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Expert littérature russe

Cet insigne distingue ceux pour qui la littérature rime avec âme slave, grands espaces, drames et épopées familiales.
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Les trois soeurs

Les Trois Sœurs d’Anton TCHEKHOV

Pièce de théâtre en quatre actes.



Dans une petite ville de province russe, les sœurs Prozorov vivent dans la propriété familiale avec leur frère André. Il y a Olga, Macha et Irina, on célèbre la fête d’Irina, jour de la mort du père il y a un an et cela fait onze ans que la famille a quitté Moscou, beaucoup de nostalgie. Olga et Irina rêvent de vendre la propriété et de repartir dans la capitale. Olga dit à Tcheboutykine qui vient d’arriver que c’est le travail qui donne un sens à la vie, ce qu’approuve Tousenbach( amoureux d’Irina)qui lui n’a jamais travaillé. Il veut d’ailleurs quitter l’armée pour travailler « comme un ouvrier ». Macha a le cafard. Entre alors Verchinine qui a travaillé sous les ordres du colonel Prozorov à Moscou et connu les trois sœurs lorsqu’elles étaient petites. André, le frère, joue du violon dans une pièce à côté. Arrive Kouliguine, prof de lycée et mari de Macha, de plus en plus énervée et séduite par Verchinine. André vient à table avec Natacha, sa femme, on passe dans la salle à manger, « nous sommes 13 à table » remarque Kouliguine. Macha révèle qu’André a tellement perdu au jeu qu’il a hypothéqué la maison, elle est furieuse. La soirée traîne…



La famille s’ennuie bien qu’Irina et Olga travaillent, et autour d’elle des fonctionnaires, des militaires, un médecin qui suintent l’ennui. Les trois sœurs rêvent de régler cet ennui en partant pour Moscou, illusion bien sûr, tandis qu’André, le frère sur lequel on avait fondé tant d’espoirs, noie son propre ennui dans le jeu. Magistral.
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Stalker : Pique-nique au bord du chemin

Finalisé en 1972 , ce roman n'a pu être publié que 8 ans plus tard sous une version censurée. C'est celle-ci qui sera traduite (notamment en français) en 1981. L'intégralité du texte ne sera disponible qu'une vingtaine d'années après sa rédaction (lu dans un article de Laurent Vannini).



En passant dans une librairie, j'ai vu le poche avec une préface d'Ursula le Guin et une postface de Boris Strougatski. Malheureusement, ces textes étaient absents de mon édition disponible sur Kobo qui ne faisait même pas mention des traducteurs (pas de pages liminaires). J'ignore donc laquelle j'ai eu entre les mains ?



Quoi qu'il en soit, j'ai beaucoup aimé ce roman. Des extraterrestres sont venus sur Terre et sont repartis en laissant des Zones qu'il vaudrait mieux ne pas explorer. Mais l'homme est une créature curieuse et divers objets sont récupérés par les Stalkers. L'histoire suit notamment la vie de l'un d'entre-eux, Redrick Shouhart.



Dans l'ensemble, un bon moment de lecture.



J'aimerais bien voir le film, j'ai vu qu'il était disponible en vod.











Challenge XXe siècle 2024

Challenge mauvais genres 2024

Challenge duo d'auteurs SFFF 2024

Challenge littératures slaves orientales
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La Cerisaie

La Cerisaie d’Anton TCHEKHOV

Pièce de théâtre en quatre actes.



Lioubov, Ania sa fille, Gaev son frère, Charlotta la gouvernante et Trofimov un étudiant retournent à la Cerisaie après cinq ans d’absence passés en France. Les accompagne un valet, Yacha. Ils sont reçus par Douniacha la femme de chambre, Firs un vieux valet, Lopakhine un marchand, Varia fille adoptive de Lioubov et Epikhodov le comptable. Pistchik un propriétaire ruiné de domaines est là aussi pour les accueillir. Douniacha est émue car Epikhodov vient de la demander en mariage. On comprend que la Cerisaie est mise en ventes pour dettes dès le mois d’août mais Lopakhine a une idée pour sauver le domaine, faire un lotissement. Mais la famille et surtout Lioubov qui a laissé son amant à Paris, semble loin de ces problèmes d’argent, incapables pourtant de payer les intérêts des hypothèques en cours. Ils préfèrent philosopher ou jouer ou encore danser en attendant de savoir pour la vente de la Cerisaie, qui sera le nouveau propriétaire.



C’est la dernière pièce de TCHEKHOV malade. Elle représente l’évolution de la société que la noblesse ne peut ou ne veut suivre ( l’abolition du servage date de 1861). Lopakhine est le prototype du marchand, âpre au gain qui représente cette nouvelle classe qui émerge. Comme pour la Mouette, TCHEKHOV a écrit une comédie bien que certaines mises en scène en fassent plutôt une tragédie.

Magnifique pièce.
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La Mouette

La Mouette d’Anton TCHEKHOV

Dans le parc de Sorine, plusieurs personnes attendent la représentation de la pièce de Treplev jouée par Nina. Il y a Macha et Medvedenko, amoureux sans espoir de cette dernière. Treplev, écrivain, amoureux de Nina, ( fascinée par Trigorine) qui est attirée par le lac près de la propriété Sorine « comme une mouette », son père et sa femme ont peur qu’elle devienne actrice. La représentation commence. Dès le début de la tirade de Nina, Arkadina, actrice elle même et sœur de Sorine, fait des remarques à son fils qui, excédé, blessé, fait baisser le rideau et disparaît. Néanmoins Dorn le docteur a bien aimé tout en conseillant à Treplev, de retour, d’avoir une pensée claire faute de quoi son talent se perdra. Treplev lui n’est préoccupé que par Nina qui est déjà rentrée chez son père, il est désespéré. Quant à Macha elle est amoureuse de Treplev et demande au docteur son aide alors que ce dernier est fasciné par Arkadina qui entretient une relation avec Trigorine, un écrivain de seconde zone( il pille les autres)qui n’a pas aimé la pièce de Treplev. Enfin la mère de Macha, Paulina, a un faible pour Dorn le docteur, lasse qu’elle est de son mari Chamraiev.

Ainsi se présente le premier acte de cette pièce qui en comporte quatre, tous les personnages sont là, d’une grande banalité vus de l’extérieur, un peu tristes, désabusés mais animés chacun d’un souffle ravageur. Tous ces trios amoureux vont donc évoluer dans les actes suivants avec un drame que préfigure l’offrande d’une mouette à Nina par Treplev à son retour de chasse sur le lac. A noter que TCHEKHOV a toujours dit avoir écrit une comédie, ( il est vrai qu’on est souvent proche d’un vaudeville)bien que les nombreuses mises en scène théâtrales n’en aient pas toujours tenu compte et que la pièce soit régulièrement étiquetée comme une tragédie.

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Le gaucher

Le gaucher ( ou le Dit du Gaucher bigle de Toula et de la puce d’acier)de Nikolaï Leskov

L’empereur Alexandre Pavlovitch après avoir achevé un congrès à Vienne décide de visiter l’Europe pour admirer ses merveilles. Il est accompagné de Platov, un cosaque du Don. Les anglais vont présenter au souverain différentes réalisations qui vont l’éblouir mais pas Platov qui devant chaque objet répète inlassablement que les artisans russes peuvent en faire autant. Agacés les anglais vont alors présenter à l’empereur un grain sur un plateau. Étonné car il ne peut le saisir, on lui explique qu’il faut un microscope pour le voir et qu’il contient un mécanisme qui fait mouvoir une danseuse avec le concours d’une clé. Les anglais lui offrent mais lui font payer une fortune le coffret pour l’emporter. De retour en Russie l’objet restera dans les affaires de l’empereur bien longtemps même après sa mort jusqu’à ce que Nikolaï Pavlovitch son successeur le découvre un jour, fasse venir Platov vieux mais aussi vaillant, et toujours persuadé que les artisans russes peuvent faire aussi bien si ce n’est mieux. Alors le souverain lui demande de s’en occuper…

C’est bien évidemment un conte qu’écrit Leskov issu semble-t-il du folklore russe mais au delà du côté comique et outré du texte c’est l’écriture et la syntaxe qui retiennent l’attention. En effet de très nombreux mots ou morceaux de phrases sont déformés donnant à la lecture une coloration très particulière à la fois drôle et grotesque. C’est une écriture que de nombreux écrivains russes de cette époque pratiquaient et qui s’appelait le Skaz. Une explication passionnante est donnée en postface.

Exemples, «  pirotation »pour pirouette, « bretonnique »pour britannique, « miroscope »pour microscope, « giganténorme »etc…



À lire, Leskov est honteusement sous estimé en Europe de l’Ouest, il est pour moi l’égal des grands nouvellistes russes.

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Crime et Châtiment

De Dostoïevski, je n'avais lu, jusqu'à présent, que Le joueur et les Carnets du sous-sol, des romans somme toute brefs, mais dont j'avais apprécié la capacité de l'auteur de rendre au plus détaillé et pertinent les tourments d'une âme humaine.



Avec Crime et châtiment, c'est puissance 1000 que nous entrons dans les profondeurs de l'âme de Raskolnikov, dans tous ses cas de conscience, du début du roman où il prendra une première décision qui changera radicalement son existence à sa fin, qui conclura sur une autre décision, conséquence de la première, finalement logique, donnant pleinement sens au titre de l'oeuvre.



Entre les méandres de cette âme qui s'est perdue en chemin dans ses propres valeurs, dans sa propre morale, pas celles qui sont humainement acceptables, des incursions, très intéressantes, dans l'entourage de notre protagoniste, nous mènent, bien que subrepticement, dans la Russie de son temps.



En somme, un roman passionnant, mais très exigeant, en ce que rester surtout plongé dans les affres psychologiques d'un personnage pendant plus de 700 pages peut être éprouvant. J'ai donc pris mon temps pour savourer pleinement ce monument de la littérature russe, qui n'a fait que me confirmer tout le bien que je pensais déjà de son auteur.
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J'ai tué et autres récits

L'édition folio 2 euros comprend trois nouvelles : le Brasier du Khan (1924) L'Ile pourpre (1924) et J'ai tué (1926).



Né à Kiev en 1891 dans une riche famille russe, Boulgakov a d'abord été médecin. Il est mobilisé dans la guerre contre l'Allemagne puis il est enrôlé dans l'armée blanche. Il devient un témoin privilégié de la guerre civile fratricide, des exactions de Petlioura qui le traumatisent, et de la révolution bolchevique qu'il accepte comme un moindre mal, sans jamais perdre sa lucidité. Boulgakov apprend la sévère défaite des Blancs, le 15 février 1920, près de Vladicaucase où il est stationné. Cette nouvelle est pour lui une révélation : la cause des Blancs est irrémédiablement perdue, le monde ancien n'est plus. Il abandonne la médecine et se met à écrire. Tout au long de la décennie, Boulgakov écrit près de deux cents récits publiés dans des revues littéraires ou des journaux. Dès ses débuts, il se distingue par son langage critique, teinté d'une ironie féroce et, très rapidement, la censure s'attaque à ses oeuvres.





Dans le Brasier de Khan, le vieux serviteur Jonas Vassilitch doit remplacer la guide officielle, atteinte d'une rage de dents et faire visiter le domaine de Khanskaïa Stavka à un vulgaire groupe de « touristes ». On y trouve des adolescents en costume kaki, des jeunes filles en chemisette de matelot, d'autres en sandalettes. Et puis un nudiste entre deux âges, muni d'un pince-nez. le vieux Jonas fulmine car tous ces gens ne respectent rien. le soir venu, des pas résonnent du côté de la salle de billard…

Cette nouvelle est fameuse. On marche d'abord dans les pas du vieux serviteur, dépassé . Il n'est pas vraiment sympathique. Il est plein de préjugés, il n'a pas évolué d'un iota depuis le Moyen-Age. Il est cruel avec son chien « César » qui n'a pas su défendre le domaine. Et il souhaite la mort de la guide. Les jeunes visiteurs révolutionnaires en tenue militaire sont grossiers, dépenaillés, vulgaires et irrespectueux. le « nudiste » (qui ne l'est pas) représentant de l'extrémisme de gauche est caricaturé. Ainsi que la culture officielle en la personne d' Ertus Alexandre Abromovitch, chargé de relater l'histoire des Tougaï-Beg dans la ligne du marxisme-léninisme. Boulgakov semble regretter l'ancien monde, tout en étant très lucide. Deux solutions : émigrer (comme ses frères, comme Nabokov ) en emportant le souvenir de l'ancien monde intact ou essayer de survivre dans le nouveau.





L'Ile Pourpre est une nouvelle satirique, plus tard transformée en pièce de théâtre qui valut à Boulgakov bien des ennuis. Elle est difficile à déchiffrer sans aide extérieure. Mais avec une deuxième lecture on perçoit bien toute l'ironie du texte.

Elle ressemble dans sa forme à une parodie de la littérature prolétarienne qui utilisait alors des personnages de la littérature européenne pour fabriquer des textes socialistes. La nouvelle est sous-titrée « Roman du cam. Jules Verne, Traduit du français en langue d'Ésope par Mikhaïl A. Boulgakov ». Les noms utilisés pour les lieux, les personnages ainsi que certains événements sont tirés d'oeuvres populaires de Jules Verne (surtout les Enfants du capitaine Grant). Boulgakov décoche des flèches bien aiguisées au colonialisme raciste franco-anglais et à l'hypocrisie occidentale en général. le vaisseau Espérance du célèbre Glenarvan a découvert l'ïle située dans le Pacifique. Grâce aux quelques notes de la traductrice on comprend que L'île pourpre c'est la Russie rouge. Les Efiopiens sont le bon peuple russe (Les Rouges) , Les Nègres blancs sont les représentants de l'autocratie et de l'orthodoxie. Les Nègres de couleur indéterminée surnommés" fieffés" sont les démocrates sociaux. La nouvelle est divisée en trois parties.

1.L'explosion de la montagne qui soufflait le feu. ( le déclenchement de la Révolution). Au pied d'un volcan éteint depuis trois-cents ans, à l'ombre d'un palmier, le souverain Sizi-Bouzi siège dans sa parure d'arêtes de poissons et de boîtes à sardines, avec à ses côtés le grand prêtre ainsi que le chef des armées, Rikki-Tikki-Tavi. Les Efiopiens rouges travaillent à la culture des champs de maïs, à la pêche et à la récolte des oeufs de tortue. Lord Glenavan pose son drapeau sur l'île. Les Efiopiens s'emparent du drapeau pour se faire un pantalon. Et ils se font fouetter par le Lord anglais. Ensuite le Lord, accompagné du Français Ardan et Sizi-Bouzi entrent en pourparlers...après la catastrophe, le « génial »Kiri-Kouki (Alexandre Kerenski) ivogne patenté et Nègre fieffé se présente peinturluré de rouge et déclare « maintenant qu'on est devenu des Efiopiens libres, je vous dis publiquement merci ! le correspondant du Times est enthousiasmé et l'énorme foule qui n'y comprend rien crie Hurrah ! Kiri-Kouki a promis de distribuer à chacun de la vodka, qu'il importait contre du maïs du pays. Cela a entraîné une pénurie de nourriture et des troubles parmi les Efiopiens rouges et, un soir, l'île entière explose. Kiri Kuki s' enfuit et le monde entier est choqué après avoir reçu un télégramme du correspondant du « Times » qui se trouvait sur l'Île Pourpre : « Depuis cinq jours wigwams nègres en feu. Nuée Efiopiens (illisible) Escroc Kiri en fuite...(illisible) ». Et le surlendemain, nouveau message bien lisible envoyé d'un port européen : « PEUPLE EFIOPIEN A DECLENCHE BOUNT GRANDIOSE. ILE EN FEU, EPIDEMIE PESTE. MONTAGNE CADAVRES. ENVOYER AVANCE CINQ CENTS. LE CORRESPONDANT.

2.L'Île en feu.( La guerre civile).

3. L'île pourpre. (La Russie soviétique).

A la fin fusent sur toutes les stations de radio, le message suivant : ÎLE ÊTRE THEÂTRE BAYRAM PROPORTIONS ÉNORMES STOP DIABLES BOIVENT EAU DE VIE DE COCO !

Après quoi La tour Eiffel reçoit une émission d'éclairs verts…



J'ai tué . La nouvelle la plus simple et la plus directe du recueil. Elle se situe à Kiev pendant la guerre civile, entre 1918 et 1921. « De tous les occupants qui sévirent à Kiev, rappelle la traductrice, les plus cruels à l'encontre des civils furent, selon Bougakov, les séparatistes ukrainiens dont le leader était Simon Petlioura ».

D'après le narrateur, le docteur Iachvine n'avait rien d'un médecin moscovite. Toujours impeccable, raffiné, un peu poseur, fréquentant les théâtres, l'opéra, fervent lecteur...On dirait évidemment Boulgakov. Visiblement traumatisé par un événement survenu le mardi 1er février (1920) le docteur Iachvine avoue qu'il a tué. Et de raconter avec le plus grand calme à ses confrères moscovites les circonstances terribles et tragiques durant lesquelles il a tué délibérément un colonel qu'il était censé soigner.

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Homo zapiens

Deuxième « gros roman » de Pelevine après La mitrailleuse d'argile, cet Homo zapiens (Génération P, en russe) clôt les années 1990 en s'attaquant aux manifestations premières de l'abêtissement des masses à une époque où internet n'était pas encore aussi répandu que maintenant. Je veux parler de la publicité et de la télévision.



Avec son patronyme redondant en T, l'anti-héros Tatarski rappelle le Tchitchikov des Âmes mortes. Il illustre la faillite morale et intellectuelle de sa « génération P » (comme Pepsi… et Pelevine), une génération prise entre l'effondrement du bloc soviétique et la capitalisation accélérée du pays sous Eltsine. Fraîchement émoulu de l'institut littéraire et philosophique, Tatarski est emporté par le tourbillon de l'argent, de la drogue et de la pub, en une satire incessante du monde moderne qui est surplombée par un chapitre central où un bad trip à base de « timbre babylonien » (référence à Mandelstam) confronte Tatarski au dragon Sirrush, plus connu sous son nom persan, le Simorgh. Tel un bodhisattva, la créature lui ouvre temporairement les yeux sur l'illusion du dieu argent, qui lui apparait sous les traits du babylonien Enkidu collectant et enfilant littéralement les âmes mortes de ceux dont il incarne et reflète les désirs a-vides.



Si l'imagerie éminemment postmoderne de ce chapitre était tenue de bout en bout, on tiendrait là un très bon roman. Mais ce n'est pas le cas. Là où la mitrailleuse d'argile s'avérait très décousu, Homo zapiens tombe dans l'excès inverse avec beaucoup de chapitres répétitifs mettant en scène des personnages médiocres et interchangeables, des « nouveaux russes » arrivistes pas si nouveaux puisque pouvant tous se ramener à l'archétype littéraire du poshlost. Les parodies et réécritures (elles aussi postmodernes) de pubs, amusantes au début, finissent par devenir lourdes et redondantes. Elles auraient sans doute dû être équilibrées avec la pseudo mythologie babylonienne revue à la sauce bouddhiste, trop timidement présente sur l'ensemble du roman malgré son rôle conceptuel central, le héros gravissant un ascenseur social semblable à la tour de Babel pour être confronté à un oeil divin (Enkidu, puis Ishtar) qui n'est que le reflet vide de ses illusions toujours plus grandes. Ses comas toxicomaniaques créent un mauvais karma pour la génération à venir, une chaîne karmique comme une chaîne d'hôtel ou de télé, où tout se répète et reste figé, comme si on enfilait des perles dorées, à l'instar d'Enkidu dans le pseudo-mythe pelevinien.



https://m.youtube.com/watch?v=Vi76bxT7K6U
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Babi Yar

Un livre de témoignages d’une très grande force.

Témoignages avec un S.

Attention le livre est dur et mon avis va évoquer quelques passages d’une horreur absolue.



# Anatoli 12 ans



Tout d’abord, le témoignage d’Anatoli 12 ans, habitant un faubourg de Kiev près du ravin de Babi Yar.

Il est témoin du massacre de dizaine de milliers de personnes.

D’abord les juifs, puis les tziganes, ensuite les résistants et finalement tous ceux qui étaient au mauvais endroit au mauvais moment.

Le mauvais endroit est vaste : c’est Kiev. Le mauvais moment, c’est l’occupation allemande durant la seconde guerre mondiale.



> Un dicton était devenu populaire : « Les Juifs sont kaputt, les Tziganes idem, et vous, les Ukrainiens, votre tour viendra de même. »



Il témoigne des sentiments mitigés de la population vivant dans la misère et la peur des bolchéviks. Le livre commence avant l’invasion allemande. Il dit plusieurs fois prendre des notes. Il a déjà la volonté de raconter plus tard.

Anatoli témoigne de la vie de sa famille sous le régime des soviets : les restrictions, la propagande, les purges, la peur.

Il évoque aussi brièvement l’Holodomor.



# La Shoah à l’Est



Anatoli témoigne des juifs massacrés lors de la « Shoah par balle ».

On gaze dans des camions, mais en grande majorité, on fauche des familles entières à la mitrailleuse avant de les enterrer parfois encore vivant dans le vallon.

Anatole ajoutera plus tard le témoignage de gens ayant échappé à ce qu’il qualifie de grande broyeuse d’humains.



Passé l’incrédulité des premiers jours



> Elle ne pouvait pas encore admettre l’idée qu’on fusillait les Juifs. Une telle masse de gens ! Ce n’était pas possible. Et puis, pour quoi faire ?



Il est absolument clair pour l’auteur que les gens savaient



> Ne savait pas uniquement celui qui ne voulait pas savoir.



# L’occupation allemande



La propagande soviétique à la suite du pacte germano-soviétique avait dépeint avec bien trop de bienveillance Hitler et le nazisme.

Ce qui a provoqué une fatale illusion :



> Les vieilles gens disaient : « Il y a toutes sortes d’Allemands, mais dans l’ensemble, ce sont des gens convenables et cultivés. Ce n’est pas la Russie barbare, c’est l’Europe, c’est la civilisation occidentale. »



Illusion qui dure quelques jours. Mais ensuite l’extermination des Juifs commence, puis on confisque presque toute la nourriture… S’ensuit une inexorable descente aux enfers où l’arbitraire, la famine, la mort font partie du quotidien de tout habitant de Kiev.

Une grande partie périra.

Anatoli tente par tous les moyens de survivre : la faim est abominable. Le danger est omniprésent.



Il est juste trop jeune pour faire partie des rafles des Ukrainiens envoyés en Allemagne pour travailler comme des forçats.

Il est d’ailleurs conscient de sa chance. Il note à quel point la séparation entre la survie et la mort est mince.



Et avant de quitter Kiev, les nazis essayent de faire disparaitre Baby Yar. Ils ne seront pas les seuls.



# Le témoignage d’Anatoli l’écrivain soviétique



Après la guerre et bien après la mort de Staline, Anatoli tentera de publier son récit.

Mais ce livre est absolument impubliable pour le régime soviétique.



> J’ai apporté en 1965 le manuscrit initial de ce livre à la rédaction de la revue Iounost à Moscou. On me l’a aussitôt rendu avec, disons, un empressement épouvanté, en me conseillant de ne le montrer à personne tant que je n’en aurais pas extrait tout le contenu « antisoviétique », qu’on m’avait signalé par des annotations.



Car comme Vassili Grossman dans son chef-d’œuvre « Vie et Destin », Anatoli établi un parallèle insupportable (pour le régime) entre le paradis des prolétaires et le régime nazi.



> Ils croyaient mourir pour le bonheur universel, et les Allemands les fauchaient avec leurs mitraillettes au nom de ce même bonheur universel



Et il n’hésite pas à témoigner de l’anti-sémitisme florissant après-guerre



> Plus d’une fois, j’ai entendu des communistes de Kiev s’exprimer en ces termes :

> — Babi Yar ? Quel Babi Yar ? L’endroit où on a fusillé quelques Juifs ? Et en quel honneur devrions-nous élever des monuments à des sales Juifs ?



Les nazis ont essayé de faire disparaitre Babi Yar et avec un très grand zèle le régime soviétique a poursuivi cette tâche.



# Des rencontres marquantes



Des enfants

Des voisins

Des membres de sa famille Des lâches

Des ignobles

Des paumés



L’auteur sait décrire avec précision avec justesse et sobriété ceux dont il croise le chemin.



# Un livre témoignage de la censure



Cette édition récente utilise la typographie pour montrer trois sortes de textes



- le texte qui est resté après la censure

- le texte censuré en italique

- le texte ajouté par la suite par l’auteur ayant fui l’union soviétique entre crochets



Cela ne nuit pas à la lecture. Cela éclaire la nature du régime soviétique.



Le livre est en lui-même un témoignage de l’arbitraire, du pouvoir qui a peur de la vérité.

Même si Anatoli Kouznetsov n’a pas l’amplitude d’un Vassili Grossman, les passages ajoutés après l’écriture de son premier manuscrit « soviétique » sont l’occasion d’analyser son époque, la barbarie, la culture.



# Un message venu du XXᵉ siècle :



> Si, au XXᵉ siècle de notre ère, SONT POSSIBLES des épidémies d’ignorance et de cruauté à l’échelle mondiale, si le véritable esclavage, le génocide, la terreur généralisée SONT POSSIBLES, si le monde consacre davantage d’efforts à la production de moyens de destruction massive plutôt qu’à l’instruction et à la santé publique, alors, effectivement, de quel progrès parlons-nous ?



qui nous interpelle au XXIᵉ siècle :



> Il n’existe ici-bas ni bonté, ni paix, ni bon sens. Ce sont de méchants imbéciles qui gouvernent le monde. Et les livres brûlent toujours. La Bibliothèque alexandrine a brûlé, les bûchers de l’Inquisition ont brûlé, on a brûlé le livre de Radichtchev, on a brûlé des livres sous Staline, il y a eu des autodafés de livres sur les places publiques chez Hitler, et cela continuera toujours : il y a davantage d’incendiaires que d’écrivains. Toi, Tolia, qui es encore jeune, rappelle-toi que c’est le premier signe : quand on interdit les livres, c’est que ça va mal. Cela veut dire qu’autour de nous règnent la violence, la peur, l’ignorance. Le pouvoir des sauvages.



Un avertissement intemporel :



> Comprendrons-nous un jour qu’il n’y a rien de plus précieux au monde que la vie de l’homme et sa liberté ? Ou bien la barbarie reviendra-t‑elle ?



# Attention



Il me faudrait tant dire dans cet avis.

Évoquer l’équilibre du livre entre le récit d’un enfant de 12 ans et le cadre de l’écrivain adulte qui a pris du recul sur les évènements.

Ce n’est pas qu’un témoignage…



Je vais donner un conseil et un avertissement.



1. Le contenu



Comme pour « Les cercueils de zinc », il faut espacer les moments de lecture.

Reposez le livre après un chapitre.

Reprenez la lecture après un moment.



2. L’édition



Si vous avez entre les mains une ancienne édition sans les chapitres « Aux lecteurs », courte, avec des passages incohérents, alors vous lisez la traduction française tirée de l’édition censurée soviétique éditée par le PCF.

Ne lisez pas cette édition !
Lien : https://post-tenebras-lire.n..
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Sonietchka

Sonietchka n'est pas très jolie, mais ce n'est pas un problème car Sonietchka est passionnée par la lecture.

L'impensable pourtant se produit, lorsque Robert emprunte des livres dans la bibliothèque où elle travaille, et que Sonietchka abandonne la lecture pour l'épouser.



Un mariage, suivi d'une maternité presque miraculeuse, qui épanouit la jeune femme au delà de toute attente. Robert et leur fille Tania sont vraiment ce qu'elle attendait de la vie. de son côté Robert, l'artiste peintre qu'une relégation pour son esprit trop libre avait détourné de son travail le reprend, et s'amuse malgré les aberrations et les tracas du système soviétique. Sans aucun doute Robert et Sonietchka sont heureux. Et même quand Robert la trahit, Sonietchka salue le destin pour avoir donné à son mari vieillissant une belle jeune femme à aimer et à peindre.



C'est avec un humour irrésistible que Ludmila Oulitskaïa, dans une société soviétique inquisitrice et tracassière, brosse le portrait d'êtres terriblement attachants — l'altruiste et généreuse Sonietchka qui voue un amour inconditionnel à sa fille, son mari et la maîtresse de celui-ci. Robert et sa puissance créatrice que rien n'arrête, pas même un système visant à éliminer les gens comme lui. Tania, jeune fille résolument libre, et son opportune et bien séduisante amie à qui on a envie, comme eux, de tout pardonner.

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Les Fables

Les Fables traduit du russe et illustré de Jean-Pierre Pisetta chez Allia, avril 2024

Je ne connais pas Jean-Pierre Pisetta, mais ce monsieur a d'entrée le mérite de mettre ici à la portée du plus grand nombre des fables, contes, histoires vraies..choisis écrits par le célèbre Léon Tolstoi à l'issue de Guerre et Paix. L'écrivain russe avait alors des projets plein la tête, notamment celui de créer une école pour les enfants des paysans de son domaine. À cet effet, il mit en forme comme manuel scolaire les Quatre livres de lecture dont il existe plusieurs versions évolutives. La version finale sauf erreur date de 1872, quand il entreprend Anna Karénine . Les sources de ces histoires appartiennent en partie à la tradition remaniées, ramenées au russe de la main de Tolstoi ou créées de toutes pièces par lui-même à partir d'éléments vrais.

Quand on l'interrogeait sur l'oeuvre dont il était le plus fier, les Quatre livres de lecture lui venaient spontanément à l'esprit ! Jusqu'à sans doute la mise en forme de Résurrection qui intervint 20 ans plus tard et qu'il considérait comme étant le reflet exact de son âme, son oeuvre la plus aboutie.



Sous la direction de Charles Salomon aux Éditions Gallimard, l'oeuvre a paru en français a l'issue de la Grande Guerre que je sache, version rééditée par les Belles Lettres en 2014. En 1979, les Éditions Classiques proposèrent des textes choisis à partir des Éditions Gallimard ayant pour titre Contes et histoires vraies de Russie, illustrés par Michel Gay.



Merci en tout cas à la volonté de ces gens qui s'inscrivent dans une sorte d'intemporalité .pour que demeure l'oeuvre du maître russe. Les Fables de la Fontaine furent bien empreintes de culture hellénique.



Tolstoi avait écrit en épigraphe des Quatre livres de lecture ceci : « Mon ambition, la voici : que pendant deux générations tous les enfants russes, depuis ceux de la famille impériale jusqu'à ceux des paysans, soient formés par ce livre et en tirent leurs premières impressions poétiques et que je puisse mourir tranquille, l'ayant écrit. ( Lettre à sa cousine bien-aimée Alexandra Tolstoi. 12 janvier 1872)



Un mot sur Pisetta, concours de circonstances, je disais hier ma colère de voir passer la littérature italienne à dos de mulet transalpin vers la France. Ce passeur qui travaille sur 3 axes : France, Russie, Italie dont il est originaire fait écho à ce que je disais : sa traduction de l'oeuvre présente avec postface, illustrations en clin d'oeil pour les enfants était prête depuis 1986.



Le festin de ce recueil dans sa forme originale fut tellement copieux que l'on y trouvait des nouvelles comme la Chasse à l'ours, le Prisonnier du Caucase qui fit l'objet d'un film. Je ne vous dis pas la fraîcheur primesautière de ces écrits, nous avons le sentiment d'être mis en situation grandeur nature ici dans la forêt de la campagne russe, là dans les montagnes du sud où règnent des forces tribales et insoumises où l'on sent le souffle profond de Leon Tolstoi dans la force de l'âge et au faîte de son art.



Ces contes, fables, histoires vraies, nouvelles, après 1 siècle et demi d'existence se sont déjà patinés avec le temps sans prendre une ride. Je les vois dans leur caractère singulier et atypique pour les civilisés que nous sommes encore se bonifier dans 50, 100 ans .. ainsi l'ambition de Tolstoi a travers ces écrits sera supplantée par quelque chose de plus grand encore et sa mémoire aura atteint là son paroxysme eu égard au monde de la démesure qui était le sien.



Ce sont de ces sommets littéraires prenant l'aspect de manuel scolaire que l'on voit l'existentialisme de l'auteur qui se donnait pour but de préserver la nature et la culture slave empreintes aux influences d'où qu'elles viennent et séculaires. Ce n'est donc pas sans rapport qu'il abandonna plus tard la chasse et qu'il se mit à réprouver les guerres. Les ennemis n'étaient pas forcément ceux que l'on croit.









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Récits fantastiques russes

Un bref recueil de 3 nouvelles sur le thème du fantastique. le choix est plutot discutable :

Vladimir Titov, un illustre inconnu dont "La maison isolée sur l'ïle Vassilievski (1829) " semble bien le seul récit qu'on aie sous le coude (et plutot pas très réussi à mon goût);

Lermontov, très connu - pas vraiment pour ses contes fantastiques, d'ailleurs, il n'a même pas réussi à finir "Chtoss" ;-)

Enfin, seul choix digne d'intérêt, "Le Cosmorama" de Vladimir Odoïevski, très réussi celui là, où la science se mèle à l'imagination pour mettre entre des mains innocentes une sorte de cinémascope de scènes passées ou futures. Vladimir Odoïevski est un écrivain représentatif du genre et son recueil "Les nuits Russes", pas forcément limité au fantastique d'ailleurs, qu'on trouve visiblement (merci Babelio) chez L'Age D'Homme va passer direct dans ma PAL (ça me donnera l'occasion de mettre une première critique à ce livre qui n'a aucun lecteur... j'adore ça...)



Dans le genre, il faut surtout lire "La Russie fantastique, de Pouchkine à Platonov", compilation fournie de 21 nouvelles avec des signatures majeures (Pouchkine, Leskov, Andreiev, Zamiatine, Remizov,...), qui contient aussi Chtoss et deux autres nouvelles d'Odoïevski.
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Vie et Destin

« Pour s'implanter, le totalitarisme a besoin d'individus isolés et déculturés, déracinés des rapports sociaux organiques, atomisés socialement et poussés à un égoïsme extrême. » Hannah Arendt



Vie et destin : deux mots qui se juxtaposent dans un titre qui invite à l'universalité.

Vie et destin est un roman autour de la célèbre bataille de Stalingrad entre 1942 et 1943. Pourtant, dans cette fresque monumentale, ce n'est pas à un roman de guerre que nous convie Vassili Grossman.

Ce fut un moment crucial dans l'histoire soviétique voire mondiale, en effet la bataille de Stalingrad fut tout d'abord une sévère défaite de l'Armée rouge puis dans un second temps la victoire déterminante russe prenant à revers les forces allemandes et qui fut décisive pour le cours de l'histoire, le destin du monde et de l'humanité.

La fin de la guerre, la défaite du nazisme, la paix retrouvée, un renouveau possible, tout ceci fonda un immense espoir pour le devenir démocratique de l'URSS. Stalingrad, c'est le mythe de la grande guerre patriotique, fondatrice, qui survit encore aujourd'hui dans le désir de Poutine de réunifier la grande Russie.

Comment décrypter l'envers sombre du décor sans contester immédiatement les espoirs de justice et de démocratie puisque nous allions vers des lendemains qui chantent, même si plus tard ces lendemains déchantèrent très vite ? Dans l'histoire de la Russie, les souffrances et des humiliations d'un peuple furent effacées au profit de la gloire russe.

Écrit sous Staline, publié sous Khrouchtchev, saisi par le KGB, ouvrage séquestré, mutilé par la censure durant plusieurs années, ce livre a aussi une histoire, appartient à l'histoire. Il est vrai que Vassili Grossman n'y va pas par quatre chemins.

Ce n'est pas qu'un roman de guerre, cela ressemblerait plus à un roman à thèse, le récit de deux totalitarismes qui se sont affronté en face à face, sous deux formes de destruction de l'humanité.

Entre le nazisme d'Hitler et le bolchévisme de Staline, il y a bien une différence nous dit Vassili Grossman : d'un côté un fanatisme de race, de l'autre un fanatisme de classe. de quel espoir peut-on parler si deux régimes finissent par se ressembler tels des miroirs, se renvoyant une image effroyablement identique ? de quelle délivrance peut-on parler si à l'instant même où l'un des adversaires écrase l'autre, on s'aperçoit brusquement qu'ils sont jumeaux.

C'est cette polarité qui vient donner tout le sens du roman : cette question d'un totalitarisme partagé qui enjambe la tragédie d'un siècle de feu et de sang. Comment le XXème siècle a-t-il pu engendrer deux formes si différentes et si semblables, de totalitarisme exterminateur ? Et comment ce totalitarisme a-t-il pu se poursuivre jusqu'au XXIème siècle, jusqu'aux porte de l'Europe ? Qui en porte la responsabilité ?

Ce parallèle entre le dessein du nazisme dans son objectif d'extermination du peuple juif et le totalitarisme soviétique peut paraître hasardeux, il apparaît dès le début du texte et va porter l'ensemble du récit dans un roman choral où différentes voix parfois d'une même famille russe s'entremêlent, mais qui nous fait entendre aussi celles de soldats allemands.

C'est un très long roman qui dresse un panorama édifiant du fonctionnement de la société soviétique en nous plongeant dans l'intimité d'une multitude de personnages, tous complexes, dont les parcours entrecroisés se heurtent à l'histoire dans une période marquée par les deux grands crimes produits par le totalitarisme du XXème siècle, Auschwitz d'un côté et le Goulag de l'autre.

Le livre se déroule sur plusieurs niveaux de réalité. Au centre de l'histoire, on y trouve la famille Chapochnikov, on fait ainsi connaissance avec les deux soeurs Evguenia et Lioudmila à travers leurs destins si dissemblables, mais aussi celui du personnage de Victor Strum, physicien atomiste, théoricien de talent qui voit s'abattre sur lui le fléau d'un antisémitisme que jamais il n'aurait imaginé, tant cela paraît si absurde dans une société dite « socialiste », donc vouée au bien de toutes ses populations. J'ai aimé venir à la rencontre de ce personnage presque insaisissable, traversant le livre, traversant la guerre, se révélant à lui-même, à son destin, à l'amour de Maria Ivanovna. D'autres histoires d'amour s'entremêlent dans le désastre du monde, comme celle d'Evguenia Chapochnikov et du colonel Novikov.

Sur cette scène tragique de l'histoire mondiale, Vassili Grossman fait entendre le peuple, à travers le point de vue de quelques personnages essentiels, en nous faisant déambuler parmi chacun d'eux, capter un regard, une attitude, un geste, corps après corps, tout ceci donne le sentiment du monde, la sensation qu'on rencontre ici le monde, qu'on rencontre un peuple.

Le lecteur doit prendre son courage à deux mains et accepter de se plonger dans un océan de près de mille deux cents pages où il sera emporté comme dans un fleuve, où il se perdra, où il entrera dans des maisons, des laboratoires de physique nucléaire, des usines, dans des camps de concentration, au seuil des chambres à gaz, où il abordera le front de Stalingrad, l'emprisonnement de l'étau allemand, le huis-clos d'une maison acculée et qui résiste dans des conditions totalement ubuesques, où il sera invité à converser avec toute une myriade de personnages dont il oubliera les noms à peine la lecture achevée.

C'est une diversité des voix qui composent Vie et destin, que l'on peut voir aussi comme un roman psychologique, éclairant les ressorts de l'âme de ses protagonistes, leurs contradictions, leurs interrogations et leurs évolutions, avec beaucoup de finesse. À la question obsédante de savoir comment survivre, certains expriment le courage, d'autres l'angoisse, d'autres la lâcheté, d'autres enfin la tendresse ou l'amour… Dans un désir d'honnêteté intellectuelle qu'on peut saluer, Vassili Grossman nous livre une peinture sans concession de l'âme humaine face à la violence de l'État qui broie l'intime des vies individuelles, transformant ces vies en êtres méprisants, il va très loin dans la manière de visiter l'être humain dans ses turpitudes, mais il ne juge jamais, se contentant de dire jusqu'où celui-ci peut aller lorsqu'il est acculé, dos au mur face à la barbarie.

Montrer l'individu au milieu de la foule m'a rappelé une certaine tradition tolstoïenne de l'épopée. Même si l'histoire est centrée sur une famille en particulier, les Chapochnikov, j'ai trouvé que la difficulté du roman tenait à la profusion des personnages dont aucun n'émerge en définitive, insuffisamment creusés, j'ai déploré que les histoires d'amour ne soient pas suffisamment incandescentes pour me transporter, l'écrivain s'intéressant davantage au propos idéologique qu'il développe tout au long du livre. Des personnages entrent en scène chapitre après chapitre, leurs destins se croisent dans le fracas de la guerre et le malheur du monde : l'incompréhension, le désir de liberté, la résistance, les trahisons, les lâchetés, la prison politique, la torture, l'humiliation des procès, l'exil en camp de concentration, l'enfermement dans un ghetto, la mort. Les amours clandestines suscitées par les méandres de la guerre deviennent des citadelles fragiles. Vassili Grossman n'a pas le génie littéraire de Léon Tolstoï, malgré le désir de poser un souffle romanesque et Vie et destin n'atteint pas, selon moi, la grandeur inégalable de Guerre et Paix. La qualité littéraire du propos de Vassili Grossman manque au rendez-vous de cette immense fresque.

J'ai pourtant rencontré des passages bouleversants qui disent le sens et la dignité du roman, la lettre émouvante d'une mère à son fils blessé sur le front… Plus loin, cette femme qui mourra dans un véritable sentiment maternel, serrant tout contre elle un enfant qui n'est pas le sien mais le devient dans ce mouvement brownien qui mène une foule à la chambre à gaz… Puis tout à la fin du récit, ces deux amants qui doivent renoncer à leur liaison après la guerre, sans que le sentiment d'amour ne s'efface pour autant…

Le nazisme, c'est le mal absolu dans la quintessence de l'horreur, cela ne peut être contesté. Dire que le communisme est semblable est une démarche audacieuse. Dans cette analogie, Vassili Grossman va très loin. Dans sa genèse, le communisme était une belle idée, tout comme le christianisme : aider son prochain, mais dans une vision absolument collective. Même si à l'origine c'est une idée au service du bien, c'est le mal qui advint. de même, l'idéologie du nazisme convoquait Dieu pour justifier une forme de bien pour l'humanité. Beaucoup de personnes ne peuvent pas encore recevoir cela.

Tout ce mal qu'on fait pour tenter le bien… le combat au nom d'un bien universel fait du mal car il sacrifie l'humain, c'est le propos du livre. Mais en contrepoint de cette volonté d'un bien qui produit du mal, Vassili Grossman nous parle aussi à plusieurs reprises de bonté. À chaque fois, la bonté prend le visage d'une femme, d'une vielle femme d'ailleurs ? Faut-il y voir un signe, un message ?

Il y a encore des fulgurances de bonté possibles, malgré tout. Des endroits existent, dans les pages de ce livre, où se terre une foi dans l'humanité, malgré le mal, dans le visage de ces femmes notamment… Cette bonté privée d'un individu à l'égard d'un autre individu, parfois à l'égard d'un ennemi blessé qu'une vieille femme va nourrir, va soigner alors que la guerre a fauché ceux qu'elle aimait, une bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie, cette humanité qui ne fait pas de bruit. On pourrait la qualifier de bonté sans pensée. La bonté des hommes hors du bien religieux ou social, intimé, ordonné, absolu, qui se termine parfois dans le sang… J'ai aimé me laisser séduire par ce propos.

On dit que ce roman a changé une certaine vision du monde.



« L'État fasciste soutient le médiocre contre celui qui pense, l'incapable contre le talentueux. » Jeliou Mitev Jelev, le Fascisme



Je remercie une fois encore ma fidèle complice Anna (@AnnaCan) qui m'a accompagné dans cette lecture d'une oeuvre magistrale et qui ne fut pas toujours un long fleuve tranquille.
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Le débutant

Pourrait-on parler de polar dostoïevskien ? Où comment le FSB ne renonce pas à pourchasser, des décennies plus tard, l’inventeur d’un poison “parfait”. Deux récits entrelacés qui nous ramènent dans les villes “fermées” de l’ex URSS où les savants dévoyés et/ou patriotes concoctaient les armes biologiques et autres. Une occasion pour le lecteur peu averti des activités soviétiques de revisiter l’histoire que l’auteur déroule en arrière-plan. Et à la fin, une morale, à défaut de la morale…
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Un coup d'aile, suivi de

Nabokov, gage de vacances fantastiques et quasi-instantanées. Même pas besoin d'avion : en un soulèvement de page, en « Un coup d'aile », nous chaussons les après-skis, et en route pour les fantasmagories, délice glacé et horreur mêlés. Sur les pistes enneigées s'élance une jeune beauté insolente, angélique. Et pourtant l'ange de la mort rôde au revers obscur de ce paysage où le narrateur erre comme un pauvre diable prêt à perdre son âme. Il y a d'ailleurs comme un vague relent de Shining dans toute cette blancheur et dans une scène de bar en forme de vrai-faux pacte alcoolisé.



Il n'est pas dit si ce bar propose du limoncello, mais si tel n'était pas le cas, « La Vénitienne » propose un petit en-cas rattrapant ce manque. Nouvelle citronnée, acidulée, où Nabokov joue à manipuler le lecteur comme dans un tour de magie, le distrayant avec des accessoires et des tableaux en trompe l'oeil pour mieux se payer son portrait, une sournoiserie reflétée dans le sort cruel du pauvre anti-héros. Et dire que ce dernier ne demandait qu'à appendre à se balader dans les toiles de maître, près de son étoile italienne... Entrer dans des tableaux, voilà un type de revendication qui paraîtra fort légitime aux lecteurs aguerris de Nabokov, depuis longtemps habitués à folâtrer parmi les couleurs blanc neige et jaune citron étalées en ces pages par le maestro.
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