Beaumont Germaine (1890-1983, pseudonyme de Germaine Battendier) – "
Des maisons, des mystères" (titre factice), avec une préface d'
Hélène Fau – Omnibus, 2013 (ISBN 978-2-258-10048-0)
Recueil de trois romans : "La harpe irlandaise" (publié en 1941), "Les clefs" (publié en 1940) et "Agnès de rien" (publié en 1943) ; "préface" signée
Hélène Fau, résumant à grands traits la carrière littéraire et radiophonique de
Germaine Beaumont, suivie d'une "Chronologie" et d'une "Bibliographie des oeuvres de
Germaine Beaumont".
Un livre rencontré tout bêtement lors d'une escale dans l'une de ces stations d'essence jalonnant les autoroutes, toujours flanquées d'une sorte de supermarché détaillant aux prix les plus forts les alimentations industrielles les plus ignobles, en présence d'un ou
deux tourniquets ou présentoirs à livres neufs soldés, parmi lesquels surnagent parfois l'un ou l'autre volume présentant un réel intérêt, que l'on ne trouvera que difficilement ailleurs. Cette fois-là, donc, c'était sur l'autoroute reliant Strasbourg à
Paris via Metz, et ce fut le nom de
Germaine Beaumont.
Comme pour de nombreuses autres personnes de ma génération, ce nom évoque immédiatement les "Maîtres du mystère", que nous écoutions groupés autour de ma grand-mère paternelle (grande dévoreuse de romans policiers... et de matchs de catch) et de son hénaurme poste radio (ceux qui étaient équipés de vraies lampes, qui étaient couramment désignés par le sigle TSF, qui servirent à écouter Radio Londres – toute une époque). Cela commençait par un indicatif sonore inoubliable (que l'on retrouve sur "Youtube") et l'énoncé "les maîtres du mystère,
Pierre Billard et
Germaine Beaumont ont choisi pour vous..."
Par la suite, au fil de lectures hétéroclites, les lectrices et lecteurs qui eurent par hasard la chance de découvrir l'oeuvre de
Colette (auteur jugé mineur, donc rarement abordée dans les sacro-saints programmes de l'Éducation National franchouillarde, alors qu'elle avait les honneurs du Lagarde et Michard) croisaient immanquablement ce nom de
Germaine Beaumont, fille de la grande amie Annie de Pène, devenue la quasi fille adoptive de
Colette pendant un temps, laquelle lui mit le pied à l'étrier. On apprenait qu'elle fut membre du jury attribuant le Prix Femina tout d'abord de 1934 à 1945, puis à partir de 1952, tout en assurant une présence sur la scène du roman policier, ou du roman "à mystère". Bref, un nom qui nous accroche d'autant plus que ses propres romans, souvent épuisés en édition originale, sont devenus difficiles à trouver en librairie.
Les trois romans proposés ici sont centrés sur une maison (la Cour Jamoise dans le premier, la Jondraie dans le
deuxième, les Fonts de Laumes dans le troisième), située dans un coin perdu de la campagne profonde, dans un état d'abandon ou de délabrement avancé, appartenant à une famille dont il ne reste qu'une vieille mère plus ou moins manipulée par sa fille, toutes
deux acariâtres et pingres, faisant subir la pire tyrannie à des servantes incarnées par de pauvres filles issues de la campagne (ambiance Thénardier à la
Victor Hugo, mâtinée de Père Goriot à la
Balzac).
Le mystère – fort bien mené – concerne soit la découverte progressive d'une filiation inattendue (thème assez conventionnel dans la littérature des siècles précédents), d'un horrible passé à oublier, d'une passion bien entendu in-vivable en raison des conventions sociales (moteur inépuisable du genre romanesque depuis "Tristan et Iseut" ou "La princesse de Clèves"). le tout sur un fond de campagne prêtant lieu à des descriptions dignes de la grande
Colette.
Deux bémols cependant : nous sommes dans un monde proche de celui dépeint par
Irène Némirovsky, peuplé de riches héritières, disposant de fortunes colossales leur permettant de vivre dans l'oisiveté ou de gérer la ruine et la décadence d'une fortune patricienne, alors que le peuple des campagnes ne comprend que des dégénérés, des alcooliques incultes, de sombres brutes à la limite de l'état sauvage (cf le "Journal d'une femme de chambre" d'
Octave Mirbeau).
Par ailleurs, l'auteur appartient à ces générations qui croyaient encore fermement à l'hérédité, à la race, aux théories à la Gobineau, à la physiognomonie des Lavater et autres Gratiolet, comme le montre par exemple l'exposé des origines des familles Coutreras-Clauvel (pp. 356-357).
L'intérêt de la prose de
Germaine Beaumont réside dans l'accent mis avant tout sur les personnages féminins, qui occupent pratiquement toute la scène. Les personnages masculins sont relégués soit dans les vapeurs du souvenir (la plupart des héroïnes sont veuves), soit dans la fange du vice (éloge du matriarcat dans "Les clefs", pages 402 puis 414, ou condamnation collective "les hommes sont répugnants" dans "Agnès de rien", p. 648). La gent féminine est incarnée par des personnages contrastés, l'héroïne du récit représentant le côté positif voire éthéré, se heurtant à des femmes peintes au vitriol.
Dans "La harpe irlandaise",
Germaine Beaumont raille avec férocité ces femmes gestionnaires (les manadgeuses hyper-actives d'aujourd'hui) dépourvues de toute sensibilité (voir par exemple pp. 173-175 puis 296-298). Dans "Les clefs", elle dresse le portrait d'une mère à l'avarice sordide manipulée par une fille sans scrupule aucun (Mme Clauvel "ne faisait pas toujours des additions" p. 403). le portrait féminin le plus féroce se trouve probablement dans "Agnès de rien", avec cette Alix en représentation perpétuelle, martyrisant hypocritement son entourage y compris sa propre mère sans avoir l'air d'y toucher.
Comme
Irène Némirovsky,
Germaine Beaumont excelle dans les portraits incisifs, cruels, férocement ironiques et décapants de femmes avides et manipulatrices, témoignages de cette époque de l'entre-
deux guerres, qui invente le "féminisme forcené" incarné par la manipulation des "torches de la liberté" d'
Edward Bernays et le mépris de nos grand-mères reléguées au rang de potiches.
Un véritable régal dans le genre (si l'on peut encore l'écrire ainsi).