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Philippe Brunet (Éditeur scientifique)Karen Haddad-Wotling (Préfacier, etc.)
EAN : 9782911188664
143 pages
Allia (19/06/1998)
4.36/5   14 notes
Résumé :

Ce livre s'adresse aux jeunes filles, aux femmes, aux féministes, aux amateurs de ces trois catégories, aux misogynes, aux amantes, aux amants, aux chercheurs de curiosités, aux professionnels du thème, du champ lexical et de la variante, aux experts en chansonnettes, aux collectionneurs, aux lecteurs de Queneau, aux lectrices, aux historiens de la sexualité, aux hellénistes, aux travestis, aux traducteurs, aux traductrices passées et futures.

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100 FOIS SUR LE MÉTIER REMETTEZ VOTRE OUVRAGE !

Bien que la citation originale de Nicolas Boileau présuma un peu moins des forces de l'artisan - il n'engage que vingt essais -, c'est à peu de choses près ainsi que l'on pourrait résumer, non sans quelque humour un rien moqueur (mais attendri), cet étonnant ouvrage proposé par les excellentes éditions Allia, celle-là même qui proposent par ailleurs la redécouverte de textes passionnants sur la paresse, sur la Kabbale, la philosophie antique, moderne ou chinoise, des œuvres méconnues de Walter Benjamin, de Simone Weil, de Jean-François Billeter ou de Marcel Schwob et bien d'autres ouvrages tous aussi surprenant qu' enthousiasmant.

Cet ouvrage d'un peu plus d'une centaine de pages, contenant cent propositions exactement, reprend ainsi l'un des textes les plus fameux - si ce n'est le plus célèbre - de la poétesse grecque antique, Sappho, généralement intitulé l'Ode à l'aimée. Celui-ci ne nous est connu que par des fragments (l'un d'eux n'ayant d'ailleurs été partiellement complété qu'en 1965 !), tiré de deux ouvrages postérieurs à leur écriture, ainsi que par une première traduction d'ailleurs plutôt libre du poète romain Catulle.

En voici l'une des traduction contemporaines les plus récentes, peut-être l'une des plus inhabituelles, mais envoûtantes et vivifiantes à la fois :

À UNE AIMÉE

Il me paraît
un rival
des dieux

l'homme qui peut
rester assis
près de toi

bercé de la
douceur sans nom
de ta voix

Tu parles
il écoute

les notes de
ton rire et moi
dans ma poitrine

coeur stupide

je t'aperçois
en un instant
il n'y a plus

un seul son

un seul
dans ma bouche

Et tout à coup
langue rompue

le feu court

fin sous ma peau
mes pauvres yeux

ne voient plus

L'oreille
me bourdonne

Et la sueur
m'inonde et
le frisson me

prend captive

plus verte que
gazon c'est à
peine si je

vis encore

de tout
privée

mais il faut
tout oser
puisque...

(proposition de traduction par Jérôme Vérain dans "À une aimée absente")

Ce poème a beaucoup marqué les poètes en ce qu'il est sans doute l'un des tous premiers, d'une femme, évoquant avec un lyrisme parfait les émois intimes, profonds, contrastés, pour ne pas dire parfaitement opposés en apparence et, de fait, totalement subjectivés, son amour pour une tierce personne - que l'on suppose être une autre femme même si rien dans le texte original ne permet de le dire de manière définitive, mais qui semble relever d'une certaine logique, eu égard à ce que l'on sait de sa créatrice, aristocrate originaire de Lesbos dans les îles éoliennes - dont la jalousie éprouvée à l'égard de celui qui, probablement son mari, peut s'approcher de l'objet aimé, convoité, tel l'égal d'un dieu approchant la déesse, plonge dans un état proche de la mort.

Ainsi, on retrouvera ici les traductions plus ou moins libres ou même seulement évocatrices de Nicolas Boileau, de Jean Racine, d'André Chénier, De Lamartine, d'Alexandre Dumas, de Jean Richepin, de Renée Vivien, de Robert Brasillach, de Marguerite Yourcenar ou encore d'André Markowicz pour ne citer que quelques-uns des plus célèbres d'entre eux. Toutes ces adaptations ne sont pas, c'est l'évidence, aussi brillantes, aussi profondes les unes que les autres. Certaines sont absolument fades à force de courir après un texte rédigé dans une langue éteinte depuis fort longtemps. D'autres nous touchent malgré les maladresses telle celle d'une anonyme dont on sait seulement qu'elle était "fille de qualité de Guyenne, âgée seulement de dix-huit ans". Parfois, deux traductions paraissent être la copie presque parfaite l'une de l'autre, malgré des transcripteurs différents. Mais il est une relecture qui, plus que toutes les autres rassemblées ici, semble toucher au plus près des intentions de la grande poétesse grecque, c'est cette relecture incroyable et d'une profonde sensualité, qu'en donne sa lointaine descendante lyonnaise (par la grâce et la musicalité), la poétesse Louise Labé quand bien même n'aurait-on aucune preuve qu'elle ait eu connaissance directe de l'original (on ne sait d'ailleurs même pas avec certitude si celle que l'on a surnommé "la belle cordière" a jamais existé !), qui nous touche encore aujourd'hui tant elle sait dire beaucoup d'un être qui aime :

Je vis, je meurs : je me brule et me noye.
J'ay chaut estreme en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ay grans ennuis entremeslez de joye:

Tout à un coup je ris et je larmoye,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure :
Mon bien s'en va, et à jamais il dure :
Tout en un coup je seiche et je verdoye.

Ainsi Amour inconstamment me meine :
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me treuve hors de peine.

Puis quand je croye ma joye estre certeine,
Et estre au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labé, Sonnet VIII

Quant à ce que l'on peut penser d'un tel étrange ouvrage - sorte de kaléidoscope de traductions/propositions/adaptations/réinventions d'un même et unique texte (imparfaitement) sauvegardé à travers les âges mais capable aujourd'hui encore de parler à notre plus profonde intimité : jalousie, envie, désir, souffrance, amour, mort... -, voici ce qu'en dit, pour conclure, le traducteur et postfacier Philippe Brunet : «Quelle leçon tirer de cette tentative obstinément réitérée d'identification avec celle que les Anciens appelèrent, non sans prophétie, la dixième Muse ? La traduction d'un texte dans une langue donnée témoigne de sa réécriture permanente. Dans le cas présent, elle fait plus que d'offrir une métaphore de la création (Jorge Luis Borges, préface au Cimetière Marin) ou d'ouvrir une histoire de la langue (George Steiner, Lire en frontalier) ou encore de la traduction (le John Donne d'Antoine Berman). de cette accumulation de caricatures, fantômes, clones à des degrés divers, rencontres, liens, de cette mimésis pieusement rejouée de l'une à l'autre, il ressort que l'original se réinvente à chaque génération, que le sérieux des traducteurs et la fantaisie des imitateurs se confondent dans un même acte rituel d'écriture et une même poursuite érotique : l'extrême vérité de Sappho, loin de préexister à ses avatars, se transforme sans cesse pour s'imposer dans la coexistence contradictoire de ses prétendants.»
... Ou comment, parce qu'elle ne cesse d'être réinterprétée, la pensée et l'oeuvre saphique n'en finit jamais de vivre et de revivre toujours et un peu plus, malgré le défi posthume, si souvent oublieux, des générations.
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Nous en savons très peu sur la vie de la poétesse Sappho, sinon qu'elle vécu aux VII et Viéme siècles avant notre ère, principalement sur l'île de Lesbos, située dans la mer Egée du Nord Est, à proximité de l'actuelle Turquie.

Selon les spécialistes, notre poétesse aurait écrit plus de dix milles vers, mais seuls six cents d'entre eux, nous sont parvenus, des copies ou des citations d'auteurs d'époques postérieures ; mais cet état des lieux est encore plus désespérant car une seule ode entière, l'Hymne à Aphrodite (ode n°1 selon la nomenclature établie) a traversé intacte les ages.

Ce bilan n'est malheureusement que trop familier, s'agissant d'auteurs antiques, y compris parmi les plus emblématiques. On pense naturellement au trio d'auteurs tragiques Eschyle, Sophocle et Euripide dont la majorité des oeuvres est à jamais perdue, sauf coup(s) de théâtre archéologique(s).

L'oeuvre poétique de Sappho n'est sans doute pas la première à chanter l'Amour, par exemple un texte comme le « Cantique des cantiques » avait déjà magnifié avec lyrisme la communion des corps. Mais en l'état des documents disponibles, il apparaît que Sappho soit la première poétesse identifiée à avoir construit son univers à la gloire d'Eros.

L'hymne à Aphrodite, évoqué plus haut, constitue à cet égard un manifeste, une profession de foi, serait-on tenté de souligner.

C'est bien la perception que la communauté poétique en a fait à travers les siècles, comme en témoigne ce recueil, « L'égal des dieux-cent et une versions d'un poème de Sappho », une compilation établie par Philippe Brunet en 2019. Plus précisément il s'agit de la déclinaison de cette ode :

« Il me paraît, celui là-bas, égal aux dieux, qui face à toi est assis, et tout près écoute ta voix suave et ton rire charmeur qui a frappé mon coeur d'effroi, dans ma poitrine ;
tant il est vrai que si peu que je te regarde, alors il ne m'est plus possible de te parler, pas même une parole ;
mais voici que ma langue se brise, et que subtil aussitôt sous ma peau court le feu ;
dans mes yeux il n'y a plus un seul regard, mes oreilles bourdonnent ;
la sueur coule sur moi ;
le tremblement me saisit toute ;
je suis plus verte que la prairie ;
et je semble presque morte ;
mais il faut tout endurer puisque... »(SapphoPoèmes trad Jackie Pigeaud p. 115 reprise par Philippe Brunet p. 133).

L'Amour qui ébranle intimement un être est le terrain de prédilection de la poésie mais ces vers peuvent être considérés comme fondateurs ; difficile d'exprimer avec plus authenticité, de force, d'intensité, voire de violence, le transport amoureux.

On lit ce recueil, comme on pourrait agiter un moulin à prières sous d'autres latitudes.

D'une version à une autre, il y a bien sur beaucoup de similitude(s) et on ne sait pas les versions qui sont le produit de traductions directes et celles qu ne sont que des reprises avec des petites variantes personnelles.

Curieusement, nombre de versions ont été écrites en français des XVI et XVIIème siécles, un artifice pour une finition patinée (?).

Peut-être pour rester dans le style de Louise Labé qui fut, semble t-il la première, à (re)traduire le texte.
C'est heureux et symbolique que ce fut l'oeuvre d'une femme telle que Louis Labé. J'aime beaucoup cette version :

« Je vis , je meurs ; je me brule et me noye.
J'ay chaut extreme en endurant froidure.
La vie m'est trop molle et trop dure.
J'ay grans ennuis entremeslez de joye.

Tout à un coup je ris et je larmoye,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure
Mon bien s'en va, et à jamais il dure :
Tout en un coup je seiche et je verdoye.

Ainsi Amour inconstamment me meine :
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis quand je croy ma joye estre certaine,
Et estre au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur. »

(Louis Labé p. 26)

Et celle de Renée Vivien, enrichie avec bonheur a également ma préférence :

« Il me paraît, celui là-bas, égal aux dieux, qui est assis dans ta présence, et qui entend de près ton doux langage et ton rire désirable qui font battre mon coeur au fond de ma poitrine.
Car lorsque je t'aperçois, ne fut-ce qu'un instant je n'ai plus de paroles, ma langue est brisée, et soudain un feu subtil court sous ma peau mes yeux ne voient plus, mes oreilles bourdonnent,la sueur m'inonde et un tremblement m'agite toute ;
je suis plus pale que l'herbe et dans ma folie je semble presque une morte ;
mais il faut oser tout... »

« L'homme fortuné qu'enivre ta présence
Me semble égal des Dieux, car il entend
Ruisseler ton rire et rêver ton silence.
Et moi, sanglotant,

Je frissonne toute, et ma langue est brisée :
Subtile, une flamme a traversé ma chair,
Et ma sueur coule ainsi que la rosée
Âpre de la mer ; »

« Un bourdonnement remplit de bruits d'orage
Mes oreilles, car je sombre sous l'effort,
Plus pâle que l'herbe, et je vois ton visage
A travers la mort. »

(Renée Vivien p. 97)

J'ajouterai une version, absente du recueil de Philippe Brunet, celle mise en musique dans ce chef d'oeuvre musical d' Angélique ionatos-Nena Venetsanou « Sappho de Mytlilene ».

Plus verte que l'herbe

« Car dès que je te vois un instant, plus aucun son ne me vient,
mais ma langue se brise, un feu léger
aussitôt court dans ma chair
avec mes yeux je ne vois rien, mes oreilles résonnent,

sur moi une sueur se répand,
un tremblement m'envahit
je suis plus verte que l'herbe,
tout près de mourir il me semble…
Mais il faut tout oser car m^me abandonnée.. »

Le cd audio comprend un livret avec les textes et les contributions d'Odysseus Elytis, prix nobel de littérature 1979.

Les oeuvres ne sont pas comparables, mais s'agissant des toutes premières oeuvres littéraires de la culture occidentale, on ne peut que regretter l'asymétrie entre les textes homériques, sublimes dans leur esthétisme mais qui célèbrent la violence, la gloire du sang versé, la vendetta, et ceux de Sappho célébrant le culte d'Eros, la douceur de vivre.
Homère est dans les programmes officiels, même s'il y aurait beaucoup à dire sur son enseignement, Sappho reste confinée à un public de spécialistes et de militant(e)s de la cause lesbienne.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Elle s'endort. (...) Elle voudrait pousser un cri, mais le son s'arrête à la gorge. Le chat-huant immobile la regarde toujours. Elle a peur. Un tremblement nerveux la secoue. Son cœur n'est qu'un frissonnement continu. (...) A demi-soulevée elle n'ose se dresser entièrement ni se recoucher dans l'herbe. Son corps est couvert dune froide sueur. Si au moins Phaon venait (...) Elle écoute. Rien. Pas un bruit. Rien que les heurts précipités de son cœur dans sa poitrine. (...) Il lui semble percevoir, très loin, une rumeur indistincte et monotone. C'est comme le bourdonnement d'une abeille, de milliers d'abeilles voltigeant autour d'invisibles ruches...

Gabriel-Auguste Faure, La dernière journée de Sapphô, 1900.
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Je vis, je meurs : je me brule et me noye.
J'ay chaut estreme en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ay grans ennuis entremeslez de joye:

Tout à un coup je ris et je larmoye,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure :
Mon bien s'en va, et à jamais il dure :
Tout en un coup je seiche et je verdoye.

Ainsi Amour inconstamment me meine :
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me treuve hors de peine.

Puis quand je croye ma joye estre certeine,
Et estre au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labbé
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Il me parait égal aux dieux, le mortel qui, assis près de toi, peut entendre ta douce parole, et voir ton gracieux souris. C'est là le charme qui jette le trouble dans ton ame. Dès que je te vois, je ne puis plus parler, ma langue se glace, un feu subtil circule dans mes veines ; mes yeux ne voient plus ; un bruit confus bourdonne dans mes oreilles ; une sueur froide coule de mon corps ; toute tremblante, plus pâle que l'herbe flétrie, je respire à peine ; il me semble que je vais mourir.
Mais il faut tout oser, puisque, dans la nécessité...

M. Bréghet du Lut, Odes d'Anacréon suivies de Poésie de Sapho, traduites en français et en prose, Paris, 1835.
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φαίνεται μοι κήνος'ίσος θέοισιν
εμμεν' ώνηρ, οττις ενάντιος τοι
Ίσδάνει και πλάσιον άδυ φωνείσας υπακούει

και γελαίσας ιμέροεν, τό μ' η μάν
καρδίαν εν στήθεσιν έπτόαισεν •
ως γαρ ες σ' 'ίδω βρόχε', ώς με φώναισ' ούδ' εν ετ' ε'ίκει,

άλλα καμ μεν γλωσσά
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Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler.
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