Dans ce premier roman écrit aux Etats-Unis en 1945, six ans après son arrivée, Vladimir Nabokov explique dans l’introduction le sens de son titre énigmatique : « L’expression « brisure à senestre » s’applique en héraldique à une bande qui part du côté gauche du blason (et l’on croit communément, mais à tort, qu’elle indique une ligne bâtarde). J’avais tenté par le choix de ce titre de suggérer une ligne brisée par la réfraction, une distorsion dans le miroir de l’être, un mauvais détour emprunté par la vie, un monde à « senestre » -- sinistre. »
Ce monde sinistre est celui d’un Etat tyrannique moderne dans lequel un éminent professeur de philosophie, jeune veuf en charge de son fils, refuse d’obéir. Après avoir cherché, en vain, à faire pression sur lui en persécutant ses amis, l’Etat policier s’empare de l’enfant du professeur, actionnant ce que Nabokov nomme « le levier de l’amour ». Une torture dont ce père aimant sera libéré par la folie, prouvant l’inutilité de la brutalité perpétrée par des esprits bornés.
Si on ne peut s’empêcher de penser à l’influence d’une époque marquée par la tyrannie et la torture exercées par les nazis ou les bolcheviques sur cette œuvre, le sujet central est l’amour. Un livre riche dont les nombreux jeux de mots et anagrammes rendent sa lecture pas toujours aisée.
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Ce récit assez énigmatique est le dernier roman de Nabokov avant la naissance du magistral Lolita.
Les amateurs de cet auteur, dont je fais partie, y retrouveront la subtilité, le cynisme et l'écriture riche en digressions de sa plume.
Ils y retrouveront également le thème récurrent dans l’œuvre du créateur de Lolita : l'oppression , le déchirement intérieur d'un homme par l'époque et l'environnement qui l'étreignent.
Nabokov , injecte également un autre thème tout à fait secondaire ici mais qui montre que la plus célèbre des nymphettes germait déjà dans son esprit : le désir d'un homme pour une toute jeune femme. Celle-ci se prénomme Mariette. C'est la gouvernante.
Ce texte nous situe dans un lieu et à une période inconnue sous un régime dictatorial. Bien évidemment , c'est au stalinisme que ce régime fait référence.
Le héros , Krug, quinquagénaire érudit, impavide, vient de perdre sa femme et reste seul avec son jeune fils de huit ans (et cette fameuse gouvernante).
Le parti lui propose de devenir le président de l'université d'état.
Si l'atmosphère lourd et trouble du roman rappelle celle du Procès de Kafka ( "la métamorphose est sans doute le plus grand texte du début du XXe" affirmait Nabokov), le personnage , quant à lui, nous ramène à Roubachoff , célèbre héros du "Zéro et l'infini".
Je me souviens avoir lu ce roman pour la première fois il y a sept ou huit ans.
Une scène m'avait marqué . Celle où, au début du roman, Krug tente de traverser un pont . Et lorsqu'on me parlait de ce roman , cette scène me revenait soudainement et inlassablement .
Nabokov , par cette scène ubuesque, parvient à décrire avec virtuosité un régime dictatorial en se départant totalement du champs lexical de la politique et de la répression.
Voici exactement , ce qui est à mon sens , l'illustration d'une scène réussie .
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Ce récit décrit la vie d'un homme qui vient tout juste de perdre sa femme. Il se retrouve seul avec son fils et une nouvelle gouvernante. Il vit aussi dans un contexte de dictature, dont l'idéologie est la négation de toute individualité pour elle-même. le thème traité ainsi que l'écriture du roman ne manquent pas d'originalité. En effet, l'auteur décrit très bien le réel qui devient comme irréel à la suite de tragédies humaines (deuil ou absurdités d'une dictature). Certes, ce roman traîne parfois en longueur. On se demande, et plus particulièrement à la fin, où l'histoire veut en venir. Mais l'ensemble est loin d'être inintéressant : on plonge réellement dans ce que peut être l'absurdité de la condition humaine.
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Qui aurait pu croire que sa maîtrise intellectuelle se désagrègerait ainsi ? En d'autres temps, chaque fois qu'il prenait un livre, les passages soulignés avec en regard les notes marginales promptes comme l'éclair apparaissaient de façon quasi automatique, et un nouvel essai, un nouveau chapitre étaient prêts, mais maintenant il était presque incapable de soulever le lourd crayon que sa main flasque avait laissé choir sur l'épais tapis poussiéreux.
Il y a des amitiés semblables à des cirques forains, à des chutes d'eau, à des bibliothèques et il y en a comme de vieilles robes de chambre. (Pléiade, II, p.682)
...les épouses les plus laides sont les plus fidèles...
Il laissa monter les larmes, non sans éprouver ce léger plaisir que l’on ressent à s’abandonner à cette pression tiède ; mais l’impression de soulagement fut de courte durée, car dès qu’il les laissa couler elles se firent si abondantes, si atrocement brûlantes que sa vue s’en trouva brouillée et sa respiration altérée
"Lolita" de Vladimir Nabokov (Alchimie d'un roman, épisode n°18)