Très intéressante analyse du roman et ce que devrais être la démarche d'un écrivain (qui travaille son art) comme un artiste. La musique est passé à l'atonal. La peinture n'est plus figurative. Mais le roman reste a(e)ncré sur les principes balzaciens. Alors pourquoi le roman a souvent un héros ? Pourquoi un roman suit une histoire ?
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Les articles qu’on y trouve rassemblés, publiés à la fin des années 1950, sont d’une grande intelligence, mais le temps n’a pas toujours donné raison à l’auteur des «Gommes».
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Combien de lecteurs se rappellent le nom du narrateur dans La Nausée ou dans L'Étranger ? Y a-t-il là des types humains ? Ne serait-ce pas au contraire la pire absurdité que de considérer ces livres comme des études de caractère ? Et Le Voyage au bout de la nuit, décrit-il un personnage ? Croit-on d'ailleurs que c'est par hasard que ces trois romans sont écrits à la première personne ? Beckett change le nom et la forme de son héros dans le cours d'un même récit. Faulkner donne exprès le même nom à deux personnes différentes. Quant au K. du Château, il se contente d'une initiale, il ne possède rien, il n'a pas de famille, pas de visage ; probablement même n'est-il pas du tout arpenteur.
On pourrait multiplier les exemples. En fait, les créateurs de personnages, au sens traditionnel, ne réussissent plus à nous proposer que des fantoches auxquels eux-mêmes ont cessé de croire. Le roman de personnages appartient bel et bien au passé, il caractérise une époque : celle qui marqua l'apogée de l'individu.
Retraçons, à titre d'exemple, le fonctionnement de la « solitude ». J'appelle. Personne ne me répond. Au lieu de conclure qu'il n'y a personne – ce qui pourrait être un constat pur et simple, daté, localisé, dans l'espace et le temps –, je décide d'agir comme s'il y avait quelqu'un, mais qui, pour une raison ou pour une autre, ne répondrait pas. Le silence qui suit mon appel n'est plus, dès lors, un vrai silence ; il se trouve chargé d'un contenu, d'une profondeur, d'une âme – qui me renvoie aussitôt à la mienne. La distance entre mon cri, à mes propres oreilles, et l'interlocuteur muet (peut-être sourd) auquel il s'adresse, devient une angoisse, mon espoir et mon désespoir, un sens à ma vie. Plus rien ne comptera désormais pour moi, que ce faux vide et les problèmes qu'il me pose. Dois-je appeler plus longtemps ? Dois-je crier plus fort ? Dois-je prononcer d'autres paroles ? J'essaie de nouveau… Très vite je comprends que personne ne répondra ; mais la présence invisible que je continue de créer par mon appel m'oblige, pour toujours, à lancer dans le silence mon cri malheureux. Bientôt le son qu'il rend commence à m'étourdir. Comme envoûté, j'appelle de nouveau…, de nouveau encore. Ma solitude, exacerbée, se transmue à la fin, pour ma conscience aliénée, en une nécessité supérieure, promesse de mon rachat. Et je suis obligé, pour que celui-ci s'accomplisse, de m'obstiner jusqu'à ma mort à crier pour rien.
Selon le processus habituel, ma solitude n'est plus alors une donnée accidentelle, momentanée, de mon existence. Elle fait partie de moi, du monde entier, de tous les hommes : c'est notre nature, une fois de plus. C'est une solitude pour toujours.
Partout où il y a une distance, une séparation, un dédoublement, un clivage, il y a possibilité de les ressentir comme souffrance, puis d'élever cette souffrance à la hauteur d'une sublime nécessité. Chemin vers un au-delà métaphysique, cette pseudo-nécessité est en même temps la porte fermée à tout avenir réaliste. La tragédie, si elle nous console aujourd'hui, interdit toute conquête plus solide pour demain. Sous l'apparence d'un perpétuel mouvement, elle fige au contraire l'univers dans une malédiction ronronnante. Il n'est plus question de rechercher quelque remède à notre malheur, du moment qu'elle vise à nous le faire aimer.
Car la fonction de l'art n'est jamais d'illustrer une vérité - ou même une interrogation - connue à l'avance, mais de mettre au monde des interrogations (et aussi peut être, à terme des réponses) qui ne se connaissent pas encore elles-mêmes.
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Et lorsqu’on lui demande pourquoi il a écrit son livre, il n’a qu’une réponse : « C’est pour essayer de savoir pourquoi j’avais envie de l’écrire. »
Mathieu Lindon Une archive - éditions P.O.L où Mathieu Lindon tente de dire de quoi et comment est composé son livre "Une archive", et où il est notamment question de son père Jérôme Lindon et des éditions de Minuit, des relations entre un père et un fils et entre un fils et un père, de Samuel Beckett, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Marguerite Duras et de Robert Pinget, de vie familiale et de vie professionnelle, de l'engagement de Jérôme Lindon et de ses combats, de la Résistance, de la guerre d'Algérie et des Palestiniens, du Prix Unique du livre, des éditeurs et des libraires, d'être seul contre tous parfois, du Nouveau Roman et de Nathalie Sarraute, d'Hervé Guibert et d'Eugène Savitzkaya, de Jean Echenoz et de Jean-Phillipe Toussaint, de Pierre-Sébastien Heudaux et de la revue Minuit, d'Irène Lindon et de André Lindon, d'écrire et de publier, de Paul Otchakovsky-Laurens et des éditions P.O.L, à l'occasion de la parution de "Une archive", de Mathieu Lindon aux éditions P.O.L, à Paris le 12 janvier 2023.
"Je voudrais raconter les éditions de Minuit telles que je les voyais enfant. Et aussi mon père, Jérôme Lindon, comme je le voyais et l'aimais. Y a-t-il des archives pour ça ? Et comment être une archive de l'enfant que j'ai été ?"
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