Walter Benjamin écrivit cet exposé en 1935, alors qu'il travaillait, en exil à Paris, sur son livre inachevé sur les passages parisiens. Celui-ci sera finalement publié en français en 1989, et est disponible aujourd'hui aux excellentes éditions Allia.
Benjamin évoque ici les grands thèmes de la modernité : les passages, les expositions universelles, les intérieurs bourgeois, le Paris redessiné par Haussmann et les barricades. Sous les yeux de ce promeneur, qui déchiffre les signes de la modernité dans le Paris révolu du XIXe siècle, la société révèle son nouveau visage. Son regard sur la ville dévoile l'évolution par trop familière de notre civilisation, le divertissement et le fétichisme naissant pour la marchandise, en cette deuxième moitié du XIXe siècle.
L'intronisation de la marchandise prend son essor avec la construction des passages parisiens, «noyaux pour le commerce des marchandises de luxe», construction rendue possible par les progrès techniques, l'architecture du fer et l'éclairage au gaz, puis avec les expositions universelles à partir de 1856, lieux d'assujettissement à des marchandises chargées d'allégorie, pour leur conserver un pouvoir magique, malgré le développement de la production de masse.
«Les expositions universelles sont les centres de pèlerinage de la marchandise-fétiche. "L'Europe s'est déplacée pour voir des marchandises", dit
Taine en 1855... L'intronisation de la marchandise et la splendeur des distractions qui l'entourent, voilà le sujet secret de l'art de Grandville.»
Ses innovations font rêver car elles sont chargées d'espérance et des utopies de la modernité ; ainsi les passages sont comme des mondes en miniature, en écho au phalanstère de
Charles Fourier, et l'intérieur bourgeois à la mode Louis-Philippe est «l'asile où se réfugie l'art».
Fondant ses réflexions sur l'observation attentive du paysage urbain,
Walter Benjamin formule une critique précoce de la modernité qui empêche le véritable épanouissement de l'homme, mettant en lumière la tension entre la consommation désirée à l'instant présent, la fantasmagorie qui y est associée et la déception qui s'ensuit, avec ce rêve toujours repoussé de l'âge d'or de l'homme.
À l'époque des centres commerciaux, de l'enfer de la consommation poussé à son extrême, de la récupération de toutes les utopies par le capitalisme, il faut lire et relire Benjamin, témoignage du passé et texte d'une singulière actualité.