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Critiques de Pierre Michon (323)
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Le roi du bois

Deuxième tentative dans l’univers de Pierre Michon dont la prestation dans une émission littéraire m’a emballée. Le début s’annonçait sympa, mais vite, comme dans ‘Les onze’, les mots n’arrivent pas à fixer mon attention. Décidemment cet écrivain n’est pas pour moi.
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Les onze

Un petit bouquin admirable, écrit au scalpel, au style sec et resserré, qui aborde la Révolution sous un angle tout à fait original. Lisez Michon, le plus discret de nos grands auteurs !
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Abbés

C’est un volume mince. Seulement 80 pages. Ce pourrait être une nouvelle un peu longue mais ce sont trois récits comme autant de chroniques sur des abbés dans la vieille Gaule, autour des années Mil, des abbés bâtisseurs d’abbayes et de monastères, des Bénédictins sous l’influence de Cluny qui luttent presque corps et âme, violemment, entre ciel, mer et terre, dans les marais et les îles de Vendée, au plus près des éléments, dans un dépouillement total et une ferveur de la plus grande intensité.

Leur foi est immense, sauvage et naïve à la fois, un mélange de force presque surnaturelle et une candeur des plus infantiles. Ils se montrent tour à tour cruels et fous, ardents, passionnés, faibles dans leur chair, aveuglés de gloire tant terrestre que céleste, vaillants et superstitieux, croyants envers et contre tout, prêts à mourir et à tuer pour des reliques qui n’en sont pas et qu’ils rejettent comme ils renoncent à tout d’une seconde à l’autre quand se révèle la vérité.

Au centre, trois chroniques qui racontent ces histoires dont deux écrites par Pierre de Maillezais, moine dans l'abbaye du même nom, "qui trouve le vers qui bien plus tard sera le dernier de sa chronique: comme toutes choses sont muables et proches de l'incertain."

C’est beau, magnifiquement écrit. J’ai été touchée comme peu souvent, comme à l’ écoute d’une musique puissante qui commencerait tout doucement pour exploser dans un déchaînement de sons puissants qui font vibrer le corps et élèvent l’ esprit vers un ailleurs qu’on voudrait tellement plus beau, tellement meilleur.
Lien : http://liratouva2.blogspot.f..
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La Grande Beune

Lire Pierre Michon c'est entrer dans l’œil d'un cyclone littéraire où tout est calme et serein alors que dans chaque phrase, expression et mot, on est englouti dans un maelstrom de pensées, d'interrogations, de sentiments.

En vrac La Grande Beune c'est : tout un décor avec son et images, des détails pointillistes, un délire amoureux, des silences et des gouffres, de la finesse, des allégories, de l'érotisme retenu ou non, des visions, une finesse d'expression, la vie qui s'écoule.
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Rimbaud le fils

D'aucuns diront que les méditations de Pierre Michon sur la vie et l'œuvre de Rimbaud sont érudites et poétiques. Moi, au premier contact, je les ai jugées pédantes car elles ont eu l'immense défaut de ne pas m'émouvoir d'emblée. J'y ai vu des phrases démesurément longues, à l'intérieur desquelles j'ai eu du mal à respirer. Il est indéniable que les phrases sont travaillées, les métaphores sont filées, méticuleusement tissées, la langue est soignée, soutenue, presque Parnassienne tant le culte du travail formel est affiché : une langue "limée au plus juste". Pierre Michon "danse au cœur de la langue", il "fabrique le sens, pas même le sens, le jeu du sens", si bien que "(s)a langue est parée comme une mariée", vêtue "d'une sorte d'habit de lumière". Probablement est-ce sa façon d'approcher Rimbaud, de le rêver, de l'imaginer. N'est-ce pas la langue qui "relance sans fin la littérature" ? Hypothèse soulevée à l'extrême fin de cet ouvrage, ce qui en souligne clairement le véritable sujet.



L'exercice de style m'a d'abord laissée de marbre : je ne m'y sentais pas à l'aise, je restais sur le seuil, sans oser passer le pas de la porte. Jusqu'au moment où Pierre Michon nous a invités à imaginer la rencontre entre le tout jeune Arthur Rimbaud et l'un des maîtres du Parnasse : Théodore de Banville. Je me suis faufilée dans la chambre, j'ai entendu Rimbaud demander timidement à être sacré poète, à devenir un fils, un artiste. Et j'ai commencé à comprendre que le titre "Rimbaud le fils" annonce la transmission d'une "filiation canonique", "comme par bouture, du plus vieux au plus jeune" : "Hugo, Baudelaire, Verlaine et le petit Banville". C'est ainsi que le troisième chapitre relatant la naissance littéraire du fils a su me toucher, à tel point que j'ai relu cette dizaine de pages après avoir achevé l'ouvrage.



J'ai ensuite considérablement ralenti le rythme de ma lecture et j'ai commencé à apprécier pleinement les images, les trouvailles lexicales. J'ai souri à l'évocation de l'austère Vitalie, cette "mère avec sa tête de décembre en plein juillet", j'ai aimé enfin cette autre rencontre entre le fils Rimbaud et un maître auquel on doit le portrait aujourd'hui le plus célèbre de Rimbaud : le photographe Etienne Carjat.



Je vous conseille donc de lire cet ouvrage si appréciez la "haute littérature" et si vous connaissez déjà la biographie de Rimbaud. Ainsi vous ne serez pas perdus, car les références sont nombreuses et peu explicitées. Sinon, optez de préférence pour une biographie plus accessible, plus narrative.
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Vies Minuscules

Nous touchons ici l'excellence: celle de la langue, du vocabulaire, du rendu de l'idée et de l'image. Ces "Vies minuscules" sont celles de gens simples, au destin ordinaire, parfois cabossés, dont la vie est passée sous les yeux des voisins, et qui s'en sont allés.

L'intérêt du livre est double: suivre ces gens, et cela est plein d'intérêt. Absorber la prose de Pierre Michon, et là, on est fasciné.

On ne peut qu'encourager les amateurs de littérature à découvrir cet auteur, et ce court livre, qui est une pépite.
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Vies Minuscules

Pierre Michon élabore sa narration à la manière d'un patchwork. Ancêtres, parents, camarades de lycée, connaissances, compagnons d'infortunes et amante, c'est un canevas de huit récits, retraçant ses vies et surtout leur sortie du paysage du narrateur, que ce dernier emploie dans une sorte d'autobiographie romancée, dont les motifs le concernant serait un peu les points de couture qui tiendraient l'ensemble dans une cohérence thématique.



Si ces vies sont qualifiées de minuscules elles n'en sont pas moins remarquables par leur singularité et l'aspect unique de toute existence. En revanche, il est indubitable que la mise en œuvre du récit en est majuscule, par la grâce absolue d'une langue d'une magnifique tenue, capiteuse, riche, un style proprement exceptionnel dans le paysage littéraire des années quatre-vingt. Cela faisait bien longtemps qu'on n'avait pas lévité comme cela dans le sublime.
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Corps du roi

Dans cette mise en abyme de la littérature, Pierre Michon avec son style finement ciselé, mène une très belle réflexion sur la littérature et les grands auteurs qui l'ont marqué. En cinq chapitres, il dresse cinq portraits atypiques de Samuel Beckett, de Gustave Flaubert, de Muhamad Ibn Mangli, auteur arabe du XIIIème siècle, de William Faulkner et enfin de Victor Hugo et notamment de son Booz endormi. Dans ce dernier chapitre, il nous livre le rôle qu'occupe la poésie dans sa vie. Deux poèmes font écho à deux événements de la vie de l'auteur : Booz endormi lui évoque la naissance de sa fille et La ballade des pendus lui rappelle la mort de sa mère.

Pierre Michon écrit donc un livre sur des monuments de la littérature, sur ses "éléphants" et l'héritage transmis par ces derniers. Mais surtout, il se livre par petites touches, notamment dans la dernière partie consacrée à Booz endormi où il nous décrit son rapport à la poésie, à la lecture et à l'écriture.

J'ai beaucoup apprécié le chapitre consacré à son père spirituel, Gustave Flaubert. le corps du roi prend vie avec le corps mortel et le corps éternel des grands écrivains incarnés notamment par Flaubert.

Belle découverte littéraire.



Challenge Multi-Défis 2021.
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La Grande Beune

Une désir permanent dans ce court roman sublimé par une écriture Michonnesque tellurique , certain d'entre nous ont vécu pareille aventure et s'y reconnaisse aisément . Michon un auteur pour happy few...
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Les onze

Je viens de relire Les Onze, et il m'a sonné comme la première fois...

Pourtant, entre lui et moi c'était mal parti et pour être honnête, je crois que de moi-même, je ne me serais jamais dirigé vers ce livre d'apparence austère malgré sa couverture orange-soleil...

C'est un professeur de stylistique qui nous l'avait fait étudier... Si je m'en suis plainte, je n'ai pas dû le faire longtemps, tant le livre m'avait plu, même quand il me donna à travailler le thème de la cruauté dans le roman...

"Les Onze", c'est le monumental tableau qui représente les membres du Comité de Salut Public en 1794, ère de Terreur. C'est aussi le récit de la vie du peintre génial qui créa le tableau: François-Elie Corentin.

Pierre Michon joue à l'historien d'art mais tout est fiction et roman, affabulation. On croit à ce tableau, à ce peintre qui vont si bien avec la Révolution Française, ses excès, ses passions. On croit à cette mère aimante et sacrifiée par l'enfant sans vergogne ni empathie; on croit à ces limousins tous entiers pétris de boue, de sang, de poussière; on croit à la lumière presque purificatrice de la peinture à l'huile. Les Onze n'est pas vraiment un roman historique ni un roman sur l'art. Il est un peu tout ça et plus encore. Les Onze, c'est la puissance évocatrice des mots, c'est un souffle poétique, c'est une écriture magnifique, exacerbée, excessive. C'est un peu Baudelairien aussi car Michon de la boue et de dureté des limousins fait de l'or et de la soie. Dans la terre et le sang.
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La Grande Beune

Après avoir lu Vies minuscules puis Les Onze, je cherchais un nouveau récit de Pierre Michon qui me réconcilierait avec le choc eu à la lecture du premier. La Grande Beune est indéniablement un de ses grands.

La sensualité des femmes se mêle à l'avidité des hommes, la préhistoire s'invite au présent, les enfants se glissent dans les jambes des adultes et de toutes ces rencontres et ces imbrications ressort un instituteur tiraillé entre deux idéaux-types féminins.

L'écriture, faite de longues phrases composées à cheval entre Giono et Proust, est belle, terriblement lascive. Elle est, comme tout le récit, un cri d'amour à l'humanité dans ce qu'elle a de brut, de profond et de cru. Elle est au service de ces questionnements éternels sur l'amie ou l'amante, la maman ou la putain. Elle a la précision du fouet et éclaire les esprit ombrageux du narrateur par la justesse de son propos. Elle est la plume, la belle plume, de Pierre Michon.

Merveilleux.
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Les onze

Ce livre mythique est effectivement un bijou. Pierre Michon y conte l'histoire d'un tableau exposé au Louvre, qui représente le rassemblement pour un repas, autour de Robespierre, de onze commissaires du Comité de Salut Public qui en 1794 doit instaurer le gouvernement révolutionnaire de l'an II, et engager la période dite de la Terreur. Au delà du tableau, il nous retrace la généalogie familiale et picturale, ainsi que la vie d'un peintre inconnu, François-Elie Corentin, sorte de Tiepolo français. Il explique qui sont les commanditaires du tableau, quel est le but de cette " Cène révolutionnaire ", qui sont les participants, les Billaud, Collot, Saint Just etc... d'où ils viennent, quel était le rôle de chacun autour de Robespierre. Sans oublier que ces hommes vont finir sous la lame de la guillotine. Il décortique l'interprétation que le siècle suivant, Michelet a faite du tableau. 130 pages sublimes qui ont conduit beaucoup de monde au Louvre pour voir le tableau, car la force d'évocation de cette période par Pierre Michon réussit à nous persuader de l'existence du tableau, d'autant que régulièrement il prend le lecteur à témoin. J'ai beaucoup aimé!
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Les onze

Le récit du chef-d'oeuvre absolu abrité au coeur du Louvre, la cène républicaine, sans Dieu qui est mort, et sans table car c'est une scène de massacre. Peindre les onze membres du comité de Salut public comme des héros, mais aussi comme des tyrans, c'est la commande passée au peintre Corentin par les Sans-Culottes. On y croit, on voit ce tableau, et surtout, on a envie de tout lire à haute voix pour le style et les périodes. Un roman magnifique.
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Les onze

Écartons tout de suite tout risque de confusion ou de mauvaise piste. Pierre Michon, reconnu comme un de nos meilleurs auteurs contemporains, ne traite pas ici d'un sport collectif bien connu mais d'un fameux tableau signé François-Élie Corentin et représentant le Comité de salut public qui, en 1794, instaura le gouvernement révolutionnaire de l'an II, ce qui entraîna la Terreur.



D'emblée, le lecteur est saisi par la qualité de l'écriture et par le style de l'auteur. Avec des phrases riches, denses, longues, Pierre Michon nous emmène à Combleux, en 1730, près d'Orléans pour que nous fassions connaissance avec la famille de François-Élie Corentin qu'il nomme à plusieurs reprises comme le Tiepolo de la Terreur(1).

Il parle beaucoup de ces maçons limousins qui ont construit les levées de chaque côté de la Loire. Arrive enfin Anacréon, ce poète lyrique grec du Vème siècle avant J.C. et qui semble avoir beaucoup marqué l'auteur. En effet, Pierre Michon use et abuse de l'adjectif anacréontique décrivant une poésie célébrant l'amour et la bonne chère.

Régulièrement, l'auteur revient à cet impressionnant tableau de 4,30 mètres sur 3, exposé au Louvre, où figurent entre autres, Carnot, Robespierre, Saint-Just, Collot. Revient aussi l'enfance passée entre deux femmes, sa mère et sa soeur à l'amour dévorant. Il décrit bien la situation politique du moment, parle du récit que fait Jules Michelet de ces Onze. le grand historien a vu dans ce tableau une cène laïque. Quant à Pierre Michon, il offre au lecteur une description détaillée, pleine de sensibilité de la période révolutionnaire.



Ce livre est écrit avec un style puissant, étonnant, unique, original, au vocabulaire riche et souvent très recherché, une véritable oeuvre littéraire.



(1) Tiepolo (1696-1770) : peintre et graveur, dernier des grands décorateurs baroques italiens.




Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Le roi vient quand il veut

Pierre Michon est cet écrivain entré en littérature en 1984 avec Vies minuscules -que je viens de ressortir, parce que la lecture de ce recueil d'entretiens m'a donné envie de le relire. Il n'est pas un auteur prolifique qui publie une fois l'an son roman de la rentrée, puisque depuis, il n'a fait paraître qu'une quinzaine de livres. J'ai aimé Vies minuscules, et Maîtres et serviteurs et Les Onze, j'ai buté sur La grande Beune et suis très tenté par tout le reste ; ce livre d'entretiens est à la fois passionnant, éclairant et redondant (on élimine tout de suite ce qui pêche un peu, cette redondance d'un entretien à un autre, où l'on retrouve des questions similaires et des réponses logiquement similaires elles-aussi, bon pas trop grave, on les lit plus rapidement).



Il vaut sans doute mieux connaître les ouvrages de Pierre Michon avant d'entreprendre la lecture de ce recueil, mais peut-être est-ce là une simple impression et qu'un futur lecteur y trouvera matière à plonger très vite dans les écrits de l'auteur. Bon, je ne vous cache pas que le livre est parfois technique sur l'écriture, qu'il vaut mieux avoir quelques références littéraires, on y parle beaucoup de Flaubert, Faulkner, Rimbaud, Mallarmé, Balzac, mais aussi de Lautréamont, Hugo, Gracq, ... J'ai pu parfois me sentir dépassé, jamais au point d'abandonner la lecture, plutôt l'envie alors de passer quelques pages pour me retrouver plus loin sur des propos que j'entendais davantage.



Pierre Michon s'exprime souvent sur la brièveté de ses romans : "La brièveté est essentielle. J'incline à penser que j'écris des romans courts -densifiés, resserrés, dégraissés- plutôt que des nouvelles. Je rêve d'un roman plus pur que l'autre..." (p.24), sur la quantité impressionnante de documentation qu'il a ingurgitée avant d'écrire : "Je demande à la littérature que j'écris d'être brève, mais je tiens à ce que cette brièveté soit informée de tout ce qui a été pensé et dit depuis qu'il y a des hommes. Et sans aller chercher si loin, pour que le bref soit fulgurant, il faut que sa formulation soit totalement exacte." (p.205/206). Comme quoi la simplicité, la brièveté, c'est beaucoup de boulot ! Et puis, comme je suis amateur des romans brefs, je suis le bon client pour ce genre de propos. Je suis persuadé qu'écrire un roman court, dense et dégraissé, épuré n'est pas plus évident que d'en écrire un long, gros avec pas mal de vacuité ; de même pour la la lecture des-dits romans.



Dans ce livre, il est aussi question de peinture puisque P. Michon a beaucoup écrit sur les peintres et que la contemplation des grands maîtres l'a littérairement sauvé, ce sont eux qui lui ont permis de réécrire après Vies minuscules. Pierre Michon parle aussi de ses goût littéraires, tous ceux que j'ai cités un peu plus haut, avec pas mal de temps consacré à Flaubert et Rimbaud et un chapitre entier, le dernier à Julien Gracq, sans oublier ceux avec qui il se sent des vraies affilnités d'écriture -et plus-, Pierre Bergounioux et Antoine Volodine (que je n'ai pas encore lus, mais, je note, je note...).



Vous l'aurez compris, sans être simple, c'est un livre que je recommande pour comprendre l'écriture de Pierre Michon, l'écriture tout court et pour entrer un peu plus profondément dans l'œuvre de l'écrivain. Une réédition bien vue, sans elle, je serais sans doute passé à côté.
Lien : http://www.lyvres.fr
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Maîtres et serviteurs

«Qu’est ce qu’un "grand peintre", au-delà des hasards du talent personnel ?»



Dans ce récit publié en 1990, Pierre Michon, comme il l’avait fait pour Van Gogh dans Vie de Joseph Roulin (1988), évoque indirectement trois peintres célèbres, Francisco de Goya, Jean-Antoine Watteau et Piero della Francesca, vus par les yeux de ceux, demeurés anonymes, qui les ont côtoyés : Les possibles témoins de l’ambition de Goya ; Lorentino d’Angelo, obscur disciple de Piero della Francesca rendant une ultime visite à son maître vieillissant et devenu aveugle - ou comment passer de serviteur à maître - ; et le curé de Nogent, à la figure immortalisée par Watteau en Pierrot, spectateur du désir insatiable de peinture et de chair du maître.



«Dans sa jeunesse, ne pas avoir toutes les femmes lui avait paru un intolérable scandale. Qu’on m’entende bien – lui, on ne peut plus l’entendre : il ne s’agissait pas de séduire ; il avait plu, comme tout un chacun, à ces deux, sept, trente ou cent femmes qui à chacun sont imparties, selon sa taille et sa figure, son esprit. Non, ce dont il enrageait, dans la rue, dans les coulisses et les échoppes, à la table de tous ceux qui l’accueillirent, chez les princes et dans les jardins, partout enfin où elles passent, c’était de ne pouvoir arbitrairement décider de disposer d’une, épouse du mécène, fillette ou vieille catin, de l’index la désigner, qu’à ce geste elle vint et tout aussitôt s’offrît, et que la jetant là ou l’emportant ailleurs, tout aussitôt il en jouît. Qu’on m’entende encore : il n’était pas question de les y contraindre, qu’une loi ou quelque autre violence les y contraignît ; non, mais qu’elles le voulussent comme il les voulait, indifféremment et absolument, que ce désir leur ôtât tout discours comme à lui-même il l’ôtait, que d’elles-mêmes enfin elles courussent au fond du bois et muettes, allumées, sans le souffle, s’y disposassent pour qu’il les consommât, sans autre forme de procès.»



Avec ses phrases qui ont l’air d’hésiter et se construisent par couches, des mots agencés par un écrivain coloriste en recherche d’absolu, le texte de Pierre Michon semble reproduire les attentes et les gestes du peintre, qui, touche après touche, cherche à atteindre le plus-haut, comme si l’écrivain devait en passer par la peinture pour approcher au plus près l’énigme de sa propre création.



«Je n’ai pas envie de davantage le dépeindre au travail ; qu’on sache seulement qu’il effleurait la toile à petits coups brusques ; qu’il peignait court ; qu’il n’était pourtant pas un pouce de son corps qui ne participât à ce presque rien ; que ses grands mouvements de tout le bras, de tout le jarret, de loin jetés comme pour fouetter violemment la toile et jouir de cet éclat, se résolvaient dans un attouchement furtif, une caresse exaspérée, empêchée : il fomentait dans l’air un paraphe despotique et signait d’une petite croix tremblée ; il préparait une gigantesque gifle et ne posait qu’une mouche sur la joue d’une Colombine»



Habité des désirs futiles et dérisoires d’une petite vie d’homme, visant à la hauteur extrême d’un art sacralisé, à cet instant où «l’art confine à la métaphysique», mais toujours conscient que son art n’est qu’une falsification, le grand artiste est toujours entre-deux, allant de l’un à l’autre, maître et serviteur.



«Elles se demandaient un instant pourquoi il avait choisi de peindre, si peindre à la fois était un pensum et une plaisanterie, le navrait jusqu’aux larmes et le tordait de rire ; pour avoir pignon sur rue et rouler carrosse, pensaient-elles ; peut-être aussi pour souffrir et se moquer de tout, tant l’homme est curieux.»



Pierre Michon, je suis votre serviteur.

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Vie de Joseph Roulin

«Qui dira ce qui est beau et en raison de cela parmi les hommes vaut cher ou ne vaut rien ?»



Joseph Roulin, employé des Postes à Arles puis à Marseille en cette fin de dix-neuvième siècle, a accédé à une double immortalité, d'abord avec les six portraits de lui peints par Van Gogh, puis par la magie de l'écriture de Pierre Michon, dans ce livre paru en 1988, cent ans après la rencontre entre Joseph Roulin et Vincent Van Gogh.



A partir des signes laissés par ces portraits, et de quelques autres traces biographiques, Pierre Michon donne corps et vie à Joseph Roulin ; sa rencontre avec Vincent, ce que lui, Joseph Roulin, a pu penser, ou bien ressentir, de la peinture de Vincent devenu Van Gogh, les discussions des époux Roulin évoquant Van Gogh après sa mort - pauvre bougre ayant dépensé tant de forces pour rien dans les champs d'Arles - et enfin la vieillesse de Roulin à Marseille, et ce qu'il advient de son portrait, celui que Vincent lui avait donné.



« Et les soirs de 14 Juillet commencés pourtant dans la bonne humeur, son uniforme neuf astiqué, entre les clairons et les trois couleurs, les zouaves et les turcos, le ciel bleu, les soirs de prise de la Bastille on n'a rien pris et on finit par rester tout seul à une table dans un bistrot près du port, avec devant soi la mer qui est noire, les amis qui vous ont laissé à vos radotages, les jeunes mauvais qui vous regardent et rient avec les écaillères, la blanche qui coule dans la barbe et l'uniforme neuf qu'on a taché, et quand en colère on se lève, qu'on pousse la chaise et qu'elle tombe, ce n'est plus révolte, ce n'est plus acompte pris sur la république à venir, c'est la république elle-même qui tombe dans cette chaise qu'on regarde avec stupeur et quelque chose comme des larmes, ultimes mais qui pourtant ressemblent à du bonheur, la république délicieusement perdue, effondrée là, dans le passé ; »



Obscur employé de la Compagnie des postes, républicain et noyé dans l'absinthe, Joseph Roulin est immortalisé en moujik, en satrape à la barbe massive et fleurie, en icône, « comme un saint au nom compliqué ».



Tellement beau que les larmes coulent et que plus rien d'autre n'existe.

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Rimbaud le fils

une sorte de thèse poétique subtile, une pensée et une langue presque trop riches d'où digressions ; bel exercice de style.
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Vies Minuscules

Pendant quelques instants, nous partageons les vies de personnages plus ou moins proches de l'auteur.

Ces petites vies toutes simples, pleines de peu de choses, mais décrites si intensément que pendant quelques minutes elles ont valeur de trésor.



Une écriture très riche : sentiments et émotions excellemment dépeints.



Chapeau bas monsieur Michon !
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Vies Minuscules

C'est suite à la lecture de "au bon roman" de Laurence Cossé que j'ai découvert Vies minuscules. Il fait partie de la bibliothèqe idéale et il est vrai que ce livre est formidable, racontant la vie de l'auteur à travers des vies de personnages qu'il côtoie. L'écriture est fameuse et on a grand plaisir à la lecture. c'est finalement assez rare un livre avec une aussi belle écriture.
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