En Russie, une pléiade d'immenses poètes est apparue pendant la première moitié du XXème siècle. Ces hommes et femmes bénéficiaient alors d'une incroyable popularité, une peu comme les rock stars de notre époque. Certains, déjà très célèbres avant la Révolution d'Octobre, l'ont soutenue puis ont vite été broyés par l'appareil répressif des Bolcheviks. Ceux-ci n'ont jamais toléré les écarts par rapport à leur ligne politique et culturelle. Ainsi tous les poètes, aussi illustres qu'ils soient, étaient logés à la même enseigne: ils n'avaient le choix qu'entre la mort, l'exil, la glorification du Pouvoir, ou... une discrétion frisant la clandestinité.
Serguei Essenine (1895-1925) était un grand poète et lui-même était absolument convaincu de son génie. Né et élevé dans la Russie profonde, il s'est rapidement introduit dans les milieux littéraires de la capitale, où son talent a été aussitôt reconnu. Mais c'était une tête brûlée: provocateur, égoïste, instable, alcoolique, jouisseur, il collectionnait les femmes, participait à des rixes, avait un tempérament d'anarchiste. Son adhésion initiale à la Révolution n'a pas résisté très longtemps à ses (vraies) motivations personnelles et à la lourdeur de la politique bolchevique. Après une vie incroyable, rythmée par divers esclandres, il a été retrouvé pendu dans un hôtel de Léningrad. Il n'avait que 30 ans… L'enquête sur cette mort, bâclée, conclut évidemment au suicide: cette thèse est contestée (sans preuve formelle) dans ce livre. En tout cas, le lecteur voit la continuité entre les premières années du communisme et l'époque actuelle personnifiée par V. Poutine: une police zélée et omniprésente pèse sur la grande majorité des Russes, mais elle sait très bien fermer les yeux sur des scandales d'Etat !
Jean de Boishue, qui fut un homme politique, connait bien la Russie. Il évoque la vie courte et mouvementée d'
Essenine. Toutefois ce n'est pas principalement le poète qui est mis en valeur ici, mais plutôt l'environnement où il a évolué: on peut le regretter. D'ailleurs, l'homme
Essenine n'est pas présenté sous un jour très favorable dans ce livre; peut-être ne mérite-t-il pas l'indulgence ? J'ai trouvé ce roman intéressant mais, à mon avis, il ne peut pas être comparé à l'inoubliable roman de
Robert Littell, intitulé ‘
L'hirondelle avant l'orage' et consacré au poète O.
Mandelstam.