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EAN : 9782070730230
708 pages
Gallimard (23/03/1995)
4.75/5   4 notes
Résumé :
Le discours est un grand souverain qui, au moyen du plus petit et du plus inapparent des corps, parachève les actes les plus divins; car il a le pouvoir de mettre fin à la peur, écarter la peine, produire la joie, accroître la pitié». Il n'est pourtant pas l'instrument des dieux comme ont pu le croire quelques interprètes de ce célèbre passage du non moins célèbre Eloge d'Hélène de Gorgias, que Barbara Cassin retraduit et reproduit en entier parmi les documents de l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Les mots sophisme ou sophistiqué puisent dans le grec « sophia », la sagesse. Et ça suffit à mettre la philosophie hors d'elle. Voilà donc Sophia faisant figure d'infidèle ; avant Hélène, la belle infidèle, et avant Barbara Cassin, notre guide ici, philosophe et helléniste.

L'enquête tente de caractériser son objet, c'est le jeu. Il y aura une première sophistique présocratique et une seconde gréco-latine, etc… Or, c'est un paradigme de la sophistique de contester l'identité, y compris celle qu'on tenterait de lui assigner ici ;-)

Mais on peut faire directement l'expérience de cet effet sophistique. 700 pages à lire, ça laisse du temps ! Et on n'aura pas à chercher les références, car les textes anciens sont livrés pour l'occasion à la fin des chapitres.

Commençons par le coup de coeur et le premier choc philosophique de Barbara Cassin : l'Eloge d'Hélène et le Traité du non-être de Gorgias, l'orateur, le sophiste ou le rhéteur, comme vous voudrez.

Ça fait tellement de bien de sous-déterminer l'importance de Platon et d'Aristote ; d'inclure ce qu'ils ont tenté de forclore et écouter les sophistes que le Socrate de Xenophon comparait à des « putains ».
En un mot, entendre que « ce n'est pas le discours qui commémore le dehors, c'est le dehors qui devient révélateur du discours »

L'être est être, le non-être n'est pas. etc… Non, sérieusement, même Platon ne pouvait plus supporter ce genre de proposition parmideenne.
Mais c'est notre Gorgias qui démontre que l'être n'est qu'une décision, un effet de dire, une création du langage. Et sa logologie est savoureuse.

Gorgias (résumé) : “Rien n'est,
Si c'est, c'est inconnaissable
Si c'est et que c'est connaissable, c'est incommunicable.”

Catastrophique diront certain.e.s. Je dirai que c'est une question de goût. Celles et ceux qui veulent crier au loup, trouveront du solide avec Aristote.

« Ceux qui ne parlent pas sont des plantes ». Mais Aristote se fiche pas mal des plantes ou de la nature de l'homme. Son jugement devait seulement servir à exclure ceux qui, selon lui, parlent pour ne rien dire. Exclure au nom d'une différence de nature entre les hommes : là c'est moi qui éprouve le plus profond dégoût.

La réponse d'Aristote à Gorgias est-elle le dernier mot de l'histoire ?
Parler c'est dire quelque chose
C'est-à-dire signifier quelque chose
C'est-à-dire signifier une seule chose pour soi-même et pour autrui.

Barbara Cassin ne laissera pas ce mot d'ordre sans critique, et j'aurais pu la suivre jusqu'au bout, sans son insoutenable relativisme vis-à-vis du “banalement génial constat” d'Aristote qui décide que le discours est le propre de l'homme.

Que sait Barbara Cassin des animaux ?

Je réalise maintenant que tout ce que j'ai lu jusqu'à ce jour sur la soi-disant exceptionnalite humaine a d'abord servi à décider des différences de nature entre les hommes.

Ce qui nous ramène au choc Heiddeger : ou comment la logologie sophistique contredit l'ontologie. Barbara Cassin doit en tirer les conséquences : l'ontologie, comme logique identitaire de l'enracinement et de l'exclusion, passe par Parmenide, Platon, Aristote et Heidegger… le philosophe qui adhéra à l'idéologie nazie.

Elle le savait, comme presque tout le monde. Mais d'où vient la fascination pour son ontologie ? Dans un podcast de Radiofrance, l'auteure raconte comment, un jour dans un bureau de poste après la guerre, un homme juif lui a craché au visage, apparemment pour lui reprocher violemment cette proximité avec Heidegger.

On revient toujours à Hélène. Dans l'Eloge, elle n'est ni plus ni moins que le non-être. Elle est ce qu'on en dit. Coupable ou innocente.
Ou plus facilement, on peut aussi verser tout cela “au compte de la féminité, de la sexualité, de l'altérité, de la marge, et des autres avatars de la différence.”

Antiphon est encore un autre “paradigme de la contestation sophistique de l'identité”. Orateur ou sophiste, oligarque ou démocrate, comme on veut ; certains l'ont même dédoublé en deux personnages pour trouver de force un brin de cohérence.

Mais si l'effet sophistique est précisément de faire la différence, alors Antiphon est très cohérent : « Tous, en tout, de la même manière, nous nous trouvons naturellement faits pour être barbares et grecs ».

D'ailleurs, y a t'il une nature ? C'est ce qui n'est pas qui est à même de pousser.
Voilà encore le genre de réponse que nous devons à Gorgias dans son fameux traité, dont il faut souligner maintenant le titre complet : “Sur le non-étant ou sur la nature”.
Pas de Nature, pas de différence de nature.

Barbara Cassin : “le physique que la parole découvre fait place au politique que le discours crée.”

C'est la logique sophistiquée des “Tétralogies” d'Antiphon : “il n'est rien - fait, loi, témoignage - qui ne puisse servir à des fins contraires, parce qu'il n'est rien qui subsiste non contradictoirement, rien qui possède une identité en soi, hors discours”.

Ou selon Protagoras rapporté par Platon : “celui qui ne feint pas d'être juste est fou”.

On les sent depuis le début: “Les sophistes, penseurs du politique : de ses conditions logiques de possibilité, et de son irréductibilité au physique, à l'ontologique, à l'éthique.”

Question suivante: “Peut-on prétendre être sérieusement pour le consensus et pour le changement?”

Au passage, je glisse vers la sophistique latine avec l'orateur Aelius Aristide. Dans son Éloge de Rome aux romains, on doit tenter de repérer “le passage de la communion à l'invention, de la liturgie au « happening »”

L'auteure résume la liturgie : “Rome, c'est l'être. Avec Rome, la sphère de Parmenide se physicalise en terre entière “

Mais, pour Aelius Aristide, qu'on prétend pourtant flatteur, ce monde n'est jamais qu'un « enclos bien nettoyé », et toute la terre est comme un jardin d'agrément. Ou encore un choeur (terrifiant) où tout s'exécute au doigt et à l'oeil.

La liturgie est toujours en train de fuir. On trouverait des traces d'anti-Platon chez Platon, d'anti-Aristote chez Aristote, et sûrement d'anti-Heidegger chez Heiddeger. Et ça commence peut-être par vouloir mélanger les choses comme lors d'un pique-nique entre amis.

On vient de voir que la métaphore est un moyen de passer au “happening”. Or, maintenant on reproche à la métaphore de fabriquer ces mots qui ne cessent de manquer, parce que c'est la logique d'Aristote, sa Métaphysique, sa Poétique. Mais je me fiche de sa logique. Car si on laisse vraiment filer la métaphore, je crois qu'on ne maîtrise plus rien, et là ça devient franchement drôle.

"L'efflorescence des genres nouveaux” peut bien être l'effet d'une seconde sophistique. Malgré tout, Philostrate, comme Quintilien, Galien ou Lucien ne m'ont pas fait beaucoup d'effet. Et je ne parviens pas à croire que l'aristotélisme soit une détermination si puissante que l'épanouissement de la littérature n'en serait qu'un effet secondaire.

Les expressions « Nous, modernes » ou « Nous tous, aristotéliciens » de Barbara Cassin sont du côté de la liturgie, de la crise identitaire.

J'avoue avoir été distrait en tapant sophisme sur internet. “Sophistry is ChatGPT's greatest skill”…”sophismes hallucinants”…”quintessence du sophisme.”
ChatGPT est un genre de “sophiste” que l'auteure (en 1995) ne pouvait pas prévoir.

En revanche, ce livre devait tôt ou tard déboucher sur la psychanalyse. En effet, comme les sophistes, les psychanalystes ne vendent-ils pas, et toujours trop cher, leur savoir-faire discursif ?

Freud pousse à tel point l'aristotélisme qu'il en devient sophiste”. D'un côté, “le domaine du sens est étendu à l'infini de sorte qu'y puisse rentrer ce qui fut toujours, plus ou moins lourdement, considéré comme insensé.”
Et en même temps le sophisme dit “la vérité du désir”.

Terminons par ce curieux « sophisme de la jouissance ». Ou comment Barbara Cassin aborde Lacan, abordant la jouissance féminine, à partir des trois thèses du fameux traité du non-être de notre grand Gorgias ?

-Rien n'est, ou : elle ne jouit pas…
-Si c'est, c'est inconnaissable, ou : « il y a une jouissance à elle, à cet elle qui n'existe pas et ne signifie rien. Il y a une jouissance à elle, dont peut-être elle-même ne sait rien, sinon qu'elle l'éprouve - ça, elle le sait »
-Si c'est et si c'est connaissable, c'est incommunicable ou : si elle jouit, et si elle le sait, elle ne peut pas le dire.
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critiques presse (1)
NonFiction
03 janvier 2023
Conduite par Barbara Cassin, la lecture serrée des textes des sophistes parvenus jusqu’à nous modifie la conception qui nous a été léguée de l’histoire de la philosophie.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Kairos, l’un des plus intraduisibles des mots grecs, est certainement … un propre de la temporalité sophistique…
C’est, comme l’instant zen du tir à l’arc, le moment d’ouverture des possibles … C’est le nom du but en tant qu’il dépend tout entier de l’instant…
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