Dimitri et Luna sont un couple très amoureux pris dans un règlement de compte ultraviolent entre mafia serbe, armée privée américaine et un groupe bancaire basé au Luxembourg. Une certaine mafia calabraise, dirigée par Nicola Santo, s'érige en rempart devant la menace. Victime d'une embuscade, Luna disparaît. Dimitri est prêt à tout pour la retrouver.
Sur fond de guerre mondialisée, série noire de Gallimard publie un récit d'autant plus sombre qu'il fait écho à notre actualité… Il nous place dans un monde, (actuellement ? Dans quelques années ?) où les mafias en lien avec des banques, des États, à la tête de vastes empires d'entreprises diverses, ont éliminé en grande partie les pouvoirs politiques, dont les lois sont contournées, laissant le champ libre à l'argent, à une réalité faussée par tous les moyens, avec dans leur sillage la mort et un risque généralisé de destruction. Keller, seul représentant officiel de l'ordre présent ici, est une caricature, un commissaire déprimé et alcoolique. Chaque fois qu'il entre en scène, il se sert largement à la bouteille de gin avant de parler. On se demande vite comment il peut lutter contre les monstres froids qui dirigent mafias serbe, armées privés et groupes bancaires. Bienvenue sur les
Terres noires de
Sébastien Raizer.
Les références aux grands classiques sont nombreuses, à commencer par Crimes et châtiments de
Fiodor Dostoïevski. Dès le chapitre 3, on assiste à une terrible scène proche du meurtre de Raskolnikov. Crimes et châtiments sonde le coeur noir de l'homme.
Terres noires et le triptyque formé avec les deux livres précédents,
Les nuits rouges et
Mécanique mort, entendent « sonder le coeur noir de l'Occident », selon les termes indiqués dans « note et remerciements » à la fin de l'ouvrage. Référence aussi à
1984 de
Georges Orwell, illustrant parfaitement les opérations de manipulation utilisant le langage comme arme des sociétés modernes, et même à
Othello de
William Shakespeare, à travers les élucubrations de Midget, un nain fou très bien décrit alors que les autres personnages gardent leur mystère.
« Un roman magistral sur le libéralisme totalitaire et la destruction généralisée qu'il instaure », telle est la promesse de la quatrième de couverture. En marge de l'intrigue, se présente une véritable enquête journalistique, la grosseur du trait rappelant qu'il s'agit d'une fiction dans le cadre d'un roman noir. Si les nombreuses citations comportent les dates et les sources, impossible par contre de vérifier toutes les assertions de l'auteur dans l'histoire hormis quelques notes par-ci par-là. L'accusation de manipulation et de complotisme pourrait en être le résultat. J'incline à penser à une volonté de réalité augmentée afin de bousculer la zone de confort artificielle du lecteur et l'amener à penser par lui-même, en dehors des récits officiels.
Une lecture riche de promesse, très ambitieuse assurément avec une densité impressionnante d'informations, de citations diverses souvent en anglais ou en allemand et qui demande des efforts pour situer les personnages quand on n'a pas lu comme moi les deux tomes précédents. Alors qu'est dénoncée la main mise culturelle américaine, tous les titres de chapitre sont en anglais… Est-ce pour obliger à chercher des éclaircissements en dehors du livre ?
Mais la virtuosité est là, un électrochoc permettant de questionner l'arrière plan d'un eldorado américain, vanté depuis des décennies, bâti sur la manipulation, les guerres extérieures, un génocide des peuples premiers et maintenant une économie dominée par un complexe militaro-industriel tout puissant laissant, dans les pays dévastés, proliférer des mafias toujours plus dangereuses. J'ai aimé retrouver de multiples références musicales,
Sébastien Raizer étant co-fondateur des éditions du
Camion Blanc (1992), qui ont publié quantité d'ouvrages sur des groupes rock. L'histoire est addictive et si je n'ai pas eu d'empathie pour les personnages, j'étais pressé d'aller au bout d'une lecture dont la fin est plutôt jubilatoire, avec enfin un peu de lumière !
Sébastien Raizer vit au Japon. En écrivant cela, je remarque que son héros Dimitri Gallois fuit la récession existentielle, le suicide industriel en direction de l'Orient : « Leur destination, c'était les méandres des tatouages japonais qui ornaient le corps de Luna. Et leur boussole, c'était leur aimantation solaire. » Sur fond de l'écroulement de la sidérurgie, une partie de l'action se déroulant en Lorraine non loin des paradis fiscaux du Luxembourg, là ou est né l'auteur.
Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour cette lecture qui m'a fait sortir de mes habitudes et passer par toutes sortes d'émotions et de réflexions, c'est cela que l'on recherche dans la littérature, non ?
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Et si vous voulez voir la composition personnelle réalisée à partir de la couverture, rendez-vous sur mon blog, lien direct ci-dessous.
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