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EAN : 9782907681230
234 pages
Tristram (07/09/1999)
3.35/5   10 notes
Résumé :
Pierre se rend en voiture dans le nord de l'Europe pour retrouver une femme qu'il n'a pas revue depuis des années.
Aux rencontres qui émaillent son périple se superposent souvenirs, rêveries, fantasmes. L'action se déplace de Hanovre à Rome, du Massachusetts au Kenya. Les récits, les personnages naissent les uns des autres, ramènent les uns aux autres, au fil d'une construction aussi imprévue que limpide.
De page en page, chacun est montré ou métamorph... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
J'ai découvert ce titre au Masque et la Plume, l'émission radio de France inter, un chroniqueur disant tout le bien qu'il pensait de cette réédition faisant suite à celle de 1999. Comme j'aime beaucoup plusieurs livres de Pierre Bourgeade, j'ai eu envie de lire ce « Warum » au titre intriguant. Façon de rendre hommage à un écrivain singulier, amoureux de la liberté et des mots, en passe de tomber dans un certain oubli...

Warum est un remontage, comme il est dit dans la préface rédigée par les éditeurs, de « La nature du roman » paru en 1993. le montage définitif a eu lieu avec les éditeurs, deux stagiaires « intimidés » et l'auteur ! « Nous l'avons relu, en jouant à intercaler ici où là les séquences inédites, comme il nous avait conseillé ». Ceci explique peut-être le côté « nouvelles assemblées » et non récit avec une cohérence du début à la fin. C'est aussi le style de l'auteur d'explorer, à travers l'écriture, l'art de la digression sous toute ses formes, comme une expression totalement libre, une exploration de l'époque à travers les relations entre soi, les autres et le collectif, comme une ligne de résistance aux barbaries de toutes sortes.

Difficile de résumer ce livre singulier... Répondant à l'invitation d'une femme qu'il a connue bien des années auparavant, Pierre part en voiture vers l'Allemagne et la Suède. C'est à lire l'été, en laissant son esprit parcourir les pays, les rencontres, les retrouvailles et disparitions... Comme dans la vie certains personnages sont marquants, d'autres moins. L'écriture précise et parfaite se contente de décrire, de raconter sans jugement, ni morale, ce qui a pu choquer certains lecteurs.

Cette Warum du titre est le surnom d'une étudiante allemande qui prépare une thèse sur le roman :

« Elle s'appelait Karin Wartz, mais je l'appelais Warum car, à la manière des enfants dont elle avait les yeux interrogateurs et le front têtu, elle ne cessait de répéter « Warum ? » sitôt qu'on parlait de littérature. Warum ?... Pourquoi ?... Pourquoi le roman change-t-il ? Et en quoi change-t-il ? Et pourquoi ne sait-on jamais en quoi il va changer ?... Ni pour quelles raisons... ni dans quel sens... Excellentes questions, qui rongent le sommeil de l'écrivain, de leurs dents petites et brillantes. »

Puis l'auteur fantasque nous promène – peut-être dans ses souvenirs – de Paris à Buenos Aires, à New York, Nairobi, Rome, de Harriet la femme de l'Afrique à Paolo le pizzaïolo, de Lucienne la libertine à Eva, de Rima à Héloïse et au père Olivier Deschamps : tous ces personnages vont circuler dans ce roman composite, le romancier jouant avec son lecteur à travers ces récits épars, explorant les ressorts des vies dont il nous raconte des moments.

« Si on écrit sur soi-dans-sa-solitude, on est dans ses fantasmes. Si on écrit sur soi-parmi-les-autres, on est dans L Histoire, fantasme collectif. Les années passant, j'ai l'impression que le soi, les fantasmes et L Histoire n'ont fait qu'un. »

Il va droit au but tout en ayant sa musique très personnelle des mots :

« Pas une ombre de vie sur les collines chauves et brûlantes, plantées en leur sommet de trois cyprès. Ils longèrent des lacs envasés d'une boue par endroit séchée et fendue, où les joncs poussaient en désordre, et que survolaient les corbeaux. »

Pierre Bourgeade a raté le Goncourt à une voix près en 1983 pour son livre « Les serpents », sur la guerre d'Algérie. Je ne savais pas qu'il avait passé la fin de sa vie à Loches, près de Tours... Il y est mort en 2009 à 82 ans. Il fut l'auteur prolifique d'une quarantaine de pièces de théâtre, de nombreux romans et polars, de textes érotiques... Engagé à gauche, il a écrit pour « L'Humanité », « Combat », « le Monde » ou « le Nouvel observateur ». Ami de Man Ray, il fut également photographe. Né en 1927 dans un petit village situé dans les Pyrénées-Atlantiques, il affirmait avoir été « poussé à la littérature par les coups de canons qu'il entendit, enfant, dans les années 1936, de l'autre côté de la montagne ».

C'est un livre atypique, rappelant combien Pierre Bourgeade a pu être un écrivain talentueux, dans la lignée de créateurs tels qu'André Breton ou Pier Paolo Pasolini. Il est intéressant de l'avoir republié même si ces écrits, relativement sulfureux, ne doivent pas masquer une oeuvre multiple et les livres plus importants à mon sens que sont « Les serpents » ou bien « La fin du monde ».

J'ai été surpris de ne trouver aucune trace de mémoire de cet auteur dans une ville comme Loches, riche en patrimoine et lieu de passage de nombreux touristes, où il a terminé une vie exceptionnellement riche en créations. Il semble inconnu des services du patrimoine de la ville. Il est vrai qu'il n'est pas facile à caser à côté d'Alfred de Vigny, l'enfant sage du pays, dont la statue réalisée par François Sicard s'élève majestueuse en plein centre-ville !
Il y a peu de documents sur internet, s'en est étonnant !
Un fonds Pierre Bourgeade existe et est conservé – c'est cocasse au vu de la réputation iconoclaste de l'écrivain – dans l'ancienne abbaye Notre-Dame d'Ardenne, à Saint-Germain la Blanche-Herbe (c'est beau ce nom de village) dans le Calvados. Dans ce patrimoine historique prestigieux, mais en ruine depuis les bombardements de 1944, a été transférée en 2004 l'intégralité des archives de L'Institut Mémoires de l'Edition Contemporaine (IMEC). Il y a là une bibliothèque de 80 000 ouvrages, des salles d'archivage en sous-sol représentant plus de 15 km de linéaire, tandis que la grande nef reconstituée abrite la salle de consultation ouverte aux chercheurs. Voici un lieu exceptionnel, pont entre le patrimoine religieux et laïc, où je veux bien aller en pèlerinage, pour ce grand écrivain, pour ce qu'il dit de son époque, de notre époque.
Avez-vous lu cet auteur ou vu ses pièces de théâtre?

Notes avis Bibliofeel juillet 2020, Pierre Bourgeade, Warum

Il est intéressant de visiter le site de la commune de Saint-Germain la Blanche-Herbe.
https://www.mairie-stgermainblancheherbe.fr/abbaye-d-ardenne/l-abbaye-aujourd-hui
On y lit notamment :
« Marguerite Duras, Adonis, Jacques Derrida, Éric Rohmer, Alain Robbe-Grillet, Edgar Morin, ou encore Patrice Chéreau ont choisi, parmi d'autres, de confier leurs archives à l'Institut de leur vivant. Cette démarche est partagée par de nombreux ayants droit et détenteurs d'archives, attentifs à la notion d'intérêt général et soucieux de transmission. C'est grâce à leur confiance que l'IMEC a pu réunir, entre autres, les archives de Louis Althusser, Jacques Audiberti, Gisèle Freund, Jean Genet, Emmanuel Levinas, Irène Némirovksy, Jean Paulhan, Alain Resnais, Erik Satie, Pierre Schaeffer, Philippe Soupault, Antoine Vitez... Au coeur des collections de l'IMEC, l'ensemble, unique au monde, des fonds historiques des maisons d'édition françaises (Hachette, Seuil, Albin Michel, Christian Bourgois, Denoël...) vient confirmer la mission patrimoniale de l'Institut. »

Lien : https://clesbibliofeel.blog
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Invité chez une femme qu'il n'a pas revu depuis des années, Pierre traverse l'Europe en voiture vers l'Allemagne et la Suède. Warum est un voyage, un foisonnement de rencontres et de souvenirs, de personnages qui apparaissent et réapparaissent et le flux du roman, totalement fluide, ressemble à celui d'une conscience libre de toute domestication, avide d'explorer les limites de l'existence.

Eva, l'ancienne amante suédoise, Karin Wartz, étudiante allemande surnommée « Warum » par Pierre, le narrateur, car elle ne cesse de poser des questions dès qu'ils parlent de littérature, Harriet Hemery, de manières réservées avec les hommes mais qui couche avec mille noirs à chacun de ses voyages en Afrique, Rima Menatti, son amie new-yorkaise aux prises avec la vénéneuse Mrs Hoolingwer, Héloïse, une religieuse qui s'enfuit de son couvent avec un prêtre, Paolo Frolani, journaliste vieillissant, Lucienne, parisienne libertine, les dizaines de personnages de Warum frappent par leur véracité impressionnante et par l'affleurement de leurs failles et de la dimension sauvage de chacun d'entre eux.

« Autoroute. Ciel gris bleu. Nuages rapides, d'un gris soutenu, aux bords effrangés, d'un gris plus pâle. Souvenirs fugaces, s'effilochant. Deux cents ? Trois cents femmes ? … Les femmes elles-mêmes ne peuvent-elles posséder des milliers d'hommes ? … Une amie américaine, d'origine française, m'a raconté qu'elle allait passer chaque année quinze ou vingt jours en Afrique. Elle débarquait avec son sac de voyage dans l'un des grands aéroports, elle prenait « l'autobus des Noirs » et elle disparaissait. Au retour, elle avait été prise mille fois. Elle rapportait des outils… des masques… elle m'a donné un de ces reliquaires bakota de cuivre martelé qui valent aujourd'hui une fortune. C'était une grande fille blonde platinée, aux yeux liquides. Par nature, elle était d'un blond roux puissant, presque sombre, mais elle s'était fait décolorer, les Noirs préférant les femmes aux cheveux très clairs. Sa peau était bronzée, tannée par le soleil, et dans ses yeux marrons et mobiles il y avait quelque chose d'africain. »

« L'écrivain érotise le monde », affirmait Pierre Bourgeade. La plongée dans le puits à fantasmes, son exploration des limites semblent être une cure de jouvence dans notre époque de morcellement de la liberté. Même l'obscénité des scènes les plus crues de Warum, comme la scène « de l'anguille » à laquelle les éditeurs de Tristram font référence dans leur préface, ne crée aucune répulsion mais simplement l'admiration pour le génie de l'auteur, nous rappelant que la littérature devrait toujours être une forme extrême de liberté et porter en elle la nécessité impérieuse de la transgression.

« La nature du roman, si elle était connue, les romans seraient faits par ordinateur. Je pose les deux mains sur les épaules hautes et dures de Warum : « Au revoir, je ferai tout pour revenir ici. » Dans ses yeux graves et gris, il n'y avait pas de regrets. J'étais triste. La nature du moment que j'étais en train de vivre m'échappait et, déjà, la nature du récit que, le jour venu, je ne manquerais pas d'en faire. La nature du roman, c'est la séparation. La nature du roman, c'est l'absence. La nature du roman fuit sous l'esprit de celui qui écrit le roman comme la femme sous ses doigts, comme le mot qu'on ne peut réussir à trouver. le roman n'est pas seulement mobile, il est mouvant, il se transforme en même temps qu'il se déroule, il ignore ce qu'il doit devenir. La nature du roman est l'infini. le roman est l'autobiographie en acte. le romancier est sa propre créature. Il dit « Je » pour mentir. le moi n'existe plus. Il s'affirme homme et femme, tête et ventre, enfant et vieillard. Il meurt autant de fois qu'il faut. Il aime sans jamais connaître la fatigue. La nature du roman est le sexe. le roman est un acte sexuel. La nature du roman est une jeune femme rousse, dans une salle obscure, qui convoite un jeune comédien. « Tout à l'heure chez moi, Lexington Avenue. » Elle ferme les yeux et s'enfonce les ongles dans les paumes. »

De Pierre Bourgeade, je n'avais lu que Les âmes juives, au moment de sa publication en 1998 chez Tristram, un roman bref, marquant par sa simplicité puissante, qui, en évoquant le destin d'une famille juive, s'approche en creux de l'indicible absence laissée chez les descendants de ceux qui ont été assassinés dans les camps nazis.
L'auteur nous offre avec ce roman publié en 1999 et réédité en 2020 chez Tristram la même simplicité dans un récit foisonnant d'une vitesse narrative impressionnante qui se déploie dans les frontières mystérieuses du sexe, du pouvoir et de la mort et forme une leçon irrésistible et mélancolique sur la puissance du roman.

Retrouvez cette note de lecture et beaucoup d'autres sur le blog de la librairie Charybde :
https://charybde2.wordpress.com/2020/03/30/note-de-lecture-warum-pierre-bourgeade/
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critiques presse (1)
LeMonde
20 janvier 2020
Indéniable leçon sur les puissances du roman, Warum fait de la liberté l’un de ses ingrédients majeurs au long d’une fugue arpentant le territoire très réel d’un imaginaire hanté par la chair autant qu’il l’est par la mort.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (3) Ajouter une citation
« Elle s’appelait Karin Wartz, mais je l’appelais Warum car, à la manière des enfants dont elle avait les yeux interrogateurs et le front têtu, elle ne cessait de répéter « Warum ? » sitôt qu’on parlait de littérature. Warum ?... Pourquoi ?... Pourquoi le roman change-t-il ? Et en quoi change-t-il ? Et pourquoi ne sait-on jamais en quoi il va changer ?... Ni pour quelles raisons... ni dans quel sens... Excellentes questions, qui rongent le sommeil de l’écrivain, de leurs dents petites et brillantes. »
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« Si on écrit sur soi-dans-sa-solitude, on est dans ses fantasmes. Si on écrit sur soi-parmi-les-autres, on est dans l’Histoire, fantasme collectif. Les années passant, j’ai l’impression que le soi, les fantasmes et l’Histoire n’ont fait qu’un. »
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« Pas une ombre de vie sur les collines chauves et brûlantes, plantées en leur sommet de trois cyprès. Ils longèrent des lacs envasés d’une boue par endroit séchée et fendue, où les joncs poussaient en désordre, et que survolaient les corbeaux. »
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Videos de Pierre Bourgeade (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Pierre Bourgeade
Jean-Hubert Gailliot - Éditions Tristram .Jean-Hubert Gailliot des éditions Tristram vous présente deux ouvrages de Pierre Bourgeade. Rentrée littéraire 2014. "Venezia" http://www.mollat.com/livres/bourgeade-pierre-venezia-9782367190297.html "Ramatuelle" http://www.mollat.com/livres/bourgeade-pierre-ramatuelle-9782367190303.html Notes de Musique : None Music/Unknown Album/Seizure's Palace. Free Music Archives.
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