"La musique s'inscrit entre le bruit et le silence, dans l'espace de la codification sociale qu'elle révèle".
Voici un brillant essai sur l'économie politique de la musique, essai rédigé il y a un demi-siècle. Brillant, étonnant et, pour l'essentiel, qui n'a pas pris une ride.
Polytechnicien,
Jacques Attali a soutenu en 1972 un doctorat d'État sur la La Théorie de l'ordre par le bruit dans la théorie économique.
Bruits est la version "grand public" de cette thèse. Je dis "grand public" quand, en réalité, le sujet est assez ardu et la manière dont il est traité pas toujours d'un accès facile.
Ce qui est facile à comprendre dans cet essai ? le développement de la place sociale occupée par la musique et les musiciens. du jongleur moyenâgeux au musicien salarié d'orchestre contemporain en passant par le ménestrel, de la composition anonyme à l'oeuvre d'un "grand" compositeur, de la formation réduite aux orchestres nationaux, de la soirée de musique de chambre partagée entre amis à l'écoute solitaire de disques, de la diffusion intimiste à la radiodiffusion : la musique n'a cessé de prendre une place de plus en plus importante dans notre société. Cela s'est accompagné de la reconnaissance progressive des droits d'auteurs et de celui des interprètes, avec, au bout du compte, la marchandisation de la musique : " [elle] est devenue une marchandise, un moyen de produire de l'argent. On la vend, on la consomme, ..."
Mais
Jacques Attali va plus loin que ce constat (que l'on pourrait trasmposerà la peinture : la reproduction des toiles, l'utilisation de la lithographie, l'impression de livres "d'art", l'ouverture à un large public de musées, etc.) : il prétend que l'évolution de la musique est annonciatrice, pour qui sait la détecter, de celle de la société tout entière. "L'individualisme bourgeois [...] est entré dans la musique avant de régler l'économie politique". Il commente l'apparition du gramophone, du disque, de la cassette, du "stockage" des enregistrements, du hit-parade, du free jazz, du play-back (mais ne pouvait pas parler en 1977 de Spotify...).
Tout cela est agréablement étourdissant.
En refermant cet essai, on peut se poser deux questions :
1/ L'avant-garde stimule. N'y a-t-il pas dans tout art (architecture, sculpture, musique, peinture, poésie, danse, cinéma...) les germes annonciateurs de la société à venir ?
2/ L'explication a posteriori donnée dans
Bruits n'est-elle pas un peu suspecte d'être faussée par la succession de trois périodes, celle du mouvement artistique, celle du changement de la société et celle de l'analyse de l'influence de la première sur la seconde ?