(novembre 2010)
J'ai aimé ce livre
Le mercredi 2 juillet 2008, comme beaucoup, je découvre avec émotion et soulagement (cf infra) la nouvelle de la libération d'
Ingrid Bétancourt. Et depuis, j'attends de lire son histoire. A peine édité, je l'ai acheté. Et je l'ai lu avec autant d'avidité.
Même le Silence a une Fin est un titre qui, le découvrons-nous au fur et à mesure de la lecture, ne fait pas seulement référence à sa réserve depuis la fin de sa captivité. Dans ce livre autobiographique, la Franco-colombienne révèle l'horreur des rapports avec ses ravisseurs et l'ambiguïté de leur relation aussi. "Le pire était la relation avec les êtres humains", "les gardes, surtout", "un grand apprentissage", "l'histoire de la fraternité". Avis aux amateurs, il n'y a pas de règlement de comptes dans le livre d'
Ingrid Bétancourt. "Peur d'être seule. Peur d'avoir peur. Peur de mourir" : l'ex-otage des FARC raconte l'indicible. Pendant six ans et demi dans la jungle colombienne, elle a été violentée et menacée de mort. Elle a connu l'épuisement, l'animalité dans la promiscuité, la perte de l'intime, la vacuité des jours et l'atteinte à son intégrité de femme… mais elle trouvé la force de les surmonter.
L'Histoire commence par une scène terrible lors de l'une de ses cinq tentatives d'évasion. Punie, elle est enchaînée par le cou, battue et abusée, elle confie : "Je me sentais prise d'assaut, partant en convulsions (...) Mon corps et mon coeur restèrent gelés pendant le court espace d'une éternité". "Mais je survivais", dit-elle, de retour dans la cage où elle est enfermée avec
Clara Rojas".
L'auteur revient ensuite à ce 23 février 2002. L'escorte militaire prévue lui a été confisquée par ordre "de la présidence", assure-t-elle. Des hommes armés arrêtent sa voiture.
Cauchemar, ennui, détresse. Les conditions de vie sont épouvantables, les moments de découragement fréquents. "Nous étions condamnés à la peine la plus lourde qu'on puisse infliger, celle de ne pas savoir quand elle prendrait fin", écrit-elle.
Ses geôliers ont pour la plupart l'âge de ses enfants. Un jour, elle apprend la mort de son père adoré dans un journal vieux d'un mois, laissé sciemment entre ses mains... Certains guérilleros sont cruels. D'autres moins. Elle fait un gâteau pour les 17 ans de sa fille Mélanie, apprend à confectionner des ceintures. Un dictionnaire, des livres et surtout une Bible la sauvent de la folie.
Pour ne pas s'écrouler, elle songe à sa prochaine échappée. Après chaque échec, les brimades empirent.
Ingrid Betancourt évoque avec retenue les tensions avec
Clara Rojas : "Il fallait être très fort pour ne pas se soulager des constantes humiliations des gardes en humiliant à son tour celle qui partageait votre sort", avoue
Ingrid Betancourt. Elle analyse aussi, de l'intérieur, comment fonctionnent ces FARC.
Et cette "mission humanitaire" du 2 juillet 2008 ? "C'était la victoire sur le désespoir (...), une victoire uniquement sur nous-mêmes". Et le début d'une lente reconstruction.
Aujourd'hui
Ingrid Betancourt doit faire face à de nouvelles attaques
Son entourage lui dépeint un nouveau visage et flingue la légende. La pasionaria peine à conserver son aura… En juillet,
Ingrid Betancourt renonçait à sa demande d'indemnisation de 15 milliards de pesos (près de 6 millions d'euros), après avoir suscité un tollé en Amérique latine en estimant que la Colombie avait insuffisamment assuré sa sécurité le jour de son enlèvement sur la route San Vicente del Cagua.
En parallèle de ses démarches auprès des autorités de Bogota,
Ingrid Betancourt bataillait secrètement pour obtenir également compensation de Paris. Elle aurait ainsi fait débloquer la somme de 450 000 euros, mais ne l'aurait pas empochée.
Le monde a d'abord idolâtré cette Pietà républicaine, héroïne, digne et humble. Puis les langues se sont déliées et ont sifflé comme des vipères sur la tête de notre rescapée. Pavé dans le marécage grouillant d'animosités, "Captive" de
Clara Rojas, dresse un portrait peu reluisant de
Ingrid Bétancourt, définie comme une "femme mesquine et amère". Ce récit accablant fait suite à un autre : "Hors de Captivité", dans lequel trois Américains égratignent "sainte Ingrid", en révélant ses tendances à chiper des rations de riz et à jouer les cheftaines. "Hautaine, arrogante et égoïste", "elle ne demandait rien, elle donnait des ordres", et "ne se gênait pas pour faire de la délation… "
Un dessin au vitriol que corrobore le "libérateur" de la politicienne Verte. L'ancien émissaire chargé du dossier,
Noël Saez, a déploré l'attitude méprisante de sa protégée. Elle a été "ingrate", a-t-il conclu.
Couverte d'opprobre, notre idole aurait-elle trouvé du réconfort auprès de son cher et tendre? Pas vraiment. Econduit, son (ex)mari, a lui aussi écorché la star. Après des retrouvailles inespérées,
Ingrid Betancourt, n'a pas souhaité reprendre sa vie de couple et a préféré demander le divorce.
Juan Carlos Lecompte s'est "senti trahi" par un "être très calculateur".
Décriée de toutes parts, l'ex-figure adulée est tombée en disgrâce. Icône brisée par les témoignages de ses proches, la belle écolo a pris la plume. En livrant cette version,
Ingrid Betancourt fait taire les critiques et perdurer le mythe. Elle ne sombre pas dans la facilité du fiel.
Je me rappelle mon émotion à son enlèvement, mon émotion à sa libération. J'ai lu son livre et je la crois. Je me fiche des autres témoignages. Car ce n'est pas le sujet de chercher des excuses aux bourreaux, de taillader les héros. Dans un autre registre, mais c'est le même, je me fous de savoir si l'adolescente violée portait une jupe trop courte et des yeux trop fardés. le violeur n'a pas à violer. Il est des crimes où la victime ne peut pas être une circonstance atténuante. La question n'est pas de savoir si
Ingrid Bétancourt a pris des risques inconsidérés ou non le 23 février 2002, si
Ingrid Bétancourt a plus eu à subir que les autres ou plus fait subir aux autres pendant 6 ans et demi de captivité. La question, c'est la privation de la liberté, le monnayage humain, la déchéance, le courage, la survie, la résilience.
Ingrid Bétancourt a fait un travail sur elle-même que personne ne peut raisonnablement amoindrir.
* émotion lors de la libération d'Ingrid Bétencourt *
Après 2 321 jours de captivité, la vitalité rayonnante d'
Ingrid Bétancourt
Je ne regarde jamais la télé. Ou si rarement que je dis jamais. Et hier soir, ce mercredi 2 juillet 2008, je trébuche sur Ushuaïa Nature.
Nicolas Hulot nage dans l'Amazone au milieu des Caïmans.
Nicolas Hulot nous emmène découvrir les derniers premiers peuples.
Tout au long de ce reportage, je n'ai de cesse de me dire, en dépit des prises de vue magistrales de cette immensité, "Mon Dieu que ce pays ne m'attire pas, Mon Dieu que cette jungle me fait horreur, Mon Dieu que je suis bien dans mon canapé" …. Et c'est dans mon confort urbain qu'un entrefilet de la régie de TF1 transperce l'écran de part en part, il se déroule comme des cheveux attachés qu'on lâche, il illumine le soir comme le soleil se levant à l'horizon …
L'armée colombienne annonce la libération d'
Ingrid Bétancourt …… L'armée colombienne annonce la libération d'
Ingrid Bétancourt …… Il est 21h28.
Fichue télé, arrêtez tout, dites-en plus, montrez-nous. Je saute de mon assise, et file sur internet. Et je réalise qu'on est en plein direct, que l'information est fraîche, que l'information est si récente qu'elle se conjugue encore au conditionnel. Qu'
Ingrid Bétancourt, trois otages américains, et onze soldats colombiens sont encore dans les airs entre les terres pénitentiaires et le tarmac de la liberté.
J'ai 41 ans. Et pendant ces quarante et une années, la libération d'
Ingrid Bétancourt est le cinquième événement qui me scotche devant ma télé : le drame du Heysel le 29 mai 1985, la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, le déclenchement de la guerre du Golfe le 17 janvier 1991, l'explosion des tours jumelles de New York le 11 septembre 2001 et la libération d'
Ingrid Bétancourt le 2 juillet 2008. Si ces cinq événements ont le point commun de se dérouler en direct, contrairement à l'utilisation qui a pu être faite en son temps des images de la guerre du Vietnam, la libération d'
Ingrid Bétancourt est une victoire de la liberté sur la détention, une victoire de la paix sur la guerre, une victoire de la politique locale sur les pressions internationales, une victoire de l'intelligence sur la force, une victoire de la civilisation sur la barbarie, une victoire de la mémoire sur l'oubli, une victoire du soutien de l'opinion contre la banalisation … une Victoire complète, tous azimuts, sans point d'ombre.
Et je suppose que c'est pour cela que nous sommes nombreux à être submergés d'émotions … Je m'explique.
Submergés d'émotions
Pour une fois, oui, pour une fois, nous sommes nombreux à ne pas ressentir d'émotions qui nous prouvent, une fois de plus, que nos besoins ne sont pas satisfaits : pas fatigué, à plat, anéanti, impuissant, indifférent, inerte, rompu, sans élan, ni triste, abattu, accablé, affligé, blessé, découragé, déçu, démoralisé, déprimé, effondré, impuissant, malheureux, seul, sombre, ni confus, bouleversé, choqué, déchiré, déstabilisé, incertain, inconfortable, méfiant, troublé, pas apeuré non plus , alarmé, angoissé, anxieux, effrayé, épouvanté, horrifié, inquiet, paniqué, ou fâché, en colère, ni agacé, agité, contrarié, hostile, nerveux, réticent, ou plein de ressentiment, aigri, amer, blasé, dégoûté, écoeuré, envieux, haineux, pessimiste, soupçonneux …
Oui, pour une fois, nous ressentons les émotions qui nous prouvent que nos besoins de sécurité, de paix, de liberté sont importants pour nous et qu'ils peuvent être satisfaits : content, tendre, joyeux, de bonne humeur, euphorique, fier, soulagé, optimiste, reconnaissant, rasséréné, rassuré, plein d'amour aussi, touché, affectueux, aimant, attendri, concerné, ému, sensible, apaisé, léger, libre, plein d'espoir, plein de gratitude, et curieux, captivé, ébahi, ébloui, étonné, fasciné, impressionné, intéressé, intrigué, et rassasié, régénéré.
... A quoi ressemble un héros ? En vrai ? ...
Je suis restée devant mon écran, scotchée, à attendre qu'ils atterrissent, qu'ils descendent de l'avion, qu'ils nous regardent, qu'ils nous parlent. J'ai imaginé sa soeur, ses enfants, assis dans le siège de l'avion qui les emmène à Bogota, voulant pédaler pour que le voyage se fasse plus vite. L'attente, l'attente … 6 ans, 4 mois et 9 jours interminables, et là quelques heures tellement longues ….
Je ne connais pas les autres libérés. Je ne m'attends à rien. Pour
Ingrid Bétancourt, l'image lumineuse que nous avons eue d'elle pendant plus de 6 ans a été effacée par celle de novembre dernier. Alors je m'attends à voir descendre de cet avion une femme défaite, cuite, anéantie. Je le crains vraiment. Mais c'était sans compter les instants de grâce. C'était oublier les éléments constitutifs de la résilience : se savoir dans le coeur des êtres qui comptent, se savoir dans leurs actions quotidiennes, se nourrir et nourrir sa force intérieure. Cette femme est habitée par sa mission de vie, et c'est si ostensible que c'est la seule explication que je trouve à une telle unanimité, qui force l'admiration et le respect ou l'impatience …
Héroïne de sa vie, héroïne de la vie d'autres, résistante en chair et en os, digne et courageuse, presque simple, si accessible, elle a encouru de vrais risques et payé, comme les autres otages, de longues heures qui se comptent en années. On les récupère hagards, incrédules, irradiés. Et ils se mettent à parler …
Au tour d'
Ingrid Betancourt, elle prend son souffle : "J'ai tant attendu ce moment, j'espère que je vais pouvoir parler", dit-elle. Elle remercie d'abord Dieu et la vierge – qu'elle a "si souvent priés" au cours de son calvaire. Puis elle a un mot pour tous ceux qui l'ont accompagnée dans ses prières pendant toutes ces années. Elle le redit, émue, en français. Puis elle remercie avec effusion "l'armée de [sa] patrie" et le président
Alvaro Uribe.
Elle dit merci aux actions de
Nicolas Sarkozy. Et elle rappelle qu'il a continué une lutte menée d'abord par le président Chirac et par son ami
Dominique de Villepin, au temps où c'était politiquement incorrect de le faire. Sacrée Ingrid ! La jungle ne fait pas oublier douze années de politique.
Elle rend hommage aux Journalistes "Vous, les médias, nous avez tant aidés ", encore à l'heure où sa médiatisation en agace certains. Les captifs de la jungle, hommes, femmes, savent ce qu'il se passe dans le monde, ce que l'on fait – ou ce que l'on ne fait pas - pour eux. du dilemme d'en parler ou de ne pas le faire, d'augmenter la valeur marchande d'un citoyen ou de le protéger en ne lui en donnant aucune,
Alvaro Uribe, par l'utilisation de l'intelligence militaire offre une troisième voie. La force du Bien pour négocier la Paix vient de l'emporter sur la force du Mal pour maintenir le chantage et l'exploitation. L'intérêt particulier vient de rencontrer l'intérêt général. Aurevoir le sacrifice de
Davy Crockett à Alamo, Bienvenue Ingrid pour "servir" tous les autres, libérer des jougs révolutionnaires, des jungles de notre sol, sud américain ou non.
... L'humanité est une force spirituelle ...
Quand Ingrid exprime sa reconnaissance, c'est comme une naissance et une filiation : "Je vous aime, vous êtes mon sang. Je suis à vous, vous êtes à moi." Cet aveu d'appartenance est une réalisation de l'humanité. Comme sa famille l'a fait depuis plus de 6 ans,
Ingrid Bétancourt tient le devant de la scène avec "la même audace tranquille et raconte les pires douleurs d'une voix posée, où chantent les intonations apprises dans les meilleurs collèges", comme l'écrit avec tant de justesse
Florence Aubenas.
Oui, l'érudition, l'éducation, la culture forgent les clés de l'humanité. Cette humanité est fragile. Et Ingrid nous indique le chemin qu'elle s'est imposée, tenir et maintenir son humanité dans sa tête. Elle y a tellement pensé plus que nous à ces moments de retrouvailles. Elle les a visualisés et revisualisés, elle a découpé chaque scène dans son dernier coin de liberté qu'est sa tête enfouie dans la jungle. Et ce sont ces détails aussi infimes pour nous que grandioses pour elle qu'elle va chercher en fermant les yeux quand elle nous parle. Elle sait tout, elle s'est entraînée, moment par moment, mot par mot. Elle active toutes les ressources qui l'ont ancrée à la certitude d'appartenir à l'humanité. Oui, la certitude.
"Et toi, bourreau, toi qui dois me maintenir en forme suffisante pour rester monnayable, pour rester capable de parcourir 300 km par an dans la jungle, toi, bourreau, qui nies mon humanité, qui la violes, l'enchaînes, la plies à quatre pattes, la brûle, la transperce.. tu as tant d'imagination … mais pas autant que moi ! Toi, bourreau, regarde-moi faire grandir ma certitude d'humanité en force spirituelle …Plus tu me rabaisses, plus je dois m'élever pour contenir la distance entre toi et moi, entre l'animal et l'homme, entre la meute et l'humanité. Et toujours je serai différent de toi. Ce n'est ni ta souffrance ni ta mort qui m'intéresse. C'est l'Humanité à laquelle j'appartiens et qui seule sauve."
... Paix aux sceptiques …
J'invite celles et ceux qui ne s'expliquent pas pourquoi "ça ne se voit pas" que cette femme sort de plus de 6 ans de captivité dans la jungle, à se souvenir que le but du Farc n'est pas l'extermination mais l'échange. Les autres otages n'ont pas l'air malade et décharné non plus.
Et je les invite aussi, sans autre commentaire, à tout simplement lire "
Le rapport de Brodeck" de
Philippe Claudel, et/ou à voir ou revoir la trilogie de la Guerre des Etoiles. "Ingrid, Chevalier Jedi, n'est-elle pas ?"