AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,02

sur 12453 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Pourquoi relire La Peste tant d'années après une première lecture ?

Je pourrais dire simplement que c'est parce que j'ai grandi depuis. Que cette lecture qui avait été prescrite à l'époque s'est imposée d'elle-même aujourd'hui. L'auteur qui rebutait autrefois par l'austérité de sa pensée me serait devenu fréquentable. Rien d'affriolant en effet, en ce naguère de première lecture, dans les lignes du prix Nobel pour un esprit juvénile qui ne rêvait que de frivolités. La complexion de l'adolescence est porteuse de tellement d'utopies, de fantasmes qu'elle verse à contre cœur aux questions existentielles. Privilège de la jeunesse, Dieu merci!

Mais le voilà donc qui sort du bois celui-là, au travers de cette expression de l'inconscient populaire. Inconscient il faut vraiment l'être pour le remercier. Camus s'en garde bien, lui qui n'a de cesse de lui reprocher son silence, l'état de perplexité dans lequel il nous abandonne, au point de rejoindre Nietzche lorsqu'il annonce que Dieu est mort.

J'ai donc relu La Peste. Edition Folio, acquisition 1973 ticket de caisse faisant foi, abandonné en marque-page. Entre des pages désormais jaunies. Des pages au grammage lourd, on avait cure des forêts en ce temps-là où l'on n'avait pas encore pris la mesure du trou dans la couche d'ozone.

Depuis cette date, encore lisible sur le ticket de caisse, j'ai eu l'occasion de faire plus ample connaissance avec l'homme révolté au travers de ses autres oeuvres, dont celle éponyme. J'ai acquis désormais la certitude de bénéficier à propos de cet ouvrage d'un éclairage que ne m'avait pas autorisé mes dissipations adolescentes.

Qui a dit qu'on ne relisait jamais le même livre sous la même couverture ? Cette nouvelle lecture m'a donc autorisé un regard neuf sur l'oeuvre. Elle m'a permis de dénicher le philosophe derrière le romancier. De décoder les travers et les tourments dont il s'inspire pour crier sa révolte. Quand il a pris la plume pour écrire cet ouvrage, il sortait tout juste de cette peste affublée d'un qualificatif de couleur sombre, qui pour le coup exonère le divin de toute responsabilité quant à son origine : la peste brune. Une peste d'origine bien humaine celle-là. Comme s'il ne suffisait pas des fléaux naturels pour précipiter l'homme vers son échéance ultime. Les analogies se dévoilent alors. Dans cet huis-clos à l'échelle d'une ville, on identifie toutes les postures de l'homme assiégé par l'adversité: la peur, l'individualisme, la lâcheté, la révolte, la superstition, mais aussi le courage et l'abnégation, plus rares. Les résistants de la première heure et ceux qui rejoignent le camp des vainqueurs sur le tard.

Celle nouvelle lecture m'a aussi fait donner de l'importance au plaidoyer de son auteur contre la peine de mort. Lorsque Tarrou découvre la raison pour laquelle son père, avocat général à la cour d'assise, part certains jours avant l'aube pour se rendre à son travail. Les jours où tombe le couperet.
Plus anecdotiquement, elle m'a fait relever à la page 60 de cette même édition, l'allusion faite à cet autre roman de Camus lorsque les cancans diffuse les faits divers et évoque l'assassinat d'un arabe sur une plage.

La Peste est la chronique froide d'un observateur dont on apprend en épilogue les qualités et rapports aux faits relatés. C'est un examen clinique de l'âme humaine en butte à l'incompréhensible de sa condition. Crédos de l'humaniste dans son oeuvre, les cycles de la révolte et de l'absurde se fondent en un vortex de perdition qu'aucune philosophie ne parvient à alléger du poids de la question restée sans réponse: quelle intention supérieure derrière tout ça ?

La Peste fait partie de ces ouvrages dont on ne se sépare pas. Même quand on pèche par insouciance juvénile, on comprend quand même que les mots simples qui le peuplent expriment une pensée lourde, à valeur intemporelle. Il n'est point question d'effet de mode avec pareille oeuvre. A conserver donc, pour une autre lecture dont on sait déjà qu'elle sera différente.
Commenter  J’apprécie          513
10 octobre 2016
Relire La Peste, une fois de plus, mais cette fois-ci dans une édition prestigieuse de 1962 , celle de L'Imprimerie nationale , tirée en 9 900 exemplaires, un ouvrage somptueux qui vient de m'être offert et qui porte le numéro 6 338, cadeau royal, plaisir incommensurable pour une camusienne inconditionnelle…
Au-delà de cette énième lecture qui m'apporte, à chaque fois, autant d'émotion, j'éprouve un saisissement encore plus puissant parce que cet ouvrage, en deux tomes, est illustré par Edy-Legrand ( Édouard Léon Louis Warschawsky – 1892/1970) de plusieurs aquarelles qui témoignent et qui renforcent l' atmosphère pesante, morbide de cette cité touchée par le fléau de la peste.
Réalité et fantasmagorie à la fois : personnages caricaturaux, vêtus à la mode des années 1930, femmes portant mantille, vieille femme, près d'une fenêtre, qui ressemble à Catherine Camus, la mère de l'écrivain, paysages, rues, intérieur d'église … et cet air espagnol si caractéristique d'Oran qui flotte et que l‘on ressent !
Camus, admiratif, passionné par l'art appréciant le travail des artistes sculpteurs, architectes et peintres en particulier, fut pénétré par ce travail artistique. Il lui dédia le texte suivant qui figure en en-tête du livre :
« A Edy-Legrand
Le monde ne nous apparaît jamais tel qu'il est ; quelque chose en lui, ou en nous, le dépasse en l'affirmant ; la réalité enfin n'est jamais pure, sauf dans la mort où elle triomphe. Mais le mythe non plus n'a pas d'existence suffisante, sauf dit-on dans cette ville éternelle où il règne seul. Chaque homme le sait sans le savoir, soit que jour après jour il se rapproche du réel vers une mort inacceptable, soit qu'il s'en éloigne vers le mythe éternel et l'impossible survie. Entre les deux se trouve l'artiste, seul à connaître, par sa souffrance même, que la réalité n'est rien sans l'aspiration qui la transcende et que le mythe est illusoire hors de la réalité qui le fonde. Mais le véritable artiste est rare. Ils sont légion, ceux qui rêvent ou qui s'abaissent, croyant créer…
J'aime ainsi l'oeuvre d'Edy-Legrand qui m'offre le réel corrigé par un style. Les visages les plus communs y sont insolites, la rue se peuple de questions sans cesser d'être familière. La meilleure façon par exemple de mal illustrer La Peste eût été d'ignorer que cette oeuvre était un mythe en même temps qu'une photographie du réel. Edy-Legrand s'en est gardé. En grand artiste, là comme dans toute son oeuvre, il nous montre d'abord Oran, mais un Oran subtilement décalé. le même Oran, certes, que celui de tous les jours, mais nettoyé à neuf, tiré hors du brouillard des habitudes, et dès lors plein d'insécurité innocente.
C'est cela, et pourtant cela n'est pas, le monde n'est rien et le monde est tout, voilà le cri ambigu et inlassable de tout artiste véritable, le cri qui le tient aux aguets et debout, sans jamais fermer les yeux, et qui, de loin en loin, réveille au sein du monde endormi et trompeur le souvenir fugitif de ce que nous n'avons jamais connu.
A.C.
Voilà, moi, je tenais, tout simplement, à vous faire partager ces moments de plénitude apportées par cette lecture et la contemplation de ces images.
Commenter  J’apprécie          5011
Un classique de la littérature française au fond d'une PAL. Peut-être à cause de son titre peu inspirant : qui veux entendre parler de la peste, de souffrances et de morts? On en a bien assez aux infos et dans les pages des journaux… Et en plus, c'est écrit par un philosophe et la philosophie, n'est-ce pas hermétique et ennuyeux?

Mais après avoir ouvert les pages, je n'ai pas pu résister à la contamination de cette lecture. C'est avant tout une histoire humaine, des personnes enfermées dans une ville qui risquent la mort, mais aussi des personnes qui font leur travail pour sauver les autres. On y trouve de la générosité et de l'égoïsme, du partage et de la mesquinerie et même des histoires d'amour.

Malgré la tragédie du sujet et la profondeur des idées, l'écriture demeure accessible et belle. le roman se déroule dans les années quarante, mais demeure actuel. Bien sûr, on n'y trouve pas les technologies de communications d'aujourd'hui, mais les villages touchés par l'ebola en Afrique et les victimes du choléra en Haïti ne sont pas mieux loties que les pestiférés d'autrefois. le décor change, mais les humains restent les mêmes.

Les réflexions valent qu'on s'y attarde et comme l'auteur j'aimerais dire : « Eh bien moi, j'en ai assez des gens qui meurent pour une idée. Je ne crois pas à l'héroïsme, je sais que c'est facile et j'ai appris que c'était meurtrier. Ce qui m'intéresse, c'est qu'on vive et qu'on meure de ce qu'on aime. » 
Commenter  J’apprécie          494
Ce livre a connu une longue gestation, plusieurs versions, avant d'être publié en 1947. Malgré l'insatisfaction persistante de Camus envers son roman, ce dernier connaît un succès important et immédiat, et qui ne s'est pas démenti depuis. Cet ouvrage a été tellement lu, commenté, analysé, enseigné, qu'il paraît très difficile d'écrire à son sujet, sans dire des banalités ou des évidences.

Le livre se présente comme une chronique, écrite par un auteur anonyme, mais nous découvrirons à la fin du roman qu'il s'agit du docteur Rieux. Une chronique, donc en principe une description de faits, des événements. Nous sommes dans les années 40 du siècle dernier à Oran, lorsque surgit la peste. Nous suivons le fléau depuis les premiers signes annonciateurs (la mort de rats), puis les premiers cadavres humains surgissent, tout le monde hésite encore à poser le terrible diagnostic. Il devient impossible de réfuter ce qui est devenu l'évidence, et la ville est fermée pour éviter la propagation de la maladie. Les morts sont de plus en plus nombreux, nul n'est sûr d'y échapper. Puis, nous assistons au reflux de la maladie, aussi incompréhensible que sa venue.

Les cinq parties du roman sont en quelque sorte les cinq actes d'une tragédie en train de se dérouler sous nos yeux. Mais la chronique est en réalité une sorte de fable, de moralité. Il ne s'agit pas de faire le récit d'une peste survenue à un moment à un endroit donné, mais d'une métaphore, d'une allégorie. L'auteur lui-même a défendu l'idée qu'il s'agit de la seconde guerre mondiale, même si on ne peut résister à l'idée qu'il s'agit du Mal en général, dont les atrocités de la seconde guerre mondiale ne sont qu'un exemple, même si c'est celui que est le plus proche dans le temps de la rédaction du livre de Camus.

Au-delà des événements, ce qui est surtout important, ce sont les réactions des différents personnages, chacun représentant une attitude possible en face de ce qui arrive. Rieux fait son métier de médecin, alors même que ses soins ne paraissent pas changer grand-chose au devenir de ses malades. Un noyau de personnages autour de lui s'engage activement pour aider dans la lutte, qui semble désespérée, voire inutile, en trouvant dans cet engagement une chaleur humaine et une forme de fraternité : Jean Tarrou, Rambert, Grand, le père Paneloux, le juge Othon etc...Chacun vient à son heure et avec ses raisons, par exemple Othon après la mort de son fils.

Une des questions essentielle est celle du sens de la maladie, de la mort, du mal. Camus laisse entendre qu'il n'y en a pas. le mal est insaisissable, il échappe à la maîtrise et compréhension humaine. Paneloux qui essaie de lui donner un sens, de concilier l'idée d'un Dieu bon et juste avec l'existence du mal, finit par mourir, dans une sorte de folie. Car il faudrait admettre que le mal est juste et nécessaire, qu'il répond à une culpabilité présente dans chaque être humain, même dans un enfant innocent. de même les idéologies, l'action politique, censées éradiquer le mal, ses causes, finissent par le produire, c'est la confession de Tarrou. L'homme ne peut que se contenter de gestes simples et fraternels, de bonne volonté, sans prétendre à comprendre ce qui n'a pas de sens, ni espérer pouvoir maîtriser ce qui arrive. le présent est la seule chose qui compte, on ne peut changer le passé, ni adoucir le futur.

Ce qui est frappant, c'est que le mal est ici quelque chose d'extérieur aux hommes, enfin au groupe qui est au centre du roman. Certes ils ont leurs moments de faiblesse, leurs petitesses, leurs défauts, mais ils font au final face, de la meilleure façon qu'ils peuvent. le seul chez qui le mal semble exister à l'intérieur, est Cottard, le seul à se réjouir du malheur collectif, qui lui permet d'échapper pour un temps à la conséquence de ses actes, qui s'épanouit en temps de peste. La fin de celle-ci sera sa fin.

C'est bien évidemment un livre impressionnant, d'une redoutable efficacité, et qui semble ne devoir jamais perdre sa pertinence et son impact sur le lecteur. A lire et à relire, y compris lorsque tout va bien.
Commenter  J’apprécie          4710
Après avoir lu la peste une première fois voilà une cinquantaine d'années, j'en termine ces jours- ci la relecture, à l'autre bout de ma vie. Il ne me restait pas grand-chose du récit ou des personnages, seulement quelques images, Rieux conduisant sa femme à la gare, la phrase de Grand toujours en chantier, et surtout, des sensations diffuses, qui ont émergé peu à peu au cours de la relecture : une chaleur écrasante, des rats à l'agonie, un sentiment d'oppression et de peur, une ville laide comme la peste et pourtant sublimée par la couleur de son ciel et sa respiration vivante jusque dans la mort.
Il est amusant de chercher dans la progression de l'épidémie qui va couper Oran du reste du monde, des points de ressemblance avec ce que nous vivons en 2020. Ils existent : l'isolement des malades, l'impuissance des traitements, la fatigue des soignants, la quarantaine, l'absurde administratif, la peur. Toutefois, là n'est pas l'essentiel du livre. Écrit à la troisième personne, par un narrateur anonyme qui ne se découvre qu'à la fin, cette mise à distance très forte, pourrait faire penser à une chronique minutieuse de l'avancée du fléau, au fil des saisons, d'avril à décembre. Ce n'est pas là, le propos principal de Camus qui s'interroge d'abord sur l'homme, ce qui le fait penser, choisir, agir., deux ans après la fin de la guerre, ces questions ont une résonnance forte. Oran devient donc un microcosme, un théâtre qui va donner corps au drame et mettre à l'épreuve ceux qui le vivent.
Ce pari donne au récit un aspect erratique : l'amour, la séparation, la recherche du bonheur sont des concepts abstraits plus que des réalités portées par les personnages. Rambert veut partir parce qu'il souffre loin de la femme qu'il aime, il y pense, il en parle, la femme reste dans l'ombre, comme celle de Rieux. Les femmes sont quasi absentes du récit, en dehors de la mère de Rieux, figure effacée, elles paraissent étrangères aux grandes questions qui agitent les hommes. Et Rambert ne part pas, il choisit d'être ici et de faire face au fléau avec les autres, il choisit de tourner le dos au bonheur, comme Rieux, Comme Tarrou.
La question de l'engagement d'un homme, d'une femme, dans ses choix, reste une grande question de la condition humaine, c'est pourquoi le roman de Camus résonne encore aujourd'hui, malgré l'aspect un peu manichéen des situations.
Camus n'aimait pas l'injustice, qu'aurait-il pensé en ces temps de Covid, de toutes celles qui se révèlent aujourd'hui ? quelle société plus juste aurait il voulut construire ?
Camus n'est plus là et il reste encore à écrire en ce début du 21ème siècle, un roman-épopée qui puisse rendre compte de ces mêmes questions dans la fureur infiniment complexe de notre monde.

Lien : https://weblirelavie.com
Commenter  J’apprécie          444
Lecture en 1975....relecture en avril 2020 !!...Relecture d'une actualité des plus troublantes !

Une lecture-choc réalisée à 15 ans, en classe de seconde. En dépit d'une timidité maladive devant un public, je m'étais portée volontaire pour en faire un exposé devant les camarades... tant j'étais enthousiaste... J'aurais été curieuse de "réentendre" ce que j'avais pu comprendre, saisir de ce roman exceptionnel, aussi jeune ?!... Je n'aurais, évidemment, pas imaginé en faire une nouvelle
lecture des décennies plus tard, en une telle période de confinement et de pandémie...
où la planète est touchée dans son ensemble et non plus une seule ville, Oran, comme dans la fiction de Camus... on retrouve ceci dit les mêmes peurs, les différents comportements individuels, l'inertie bureaucratique des édiles, etc.

Je regardais par curiosité les lecteurs de ce texte... qui sont constants toute l'année... mais depuis les difficultés éprouvantes de cette période présente , une curiosité très vive s'est démultipliée depuis le confinement...et le contexte anxiogène que nous vivons tous ensemble...

"A la vérité, il fallut plusieurs jours pour que nous nous rendissions compte que nous nous trouvions dans une situation sans compromis, et que les mots " transiger", "faveur", "exception" n'avaient plus de sens.Même la légère satisfaction d'écrire nous fut refusée. D'une part, en effet, la ville n'était plus reliée au reste du pays par les moyens de communications habituels, et d'autre part, un nouvel arrêté interdit l'échange de toute
correspondance, pour éviter que les lettres pussent devenir les véhicules de l'infection. (...) Les télégrammes restèrent alors notre seule ressource. Des êtres que liaient l'intelligence, le coeur et la chair, en furent réduits à chercher les signes de cette communion ancienne dans les majuscules d'une dépêche de dix mots." (p. 68)


Je reste totalement admirative, époustouflée...à la relecture de ce texte...qui est une somme incroyable de nos angoisses, de nos terreurs, de notre individualisme forcené, ou élans de solidarité pour faire front à "tout
fléau", en se serrant les coudes... Ce roman déborde d'analyses de comportements, de questionnements universels en période de tragédie collective: la vie, la mort des êtres aimés, nos engagements ou retranchements de la collectivité, la lutte ou la résignation, la valeur que l'on donne à sa propre
existence et à celle d'autrui, etc

"Rieux savait ce que pensait à cette minute le vieil homme qui pleurait, et il le pensait comme lui, que ce monde sans amour était comme un monde mort et qu'il vient toujours une heure où on se lasse des prisons, du travail et du courage pour réclamer le visage d'un être et le coeur émerveillé de la tendresse."

Nous retrouvons toute l'humanité d'Albert Camus dans ce récit d'une ampleur unique !

""Vous n'avez pas de coeur", lui avait-on dit un jour. Mais si , il en avait un. Il lui servait à supporter les vingt-heures par jour où il voyait mourir des hommes qui étaient faits pour vivre. Il lui servait à recommencer tous les jours. Désormais, il avait juste assez de coeur pour ça. Comment ce coeur aurait-il suffi à donner la vie ? "(p. 176)

"J'essaie d'être un meurtrier innocent. Vous voyez que ce n'est pas une grande ambition. (...) C'est pourquoi j'ai décidé de me mettre du côté des victimes, en toute occasion, pour limiter les dégâts. Au milieu d'elles, je peux du moins chercher comment on arrive à la troisième catégorie, c'est-à-dire à la paix. (p. 229.)

Je n'ai pas envie de décortiquer ce texte qui est un sommet d'interrogations, un concentré des complexités
humaines devant le Mal, la Barbarie, le mystère total de sa présence sur terre... le docteur Rieux [ que je ressens comme un double de Camus] est des plus conscients devant ses limites, son impuissance devant le Mal, cette épidémie de peste qui fracasse la ville d'Oran, dévoilant les différents comportements des individus face à la maladie, l'injustice des êtres jeunes, décédant dans la souffrance [ une scène terrible, intolérable de la mort
d'un enfant ]ou nos anciens, frappés tout aussi violemment et arbitrairement... Cela serait si réconfortant ou du moins logique que les salauds soient frappés et les hommes de bonne volonté, épargnés
Mais rien de tout cela !...

Malgré l'impuissance du Docteur Rieux, ce dernier persiste à réduire les dégâts, à rester un" homme
debout" qui tente de soulager et de soigner ses congénères, dans un dévouement sans faille, en tentant
d'oublier son propre chagrin d'avoir son épouse loin de lui, soignée , pour une autre maladie...
En dépit de cette calamité le dépassant, le Docteur Rieux se maintient dans ses convictions intimes... malgré l'absurdité, l'incompréhension...la révolte qu'il ressent intensément !!...


Un élément très important dont je ne me souvenais aucunement c'est la condamnation sans appel de "La Peine de mort"...

Vous excuserez, j'espère, le décousu et le désordre de ce billet...car je suis dans l'incapacité de rédiger une chronique bien lisse... trop de sujets abordés, qui nous interpellent tous, frontalement...tous aussi essentiels les
uns comme les autres...

"Vous n'avez jamais vu fusiller un homme? Non, bien sûr, cela se fait généralement sur invitation et le public est choisi d'avance. le résultat est que vous en êtes resté aux estampes et aux livres. Un bandeau, un poteau, et au loin quelques soldats. Eh bien, non! Savez-vous que le peloton des fusilleurs se place au contraire à un mètre cinquante du condamné? Savez-vous que si le condamné faisait deux pas en avant, il heurterait les fusils avec sa poitrine? Savez-vous qu'à cette courte distance, les fusilleurs concentrent leur tir sur la région du coeur et qu'à eux tous, avec leurs grosses balles, ils y font un trou
où l'on pourrait mettre le poing? Non, vous ne le savez pas parce que ce sont là des détails dont on ne parle pas. le sommeil des hommes est plus sacré que la vie pour les pestiférés. On ne doit pas empêcher les braves gens de dormir. Il y faudrait du mauvais goût, et le goût consiste à ne pas insister, tout le monde sait ça. Mais moi je n'ai pas bien dormi depuis ce temps là. le mauvais goût m'est resté dans la bouche et je n'ai pas cessé d'insister, c'est-à-dire d'y penser"

Je tombe sur ce commentaire lié à l'actualité sanitaire terrifiante que nous vivons, qui a provoqué chez nous, Lecteurs du présent, la vive curiosité de se replonger dans ce texte précieux, humainement, philosophiquement, avec lequel je suis en accord. Roman- phare, écrit en 1947, aux lendemains
des horreurs du nazisme... Complètement d'accord, ayant eu le même élan, la même curiosité pour
cette relecture !

"****Par ailleurs, les ventes du roman ont augmenté pendant la pandémie de coronavirus de 2020 :

« En tous les cas, si pour la plupart cette lecture remonte aux années d’adolescence, il vaut la peine de s’y replonger aujourd’hui tant on y trouve d’échos à la vague épidémique qui déferle : les autorités qui tardent à regarder la réalité en face, les mesures de confinement, les différentes façons de réagir face au mal, par le déni, le dédain, la magouille, la panique, la fuite. Ou l’engagement, incarné par le docteur Rieux. »

D'autant plus impressionnant de se rappeler que ce texte incontournable dans l'histoire de la littérature
mondiale a été imaginé et rédigé par un jeune homme de 34 ans !!....
Commenter  J’apprécie          407
Des oeuvres d'Albert Camus, "La Peste" est avec 'L'Etranger" l'une des plus emblématiques et célèbres de cet auteur, prix Nobel de Littérature en 1957. La profondeur du récit et l'actualité de la thématique qui y est abordée font (paraît-il) le bonheur des libraires depuis plusieurs semaines.
Etant donné le succès littéraire de cet ouvrage, on ne devrait s'en priver.
A titre personnel, j'ai bien plus aimé "La Peste" que "L'Etranger", car pour ce dernier, la personnalité du héros, Meursault, m'a assez dérangée, alors que l'idéal l'humanité du Docteur Rieux est plus convenable. Par ailleurs, le réalisme des symptômes de ce fléau y est particulièrement saisissant.
Un livre à lire et relire tant il est un classique à connaître.
Commenter  J’apprécie          407
La peste nous raconte le quotidien des habitants de la ville d'Oran en Algérie frappée par une épidémie de peste dans les années 40.
La ville est isolée du reste du monde afin de contenir l'épidémie et d'empêcher sa propagation. On suit le vécu quotidien des habitants, les difficultés de l'isolement et d'approvisionnement, la solidarité qui se met en place au début et le repli sur soi ensuite… Il y a aussi les profiteurs de la crise mais également le dévouement des soignants à travers ce médecin qui ne compte pas ses heures et qui se retrouve parfois démunis et impuissant notamment face à l'agonie d'un enfant…

Lire la peste en période de pandémie de Covid ne peut empêcher son lecteur de faire un parallèle entre les deux.
J'ai été frappée par les similitudes entre ce que nous raconte le livre et ce que nous vivons aujourd'hui, notamment en ce qui concerne l'attitude des habitants.
Un grand succès de littérature amplement mérité.
Commenter  J’apprécie          392
Quand un livre est cité parmi les plus connus de son auteur qui a reçu le prix Nobel, quand il est présenté comme le troisième plus grand succès des éditions Gallimard, on ne peut que l'aborder avec un enthousiasme mêlé de crainte : vais-je comprendre l'engouement et le partager ?

Je referme La peste d'Albert Camus en étant impressionnée par cette lecture qui peut être appréhendée à trois niveaux : historique sur les épidémies de pestes buboniques et pulmonaires qui perdurent encore même à faible ampleur dans certaines régions du monde, allégorique en se référant à la peste brune, à savoir le nazisme, et d'anticipation avec la situation mondiale vécue au cours de la pandémie de COVID 19.

La peste est écrite comme une chronique et on suit donc les étapes avec d'abord les premiers signes sur des animaux, puis les premiers cas humains, la réflexion sur la découverte du mal et les éventuelles solutions, la prise de conscience, la mise en place des premières mesures, les contraintes auxquelles on ne peut déroger, le ressenti collectif et individuel dans une similitude entre les restrictions aux libertés d'aller et venir et l'enfermement, l'émotion dans la peur du lendemain, la lassitude dans une situation qui s'éternise, l'attente du bout du tunnel même si on sait qu'il ne sera pas un retour à la norme antérieure…

Sur le premier plan, tenant à la description des symptômes et de la gestion d'une épidémie de peste, ce livre retrace une réalité que j'avais découverte et qui m'avait particulièrement émue l'année passée lors de ma lecture d'Hamnet de Maggie O'Farrell.

Sur le deuxième plan, à savoir la résistance face au nazisme, chaque personnage représente une façon de réagir dans une société qui se transforme face à un fléau, avec l'enchaînement des grandes phases de la deuxième guerre mondiale. Ce roman publié en 1947 permet d'avoir une analyse passionnante et glaçante de l'époque qui venait de s'écouler.

Sur le troisième plan, Albert Camus ne pouvait envisager en 1947 les événements de 2020 et pourtant, on croirait une description des deux dernières années. Je ne mettrai pas de citations mais on retrouve le suivi des statistiques, les conséquences sur certains approvisionnements et sur les prix, le lien entre les experts médicaux et le pouvoir politique, la gestion des structures de soins…

Pour conclure, c'est un classique à découvrir ou redécouvrir en raison de son niveau d'analyse notamment sur la gestion d'une épidémie comme d'une guerre. Cependant, si vous êtes encore particulièrement touchés par la période COVID, ce n'est peut-être pas le bon moment pour que vous entamiez cette lecture…

Commenter  J’apprécie          3811
Avons nous perdu l'art de la fiction ? Quand Marc Petit fait l'éloge de la fiction il nous suggère des situations non vécues, et peu susceptibles de le devenir. Nous avons encore de belles plumes pour nous transporter sur ces chemins comme Pierre Lemaître, Jean-Paul Dubois, ou Serge Joncour, avec lesquels nous aimons casser les codes de notre quotidien.


Quand Albert Camus à la fin de la guerre, publie la Peste, tous les observateurs pensaient que les événements décrits ne pouvaient arriver, comme si nous étions dans une pure fiction, qui permettait à l'auteur habité d'images de la Méditerranée de nous bouleverser en agitant nos consciences.

Une incroyable réussite philosophique et littéraire.

Ce que Camus me semble-t-il déploie après L' Etranger, c'est la mise à nue d'une situation invraisemblable, tragique, donc absurde. Les pandémies ne sont plus de notre monde. Celles que nous pouvions lire à ce moment-là en 1947 sont historiques dont la plus remarquable est celle de Jean Giono qui a bousculé les esprits. La nature n'est pas toujours idyllique.


Ce drame qui se joue tous les jours, disperse une fièvre et envahit tous les quartiers d'Oran par une bactérie, la peste bubonique. Les malades rentrent dans une spirale infectieuse, faute de sérum, la plus dégradante que l'on puisse imaginer.
Pénurie de sérum ! Mais que fait le gouvernement que fait le préfet, que fait Véran.


Mais enfin quel est ce trublion que l'on ne connaît pas encore et qui vient de dire que la guerre n'était pas finie, et passer de la peste brune à une peste aussi humiliante comme si on s'enfonçait dans un cycle ininterrompu de catastrophes.
Alors comment ne pas imaginer que l'on puisse prononcer une déclaration de guerre contre le Corona virus qui cette fois-ci est venu de la Chine et qui occupe, ajusté à son col Mao, tous nos villages et toutes nos villes


Comment en 2020 dans ce printemps préparé si minutieusement par les poètes nous soyons tous placés dans une sorte d'emprisonnement comme quelque chose qui n'existe pas mais qui est là et s'impose sans frapper.
Camus écrira : la peste dont "j'ai voulu parler se lit sur plusieurs portées à la fois, cependant elle a comme contenu évidant la résistance européenne contre le nazisme, tout le monde l'a reconnu dans tous les pays d'Europe".
Pour l'auteur de la Peste il y a plusieurs voies, celle de la résignation comme celle des d'opportunistes, qui spéculent sur la vente des masques.
Mais il y a aussi la voie du service et de l'entraide pour secourir.


La résignation émerge ça et là, comme la pire des attitudes. Cette fois, l'église est à la peine, le père Paneloux ne fera plus croire aux soignants comme Rieux à une punition de Dieu, après la mort d'un enfant innocent. Celle-ci précédera la sienne ; la mort absurde de Paneloux qui après la révolte relèvera la tête comme Tarrou au cœur de la rébellion.
Ils se disaient avec le Dr Rieux que " la maladie venait de les oublier, que cela était bien et que demain il faudra aller se baigner, et recommencer".


Au lieu de s'en prendre à quelques rats, ou à quelques cibles choisies comme de crédibles boucs émissaires responsables de l'arrivée d'une nouvelle pandémie, Camus se pose en compagnon du taoïsme à la façon d'un sage. Il pense à l'attitude de l'hédoniste dans son environnement, comme le poisson dans une rivière suit les fleurs et anticipe les courants.


Il faut résister aux bactéries, "savoir que jamais le virus ne désarme". Entre l'absurde et la révolte la place pour l'être humain est d'être attentif, armé, conscient que notre potentiel de vie, est devant nous, qu'il nous revient de le faire grandir, occuper le corps et l'esprit quels que soient les abîmes.
Dans le livre "Eté" Camus déclare au milieu de l'hiver, "j'apprenais enfin qu'il y avait en moi un été invincible". Nous sommes des êtres fragiles à nous de gagner en lucidité. "Nos vies ne sont-elles pas aussi rapides à se dissiper dans le soir que ce chagrin d'enfant disait Patrick Modiano".


En écrivant ce texte ci-dessous pour un nouveau projet je n'avais pas en ligne la Peste.
Le texte se déroule comme la trilogie de Camus, la peste ou le cycle de l'absurde, puis le deuxième quatrain l'homme révolté, « Quand finirez vous donc, suis-je devenu folle ? Les justes « mes parents en pleurs viennent sécher mes larmes. le printemps cette année me couvre de pâleur et non Dieu. L'acceptation, la sagesse, lui dictent "je veux être la seule à mourir de mes larmes". Enfin le taoïsme et l'occupation de l'espace, " soyez mes amis l'écho de ma douleur". le courage d'être apparaît alors comme une brève citation de son roman le Premier Homme.



Elle nous parle de la maladie qui la frappe.
Elle n'a pas dix sept ans et ne connaîtra peut-être pas le bonheur de partager.
Cependant c'est le partage qu'elle invoque.



Mon silence est un cri.

Je suis jeune et j'étouffe en cet écrin de verre
J'aperçois le ciel bleu et respire le feu
Qui me brûle les joues et sèche ma paupière
En cet aveuglément se referment mes yeux.

Quand finirez vous donc ? Ou suis-je devenue folle ?
Sans mes chères amies au pire des moments
De soins tant acharnés, leurs âpres camisoles
Il faudra m'y plier, je n'ai pas dix sept ans.

Mes doux parents en pleurs viennent sécher mes larmes,
Et les soignants aussi ont coupé leurs alarmes.
Le printemps cette année me couvre de pâleur.

Nul ne sut que jamais le virus ne désarme.
Je veux être la seule à mourir de mes larmes.
Oh mes amis ! soyez l'écho de ma douleur !

Commenter  J’apprécie          387





Lecteurs (52666) Voir plus



Quiz Voir plus

Que savez-vous de "La peste" d'Albert Camus ?

En quelle année est publié "La peste" ?

1945
1946
1947
1948

20 questions
1778 lecteurs ont répondu
Thème : La Peste de Albert CamusCréer un quiz sur ce livre

{* *}