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EAN : 9782956101031
96 pages
Terres du couchant (26/10/2018)
4.75/5   2 notes
Résumé :
La distance entre l’homme et l’animal n’est pas plus
longue que celle entre les humains, distance du grillage, de la méfiance, d’un cœur crispé, de la curiosité.
Aussi loin d’autrui que de la nature, l’homme reste
un voyeur en quête de sa très ancienne amitié avec
les bêtes, celle qu’il avait nouée, il y a longtemps, très
longtemps, lorsqu’il était encore heureux, accordé à
l’Univers, avant de quitter sa maison originel... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
NOS AMIS LES... HUMAINS.

«Dès mon enfance, je modelais la réalité dans mon esprit pour vivre dans un univers féerique.»

Ainsi débute cet étrange et fascinant petit ouvrage de Maja Brick, l'autrice d'origine polonaise - mais qui écrit dans notre langue depuis le début des années 2000 - du très remarqué Opéra anatomique, publié en 2012 aux éditions Gallimard. Elle précise un peu plus loin que si cette propension des enfants à embellir le monde avec son imagination persiste chez l'adulte, alors cela devient ce qu'elle nommera «ce vice particulier, l'infection poétique».
Certes, la narratrice - qui n'est autre que Maja Brick elle-même - de cette Ménagerie nous assure être sortie de cet état, propice au malheur lorsqu'il se maintient en grandissant, mais c'est pour mieux y retourner, via la puissance et la beauté du tigre, qui lui offrit de cheminer sur le sentier abrupt de l'écriture, de la création. «Il [lui] a rendu la foi dans la puissance du Verbe, d'abord hésitant, chétif, puis de plus en plus juste, seul moyen d'appréhender véritablement le monde dans sa richesse [...]. le tigre [lui] a rendu [sa] liberté, achève-t-elle. Ce tigre avait un nom : Shangaï, et c'était l'un de ces innombrables fauves de cirque. Mais il n'y a pas que ce Tigre, dont elle reconnait aisément qu'elle en sait assez peu sur son existence réelle, son mode de vie, ses habitudes - même si son empathie naturelle lui permet de comprendre sa manière d'être lorsqu'il est sous la domination des hommes - car il est bien plus question du tigre mythifié, de la part de tigre qu'il peut y avoir en chacun de nous, il n'y a pas que ce tigre dans cette ménagerie intime, ce zoo des sens et des rêves, au tréfonds de ce huis-clos intérieur. On y croise de ces compagnons de vie plus ou moins libres, plus ou moins lointains dans nos imaginaires ou dans nos existences contemporaines (d'un côté ces deux compagnons quotidiens que sont le chat et le chien ; de l'autre, ces animaux plus légendaires que véritablement liés à nos vies devenues tellement urbaines que sont le loup, le tigre ou même, d'une certaine manière, le cheval), plus ou moins éloignés dans le lignage que nous avons - scientifiquement, humainement, éthologiquement - avec eux (ainsi l'araignée, la sauterelle, le pinson, etc). Mais ce qui surgit très rapidement au fil de ces très belles pages d'une écriture tout à la fois précise mais qui n'hésite pourtant pas à prendre le temps du déploiement lent et gracieux, dans lequel le lecteur se trouve tour à tour plongé dans un complexe réseau de souvenirs de l'autrice tout aussi bien qu'au plus dense d'une réflexion philosophique, lorsqu'il n'est pas happé par la contingence inextricable d'une pensée poétique délicatement tendue vers nos propres expériences, c'est que cette ménagerie personnelle s'adresse à nous, ce que nous sommes et que l'animal révèle comme l'Autre, humain, peut ne pas si bien le réaliser.

Ainsi, si la narratrice se sent emportée vers ses propres ressentis, ses réflexions les plus inviolées, c'est que, en réalité, il est essentiellement question d'humaine ménagerie dans ce petit ouvrage riche et irrigué d'une admirable tension. Le fait est que, plus doués que nous, malgré ou peut-être grâce à leur absence de parole exprimée par des mots, plus sensibles assurément, plus exclusivement eux-mêmes qu'aucun d'entre nous, pauvres humains grégaires mais tellement infatués de nous-mêmes ne le seront jamais, les animaux nous renvoient le miroir de ce que nous nous refusons si souvent à voir, à comprendre de ce que nous sommes au fond, une fois la gangue des mots et des mauvaises habitudes acquises révélée. On comprend aussi à quel point ils peuvent nous donner la force d'être ce que nous pouvons devenir, non l'inverse : car il n'ont pas tant que cela besoin de nous, même pour les plus domestiqués d'entre eux, pour être. Que, bien souvent, ils nous apprennent le vrai sens du mot liberté tandis que nous nous évertuons tant à les maîtriser, à les dominer, à les enchaîner. À les détruire. Tant de choses que Maja Brick parvient si bien à nous faire toucher du doigt, avec finesse, sans jamais provoquer alors même qu'elle parvient à nous pousser vers les retranchements difficultueux de cette "intranquilité" chère au célèbre poète portugais.

Si le lecteur s'attend à découvrir ici un plaidoyer pro domo contre la maltraitance animale, pour le droit des animaux et autres considérations anti-spécistes, il en sera pour ses frais : là n'est absolument pas le propos de Maja Brick dans l'évocation de cette Ménagerie particulièrement intime. Il n'empêche... La manière d'aborder les rapports homme-animal de ce mince et riche opuscule n'a de cesse d'interroger notre rapport à l'autre, quel qu'il soit. Parce que tout est lié, parce que l'homme n'est pas grand chose sans les êtres qui l'entourent, parce que nous avons les mots pour le dire mais plus la sensibilité pour l'exprimer vraiment, nos Ménageries intimes nous invitent à recevoir l'autre sans mot comme autant de paroles vraies. Au risque de nous perdre totalement dans «l'infection poétique» tant crainte par Maja Brick, qui n'est rien d'autre finalement, que la fuite perpétuelle de nos faux rêves vers des ailleurs sans but. À contrario du vrai poème, celui où le compagnon animal nous montre la voie. La leçon : Nous serions bien bêtes de ne pas comprendre comme l'autre, si différent, ne nous permet pas d'être à ce point nous.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Chacun possède un réservoir de violence en soi. C'est peut-être pourquoi, pendant longtemps, j'ai été convaincue que l'art pouvait être un substitut du meurtre, ce que la peinture de Sanislaw Ignacy Witkiewicz me montrait comme évident : le crime cosmique qui s'opère dans le processus artistique a pour but de figer la vie en une image immobile. L'art se sert du cadavre de nos sentiments et des faits réels pour saisir le mouvement. Je reviens au premier paragraphe de mes réflexions, à ma révolte contre la vie informe dont la fiction littéraire fait une image encadrée.
Dans ma vie privée, j'ai souvent été provoquée à la violence malgré ma nature pacifique, violence que je refusais systématiquement. Je préférais commettre des meurtres symboliques dans mes fictions littéraires. J'ai toujours cru, et je le crois d'autant plus aujourd'hui, que l'art est le magnifique moyen de glorifier la Création contre la force destructrice, contre la violence. C'est probablement pour cette raison que la scène du combat des tigres forcés par l'homme à s’entre-tuer a suscité en moi un tel bouleversement.

[Le tigre, p. 17]
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J'imagine l'intérêt d'un prisonnier pour le moindre être vivant qui partage sa solitude. Une mouche, une araignée, un oiseau deviennent pour lui des partenaires, des alliés, des compagnons aussi importants qu'un humain dans sa vie antérieure. Est-ce parce qu'ils sont des messagers de la liberté ? Sans doute. Plus encore, peut-être, parce que ces bêtes manifestent la vie et éveillent en lui une réflexion sur la condition limitée de l'homme. Le cœur humble d'un prisonnier, adouci par la misère, porte une vive affection pour un insecte, aussi minuscule soit-il. Cette perspective infiniment modeste m'est très chère, afin de ne pas oublier la merveille de la vie dans le mouvement incessant d'un univers microscopique et incroyablement grand.
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Tout animal me fascine par son étrangeté, mais ce qui m'intrigue le plus, c'est sa présence dans ma vie : il incarne le vecteur de mes sentiments et de mes aspirations envers les humains. il se manifeste comme un réceptacle muet de tous les désirs secrets que je ne suis pas arrivée à réaliser en présence de mes proches. L'animal, c'est un ami digne d'être protégé, celui qui ne juge jamais ma conduite, reconnaissant, confident fidèle, compagnon de l'existence la plus simple, le plus humble, celle d'un enfant candide qui ne songe pas à gagner sa place par des stratagèmes, livré à la vie la plus proche de la nature, celui qui sait se satisfaire de très peu, de la joie et des larmes.
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Un doux après-midi, une jeune Africaine s'assoit sur la bordure de pierre qui limite la terrasse. Tino [un chat] accourt immédiatement et se prélasse à ses pieds, avide de caresses. La jeune fille s'amuse avec lui pendant une demi-heure. Ses gestes sont tendres et sensuels, toute son affectivité réprimée de femme célibataire s'épanche sur ce petit corps douillet qui se courbe gracieusement sous ses mains délicates. Les yeux de la jeune fille penchée sur l'animal regardent pourtant ailleurs, nostalgiques du pays natal ou emplis de soupirs auprès d'un bien-aimé absent...
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Il y a quelque chose de crucial dans la destruction d'un être désarmé, humain ou animal. Un animal qui périt me bouleverse parce qu'il est petit, sans voix, le plus modeste dans l'échelle naturelle. Mon impuissance devant cette mort silencieuse me terrorise comme je touchais l'essentiel de la mort, un phénomène ordinaire et complexe, contre lequel ma conscience se dresse avec son sens moral : le devoir d'épargner la douleur, de préserver la vie, d'arracher l'existence à la logique implacable qui m'outrage.
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