Je remercie d'abord Babelio dont cette nouvelle Masse Critique a atteint tous les objectifs : me faire découvrir une nouvelle maison d'édition et un auteur de théâtre historique, et au passage me faire un cadeau :-).
Après
Jean-Claude Brisville (
Le Souper) et
Antoine Rault (
Le Système),
Isabelle Bournat est le troisième auteur contemporain que je rencontre qui utilise le vivier inépuisable de l'Histoire comme matière première pour ses pièces. Elle me confirme dans mon opinion que le théâtre ne sert pas qu'à amuser ; il est un aussi excellent moyen d'apprendre, ou d'acquérir l'envie d'apprendre, l'Histoire.
Isabelle Bournat balaye ici la carrière d'Armand Jean du Plessis, plus connu comme cardinal de Richelieu, premier des ministres du roi Louis XIII. Quelques scènes suffisent : la confiance que lui accorde Marie de Médicis, mère de Louis, qui favorise son introduction auprès de son fils après l'assassinat de Concini, le conflit entre Marie et Richelieu qui s'ensuivra des années plus tard et le point d'orgue que constitue la Journée des Dupes, l'évocation de la querelle du Cid et les efforts de Richelieu auprès du roi pour pousser ce dernier à donner un dauphin à la France.
L'auteur nous propose une interprétation du personnage tout en dualité, limite bipolaire, qui s'éloigne de l'image du bloc monolithique de ruse et de politique que l'on en retient généralement (à cause d'
Alexandre Dumas notamment). Ce bloc, affiché en public, constitue l'un des pôles, le deuxième est une fragilité, un manque de confiance en soi, une frayeur permanente de perdre sa position. Hypocondriaque, sa santé et sa volonté sont fragiles en privé et il a besoin que le père Joseph, son principal confident, le rebooste régulièrement. C'est une vision qui, je l'avoue, a du mal à passer tellement je suis rempli de l'image d'Epinal du personnage. Etait-il réellement si fragile lorsqu'il quittait les projecteurs ?
Isabelle Bournat n'a pas oublié l'humour dans la forme : le parler italianisé et chantant de Marie de Médicis, le mielleux des académiciens courtisans Scudéry et Chapelain (là où on nous montre un
Corneille plus résistant vis-à-vis des méthodes de Richelieu qu'il devait être ne réalité), le cardinal amoureux de la musique et qui se met à danser. Mais sa véritable originalité réside dans ce personnage de monsieur Gardien qui joue plusieurs rôles : personnage omniscient, avatar de l'auteur qui peut figer la scène pour raconter le futur, comme une note de bas de page vivante ; conscience de Richelieu, son principal opposant que le cardinal ne cesse d'essayer d'enfermer au plus profond du cachot de son cerveau, opposant non pas sur sa politique mais sur son abandon de ses désirs profonds de tranquillité et de bonheur. Personnage parfois trop envahissant à mon goût, mais qui renforce la vision de l'auteur.
Une pièce que j'aimerais bien voir maintenant que je l'ai lue. Je ne sais pas si cela se fera, mais je lirai certainement d'autres pièces de la collection Théâtre de Poche des éditions Tertium, dont l'objet-livre est très agréable de sobriété.