut en retenir, lorsqu'on n'est pas un exégète de Maeterlinck, c'est que ce que les personnages, s'ils ne se taisent pas tant que ça dans Maleine - encore que leurs phrases soient coutres, voire écourtées -, ne disent quasiment que des phrases ou des mots qui pourraient paraître dénués de sens, mais qui trouvent leur sens profond dans la façon dont ils sont constamment repris.





Et ce qui revient beaucoup dans La Princesse Maleine, insidieusement, c'est la maladie. Je ne sais combien de fois il est dit que Maleine est malade, mais aussi que Uglyane est malade, que la reine Anne a été malade, que le vieux roi Hjalmar a l'air malade. La maladie s'insinue partout dans le château, et la reine Anne dit d'ailleurs que tout le monde y tombe malade dès lors qu'il y pénètre. Et avec la maladie, c'est forcément la mort qui s'invite, comme le montre le cimetière qui s'étend toujours davantage autour du château. Partout, des signes de mort. Partout, le motif du sang. Et des phénomènes qui sont des avertissements sans cesse renouvelés, dont les phénomènes météorologiques. le monde du château est lié au cosmique - ce qui vous rappellera sans doute le théâtre élisabéthain. C'est que, allant à contre-sens des valeurs qui sont celles de la fin du XIXème siècle, on est avec Maleine dans un monde analogique, pour reprendre la terminologie de l'anthropologue Philippe Descola, monde où le microcosme trouve forcément sa correspondance dans un macrocosme, et qui a fait place à la Renaissance à ce que Descola appelle un monde naturaliste (qui fera coupure entre les humains et la nature, pour faire court). Maleine, c'est donc tout le contraire du monde naturaliste dans lequel vit Maeterlinck et dont il rejette les valeurs. Sa pièce vise à faire ressentir qu'il existe un lien entre le réel et autre chose, quoique ce soit, quelque chose qui se trouve au-delà des apparences - ce que les surréalistes, ces cousins des symbolistes, appelleront le surréel.





La Princesse Maleine est donc une pièce qui, si vous êtes sensible à son atmosphère étrange, vous happe d'abord par ce biais, mais vaut aussi le coup d'être lue et relue pour l'analyse qu'on peut en tirer - et chacun peut trouver son compte à la disséquer, s'il en a envie. Elle n'est pas sans défaut, avec un dernier acte assez outré, où les personnages, qui disaient déjà assez souvent "oh ! oh !" auparavant, en rajoutent une couche, avec en sus des "ah ! ah ! ah !". Vous voilà prévenus ! Reste que Maeterlinck vaut vraiment le coup d'être découvert ou redécouvert. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler...







Challenge Théâtre 2020





La Princesse Maleine par Léon Spilliaert :

http://musardises-en-depit-du-bon-sens.over-blog.com/2020/04/la-princesse-maleine-leon-spilliaert-1910.html
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L'intruse

Je considère L'Intruse comme une des plus belles pièces du théâtre symboliste de Maeterlinck, et, oui, je la préfère nettement à Pelléas et Mélisande. Maeterlinck avait décidé d’abandonner la poésie après Serres chaudes, et l'idée de L'Intruse, d'abord intitulée L'Approche, a fait bien du chemin avant de trouver sa forme définitive. Il fut même question d'une espèce de trilogie par Grégoire Le Roy, Charles van Lerberghe et Maeterlinck sur la même thématique : l'approche de la mort. Si Le Roy abandonna l'idée, Lerberghe et Maeterlinck lui donnèrent forme.





Les influences et les sources sont donc multiples, mais, heureusement pour nous, beaucoup moins nombreuses que dans le cas de La Princesse Maleine. Pour l'essentiel, il s'agit de deux contes, l'un des Frères Grimm et l'autre de Friedrich de la Motte-Fouqué, ainsi que d'un poème de Dante Gabriel Rosssetti. Et évidemment, chacun reconnaîtra la référence au conte de La Barbe Bleue dans les variations de la question maintes fois répétées : "Tu ne vois rien venir, Ursule ?"





L'Intruse possède également une histoire éditoriale un peu particulière. Publiée d'abord seule dans la revue symboliste La Wallonie en 1890, elle fut ensuite éditée, suite à un choix de Maeterlinck, sous le titre Les Aveugles avec la pièce du même titre, laissant penser à un diptyque. Sauf qu’aujourd’hui, elle fait partie d'un triptyque appelé La Petite Trilogie de la mort (tout un programme ! Bon, c'est Maeterlinck, donc...), avec Les Aveugles, toujours, mais aussi Les Sept Princesses. Mais ce serait oublier qu'on peut aussi la considérer comme composant un diptyque avec une pièce plus tardive, Intérieur - ce sur quoi nous reviendrons. Et on pourrait même aller jusqu'à La Mort de Tintagiles, pendant qu'on y est.





Maeterlinck distinguait trois lectures de L'Intruse, dont la première aurait consisté à subir une conversation familiale ennuyeuse. Comme j'ai eu mon lot de pièces qui présentaient réellement, à mon avis, des conversations et des situations ennuyeuses, et que je ne range pas L'Intruse dans cette catégorie, nous allons passer directement aux second et troisième niveaux de lecture ; d'autant que Maeterlinck, malgré sa passion pour l'ésotérisme et la spiritualité, n'a nullement cherché à rendre sa pièce inaccessible.





Ce qu'on voit sur scène, c'est une famille constituée de l'aïeul (aveugle), du père, de l'oncle, et des trois filles, dans une salle sombre, dans un vieux château. On devinerait difficilement que cette famille habite un château, tant elle est présentée comme ordinaire, si ce n'était précisé dans les didascalies et, surtout peut-être, s'il n'était question de souterrains... Cette famille n'est pas au complet. Dans deux autres chambres, invisibles, la mère, dont on attend la guérison après un accouchement très difficile, et le nouveau-né, qu'on n'entend jamais et qui est qualifié par l'oncle "d'enfant de cire". D'autres personnages sont également présents, mais hors-champ, ou plutôt hors-scène, dont on ne verra pas la plupart : une sœur de Charité qui s'occupe de la mère et qui n'apparaîtra qu'à la toute fin, une nourrice partie se reposer, une servante qu'on ne verra qu'un instant, la sœur du père et de l'oncle, mère supérieure d'un couvent (oui, les religieuses pullulent chez Maeterlinck, avec beaucoup de jeux de langage sur le mot "sœur"), dont on attend avec empressement et anxiété la venue, un jardinier, dont on ne sait s'il est vraiment là, dehors, mais dont on entend la faux.





De même, tout se passe dans la même salle, en intérieur, en huis-clos même, bien que tout un décor hors-scène soit sans cesse mentionné : l'allée par laquelle on guette la venue de la sœur et mère supérieure du couvent, la lune, les étoiles, le jardin, l'extérieur en général dont on se méfie sans cesse. Les portes sont ouvertes sans que l'on comprenne pourquoi, l'une d'elle paraît soudain impossible à fermer, le son de la faux est insupportable, et l'on entend - ou pas - des bruits de pas qui indiqueraient que quelqu'un est entré, ou s'apprête à entrer. La grande idée de Maeterlinck pour L'Intruse, ça a sans douté été de jouer ainsi sans cesse sur le hors-scène. Lorsqu'il composera Intérieur, il reprendra ce procédé, mais en l'inversant, ce qui donnera aux deux pièces un curieux air de symétrie.





L'Intruse, c'est l'exemple même de ce que Maeterlinck appellera dans un essai de 1896 "le tragique quotidien". Pas de passions, pas d'action, juste des gens ordinaires qui attendent autour d'une lampe. Ce qui semblerait à première vue - et Dieu sait si la vue a son importance dans cette pièce -, c'est que la malade, couchée dans une chambre "à côté", aille mieux. Le médecin l'a dit. Ou l'aurait dit. C'est la voix du bon sens qui parle, celle du père, et, plus encore, celle de l'oncle. L'aïeul n'y croit pas une seconde, il sent bien que sa fille va plus mal. D'où les tensions entre les différents protagonistes, les trois filles, trois sœurs qui forment presque une seule entité, faisant le lien entre l'aïeul, le père et l'oncle. Mais la tension qui monte tout au long de la pièce n'a rien de psychologique. La véritable tension, c'est la sensation que la mort arrive, qu'elle va s'insinuer dans la maison, qu'elle y est déjà, assise aux côtés de l'aïeul. Les personnages les plus terre-à-terre seront eux-mêmes gagnés par le malaise grandissant, dont l'aïeul perçoit, lui, les signes depuis le début.





L'idée de Maeterlinck, et c'est là qu'il faut parler de troisième lecture, c'est que l'aïeul est en lien avec un univers invisible et indescriptible. L'aïeul le dit d'ailleurs, il n'arrive pas à dire ce qu'il faudrait dire, on n'arrive jamais à dire ce qu'il faudrait dire - motif constant chez Maeterlinck - et il sent terriblement sa solitude alors que le père et l'oncle se veulent rassurés, sinon rassurants. Quoique rassurés, comme je le disais, ils ne le resteront guère, rattrapés par le tragique quotidien. Sans aller trop loin dans la métaphysique et l'ésotérisme chers à Materelinck, que je n'ai personnellement pas suffisamment étudiés -et c'est rien de le dire -, il y a dans L'Intruse l'idée que l'être humain est seul face à un monde qui lui est inaccessible. Avec le personnage de l'aïeul, on retrouve cette idée de lien, comme dans Maleine, entre un microcosme (la famille, la salle où elle se tient) et un macrocosme représentés par la lune, les étoiles, les cygnes dans le jardin.Or, à l'arrivée de la mort, le père, l'oncle, resteront du côté du visible, du tangible, mais les trois filles y passeront également avec eux, pour aller accomplir les rites funéraires. Et l'aïeul, pourtant pénétré d'une intuition qui fait défaut aux autres, au moment où justement se révèle tout ce qu'il avait deviné, senti, au moment où il est plus que jamais lié à ce monde de l'invisible, reste plus que jamais seul dans des ténèbres insondables.







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L'oiseau bleu

Et voilà comment je suis tombée du côté lumineux et gnangnan de la Force, alors que je me plaisais tant du côté obscur...



L'Oiseau bleu doit être la pièce de théâtre la plus connue de Maeterlinck avec Pelléas et Mélisande ; seulement, elle date de 1906 (pour être publiée en 1909 seulement), et marque un tournant déjà amorcé chez l'auteur, mais version mièvre. N'auraient été quelques répliques de la fin et le concept de symbiose universelle, je pense que j'aurais été encore plus impitoyable avec cette pièce d'un auteur dont j'aime tant le premier théâtre. Celui qui est sombre.





Ici, une pièce de Noël avec tous les ingrédients des Märchen des frères Grimm, plus un soupçon de Miyazaki en prime. de quoi faire envie, mais en fait non. Déjà, je ne trouve pas cette pièce bien construite. le début voit les deux enfants de la pièce, Tyltyl et sa soeur Mytyl, être abordés par une vieille inconnue la veille de Noël (bon, oui, c'est une fée) qui leur demande tout de go d'aller chercher un oiseau bleu qu'ils ne savent absolument pas où trouver (sauf qu'on devine très vite où ils finiront par le trouver, premier hic), tout ça pour soi-disant soigner la petite-fille de la vieille en question. Pourquoi eux ? Mieux, les objets (comme le sucre, le pain, etc.) et les animaux de leur entourage vont se révéler à eux avec leur âme et leur vie propres grâce à la magie, il se décideront à accompagner les enfants (la fée a d'autres trucs à faire, apparemment)... mais on leur annonce qu'ils sont condamnés à mourir à la fin du voyage. Sans que ça ne dérange ni ladite fée, ni Tyltyl et Mytyl. Question empathie, ils sont un peu en manque, les deux marmots. Donc, ils ne partent pas parce que, comme d'habitude chez Les Grimm et consorts, ils doivent surmonter une épreuve qui leur est imposée. En gros, ils partent en voyage pour rien, vu qu'ils ne savent même pas si la petite-fille de la fée existe réellement ou si c'est une ruse. Oui, bon, il s'agit bien d'une épreuve, en fait, mais ils ont pas du tout saisi le truc, ils se contentent d'obéir bêtement à une inconnue (c'est mal et très dangereux, pauvres fous !)





Tyltyl et Mytyl incarnant l'humanité, ils vont passer par une série de lieux énigmatiques pendant leur voyage bien évidemment initiatique : et que je rencontre mes grands-parents morts auxquels je ne pense jamais d'habitude, et que je rencontre la Nuit et les peurs ancestrales (visiblement pour la plupart vaincues par les hommes, ce que nous apprenons grâce à Maeterlinck, alors que nous étions bizarrement plutôt persuadés du contraire), tout en en profitant pour faire crever des oiseaux qui n'avaient rien demandé parce que j'ai cru qu'ils étaient tous le fameux oiseau bleu et qu'un seul ne me suffisait pas ; et que je me retrouve assailli par de méchants arbres et de vilains animaux qui m'en veulent carrément alors que je n'ai fait que les abattre et les bouffer pendant des millénaires (franchement, quel petit esprit revanchard possèdent les non-humains !) ; et que j'aille dans un lieu étrange appelé le Cimetière avec des tas de fleurs qui poussent partout ; et que je découvre que les vrais bonheurs, c'est pas d'être riche ou de bouffer à s'en faire péter la panse ; et que j'aille rencontrer les enfants qui viendront à naître ; et que je ne trouve pas l'oiseau bleu (quoique sur ce point, ce soit tout sauf clairement expliqué), et que je rentre chez moi pour Noël, et que... devinez quoi !!! (Rappelez-vous, ça s'appelle L'Oiseau bleu, je dis ça, je dis rien.)





Ca déborde de clichés comme le chien fidèle et la chatte sournoise, avec le nadir des clichés sous la forme de l'Amour maternel parce que les mamans sont évidemment tellement et toujours super gentilles. Certains tableaux sont totalement inutiles, comme celui du Jardin des bonheurs, parce que dès le premier tableau on avait très bien saisi que la morale de l'histoire, c'était que le bonheur se trouve devant son nez et pas chez les voisins pleins aux as (enfin, dites-ça à tous les êtres vivants qui crèvent de faim, ils verront peut-être les choses légèrement différemment). Et donc là, je me dis que Maeterlinck s'est terriblement embourgeoisé, littérairement parlant.





Bien sûr, comme il s'agit là d'un voyage initiatique, les enfants vont apprendre : à écouter l'eau, à voir la forêt, à voir la lumière de l'aube et de la lune. Ils auront réussi à déchirer le voile que protégeait la Nuit, et nous retrouvons là l'intérêt de Maeterlinck pour l'ésotérisme, le mysticisme, le mystère d'un monde invisible, qui prend l'apparence d'une aptitude de certains humains - car comme le disent la chatte, la Nuit, les arbres et d'autres, la plupart des humains ne voient rien du tout et pourraient tout souiller s'ils accédaient à cette forme de connaissance supérieure - à opérer une symbiose avec le reste de l'univers. Vous êtes passés du côté lumineux de la Force.





L'idée est attrayante, mais mise en scène dans une féérie qui la transforme en une sorte de divertissement pour enfants : décors, costumes, effets spéciaux, Maeterlinck n'a lésiné sur rien. Ce qui gâche le propos, d'autant que Mytyl est pleurnicharde et Tyltyl très agaçant, et nous conduit à nous demander pourquoi on a bien pu les choisir pour cette mission délicate et cet accès à une connaissance pour lesquels ils ne souffriront quand même pas beaucoup (de longues années de yoga, c'est bien plus fatigant). Bon, il y a une histoire d'amour là-dessous (qui ne tient pas très bien la route, qui plus est), mais franchement, brader le dévoilement d'un des plus grands mystères à cause d'une amourette, c'est faire pénétrer les personnages dans les dédales obscurs (enfin non, lumineux pour le coup) de l'ésotérisme pour pas grand-chose, hein.





Et vingt dieux, qu'est-ce que c'est gnangnan ! Maeterlinck ne m'avait pas habituée à ça (c'est-à-dire à un théâtre aussi simpliste), c'est le moins qu'on puisse dire. Mais je comprends mieux pourquoi il a été nobelisé en 1911... Ca n'est certainement pas pour L'Intruse, Les Aveugles, ou Intérieur !


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Le massacre des innocents

Ce texte, originellement écrit et publié en 1886, a connu deux versions. Il marque aussi le tout début de la carrière de Maeterlinck.





Le titre évoque évidemment le passage du Nouveau Testament qu'on trouve dans l'Évangile de Matthieu, mais le récit se rattache en fait aux révoltes qui secouèrent les Pays-Bas espagnols aux XVème et XVIème siècles, jusqu'à l'indépendance des Provinces-Unies de 1579. L'influence de Maeterlinck ne vient pas de la Bible, mais du tableau de 1565 de Pieter Bruegel, qui devint d'autant plus d'actualité après l'intervention du duc d'Albe en 1567 - gouverneur des Pays-Bas espagnols - et les massacres qui en résultèrent.





D’ailleurs, il est impossible de s'y tromper ; si le nom de Bethléem est bien cité, les soldats qui entrent dans le village et massacrent la totalité des enfants, plus quelques adultes, sont désignés comme des Espagnols. Le texte fait donc bien référence à l'histoire des Pays-Bas. Mais ce récit allait devenir problématique dans un contexte différent.





En effet, le texte qu'on peut lire en général aujourd'hui est une version publiée en 1916 à Paris dans un recueil intitulé Débris de la guerre ; le début du Massacre des innocents a alors été supprimé. C'est que l'histoire commençait à l'origine avec une partie consacrée à des paysans flamands tuant des soldats espagnols, sans doute par vengeance. La suite, donc le texte de 1916, montrait donc une expédition punitive de Espagnols - ce qui n'enlevait rien à l'horreur du massacre. Or en 1916, en pleine Première Guerre mondiale et occupation allemande de la Belgique et de la France - Maeterlinck s'étant réfugié aux Pays-Bas -, le texte original posait un gros problème. Des hommes qu'on appelait "francs-tireurs" tuaient des soldats allemands, ce qui était souvent suivi d'expéditions punitives allemandes. Dans ce contexte, Le Massacre des innocents dans son entier semblait y faire directement référence, et Maeterlinck a jugé que mieux ne valait pas jouer avec le feu. D'où la première phrase étrange du texte de 1916, qui n'a pas été retouchée et semble sortie de nulle part : "Le lendemain, on l'enterra, et il n'y eut plus d'événements extraordinaires à Bethléem cette semaine-là."





Pour ce qui est de la qualité littéraire, il s'agit d'un texte de jeunesse, et, comme l'a dit Maeterlinck, il relevait surtout de l'exercice puisqu'il s'agissait de transposer à l'écrit le tableau de Bruegel. Mais aussi, bien entendu, de dénoncer les horreurs commises dans les Pays-Bas espagnols, et bien encore davantage les horreurs de la guerre en général.





Villiers de L'Isle-Adam lut le texte et conseilla à Maeterlinck de travailler un style et une voie qui lui seraient propres - "l'étude des âmes". Le Massacre des innocents n'est en effet pas un mauvais texte, mais il ne recèle rien de très spécifique, si ce n'est qu'on peut y repérer, déjà, les motifs qui seront bientôt la marque de Maeterlinck dans son théâtre symboliste : sacrifice, martyre, cruauté, mort.
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Les Aveugles

Les Aveugles fut composée plus ou moins pendant la même période que L'Intruse, et publiée également en 1890. La pièce repose sur deux idées assez similaires à celles de de L'Intruse, à savoir la présence de la mort parmi un groupe de personnes et la polarité aveuglement / clairvoyance. Les deux pièces ont évolué en même temps, mais sur des registres assez différents.





Dans Les Aveugles, le décor est posé très précisément : dans une forêt, un prêtre, mort, se trouve vers le fond de la scène, adossé à un arbre. Un peu plus en avant sont assis douze personnages (plus un bébé porté par sa mère, mais qui n'est pas indiqué dans la liste de personnages par Maeterlinck). Si ça vous rappelle vaguement quelque chose, c'est normal. D'un côté, six hommes, de l'autre six femmes, séparés par une vieille souche, tous aveugles, tous plus ou moins ternes et surtout vieux, excepté en ce qui concerne deux personnages, l'une qu'on dit folle et qui tient son bébé (elle peut donc difficilement avoir soixante-dix ans), l'autre dit de La Jeune Aveugle, dont les cheveux... en fait on ne sait pas très bien comment sont ses cheveux, la didascalie indiquant que "sa chevelure inonde tout son être". Didascalie typiquement à la Maeterlinck, qui va permettre de comprendre que dès le départ que ce personnage est le plus clairvoyant, le plus positif de tous.





Question dialogues, si vous n'aimez déjà pas ceux à la Pelléas et Mélisande, il y a peu de chances que vous soyez tenté par ceux des Aveugles. Les personnages ne dialoguent pas vraiment, du moins pas tout le temps, ils ne s'écoutent pas forcément, et se parlent beaucoup à eux-mêmes. Les dialogues reflètent l'intériorité des personnages, et la montée d'une angoisse due à leur situation pénible. Car si nous, nous savons que le prêtre est mort, eux ne le savent pas. Pas d'action, mais une attente qui semble interminable de toutes ces personnes aveugles, dont on va apprendre qu'elles vivent dans un hospice, que le prêtre qui s'occupe d'eux les a emmenés en "promenade" (tu parles d'une promenade !), dans une forêt inconnue, puis les a laissés seuls, sous un prétexte peu clair ; peut-être pour aller chercher à manger, peut-être pour aller voir une île qu'il n'a encore jamais pu voir. Hum, ça ferait vaguement penser à un truc genre L'île des morts de Böcklin ; je dis ça, je dis rien. Pour ne rien arranger, on va apprendre que ces aveugles sont déjà coincés sur une île, et que le prêtre leur a dit que la mer menaçait de se déchaîner et d'envahir l'île... Et donc les voilà dans un endroit qu'ils ne connaissent pas, à attendre quelqu'un qui ne reviendra pas. Ils vont passer leur temps à se demander où ils sont, où est le prêtre, mais aussi comment ils sont positionnés les uns par rapport aux autres, car assis comme ils le sont, ils ne peuvent même pas se toucher. Ils ont perdu tous leurs repères, et on va se rendre compte petit à petit qu'ils ne savent même plus très bien, voire plus du tout, d'où ils viennent (de quel pays ou de quelle région), ni vraiment qui ils sont. La seule chose qu'ils savent, pour la plupart d'entre eux, c'est qu'ils sont vieux, et qu'ils voudraient bien être ailleurs, et qu'attendre le prêtre dans ces conditions leur fiche la trouille.





Pièce à la tonalité mortifère, mais comme la totalité du théâtre symboliste de Maeterlinck. Les Aveugles a pour influence des passages du Nouveau Testament, avec la parabole des aveugles qu'on trouve dans Matthieu et Luc (donc oui, j'ai ressorti la Bible pour l'occasion), ainsi que celle des dix vierges. On ne va pas s'attarder là-dessus, d'abord parce que c'est trop pointu pour que je m'aventure en des contrées trop peu connues de moi, ensuite parce que, de toute façon, la spiritualité teintée d'ésotérisme de Maeterlinck n'est pas chrétienne en soi, mais puise à de nombreuses sources. On notera tout de même que ce n'est pas seulement la parabole de la Bible sur des aveugles qui guident des aveugles qui a inspiré Maeterlinck, mais aussi le tableau de Brueghel L'Ancien sur le même thème ; or, la peinture de Brueghel lui avait déjà servi d'inspiration pour un de ses premiers textes, Le Massacre des innocents.





Ce qui est le plus prégnant dans la pièce, ce n'est d'ailleurs pas tant l'interprétation que suggéreront les sources bibliques, que le climat morbide qui atteint tous les personnages ; si on a d'abord l’impression d'un groupe uni, il n'en est finalement rien, ce serait-ce que par la disposition des personnages sur la scène, mais aussi par leurs particularités. Maeterlinck distingue des aveugles-nés, un vieil aveugle, un aveugle sourd (ah ben oui, carrément), une vieille aveugle, une aveugle avec un enfant, une jeune aveugle, etc. Le tout sur fond de litanies murmurées sans cesse par trois vieilles - c'est récurrent chez Maeterlinck, cette histoire de vieilles ou, plus souvent, de religieuses qui chantent ou qui se baladent sur la scène en foutant les jetons. On remarquera d'ailleurs que nos aveugles pensent un moment que les religieuses de l'hospice vont partir à leur recherche, puis se ravisent puisque de toute façon, elles ne s'occupent jamais d'eux - du moins c'est le sentiment qu'ils ont, et ils ont de quoi se sentir abandonnés vu leur situation critique et flippante. Et j'ai pas remarqué que les religieuses et autres nonnes aidaient beaucoup les personnages dans le théâtre de Maeterlinck... Donc, un groupe d'aveugles perdus, mais qui réagissent différemment, les aveugles-nés étant les plus décidés à ne pas bouger en attendant la venue... mais la venue de quoi, ou de qui ? Certains vont bouger, l'enfant va pleurer, un bruit de robe, peut-être, puis de pas se font entendre. Plus personne ne s'entend à la fin car tout le monde parle en même temps, or...





Au-delà de l'attente sans fin et angoissante qui assaillit les personnages de toutes parts, il y a cette question de la clairvoyance, essentiellement incarnée par La Jeune Aveugle. Des aveugles qui guident des aveugles, bon, mais certains sont bien moins aveugles que d'autres, et elle en particulier se lève pour aller embrasser son destin sans peur. Je n'en dis pas plus. On retrouve l'idée de la clairvoyance de l'aveugle qu'on trouvait dans L'Intruse, mais qui ne servait à rien au personnage de L'Aïeul, alors qu'elle apporte une forme de connaissance à La Jeune Aveugle, et la possibilité de pénétrer plus loin que le monde visible. Mais j'oserai affirmer - et ça vaut en gros pour toutes les pièces symbolistes de Maeterlinck - que peu importe si cette intention de l'auteur n'est pas immédiatement compréhensible, voire pas du tout ; on n'a pas forcément envie d'aller jusque-là, ça n'intéressera pas forcément le lecteur ou le spectateur. La pièce est composée de façon à ce que le sujet de la mort qui rôde soit le plus fort, le plus marquant, le plus obsédant, et, comme dans toutes les pièce symbolistes de Maeterlinck, on a là affaire à un théâtre d'atmosphère par laquelle il faut se laisser porter - une atmosphère d'angoisse, terriblement mortifère.







Challenge Théâtre 2020
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Les Sept Princesses

Alors déjà, résumer l'intrigue des Sept Princesses tient du véritable défi, vu que, comme d'habitude dans le théâtre symboliste de Maeterlinck, il n'y a justement pas d'intrigue, ou si peu. Une vieille reine et un vieux roi regardent régulièrement, souvent, dormir leurs sept petites-filles dont ils disent qu'elles sont malades - et qui dorment vraiment beaucoup - à travers une grande vitre. Arrive leur petit-fils, cousin des princesses, qu'ils semblaient attendre depuis une éternité ; en tout cas depuis des années. Aux paroles des grands-parents, on comprend que les sept princesses, dont les parents sont morts, s'alanguissent et s'étiolent toujours davantage dans le château des deux vieillards, sortant de moins en moins en moins, s'enfermant chaque jour davantage dans une pièce où elles dorment bien plus que de raison - de quoi affoler les grand-parents. Le prince décide les vieillards à agir et se charge d'aller les réveiller...





Vous aurez compris que des jeunes filles qui dorment de façon peu naturelle et tout le temps, c'est une métaphore de la mort qui guette, qui se tient toute prête dans l'ombre, qui plane sur tout l'environnement des personnages - environnement qui lui-même montre des signes de déliquescence, mais aussi de départ pour un ailleurs (avec un bateau qui s'en va au loin, des cygnes, etc.). Rien d'étonnant à cela, la mort, la métaphore de la mort, c'est le grand sujet des huit premières pièces de Maeterlinck, et particulièrement à partir de L'Intruse. Ici, Maeterlinck joue aussi une fois de plus avec les motifs des contes de fées, et notamment (même si pas seulement) avec le conte de La Belle au bois dormant. Sauf qu'il a retourné, tordu si l'on peut dire, le coup du prince charmant qui réveille la princesse endormie (vous devinez probablement comment).





Ce qui est remarquable chez Maeterlinck, c'est que s'il a traité de façon à peu près évidente le sujet de la mort, et surtout dans L'Intruse, Les Aveugles, Les Sept Princesses, Intérieur et La Mort de Tintagiles, il a souvent utilisé des procédés scéniques bien différents. On pourrait avoir l'impression qu'il montre un peu toujours la même chose (et c'est pas totalement faux, au fond), mais c'est un pur dramaturge, qui s'est toujours posé dans ces pièces-là la question de la mise en scène, de la scénographie. Même si on peut penser ici à d'autres pièces à cause du château à l'ambiance mortifère, le décor en lui-même est très original. Ce ne sont pas les personnages qui parlent, le roi, la reine, le prince Marcellus, que le spectateur voit d'abord, mais essentiellement une grande pièce où se trouve un escalier à sept marches, chaque marche étant occupée par une des jeunes filles qui dort ; la jeune fille sur laquelle se focalise plus ou moins la pièce, Ursule (l'amoureuse du prince), se tenant sur la marche du milieu. C'est seulement à l'arrière de cette pièce que l'on peut voir une grande baie vitrée qui, c'est à souligner, ne s'ouvre pas, et à travers laquelle Marcellus et les deux vieillards regardent sans cesse, parlent, voire s'agitent. Et c'est seulement derrière eux trois qu'on peut apercevoir vaguement l'extérieur, avec un fleuve à l'aspect délétère.





On en revient bien entendu à ce fameux "théâtre du silence" dont on parle tout le temps à propos de Maeterlinck, les deux vieillards essayant à tout prix de ne pas éveiller les princesses, et s'efforçant (plus ou moins, à vrai dire) de chuchoter. C'est surtout la fonction de la reine d'être terrifiée à l'idée de les réveiller, ou, sans qu'elle le dise, à l'idée qu'elles ne se réveillent plus. C'est elle qui prend conscience de la présence de la mort qui plane sur le château, et en cela elle ressemble à certains personnages de L'Intruse et des Aveugles), le vieux roi se montrant confus, certes imprégné de l'ambiance mortifère qui règne, mais peu conscient de ce qui se joue. Quant au prince Marcellus, il refuse en quelque sorte ce que lui montre la reine, et se veut le libérateur des princesses - ce qu'il sera, mais...





Une des grandes qualités du théâtre symboliste de Maeterlinck, c'est d'être un théâtre d'atmosphère, et il sait manier les bons leviers pour que ça fonctionne - et l'atmosphère est donc bien sensible dans les Sept Princesses. Mais se pose finalement le problèmes des "trois lectures", dont Maeterlinck avait parlé à propos de L'Intruse, lectures qui sont adaptées à toutes ses pièces symbolistes (ou à peu près, je ne suis pas très sûre de moi pour un ou deux cas). Première lecture factuelle, seconde lecture métaphorique (la mort qui pèse et qui arrive pour de bon), troisième lecture... mystique. Alors, autant la lecture métaphorique me convient mais me laisse un rien sur ma faim pour Les Sept Princesses, autant la lecture mystique m'échappe quelque peu. Le mysticisme de Maeterlinck est très personnel, imprégné certes de catholicisme, mais allant bien au-delà (c'est le cas de le dire). Or ici, un peu comme dans Les Aveugles mais de façon beaucoup plus marquée, il y a des références qui ne me sont pas du tout familières, dont la parabole des Dix Vierges - que j'avais quand même lue pour ma critique des Aveugles. Il est question, selon des exégètes de Maeterlinck, du désir de mort qui animerait Ursule (et ses sœurs, qui dorment aussi souvent qu'elle), ce que j'arrive à saisir. Mais aussi de l'accueil d'un époux , comme dans la parabole des Dix Vierges. Et là, j'avoue que je commence à perdre un pied, parce que je n'arrive pas bien à saisir ce que serait cet époux ; si c'est la Mort, je peux comprendre, mais c'est probablement et même certainement encore autre chose... et ça commence à moins m'intéresser, vu que ça reste très vague, voire confus. Il faut dire que je ne comprends pas grand-chose à la parabole des Dix Vierges, qui veillent pour aller à un festin et qui sont accueillies par l'époux et l'épouse, ou bien l'époux tout seul, ou bien le Seigneur... Passons.





Donc oui pour le théâtre "atmosphérique" des Sept Princesses, pour son ambiance mortifère, pour son jeu de références compréhensibles, pour sa métaphore de la mort imminente. Je suis moins emballée si je dois approfondir la lecture mystique en détail pour m'intéresser aux motifs du désir de mort et d'un au-delà mystérieux, d'une part, et par les dialogues un peu trop chargés de "oh ! oh !", d'autre part, qui m'ont rappelé les cris un tantinet excessifs de la Princesse Maleine. C'est cependant une pièce assez prenante, réellement intéressante, et particulièrement d'un point de vue strictement dramaturgique. Mais j'ai comme l'impression, alors que je l'aime bien, que je n'ai pas donné envie de la lire, avec mes histoires de parabole. Hum.
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La vie des fourmis

Mon regard sur la fourmi a inéluctablement changé et ce grâce à l'essai publié en 1930 par Maurice Maeterlinck, prix Nobel de littérature en 1911.

Cet ouvrage est à nouveau disponible grâce aux éditions Archipoche qui viennent de le rééditer. Cet ouvrage savant et sérieux m'a ouvert les portes de la myrmécologie. Une fois maitrisé le vocabulaire technique propre à cette spécialité sa lecture est aisée et très intéressante.

J'ai eu par contre, plus de difficultés à suivre Maurice Maeterlinck dans l'épilogue de son essai. Si la mise en parallèle des 2 évolutions de l'homme et des fourmis me semblent une approche intéressante la connotation religieuse introduite dans son discours m'a fortement gênée à moins que, et c' est bien sur fort possible, je n'ai pas saisi l'entièreté des ses propos.

Un grand merci aux éditions Archipoche et à Babelio pour cette découverte myrmécologienne.
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L'oiseau bleu

Une œuvre théâtrale toute en féérie, digne des plus beaux contes.



Tyltyl et Mytyl sont deux enfants pauvres et vivent avec leurs parents bûcherons. Le soir de Noël, la fée Bérylune leur apparaît et leur demande d'aller chercher l'oiseau bleu seul capable de guérir sa petite fille. Les enfants partent alors dans une quête à travers des mondes merveilleux, accompagnés par des éléments, des choses et des animaux qui prennent la parole.



La féérie commence dès la description des costumes des divers personnages, et se poursuit avec les décors et les jeux de lumière requis. L'auteur propose un univers fantastique dans lequel on entre avec plaisir et on se laisse porter avec son âme d'enfant.

Le propos va toutefois au-delà d'un simple conte de fée. Maeterlinck ne veut pas juste raconter une belle histoire mais plutôt nous faire réfléchir à notre condition d'humain, à notre rapport au monde, à la nature, à notre vie quotidienne. Qu'est-ce que le bonheur? Est-ce partir dans une quête d'absolu ou n'est-ce pas plus simplement apprécier ce qui nous entoure? Pas facile quand, comme Tyltyl, on ne mange pas tous les jours à sa faim… Et puis il n'y a pas que des éléments positifs dans notre monde. Les enfants vont croiser le chemin de forces opposées, d'adversaires de l'homme.



Dans ce texte daté de 1908 ressortent une tendresse singulière dans les rapports humains, un amour respectueux pour la nature et une certaine philosophie de la vie.

J'ai été touchée par cette œuvre qui va me laisser longtemps de belles images en tête.
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Pelléas et Mélisande

Je m'y connais très peu en théâtre, mais j'imagine à quel point cette pièce porte à la fois de nouveauté, voire de révolution à sa sortie tant elle brise les codes tout en s'en jouant, mais aussi de potentialités de mises en scène différentes, classiques, baroques ou débridées.

Bien différente de L'oiseau bleu, seule autre oeuvre que je connais de cet auteur, elle me donne néanmoins cette même sensation d'un univers sous psychotropes. Mais que les oiseaux bleus sont beaux quand on les admire dans les yeux de Mélisande, et que les forêts sont sombres dans lesquelles elle se débat, tout comme le destin de son amour aussi sombre qu'un grotte peuplée de trois vieillards.

Cette pièce est enivrante, exaltée, haletante, mais en même temps étouffante tant son atmosphère de fureur latente et e magie noire fait peur.

A relire, sans doute, pour découvrir de nouveaux sens cachés au premier regard.



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Pelléas et Mélisande

Le prince Golaud ramène en bateau la princesse Mélisande (on ne saura jamais pourquoi elle est triste et a jeté sa couronne dans l'eau) dans le sombre château d'Arkel, son grand-père, roi d'Allemonde, où vit Pelléas, demi-frère de Golaud.



L'amour qui nait entre Mélisande et Pelléas est-il un amour coupable méritant la correction infligée par Golaud?



Maeterlinck a 30 ans en 1892 quand il écrit la pièce dans un courant symboliste (qui me dépasse) et si je retire les décors, le sombre château, les souterrains, la Fontaine des aveugles, restent des dialogues un peu nunuches, des gens qui ne répondent jamais aux questions, des non-dits (plein de trois petits points) mais je suis heureux d'avoir ainsi fait connaissance avec l'auteur.

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La mort de Tintagiles

La Mort de Tintagiles, pièce de 1894, a failli s'intituler La Reine invisible, ce qui vous donne déjà une bonne indication sur la direction qu'elle prend. Un second indice, c'est le sous-titre, ou autre titre potentiel (je n'ai pas bien saisi ce qu'il en était), que Maeterlinck avait utilisé dans ses notes et sa correspondance : l'expression "qui règne en nous-même". On a donc affaire à une pièce qui joue avec une allégorie, et qui se trouve être la dernière du recueil Trois petits drames pour marionnettes. Juste un mot sur la question des marionnettes, que Maeterlinck avait abordé dans un essai : il ne s'agit pas ici d'une pièce écrite pour des marionnettes, je l'avais déjà précisé dans ma critique d'Intérieur, mais d'une volonté de modeler le jeu des acteurs afin qu'ils ne donnent pas dans la psychologie et qu'ils se vident de tout affect personnel. Bref, on est dans l'anti Actor's Studio, le but étant de ne pas donner de consistance psychologique aux personnages et aux situations, mais bien de mettre le paquet sur le symbolisme.





Une spécificité cependant pour La Mort de Tintagiles : je dis souvent qu'il ne se passe rien dans les pièces de Maeterlinck - et c'est pas pour ça que c'est pas intéressant, au contraire. Or, il existe une forme d'action dans cette pièce-ci, d'autant plus préhensible qu'elle est condensée en un temps relativement court. Cela dit, le contexte en est particulièrement flou. Un enfant, Tintagiles, vient de débarquer sur une île et y retrouve ses soeurs, les princesses Ygraine et Bellangère. On ne sait rien de l'île, rien du lieu d'où vient Tintagiles. Juste qu'un "château malade" médiéval (image qui revient régulièrement dans le premier théâtre de l'auteur) y est encaissé au fond d'une vallée, dominé par une tour énorme qui assombrit le château et même l'île. Dans cette tour vit la reine, qu'on ne voit jamais, qu'on ne verra jamais, qu'aucun personnage n'a vu sortir depuis longtemps, mais qui est décrite comme une femme monstrueuse aux pouvoirs immenses et occultes, qui grossit davantage chaque jour et dévore tout le monde peu à peu. Mais seules des rumeurs parviennent sur elle, on ne voit que rarement ses trois servantes voilées de noir - cousines des angoissantes béguines de la Princesse Maleine et des Trois Parques -, et elle semble faire régner sur le château où vivent Ygraine et Bellangère une force invisible, tout comme elle, mais extrêmement sensible et terrifiante. Cette reine invisible tient à la fois des figures du conte de fées et de la légende arthurienne, d'où les noms empruntés au roman du Moyen-âge La morte d'Arthur : l'ogresse, la marâtre (bien qu'on ne connaisse pas du tout ses liens de parenté avec Ygraine, Bellangère et Tintagiles), la souveraine et magicienne toute-puissante. Tout le drame se concentre sur le combat des deux soeurs et de leur vieux compagnon Aglovale pour tenir Tintagiles éloigné de la reine qui a fait venir l'enfant sur l'île, sur leur lutte acharnée pour qu'il ne leur soit pas enlevé.





Alors donc, oui, encore une allégorie de la mort, mais sous une nouvelle forme. Si le décor du château maléfique et malade est un motif récurrent chez Maeterlinck, la mort, elle, n'est pas habituellement incarnée de façon aussi forte par un personnage, tout absent qu'il soit. On peut considérer que La Princesse Maleine posait les prémices de cette personnification, ou encore que le personnage dont on sentait la présence à la fin des Aveugles relevait du même procédé - mais ce personnage des Aveugles existe-t-il vraiment dans le monde visible ? Rien n'est moins sûr, et ce serait même plutôt l'inverse. Dans La Mort de Tintagiles, la reine est invisible, elle n'appartient pas tout à fait au même monde qu'Ygraine, Bellangère, Tintagiles et Aglovale ; et pourtant, Ygraine dit bien s'être agenouillée devant elle et l'avoir suppliée maintes fois. le fait d'avoir utilisé l'image d'une femme monstrueuse physiquement permet de faire peser sur le lecteur ou le spectateur une angoisse plus concrète que d'habitude. C'est toujours la mort insidieuse, rampante, mais d'une puissance autrement terrifiante, parce que davantage tangible. On ne peut pas l'ignorer, l'éluder, et une porte se dressera devant Ygraine, infranchissable, symbole du passage de Tintagiles du côté de la mort. Ygraine est d'ailleurs le seul personnage du premier théâtre de Maeterlinck qui lutte sans cesse, désespérément mais avec une opiniâtreté et une rage dont elle usera encore à la toute fin de la pièce, en crachant sur la porte.





Autre trait notable dans cette pièce : l'utilisation du langage. Pour le coup, ce n'est pas une nouveauté, mais les phrases interrompues, la fonction magique qu'Ygraine lui accorde - le fait seul d'avoir mentionné l'idée d'être un jour heureuse aurait apporté la malédiction sur son entourage, selon elle -, les non-dits qui pullulent, les forces inconnues dont on ressent la présence mais qu'on ne peut pas nommer, tout cela a atteint dans La Mort de Tintagiles un niveau de maîtrise et de finesse qui dépasse ce que Maeterlinck tentait déjà dans Maleine.





Une pièce, donc, à l'atmosphère pas plus mortifère que les autres, mais certainement à l'aspect plus concret, tangible, je dirais même charnel, de par la figure de cette reine qu'on craint de voir apparaître à tout moment, et dont on sait sans équivoque qu'elle viendra accomplir sa mission, inéluctablement. Pour ceux qui n'aimeraient pas une pièce comme Intérieur, il est possible qu'ils soient davantage sensibles à cet aspect de la Mort de Tintagiles.


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Intérieur

J'avais déjà annoncé Intérieur comme formant un diptyque avec L'Intruse. Néanmoins, les deux pièces sont séparées par quatre années dans leur composition, et Intérieur a été publié en 1894 dans un recueil qui comportait également Alladine et Palomide ainsi que La mort de Tintagiles, recueil intitulé Trois petits drames pour marionnettes. Je reviendrai dans une future critique sur la conception de Maeterlinck du "théâtre de marionnettes", qui ne signifiait nullement qu'il souhaitait voir ses pièces montées avec des marionnettes. D'ailleurs, ces pièces n'étaient pas destinées à la scène, et Intérieur n'a été que très peu jouée.





Revenons-en donc à cette parenté qu'il existe entre L'Intruse de 1890 et Intérieur. Dans les deux, il est question de l'approche de la mort, mais nous avons vu ailleurs que le sujet est abondamment traité par Maeterlinck dans ses pièces symbolistes. Ce qui rapproche beaucoup ces deux-là, c'est d'abord leur rapport avec le "tragique quotidien" cher à Maeterlinck ; ce sont les deux pièces où ce concept est le plus aisément abordable. Si dans L'Intruse nous étions coincés avec les personnages dans une maison où la mort rôdait déjà, dont les protagonistes avaient plus ou moins conscience selon leur degré de clairvoyance, ici, le procédé est inversé. le décor est partagé en deux, l'extérieur, en l'occurrence un jardin, et l'intérieur, à savoir une maison paisible dont les personnages de l'extérieur - qui sont eux-mêmes des spectateurs, ben oui - voient, et même regardent, et même scrutent, les habitants. C'est que les deux personnages dans le jardin, auxquels s'adjoindront peu à peu d'autres, sont là pour annoncer la mort de la fille aînée de la famille. Or, à regarder ces personnes paisibles, le vieillard, qui les connaît bien, hésite sans cesse à frapper à la porte pour s'en aller détruire le bonheur tranquille qu'il a sous les yeux. Quant à l'étranger, qui a trouvé le corps de la morte dans le fleuve et l'en a sorti, il aimerait que cette attente se termine, et pourtant, il hésitera lui aussi à l'idée de briser cette famille. de fait, c'est au vieillard que revient la fonction d'annonciateur, par sa proximité avec les habitants de la maison. Rien de plus, rien de moins. On ne parle pas de drame statique pour rien à propos de Maeterlinck : tout se déroule dans ce jardin. Il ne se passe rien en apparence, d'où l'adjectif "statique", tout se déroule dans les esprits plus ou moins tourmentés, plus ou moins sensibles à ce quelque chose d'indicible qui règne ici comme dans tout dans le théâtre symboliste de Maeterlinck, d'où le terme de "drame".





Dans Intérieur comme auparavant, Maeterlinck s'est encore renouvelé sur le plan dramaturgique, donc. Mais surtout, comme je le mentionnais, jamais il n'a autant approché d'aussi près le sujet du tragique quotidien, y compris dans L'Intruse. D'abord parce que la maison est revêtue d'un manteau de tranquillité familière, alors que dans L'Intruse on s'inquiétait pour une malade. Ici, on est même soigneusement enfermé, les fenêtres sont closes, on barricade la porte : on s'y sent à l'abri. Ce n'est pas pour rien que Maeterlinck avait pensé intituler la pièce Sous la lampe, Soir familial, ou Tranquillité, entre autres, tous les titres potentiels renvoyant à cette idée du bonheur simple et paisible. Seulement voilà, le début de la pièce se situe à un point de bascule où la tragédie n'a pas encore frappé la famille, mais est imminente. On a beau s'enfermer, on ne peut pas se protéger de tout, et certainement pas de la mort.





Ce qui renvoie également au tragique quotidien, du moins tel que je le comprends - Maeterlinck ayant commis un essai sur le sujet, où il écrivait "N'est-ce pas quand un homme se croit à l'abri de la mort extérieure que l'étrange et silencieuse tragédie de l'être et de l'immensité ouvre vraiment les portes de son théâtre ?" -, c'est l'histoire même de la mort de cette jeune fille. On la croyait partie voir son aïeule de l'autre côté du fleuve (et vous ne serez pas étonné d'apprendre que Maeterlinck a pensé avec ce détail au conte du Petit Chaperon rouge), et pourtant, on l'a vue errer au bord de l'eau toute la journée, pour la retrouver noyée. Si le vieillard refuse de dire les choses telles qu'elles sont, ce que s'apprête au contraire à faire l'étranger, plus pragmatique, il est clair que cette jeune fille sans histoire s'est suicidée. Et ce n'est pas par hasard qu'elle rappelle, par l'image que donne l'étranger de sa chevelure déployée dans l'eau, Ophélie. Suicide qui fait dire au vieillard qu'on côtoie les gens sans les voir, qu'on ne sait pas ce qui se passe dans leur tête, que leur âme est inaccessible et qu'on l'entrevoit seulement au moment où la mort frappe.





Ce qui nous ramène, une fois de plus, à ce mystère insondable qui plane sur les pièces de Maeterlinck et ses personnages, ce monde invisible que peu réussissent à entrapercevoir, et encore faut-il que les circonstances les plus tragiques mènent à cette connaissance, ou à ce début de connaissance. Maeterlinck s'est servi ici d'interactions entre les personnages pour suggérer ce monde invisible. La chevelure deux plus jeunes soeurs, dans la maison, frémit alors que l'étranger parle de la corolle formée par la chevelure de la morte. Ces mêmes deux soeurs sont également le miroir de deux soeurs, Marie et Marthe (oui, comme dans la Bible), entrelacées sur un banc et attendant que le vieillard, leur grand-père, annonce la terrible nouvelle. Et bien entendu, elles renvoient également aux soeurs de L'Intruse ou des Sept Princesses.





Maeterlinck joue également beaucoup sur les antagonismes, ou sur les complémentarités. Intérieur/extérieur ; Marthe (qui s'est occupée de préparer le corps et la procession, qui est par conséquent du côté matériel, pratique) et Marie (qui rejoint et accompagne le vieillard dans son affliction, qui serait donc à première vue du côté émotionnel et spirituel) ; le vieillard qui connaît bien la famille et l'étranger qui n'est là que de passage (beaucoup d'étrangers, d'ailleurs, dans les pièces de Maeterlinck, et toujours porteurs de mort, quand il ne s'agit pas de la mort elle-même) ; le même vieillard, absorbé par des questions d'ordre spirituel, ésotérique même, sorte de médiateur vers le monde invisible, et le même étranger, lui absorbé de manière plus terre-à-terre par la façon dont il faut annoncer la nouvelle à la famille et aux conséquences qui en découleront. Et beaucoup de jeu sur le regard, bien entendu, de l'extérieur vers l'intérieur, mais aussi de l'intérieur vers l'extérieur - et on notera que les regards de l'intérieur vers l'extérieur sont aveugles, soit que le personnage regarde dans le vide (la mère), soit qu'il ne soit pas en mesure de percevoir ce qui arrive (les deux soeurs).





Bref, une pièce sobre dont la lecture doit en rebuter plus d'un, et c'est bien compréhensible - Maeterlinck, c'est un peu comme Duras, on est vite agacé ou envoûté - et tout aussi passionnante, à mon sens une des plus réussies de Maeterlinck, qu'il a travaillée dans un symbolisme abordable (ce qu'on peut difficilement dire d'Axël de Villiers de L'Isle-Adam, par exemple) tout en lui conférant une atmosphère mortifère très prégnante, voire fascinante.


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