Publiée en 2016 dans la belle collection Orphée, aux éditions de la Différence,
Par le temps qui court est une petite anthologie de poèmes de
Michel Butor, que l'auteur à choisis lui-même.
Eclectique et inclassable sont les premiers termes qui me viennent pour qualifier la poésie de
Michel Butor.
Au travers d'une multitude de thèmes (l'Egypte ancienne, la cathédrale de Laon, la peinture, la figure de l'étranger, l'écriture sur une feuille blanche, l'absinthe, la randonnée à pied, une suite pour violoncelle, le mythe d'Orphée, etc.), son écriture se fait tour à tour critique, didactique, dramatique, ludique, lyrique, dialoguée, etc. Toujours en mouvement, elle se charge de rassembler des données fragmentaires, encyclopédiques, concrètes et oniriques pour en faire la matière de ses textes.
Dans des poèmes en vers et en prose (dans lesquels sont parfois travaillés l'espace de leur mise en page), en mode descriptif ou narratif, l'auteur rend compte de ses interrogations, de son inquiétude sur notre époque. Si ses textes apparaissent d'abord comme un moyen de conjurer la noirceur du monde contemporain, ils semblent être aussi un appel, un retour à un rapport sensuel au monde, à la vie.
« REQUÊTE AUX PEINTRES, SCULPTEURS ET COMPAGNIE
Ne me laissez pas seul avec mes paroles
balbutiements-bafouillements radotages et ruminations
dans mon brouillonnement-bouillonnement
dans l'essoufflement de mon bavardage
dans mon donjon-cachot tour de Babel
j'ai le plus grand besoin de vos images
de vos fenêtres qui s'ouvrent sur le geste et la couleur
de vos escaliers qui s'enfoncent dans les ténèbres
pétillantes aux étincelles tièdes
de vos belvédères de vos caresses de vos jardins
permettez-moi de voir en votre compagnie
Ne me laissez pas seul avec mes images
cauchemars-embrouillaminis défigurations et déchiffrements
dans ma pollution-pullulement
dans les phosphènes de ma fièvre
dans mon cinéma-supplice musée d'horreurs
j'ai le plus grand besoin de vos voyages
de vos routes enjambant remparts et canaux
de vos envols qui franchissent
frontières et falaises
de vos courants d'air de lave et de population
permettez-moi de naviguer en votre compagnie
(…) »
Ce qui me plait dans la poésie de
Butor, c'est ce mouvement lent et incessant qui unit la respiration et la méthode, le naturel et le savoir. Et si elle se réfère souvent au passé, au naguère, c'est parce qu'ils sont, nous le rappelle en filigrane
Michel Butor, porteurs de présence mais aussi de promesse.
« À L'ÉCART
Écart dans lequel je voudrais bien demeurer
une dizaine d'années
je redoute la chirurgie
nécessaire pour t'aménager
le bruit la poussière la dépense
le trimballement
je serai sans doute un peu mieux
pour travailler
surtout pour ranger
mes monceaux d'affaires
courrier livres brouillons
cadeaux reçus du monde entier
mais je t'aime bien
dans ton actuelle rusticité
quant aux portes
qui ferment mal
cela permet mieux
aux idées d'entrer »
Par le temps qui court, il est bon de faire une pause avec de la poésie. Avec celle de
Michel Butor, particulièrement.
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