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EAN : 9782221077887
214 pages
Robert Laffont (12/09/1999)
3.19/5   8 notes
Résumé :
Dans cette forêt des Carpates où cohabitent cueilleuses de myrtilles accortes et gardiens d’ours, on oublie jusqu’à son nom, jusqu’au motif de sa venue. Ici, les oiseaux portent les germes d’une fièvre mortelle, l’identité ne tient qu’à une plaque de fer-blanc et au bon vouloir d’une femme colonel aux ordres sibyllins. Seule issue possible : embarquer entre deux carcasses d’ovins congelés dans le camion frigorifique du gros Mustafa Mukkerman, assurant la liaison Sin... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Un paradoxe n'a cessé de m'accompagner le long de la Sinistra, rivière arpentée aux côtés d'un compagnon incertain, Andrei (Adam ?) Bodor, dont le nom lui-même est faux : tant de choses se passent et, pourtant, toute action ne débouche sur rien d'autre qu'elle-même. Dans cette vallée des Carpates, le temps est aussi incertain que la fièvre toungouze amenée par de menaçants volatiles. Pour lui donner de la chair, Coca Mavrodin et les chasseurs de montagne parcourent les sentiers, se traînent à la gare, fouillent un camionneur dont l'embonpoint pourrait peut-être révéler des contrefaçons, contraignent le narrateur à partir avant de se raviser. Mais c'est toujours le temps qui gagne, qui s'étire à l'infini avant de se détendre : voilà qu'en un claquement de page, le fils adoptif d'Andreï Bodor, Bela Bundasian, qu'il était venu chercher dans la vallée de la Sinistra, apparaît à son père, après "des jours, des semaines, des mois, peut-être des années" que ce dernier avait élu domicile dans cette étrange région.

A lire le paragraphe précédent, on se dirait que "La Vallée de la Sinistra" ne raconte rien : on aurait partiellement raison. le territoire dont Adam Bodor, à coups de pinceaux très fins, fait le portrait, est enveloppé de brumes et de neiges, couvert d'une pluie verglaçante à laquelle quelques personnages s'exposent sans émotions : il ne s'y passe rien d'autre que des allées et venues de personnages singuliers, accompagnés d'objets dont la symbolique, bien souvent, nous échappe (le parapluie annonce-t-il la mort ? la cape ne sert-elle qu'à se protéger du froid dans un camion réfrigéré ? les jumelles n'observent-elles que les ours ?).
Mais, d'un autre côté, une progression se dessine : Andrei Bodor, venu à Dobrin City pour retrouver son fils adoptif, officie en plusieurs endroits, convoite deux femmes, est engagé par Coca Mavrodin, avant de croiser son fils avec qui repartir pourrait être plus difficile que prévu. Languissant dans sa vallée, il pourrait pourtant s'en échapper, car un camion la traverse une fois par semaine en direction des Balkans. Mais, comme dans toute région où pèse sur les âmes le poids d'une torpeur née on-ne-sait-quand, partir, c'est risqué. Alors on reste, on prend sur soi, on accepte l'absence de perspectives et de droits, on constate l'absurdité des nominations et des missions à accomplir et, surtout, on boit de l'alcool dénaturé.

On l'aura compris : "La Vallée de la Sinistra" est, de bout en bout, un roman sans histoire et pleins de petites notes, qui distille, au détour d'un moment à part, les effluves d'un monde aux lois obscures, changeantes et, pourtant, évidentes car incontestables aux yeux de leurs sujets. Roman qui s'égrène, parfois avec difficulté, emportant difficilement son lecteur à chaque chapitre, il propose une immersion dans des arcanes absurdes, jusqu'à visualiser, par moments, à quel point l'irrationalité devient rationnelle, dans un monde de bureaucratie et d'attentes auxquelles tout le monde a l'air de s'être habitué. Adam Bodor, par le langage et la précision des descriptions, donne ainsi à imaginer une région où le temps a gardé les stigmates des démocraties populaires : il est interminable ; et où les choses sont, pour le narrateur et pour celles et ceux qui vivent près de cette rivière, tout à fait normales, quoique tout à fait étranges...

Mais si l'expérience de lecture est par endroits de lenteur, elle s'écarte de la rigueur pour offrir des instants hors du temps. Là, l'absurde devient beauté, lorsque des personnages renoncent à se soumettre au temps qui les enferme. Comme celle qui accepte de devenir de la glace, gelée par la pluie, fondue au matin...
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Dans « La Vallée de la Sinistra », (14, Cambourakis, 240 p.) on embarque entre des carcasses de moutons congelées dans le camion de Mustapfa Mukkerman, camion plus que brinquebalant. C'est le seul lien entre cette vallée et les Balkans, avec naturellement son lot de contrebande. On est près de la frontière entre Hongrie, Ukraine et Roumanie, non loin de la Tisza dans laquelle se jette la Medvegyica (littéralement Ail des ours). La Tisza c'est la grande rivière qui alimente le Danube en faisant le tour par l'ouest du Bassin Pannonien, mais elle prend sa source en Ukraine, au confluent entre la Tisza Noire et la Tisza Blanche. Par contre la Prout (Pruth) qui prend sa source du coté est de la montagne, le mont Hoverla, coule vers l'est et forme la frontière entre la Roumanie et la Moldavie. (C'est sur ses rives qu'Attila est mort en 453, ce qui devrait plaire aux éditeurs du Nouvel Attila). Mais là on est près de sa source, non loin du pic de Pip Ivan (Pop Ivan dans le texte) et la rivière fait des tas de méandres. Quant au col de Baba Rotunda, il y a de grandes chances que cela soit inventé, tout comme la rivière Sinistra. Mais, bon le Pip Ivan culmine à 1600 m, et tout près se trouve le refuge-observatoire de l'Eléphant Blanc (cela ne s'invente pas). Heureusement l'Autorité veille, avec des dispatcheurs de fruits, un veilleur des morts suppléant, un expert en mures et myrtilles, la délicieuse (mais dure à la tache) Coca Mavrodin, un colonel photographe, des gardiens d'ours, une oreille coupée. On constate très vite que l'on est en bonne compagnie.
Dans cette ville, arrive un jour un homme, à bicyclette, après avoir franchi le col de Baba Rotunda déjà nommé. Il est plus ou moins à la recherche de son fils adoptif, Béla Bundasian. La région est sous contrôle, tout d'abord du colonel Puiu Borcan, mais « un colonel mort n'est plus un colonel », puis de la redoutable Coca Mavrodin. le personnage principal, rebaptisé par de nouveaux papiers Andreï Bodor, va successivement être dispatcheur des fruits, cantonnier, veilleur des morts. (Et dire que l'on est en peine de trouver des occupations pour vaincre le chomage). C'est là que va intervenir Mustapfa Mukkerman, son camion et ses carcasses de moutons congelés. Seul moyen de transport par la route vers les Balkans. Entre temps, les convois militaires se succèdent et se ressemblent forcément, le tout sous contrôle de la milice locale, formée par Coca Mavrodin ses « oisons gris ».

Que certains y voient une critique d'un certain système étatiste totalitaire ne saurait être que pure coïncidence pour Adam Bodor, qui a connu les prisons roumaines

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Les paysages de cette région des Carpates auraient, pourtant, de quoi faire rêver, avec pics, torrents ou chemins sinueux que l'on trouve à foison.
Eh bien non! Pour ceux qui y vivent, c'est la prison en pleine nature, surveillée de près par Madame le colonel Coca Mavrodin et ses oisons (sa garde rapprochée). Les gardiens d'ours, la cantonnier, le cantinier, le météorologue et les autres sont tous affublés d'une plaque de fer autour du cou gravé de leur nom.
Ce qu'ils ont fait? On ne sait pas.
En tout cas, ils sont consignés dans ces lieux, entre autres, à cause de cette méchante fièvre toungouze qui fait rage. Mais, ce n'est pas tout.
C'est une petite dictature fantasque, surréaliste qui règne dans la Vallée de la Sinistra. La liberté n'y est quasiment représentée que par le camion de Mustafa circulant depuis ces coins reculés jusque dans les Balkans..
Et, dans cette nature sauvage et grandiose, la faune et la flore n'apportent pas le baume nécessaire à la déprime qui mène ce petit monde.
Adam Bodor donne un portrait glacial et implacable de ces régions d'Europe de l'Est, dont l'horizon fut bien bouché jusque dans les années 80.
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« La vallée de la Sinistra » d'Adam Bodor a été publié en 1992, et réédité par les éditions Cambourakis en 2014. L'auteur situe son roman quelque part entre la Hongrie, la Roumanie et l'Ukraine, dans une zone montagneuse peuplée d'ours gourmands, d'oiseaux de mauvais augure, et d'un groupe d'humains arrivés là on ne sait comment, on ne sait pourquoi…
A la recherche de son fils adoptif, Bela Bundasian, un homme arrive un jour en vélo à Dobrin, un étrange village niché dans les Carpates. Tout en gardant le secret sur son objectif véritable, rebaptisé ‘Andreï Bodor', il s'intègre rapidement dans la petite communauté et occupe divers emplois – tour à tour dispatcheur de la collecte de mûres, veilleur de morts, photographe…Dans ce coin perdu, rares sont ceux qui arrivent, et encore plus rares ceux qui repartent; seul le chauffeur de camion, Mustafa Mukkerman, passe une fois par semaine avec sa cargaison de porcs congelés, en direction des Balkans.
Tout au long du roman, Adam Bodor brouille les pistes : l'histoire se déroule, certes, dans les Carpates, mais les noms de lieux résonnent bizarrement: entre le Pop Ivan, Punte Sinistra et le col de la baba Rotunda, le lecteur perd rapidement ses repères, d'autant plus que les personnages eux-mêmes sont rocambolesques et affublés de curieux patronymes : Elvira Spiridon, Hamza Petrika, Coca Mavrodin…On comprend néanmoins rapidement que l'ordre est maintenu par un(e) colonel tout-puissant(e), assisté(e) de ses ‘oisons gris', et que tous les habitants se tiennent à carreau, s'acquittant scrupuleusement de leurs tâches (gardien d'ours, météorologue), et sous la menace permanente de la fièvre toungouze, maladie mortelle propagée par des oiseaux. Adam Bodor recrée ainsi un microcosme humain régi par un pouvoir autoritaire, où l'absurdité règne en maître, sans que personne ne semble s'en offusquer. A l'opposé de cette ordre kafkaïen, et malgré des conditions climatiques plutôt rudes, la nature déploie une beauté sauvage et fascinante, comme si elle représentait l'unique échappatoire, l'ultime preuve de l'existence d'une liberté dans cet espace ‘clos' mais sans véritable frontière. « La vallée de la Sinistra » a ce goût doux-amer de nombreux romans d'Europe de l'Est, teintés d'un humour subtil permettant de passer sans encombre une critique bien réelle à l'égard de l'autoritarisme. Pour la suite, cliquez sur le lien !
Lien : https://bit.ly/30MkAHW
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Fabuleux roman noir et farceur des confins sylvestres et montagnards de la dictature bureaucratique balkanique.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2018/08/02/note-de-lecture-la-vallee-de-la-sinistra-adam-bodor/
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Le jour même de son arrivée, Coca Mavrodin-Mahmudia réunit les villageois et sélectionna, à la tête du client, les quelque quinze ou vingt hommes presque identiques qu’elle voulait avoir à sa disposition. Rien ne les distinguait du lot, sinon qu’ils avaient tous – par hasard – le cou long, le crâne arrondi et les yeux en boules de loto. Sur son ordre, ils jetèrent leurs vêtements de gros drap et reçurent chacun un complet gris, des chaussures noires à bout pointu et une cravate à reflets argentés. La ressemblance était si frappante qu’elle éveilla l’attention des villageois, lesquels donnèrent aussitôt le surnom d’oisons gris aux voisins qui s’étaient mués en volatiles. S’il avait fallu les former, le temps aurait été trop court, mais comprenant d’eux-mêmes quel serait leur rôle, ils promenèrent aussitôt des regards sévères partout à la ronde. Quand ils se mettaient en route vers quelque destination inconnue, les dures semelles de cuir martelaient à l’envi les pavés humides.
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Nikifor Tescovina arriva un jour avec sa petite fille.
L’enfant était encore loin que sa courte chevelure, rouge comme les baies du sorbier à l’automne, rayonnait déjà à travers le brouillard. Ils étaient presque rendus au moulin, quand je m’aperçus que le père tenait sa fille en laisse. Arrivé à un jet de pierre du moulin, il l’attacha à un piquet et entra seul chez moi.
Il apportait aussi, ce jour-là, une bouteille d’alcool dénaturé ainsi qu’un petit pot et du charbon de bois, dans une casserole percée de trous. Il m’expliqua que, pour être buvable, l’alcool devait passer sur le charbon qui servait de filtre : on le recueillait ensuite dans un autre récipient. Si l’on n’avait pas de charbon de bois sous la main, l’amadou ordinaire ou les airelles faisaient aussi l’affaire.
– Au début, ça te fera vomir, mais tu t’habitueras.
– Sûrement.
Sans plus attendre, il se mit à verser la boisson, peu à peu, sur le charbon, plaça en dessous le petit pot et guetta les premières gouttes.
– Tu pourras commencer bientôt, le colonel a commandé les seaux et les baquets. Il a aussi embauché des femmes pour la cueillette. Elles seront nombreuses à s’agiter autour de toi, mais tu devras faire très attention. Comme je te l’ai dit, il faut que tu restes de marbre, quoiqu’il arrive.
– Je garde très bien mon sang-froid, depuis quelque temps.
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Quinze jours avant sa mort, le colonel Borcan m’emmena en mission de reconnaissance sur l’une des hauteurs dénudées du district forestier. Il me recommanda d’ouvrir l’œil, d’observer surtout les taillis de sorbiers qui bordaient le chemin, pour savoir si les jaseurs étaient arrivés. L’automne était bien avancé, les sous-bois retentissaient du chant des oiseaux migrateurs.
En temps normal, les reconnaissances du commissaire forestier se déroulaient toujours de la même façon : le matin, il allait voir les ours cantonnés dans la réserve biologique, inspectait les effectifs, puis s’en retournait lentement par quelque mamelon montagneux et, tout en s’imprégnant du vertigineux silence qui régnait dans la zone protégée ou du murmure des ruisseaux coulant au fond des vallées, il rédigeait mentalement son rapport. Ce jour-là pourtant, après avoir emprunté des sentiers peu fréquentés, balisés par les chasseurs de montagne, il se rendit directement à son belvédère secret. Le bruit courait que les jaseurs étaient apparus et sur leurs traces, comme chaque hiver, l’épidémie que les gens de Sinistra appelaient fièvre toungouze, allez savoir pourquoi.
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Jour après jour, durant l’hiver en question, j’avais dû chausser mes skis pour arriver jusqu’aux ruisseaux souterrains du Bois-Kolinda. Quelques marginaux s’y étaient réfugiés pour échapper aux chasseurs de montagne ; vivant cachés dans des terriers humides et des cavernes, sourds aux menaces comme aux prières, ils refusaient d’en sortir. Il avait été décidé, d’abord, que je les prendrais au piège, en posant des collets ou des chausse-trappes, mais finalement nous avions trouvé plus simple de colmater les issues avec du ciment. J’avais donc fait le va-et-vient pendant des semaines, un sac de ciment sur le dos, glissant toujours sur les mêmes traces. Sous mon poids – le ciment n’est pas léger -, la neige s’était pétrifiée, elle avait acquis la dureté du diamant.
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Semblables à des ailes languissantes, de grands paquets de chair, véritables fanons, pendaient aux épaules et aux omoplates, ceinturaient les hanches de Mustafa Mukkerman. Encore devait-on oser les mots pour parler d’épaules et de hanches à son propos. Il fallut longuement encourager les dobermans pour qu’ils acceptent d’aller flairer le chauffeur de pied en cap : les oisons gris durent les traîner par le collier l’un après l’autre; les chiens s’étaient littéralement braqués, Mustafa Mukkerman ne les intéressait pas du tout.
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