Alain Cadéo me surprendra toujours…
Non, vous ne rêvez pas.
J'imagine déjà l'affiche de cette nouvelle pièce.
En bas, en caractères gras, cette demande adressée au public :
« Les spectateurs sont priés de se munir de bottes cuissardes, masque, casque et lampe frontale. »
Descente dans les égouts…
PROLOGUE
Moi, Minotaure…
Je suis repu et fatigué de dévorer des chairs ayant la saveur douceâtre de la raison. J'aimais le sang poivré du guerrier à la poursuite de ses mythes et la foudre sucrée dans la chevelure électrique des vierges. Vos offrandes ont désormais le goût du faisandé ou pire de la fadeur. Pauvres petits hommes, vous avez muré l'espace de vos rêves et, privés de vos dieux tutélaires, vous êtes devenus de mous anthropophages. Une après une se sont éteintes les brûlantes larmes de l'espoir. Vous n'avez plus de larmes, que des plaintes sèches et lugubres d'enfants tremblants sans lendemains.
Alors moi, Minotaure, je rôde minéral dans un labyrinthe mort comme un ventre stérile. Pourtant, j'étais la vie et le sang brut de vos désirs. Vous m'avez oublié mais, indéracinable, indestructible, je viens encore aujourd'hui réclamer mon dû, la mystérieuse part qui me revient de droit, le lourd secret déposé dans vos âmes à l'aube des temps.
Vous n'avez plus voulu de ce secret, vous le trouviez pesant et il vous obligeait. Un seul d'entre vous restera et celui-là je mangerai son coeur.
Ainsi lorsque tout aura disparu, nous, les dieux, nous reviendrons sur terre et nous referons l'Homme à notre image.
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» Qui pourra un jour me dire à quoi servent les mots, les gloussements gratuits et purs s'échappant comme bulles des bouches rondes et mouillées des tout-petits enfants ? C'est le babil des innocents, les sources claires d'un monde neuf, les derniers sons ou l'ultime mémoire d'une puissante Joie sacrée et sans ambiguïté ? Bien avant le simiesque héritage d'un langage tout fait, il y a le gazouillis ou le protolangage, chaque son signifiant un morceau de Parfait. Et qui pourra me dire ce que nous en avons fait ? Des mots pour bien parler, pour avoir l'air intelligent, des mots pour insulter, des mots pour en découdre, des mots pour ne rien dire, des mots comme sonnailles sur les cous d'un troupeau mâchant et remâchant l'herbe triste d'un terrain vague usé jusqu'à la trame pour avoir englouti des tonnes de déchets. Mais où est-il passé le Verbe rédempteur, le Om, l'imprononçable, le son vibrant de toute création ? Il est, c'est terrifiant, dans le regard sans fond des tout-petits enfants. »
Alain Cadéo 22 avril 2022 à 22 H 22, mot adressé à son ami JCG
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Deux gus :
Azema, dit Eczéma.
Un rêveur, un optimiste, une boule de malice et de bonne humeur. Peut-être un intello contrarié capable de s'adapter à tout. Il a une grosse tache sur le visage et une autre sur le bras. Passe son temps à se gratter et les démangeaisons s'accentuent en fonction de l'action. Bavard, sympathique, aime à susciter l'inquiétude. Père mineur en Alaska ayant abandonné sa famille. Mère prostituée. Pas d'attache.
Arsène, surnommé Arsenic par ses collègues de boulot.
Très grand, voûté, l'ail clair, râleur. le genre revenu de tout. Sens de la répartie aigre-douce. Bosseur, « pro », toujours syndicaliste mais grand déçu de la politique et des humains en général. Au fond pour lui il n'y a pas d'issue. On nait, on vit, on meurt dans un boyau. Pas de choix. « La vie est un long fleuve de merde ». Il est comme la plupart d'entre nous, incrédule, pragmatique, réaliste et pourtant il rêve d'autre chose, d'un ailleurs, différent. Marié, père de deux enfants qu'il ne voit plus, divorcé. Travaille depuis 30 ans dans les égouts, Passionné contrarié, Il se veut lucide, froid, cynique.
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Je revois l'auteur, dans le noir de son cabanon, pestant contre l'exiguïté des parois de son refuge, râlant des injonctions de sa femme hurlant : « Alain, l'alarme sonne dans la cave ! ». Les travaux venaient de se terminer, les premières pluies dégoulinaient sur la paroi rocheuse. Dans les caves de la bâtisse rénovée, l'humidité suintait de partout. le réservoir du déshumidificateur débordait…
L'homme était assis sur les premières marches, les pieds dans l'eau, il écrivait…
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Pour les deux compères les égouts, ben voyons ! C'est Palma, Tahiti, c'est les îles ! Ils pataugent dans la gadouille, prêts à rencontrer quelque vahiné…
Ils sont là, sous terre, à soixante mètres. Tout peut péter là-haut, ils ne s'en rendraient pas compte.
Il y a le téméraire, il y a l'angoissé. Nous les lecteurs. le grand silence.
Quand le vent s'engouffre soudain dans ce qui semble une caverne aux contours définis, sous un vague éclairage fluorescent, ils devinent des signes sur les parois, des peintures rupestres représentant des mains, d'étranges silhouettes cornues des animaux. Tout au fond ils distinguent un énorme squelette, comme celui d'un…
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Alain Cadéo me surprendra toujours… écrivais-je plus haut. L'écrivain, sondeur de l'âme humaine, explore avec justesse ce qui questionne tout individu. Pourquoi moi ? Il y a les vainqueurs, et moi le vaincu, l'estropié, déguisé en gladiateur avec juste un slip ridicule…et mes coups fumants. Les bons coups, les coups doubles, les gros coups… Ceux-là y' m'sont passés sous le nez…
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Les Cahiers de l'Égaré sont heureux d'accueillir dans leur collection théâtre, l'écrivain
Alain Cadéo, un magicien des mots qui écrit par nécessité et sous dictée depuis 40 ans, à n'importe quelle heure de la nuit, sur n'importe quel support, en n'importe quel endroit, pourvu que ce soit loin des humains bruyants, tout près du babil profond des tout-petits enfants, du murmure des personnes en soins palliatifs ou du surgissement inattendu et inouï des dieux.
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