Pierre Bonnard a écrit que « La beauté, c'est la satisfaction de la vision. La vision est satisfaite par la simplicité et l'ordre. »
On pourrait aisément adopter cette formule pour décrire ce petit volume édité par l'Atelier contemporain, car les notes des agendas de Pierre Bonnard y sont mises en forme d'une manière sobre et harmonieuse, à la manière de petits haïkus, séparés par des plages de blanc qui illuminent les mots, comme en peinture « le voisinage du blanc rend lumineuses des taches très colorées. »
Peu de couleurs pourtant dans ce volume, mais les facsimilés sépia des pages des agendas griffonnés au crayon par Pierre Bonnard sont des éclats qui touchent le coeur : ils montrent que le peintre vit dans une « rencontre aimante avec le monde », comme le dit la belle introduction d'
Alain Lévêque.
Pierre Bonnard note en effet chaque jour le temps qu'il fait, « beau » ou « nuageux ». Parfois « beau » est biffé, car les pluies sont arrivées. Il n'oublie pas qu'il faut acheter du charbon ou des allumettes. Il esquisse le chat qui passe, le mouvement de la mer, des silhouettes à insérer dans un tableau en cours.
Mais surtout, il y a ces notes brèves « À soi-même » (pour paraphraser
Odilon Redon) qui n'étaient pas destinées à être publiées, mais que P. Bonnard a réunies à la fin de sa vie pour les offrir dans la revue « Verve ».
Ce sont elles, avec quelques inédits, que l'on retrouve couchées sur le papier légèrement glacé de ce si beau volume, accompagnées d'une préface d'
Alain Lévêque et d'une introduction d'Antoine Terrasse.
Pierre Bonnard lui-même avait intitulé ces notes «
Observations sur la peinture ». Un titre sans prétention à l'image même d'un artiste perpétuellement insatisfait qui allait jusqu'à retoucher ses toiles une fois exposées, comme un couturier arrangerait un drapé avant un défilé.
D'ailleurs Pierre Bonnard écrit que le « peintre doit avoir par moment un métier de modiste. » Il parle aussi de lui-même comme « d'un peintre en bâtiment » et des artistes comme d'« artisans. »
C'est que la peinture, qui est du domaine de la sensation et de l'émotion, est surtout un « faire ». Bien des théoriciens de l'art et des artistes eux-mêmes ont voulu mettre des mots sur ce mystère. Souvent en vain. Mais les rapports entre les mots et les images sont un autre sujet, vieux comme le monde ou presque (« ut pictura poesis » et inversement…).
Il vaut donc mieux se reculer, faire une esquisse, puis aller faire un tour.
Associer ou dissocier les couleurs.
Observer, mais transposer, souvent malgré soi (« les mystères du nerf optique »).
Profiter des hasards.
Utiliser des assiettes pour les couleurs et pas une palette. Travailler des morceaux en cachant le reste du tableau.
Considérer que le principal sujet, c'est la surface qui a sa couleur, ses lois, par-dessus les objets.
Tout cela est dans les notes de Pierre Bonnard. Ce sont des constats, des tâtonnements, jamais des conseils. Avec toujours le souci sous-jacent de bien faire, que techniquement la peinture tienne « sans craquelures ».
Et la constatation si lucide de « commencer seulement à comprendre » à la fin de sa vie.
Touchent aussi ces quelques notes plus personnelles : « Celui qui chante n'est pas toujours heureux » ou « Mieux vaut s'ennuyer seul qu'à plusieurs. »