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EAN : 9782020109505
336 pages
Seuil (01/01/1990)
3.31/5   18 notes
Résumé :
"Je retrouve la violence de mon adolescence. Je vois l'hiver. Je vois l'enfant. Je vois le monde intact et rayonnant de sauvagerie. Mais dès que la fatigue me fait lever la plume, c'est contre moi que je bute, ce vieux moi mort, orphelin de la foi et de la présence... Je sui sorti du grand hiver comme on sort de l'être, du cercle de l'éternité... Blanche est la neige aimée, ma belle amante morte."
Telle est la nostalgie du narrateur qui, la quarantaine venue,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Grainville Patrick – "L'orgie, la neige : roman" – Seuil, 1990 (ISBN 2-02-010950-6)

Force m'est de l'avouer humblement : à force de vivre volontairement totalement éloigné des médias (et tout particulièrement des médias cultureux), ce n'est qu'aujourd'hui que je découvre cet auteur, et encore est-ce grâce à Philippe le Guillou et sa "Géographie de la mémoire" (voir recension). La lecture de ce premier texte est une véritable révélation littéraire...

Mais avant d'exposer les beautés et mérites de cette autobiographie plus ou moins romancée (l'auteur lui-même utilisait l'expression "autobiographie mythique"), il convient de prévenir la lectrice et le lecteur qui pourraient s'offusquer de certaines bizarreries peu communes dans le landerneau littéraire d'aujourd'hui.
En effet, l'auteur (né en 1947) effectue ici son "coming out" (quelle horrible vocable !) sur ce que fut, pour lui, l'année de ses quinze ans (soit probablement l'année 1962), sans reculer devant une relation précise de ses émois sensuels. Fichtre ! Il ne fut ni lesbien, ni gay, ni bi, ni trans, ni même zoophile ! Il aggrave son cas en nous livrant de fort jolies évocations du sexe féminin ou en nous confessant que ses parents étaient tout bonnement un papa et une maman ; pire encore, il fait un éloge peu discret de son père, éloge qui – bien que d'un tout autre style – me rappelle "Les ritals" de Cavanna. Bref, ses parents ne le violent pas dès sa plus tendre enfance, et il n'évoque même pas une seule fois la moindre "contre-culture américaine" introduisant dans ces années-là ce fléau que va devenir la consommation de drogues.
Et que dire de son éloge constant de la chasse ? Aussi incroyable qu'il y paraisse, malgré ces manquements impardonnables à la "modernité" ou "avancée des moeurs", son texte se lit avec intérêt et même passion. Comment se fait-ce ?

En tout premier lieu, évidemment, le lecteur ne peut que succomber aux charmes de cette écriture d'une immense qualité. Bien que les styles soient fort différents, cet auteur s'inscrit dans la lignée des grands sculpteurs de la langue française que furent Marcel Proust, Claude Simon ou Julien Gracq. Être ainsi capable de "picturer" un paysage pour – la page suivante – rendre avec violence un affrontement cruel entre le chasseurs et sa proie (qu'il s'agisse de la laie ou du congre) suppose une maîtrise profonde des ressorts de la langue.

Viennent ensuite les réalités si bien évoquées de la vie d'un adolescent dans ces années-là, dans cette région-là, dans ce milieu-là. L'auteur n'évoque pratiquement aucune réalité concrète et précise, en dehors d'une allusion au jeu de "Monopoly", mais tout ce qu'il dépeint ne pouvait exister que dans ces années d'avant, ces années de notre jeunesse...
Dans cette Normandie encore suffisamment rurale pour qu'un gamin parte à la chasse avec sa chienne tout en ayant l'assentiment de ses parents, pour qu'un gamin se confronte aussi radicalement à Dame Nature, pour qu'un gamin puisse ainsi divaguer – libre ! – loin de la demeure familiale, dans ce milieu social relativement aisé, resté toutefois profondément attaché à sa petite bourgade.
Tout cela a aujourd'hui disparu, dans un monde qui se veut et se croit "moderne" parce que urbanisé à l'extrême, un monde dans lequel la majorité des enfants – enchaînés – s'abrutissent d'inaction devant des écrans les confinant dans une impuissance pathologique, un monde d' urbanisme automobilistique radicalement hostile à l'enfance, un triste monde dans lequel l'écrasante majorité des petit(-e)s ne voient et ne perçoivent rigoureusement plus rien de l'environnement naturel.

L'ode à l'hiver, au froid, à la neige fait vibrer l'enfant lotharingien que j'étais dans ces années ici décrites. Pour la plupart, nous étions encore – comme Grainville – directement (re)liés à la campagne soit par nos parents soit par nos grands-parents, soit tout simplement par le lieu où nous habitions : c'était avant la destruction systématique du monde rural. Nous dormions dans des chambres sans chauffage : une bonne brique réfractaire au fond du lit gelé, une grosse couverture piquée jointe à un édredon ventru, et le sommeil bienheureux était d'une qualité infinie, au creux d'une température de dix douze degrés tout au plus, avec les vitres décorées de givre. le lendemain, retournés à l'état sauvage mais chaudement "couverts" par des mères attentionnées (pas encore hypnotisées par la télévision et l'hypermarché si ce n'est le "teleshopping"), nous arpentions la campagne, immense pour nos si petites jambes : pour la magie de la couverture blanche recouvrant le paysage, je ne puis que renvoyer aux pages éblouissantes de Grainville.

Lequel, en tant que Normand, eut le bonheur de connaître de surcroît l'hiver sur la mer, calme ou déchaînée. Les vagues noyées dans la neige ! Grands Dieux, ce que ce devait être beau ! et quels sommets poétiques dans les phrases de l'auteur.
C'était bien avant la déchéance des "loisirs" entassant les chairs et les êtres sur des plages surpeuplées, nauséabondes, bruyantes; salies et trop souvent mazoutées puis, en hiver, alignant les citadins assistés salariés asphyxiés déculturés, au pied des tire-fesses.

Quant aux découvertes charnelles ou sensuelles, tout à la fois rudement et délicatement décrites ici avec fraîcheur, elles étaient possibles "en ces temps-là", c'est-à-dire avant la vague de pornographie submergeant aujourd'hui même les prépubères (!!!), avant le constant étalage salace de l'intimité des politicard(-e)s et autres "peoples" dans lequel se vautrent si volontiers ces journaleuses et journaleux bavassant à qui mieux mieux sur ces sujets aux heures de grande écoute...

Grainville exhume ainsi une époque, une civilisation totalement disparues...
A lire et re-lire
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belle découverte, une langue foisonnante..
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Lecture de Patrick Grainville tiré du livre Figures d'écrivains, dirigé par Étienne de Montety.
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Pour en savoir plus : https://www.albin-michel.fr/figures-decrivains-9782226436351
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