J'avais rarement vu une illustration aussi originale.
Signée Lucia di Bisceglie, elle propose au lecteur de construire cette belle maison en trois dimensions, et d'y ajouter des volets ou un balcon.
Armé d'une paire de ciseaux, vous n'avez plus qu'à suivre les pointillés ... et les instructions.
Si du moins vous êtes prêts à déchiqueter la couverture, ce qui serait pour moi un sacrilège.
Franz Bartelt m'a fait passer d'excellents moments avec son dernier roman policier déjanté ( A l'hôtel du grand cerf ) et avec son conte absurde, moderne et cruel : La fée Benninkova.
Dans deux semaines, je vais avoir l'occasion de rencontrer cet auteur discret et je souhaitais donc poursuivre auparavant mon exploration de son oeuvre au timbre humoristique et décalé unique.
Les premières pages de la belle maison m'ont tout de suite emballé.
Le roman n'en comptant que 150, j'ai cru que passer un bon moment ne serait qu'une formalité, mais je dois admettre une semi-déception.
Bienvenue à Cons-sur-Lombe, petit village de 1996 habitants situé dans les Ardennes à proximité de Larcheville, le chef lieu du département.
Le maire de Cons, monsieur Balbe, cent-soixante kilos, est un politicien particulièrement ambitieux qui voit les choses en grand pour toute sa communauté.
Sa devise ? "Toujours plus et toujours mieux qu'ailleurs."
Cons-sur-Lombe, ça ne fait aucun doute, sera le futur carrefour européen.
Rien que ça.
Ses idées sont originales, avant-gardistes même, mais ne sont pas toujours retenues par le comité, à l'image du terrain de foot qu'il aurait souhaité deux fois plus grand que la normale.
"Il avait plusieurs fois songé à interdire la maladie par arrêté municipal."
Si ses talents oratoires font de lui la personnalité la plus originale de Cons, les autres habitants ne sont pas en reste et ont tous des attitudes hors du commun, ainsi qu'un penchant certain pour l'alcool.
A Cons, on sait faire la fête et s'amuser.
"A Cons on vise la perfection, et la satisfaction générale !"
Autre spécificité de cet exubérante commune : "Le village ne comportait ni chômeurs, ni drogués, ni délinquants."
Tous ces gens ont le coeur sur la main et oeuvrent pour le bien commun.
"Il faut savoir se sacrifier à l'intérêt collectif."
Parce que deux habitants, légèrement excentrés, font figure d'intrus.
En effet, Mortimer et son épouse Constance Boulu, surnommés les Capouilles ( les plus sales de la communauté en patois ) habitent dans un taudis.
"Vraiment, nulle part on ne trouverait plus pauvres que ces gens-là."
Même s'ils se sont un peu intégrés à la communauté, à laquelle ils rendent de petits services ( bricolage, jardinage, dératisation ), leurs conditions de vie insalubres font d'eux des êtres à part et ils préfèrent vivre en retrait dans leur crasse.
"Ils vivaient comme des clochards, sales, en loques, misérables, mais soutenus dans leur malheur par toute la population."
Alors comme à Cons on je jure que par l'entraide, tous les Consiens participent secrètement à la rénovation d'une belle maison qui leur sera destinée.
"Qu'est-ce qu'on serait sans le bien qu'on fait à plus malheureux que nous !"
Avec une abnégation très discutable, la future demeure des Capouilles prend forme au fur et à mesure.
"La belle maison s'érigeait dans la lumière, comme un bijou architectural unique."
Tous participent pour que ce véritable petit château soit entièrement équipé par un électroménager dernier cri, des meubles rutilants, des tentures et des draps soyeux. Ainsi qu'une salle de bain avec eau chaude et serviettes, bien sûr.
"Ca ne vous tente pas de vous laver un peu, par curiosité ?"
Cet immense projet engendre une liesse générale. Le moment tant attendu approche. Et comme le maire voit toujours les choses en grand, les festivités pour la remise des clefs seront aussi mémorables que dantesques.
Et pendant ce temps, les Capouilles ignorent tout de la fabuleuse surprise qui leur est réservée.
Préservant leur rituel secret.
Sous son aspect farfelu, ce petit conte moderne pose pas mal de petites questions, engendre quelques réflexions intéressantes.
Déjà, il y a cette notion d'entraide. Est-ce que cette volonté générale de la foule de venir au secours de son prochain ne devrait pas d'abord passer par l'acceptation de la différence ?
Et d'ailleurs, peut-on réellement parler d'entraide quand celle-ci est totalement égoïste ? Que le but n'est autre que de fondre dans la masse deux citoyens plus pauvres, qui dans leurs guenilles donnent une moins-value au village et à ses ambitions ?
Chaque acte est toujours un peu personnel. Mais tous ces Cons(iens) oeuvrent pour sauvegarder les apparences de leur jolie commune bien davantage que par altruisme. Quelle maladresse au final de prétendre savoir ce qui est mieux pour autrui sous prétexte que ces derniers ne collent pas tout à fait au paysage...
Est-ce que le collectif doit toujours primer sur l'individuel ?
J'ai donc apprécié l'absurdité de la situation qu'on peut facilement transposer au quotidien.
Mon vocabulaire s'est enrichi de quelques nouveaux mots comme ingambe ( qui a l'usage de ses jambes, qui peut gambader ) ou manducation ( l'action de manger ).
Je me suis régalé avec les mises en scène extravagantes et les propos complètement délirants d'un auteur au style toujours aussi élégant et saugrenu.
"L'infini c'est l'infini ! Plus vous en donnez beaucoup et plus il en reste autant !"
Et pourtant, ce délire de Bartelt ne m'a pas totalement enchanté. Malgré les bons mots l'histoire va tourner assez vite en rond jusqu'à une conclusion qui ne m'a pas totalement convaincu. En outre, les personnages sont très stéréotypés et même si c'est une volonté de l'écrivain, ils en deviennent parfois agaçants. Et si j'insiste sur l'excellence de certains passages, j'ai aussi trouvé que l'humour si subtil habituellement devenait parfois lourd à force de répétitions.
Ca reste une novella qui se lit facilement et rapidement, qui amuse tout en délivrant un message, mais dans un genre similaire j'avais nettement plus apprécié La fée Benninkova.
D'où cet avis un peu partagé qui n'engage que moi.
Malgré mes recherches, je n'ai pas réussi à trouver Cons-sur-Lombe sur une carte de France. Son emplacement est probablement tenu secret. Mais si jamais au détour d'une forêt ardennaise vous vous y aventuriez malencontreusement, inutile de vous y attarder pour goûter les spécialités locales.
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Cons sur Lombes est un village de 2000 habitants fiers d'être nés cons..iens. Ils se font une joie de ploucs d'offrir une belle maison neuve aux seuls pauvres, les Capouilles qui font tâche dans le paysage carte postale..où les chats et chiens dépressifs n'ont pas le droit de salir les trottoirs propres qui font la fierté de la ville ...
Franz Bartelt croque à pleines dents acérées un village franchouillard centré sur sa bêtise et sa générosité mal placée, avec en vedette son bedonnant maire champion de la descente de coude, sa femme hypocondriaque, le curé reluqueur pas que de reliques...et les autres qui ont leur coeur sur une main et la chope dans l'autre...
Comme les Capouilles, Franz Bartelt a plus d'un tour poétique dans sa malle...à malice.
C'est toujours avec le même plaisir que je retrouve son humour noir et sa plume cynique qui touchent à tous les coups sa cible...les cons !
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En voilà un bouquin caricatural au possible qui nous emmène dans les méandres de la bêtise et du n'importe quoi.
Cela m'a laissé dubitative quant à son intérêt ; j'ai pourtant voulu le terminer résultat :
Consternant !!!
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Une fable douce-amère à la sauce Bartelt.
On rit, mais un peu jaune quand même...
Une jolie disgression sur l'amour de son prochain et la bonne conscience !
Et un couple émouvant qui nous change des stéréotypes habituels.
Ne pas se fier aux apparences...
A méditer...
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On croit que le temps efface les choses, mais non. Il les remplace, il les recouvre, il les ensevelit. Sur le visage de la jeunesse, il enchevêtre des lignes, des plis, des rides, tout un travail de d'application qui transfigure sans rien ôter. Sous la face terrible du vieillard les traits du jeune homme demeurent, imperceptibles, et même ceux de l'enfant. Le miroir ne le sait pas. Mais le miroir connait si peu l'homme qui se regarde.
Au fond il détestait M. Balbe (le maire) qui, dans le passé, l'avait plus d'une fois traité de chicon cafardeux et de blatte d'ostensoir (le curé).
Les plantes soignent le corps, les poèmes soignent l'âme. Dans l'ensemble c'est ce qu'il pensait. Encore qu'il eût l'intuition que la bonne plante comme le bon poème soignent à la fois l'âme et le corps.
Même l'abbé Lienne eut des phrases complimenteuses à l'adresse de la communauté Consienne, qu'il félicita au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, faute d'avoir connu Cons, naquit dans une étable, en plein hiver et en pleine nuit, sans eau sur évier et sans serviettes-éponges.
Une minute quarante de Franz Bartelt à consommer sans modération, extrait du livre "Le bon temps" paru à L'Arbre vengeur.