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EAN : 9782746734104
147 pages
Autrement (22/03/2013)
3.39/5   18 notes
Résumé :
« Enracinement et déracinement : voilà la nostalgie. »

La nostalgie

Quand donc est-on chez soi ?

Au départ, il y a une question émouvante : pourquoi, se demande Barbara Cassin, suis-je en proie à la nostalgie dès que je mets les pieds en Corse, alors que je n'y ai pas mes racines ?

C'est peut-être que cette île appartient ; à la Méditerranée, mer de l'Odyssée et de l'impossible retour.

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Installée en Corse, île avec laquelle l'auteure n'avait aucun lien, Barbara Cassin en vient à s'interroger sur ce qu'est le chez soi, le sentiment d'appartenir à un lieu. Et cela entraîne la question de déracinement, de manque de ce lieu que l'on considère comme le chez soi, et son corollaire, la nostalgie. Elle rappelle que c'est un terme relativement récent, apparu seulement au XVIIe siècle en Suisse, et qui était ressenti comme une sorte de maladie, celle qu'éprouvaient les fameux gardes suisses, mercenaires dans des pays étrangers.

Barbara Cassin aborde son sujet sous trois angles. Elle évoque dans un premier temps Ulysse, son voyage vers chez lui : « La nostalgie, c'est ce qui fait préférer rentrer chez soi, quitter à y trouver le temps qui passe, la mort et, pire la vieillesse, plutôt que l'immortalité ». C'est le choix d'Ulysse. Mais Barbara Cassin interroge ce retour, au combien célèbre. Ulysse revenu n'est pas reconnu, sauf par son chien. Il doit retrouver sa place, son identité, la prouver, la reconquérir, non seulement contre les prétendants, mais aussi dans le coeur des êtres qui lui sont chers. Mais l'histoire d'Ulysse ne s'arrête pas à ce retour : il doit repartir, et trouver un endroit qui ne connaît pas la mer, qui ignore ce qu'est une rame, pour pouvoir vraiment vaincre le ressentiment de Poséidon. Dante d'ailleurs, le place dans son Enfer, en rapportant une autre légende : Ulysse serait reparti, il aurait tenté de franchir l'infranchissable, les colonne d'Hercule. Et pour ce goût démesuré de l'ailleurs absolu, il est puni à tout jamais. le chez soi d'Ulysse est peut-être le voyage, autant que son île d'Ithaque.

Le deuxième exemple est Enée, celui qui a perdu définitivement son chez soi, et qui erre pour en trouver un autre. Barbara Cassin met l'accent sur un détail, mais qui n'en est pas un, celui de la langue. Pour avoir sa place en Italie, le héros doit renoncer à sa langue, et adopter celle des habitants originaire du Latium. C'est à ce prix qu'Héra se résout à le laisser fonder sa lignée. Et qui pose la question de la langue : qu'est-ce qui fait que l'on se sent chez soi, est-ce un lieu, des proches, ou une langue ?

Questionnement développé dans la troisième partie, qui évoque Hannah Arendt. Qui après des décennies d'exil, surtout aux USA, dit que ce qui reste de son existence d'avant, c'est la langue. Elle opère une distinction entre la langue, et une patrie associée à un peuple. L'allemand n'appartient pas qu'aux Allemands. Et la langue allemande, telle que les nazis se l'ont appropriée, est un dévoiement, une non-langue. Barbara Cassin insiste sur la pluralité des langues, sur la complexité et la richesse de ceux qui parlent plusieurs langues, qui ont à leur disposition plusieurs visions du monde et place à l'avant garde, les exilés, comme Hannah Arendt. L'auteure conclut : « Quand donc est-on chez soi ? Quand on est accueilli, soi-même , ses proches et sa, ses langues ».

Petit résumé d'un texte très riche et assez essentiel tout en étant très accessible.
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Barbara Cassin, dans cet essai passionnant consacré à la nostalgie, part d'une constatation personnelle. Pourquoi se sent-elle tellement chez elle en Corse, alors qu'elle est parisienne pure souche ? Pourquoi ce sentiment si fort ? Fort au point d'avoir fait enterrer son mari près de la maison qu'elle possède sur l'île ?

C'est à cette question émouvante qu'elle tente de répondre. Sa conclusion est que : « Quand donc est-on chez soi ? Quand on est accueilli, soi-même, ses proches et sa, ses langues. »

Ailleurs, elle dit « hospité », soit reconnu comme hôte.

Auparavant Barbara Cassin nous aura entraînés sur les traces d'Ulysse, le héros du retour par excellence ; sur celles d'Enée, l'exilé et sur celles d'Hannah Arendt pour qui la patrie est sa langue allemande.

Elle montre que l'enracinement et le déracinement vont de pair. Nous apprenons aussi que le mot « nostalgie » n'est pas grec contrairement aux apparences. C'est un mot suisse allemand inventé en 1678 par un médecin, Jean-Jacques Harder pour dire le mal du pays dont souffraient les mercenaires de Louis XIV.

L'essai de Barbara Cassin, philosophe spécialiste de l'Antiquité, est érudit, mais parfaitement abordable. de larges citations d'Homère, de Virgile et d'Hannah Arendt permettent de se replonger dans ces textes magnifiques et de démêler ce sentiment complexe de la nostalgie qui oscille entre « Heimweh », mal du pays, désir du retour, et « Fernweh », mal du lointain.
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Ce livre se penche sur la problématique des conditions de la perception « d'être chez soi », c-à-d. sur le déracinement et l'enracinement, à travers trois essais philologiques et philosophiques assez indépendants et différents. Tout en partant de l'observation que « nostalgie » est un mot moderne et suisse – du XVIIe s., relatif au mal du pays des mercenaires de Louis XIV (on aurait pu dire « philopatridomania » ou « pothropatridalgia » et c'eût été horrible!) – l'archéologie du concept peut être fait remonter, dans notre culture, au personnage d'Ulysse. La nostalgie d'Ulysse, « polytrope, aux mille tours », comme lui-même, constitue l'objet de premier essai. D'Ulysse à Énée, la pérégrination devient exil, le déracinement, enracinement, et d'emblée l'on découvre qu'il est question de langues. Pour devenir ancêtre, Énée cessera de parler le grec, et Virgile, sous forme poétique, semble aussi refléter toute la question politique de « l'altérité incluse » de Rome, que l'on associe plus généralement à la plume de Cicéron (De Legibus).
Mais rappelons que la problématique initiale concernait la perception, donc l'aspect subjectif d'être chez soi (on aurait presque envie de dire : « se sentir chez soi »). le troisième essai termine l'analyse par la réflexion – largement autobiographique – de Hannah Arendt sur son exil de l'Allemagne nazie et son rattachement identitaire électif à la langue allemande. Cette partie, la plus longue et complexe, la plus philosophique aussi, est à nombreux égards la plus intéressante. Il faut d'abord faire la place à la conception arendtienne de l'identité comme assignation et non comme essence : en somme une question politique. Cette conception dans son articulation même avec le peuple (d'origine?) et la langue maternelle, s'oppose radicalement à celle de Heidegger, et Cassin exprime cette opposition en termes de « nostalgies » de l'une (Arendt) et de l'autre (Heidegger) [mais ça peut marcher aussi comme : « de l'une (langue maternelle) et de l'autre (peuple) »...]. Découle aussi de la pensée d'Arendt une étonnante conséquence sur l'impossibilité de définir « maternelle » une langue dans laquelle l'on n'invente plus (on ne sait plus, on ne peut plus inventer), en particulier une langue faite de clichés ou muselée par le totalitarisme (l'incontournable référence à Victor Klemperer est évidemment développée ici). Une autre réflexion essentielle de la philosophe est la richesse heuristique que seuls le plurilinguisme et la traduction sont capables d'assurer : conséquence du renversement de la perspective ontologique et phénoménologique du rapport entre langue et pensée (cf. cit. infra). de là, Barbara Cassin reprend la main dans les deux sous-chapitres conclusifs : « Les exilés, avant-garde de la condition humaine » et « Des racines aériennes », qui, en somme, relient et font dépendre la perception de l'enracinement à l'accueil du déraciné avec ses langues.


Cit. :

[Expression de la xénophobie grecque datant de l'époque de Périclès que Platon rapporte dans le Ménéxène par la voix d'Aspasie – contrairement à Barbara Cassin, je n'y vois aucune caricature mais je constate, en revanche, une effrayante modernité] :
« C'est ainsi que la bonne naissance et la liberté de notre cité sont fermes et saines et par nature pleines de haine pour le barbare, parce que nous sommes purs grecs et sans mélange de barbares. Car nul Pélops, Cadmos, Ægyptos, Danaos ou autres, par nature barbares mais par loi grecs, ne partage notre vie : nous vivons en Grecs authentiques sans mélange de sang barbare, d'où le fait que la haine pure à l'égard de la nature étrangère soit constitutive de notre cité. » (cit. pp. 75-76)

« La marque de l'exil, c'est la transformation du rapport à la langue : l'exil dénaturalise la langue maternelle. Énée ne parle plus le logos, comme Ulysse, mais une langue, entre autres. Et quand on s'installe dans une autre "patrie", on se fait "naturaliser". » (p. 85)

« Arendt souligne cette direction anti-aristotélicienne, anti-phénoménologique, anti-ontologique, qui ne va plus de l'être ou de la pensée à la langue mais, à rebours, de la langue à la pensée et à l'être :
"Tout ce pour quoi la langue dispose d'un mot existe pour la pensée. Ce pour quoi la langue ne dispose pas d'un mot échappe à la pensée. […] C'est une erreur de croire qu'une réalité pensée dans le langage est moins réelle qu'une réalité vécue non pensée. En ce qui concerne l'homme, il se pourrait bien que ce soit le contraire." » (p. 100)
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Ce livre interroge, avec la « nostalgie », le rapport entre patrie, exil et langue maternelle, à travers trois figures : Ulysse, Enée, Hannah Arendt.
Quelques notes :

Ulysse.
Ulysse est en "manque du retour et de sa femme". La nostalgie, c'est ce qui fait préférer rentrer chez soi, quitte à y trouver le temps qui passe, la mort et, pire, la vieillesse, plutôt que l'immortalité. Tel est le poids du désir de retour.
Mais quand Ulysse arrive, il ne reconnait pas son île et n'est pas reconnu. La reconnaissance se fait petit à petit. Ulysse qui n'était Personne doit redevenir lui-même. Comment donc reconnaît-on pour de bon son île ? "On la reconnaît, je crois, parce qu'on y est reconnu, c'est-à-dire qu'on y a son identité".

Enée.
La nostalgie tourne autour de l'enracinement (comme le lit d'Ulysse, enraciné dans sa chambre) et déracinement.
De la nostalgie à l'exil et d'une épopée à l'autre, le but n'est plus le retour et la maison mais une fondation, Rome. La seule certitude acquise tout au long de l'exil est qu'il ne faut pas de seconde Troie : il ne s'agit pas de reproduire à l'identique, mais de fabriquer de l'autre. Pour que Junon permette à Enée enfin de mettre un terme à son errance, Jupiter doit céder sur un seul point, mais il est essentiel : Énée ne parlera plus grec mais latin, la langue de ceux qui habitent là où il s'installe. L'exil oblige à abandonner la langue maternelle. Terre des pères, langue des mères : c'est avec la langue de l'autre que l'on se fait une nouvelle patrie.

Hannah Arendt.
« L'Europe pré-hitlérienne ? Je ne peux pas dire que je n'en ai aucune nostalgie. Ce qui en est resté ? Il en est resté la langue »
La langue allemande et le peuple allemand ne sont ni identiques ni même superposables en quelque manière que ce soit, et surtout pas politiquement. Arendt n'est pas tant exilée de son pays, l'Allemagne, que d'une langue, l'allemand. Elle est polyglotte comme réfugiée et comme théoricienne du politique.
Suit une comparaison avec Heidegger à laquelle je n'ai rien compris car je suis complètement hermétique à ce jargon.

Au total, un livre intéressant (moins quelques paragraphes donc), qui donne à réfléchir dans nos temps de mondialisation et de migrations diverses et variées plus ou moins bien accueillies.
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Court essai philosophique mais assez complexe dans lequel Barbara Cassin essaie d'étudier ce sentiment qu'est la nostalgie. Spécialiste de l'Antiquité, elle prend pour exemple Ulysse de l'Odyssée et Enée de l'Enéide. Pourtant, le mot "nostalgie" n'a rien de grec. Il a été forgé au XVIIème siècle par des médecins pour décrire le mal dont souffraient les mercenaires suisses allemands éloignés de leurs montagnes..
La nostalgie n'est pas l'enracinement ou pas seulement, elle est aussi errance. Ainsi le récit d'Ulysse se rattache t-il à l'errance et au retour alors que celui d'Enée qui fuit Troie à tout jamais pour fonder une ville dans le Latium est fuite, exil et enracinement, fondation.
Enfin, avec l'exemple moderne d'Hannah Arendt, exilée aux Etats-Unis, l'auteur explique que la nostalgie n'est pas seulement liée au sol mais aussi et surtout à la langue et la culture. Elle n'est pas un chez soi immuable mais une maison imaginaire.
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critiques presse (4)
NonFiction
26 juin 2015
A travers des récits d’exilés, refusant l’identité fondée sur le sol ou la reconnaissance, Barbara Cassin montre que seule la langue est notre « propre lieu ».
Lire la critique sur le site : NonFiction
Lexpress
02 juillet 2013
La philosophe et grande hélleniste Barbara Cassin fait appel à sa propre histoire pour explorer les sources de la nostalgie.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Bibliobs
19 juin 2013
Ou comment les Helvètes ont donné à l'Europe sa première pathologie moderne.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Liberation
08 avril 2013
Mais de quoi la nostalgie est-elle la douleur ? Ni du proche, qui est là, à disposition, ni du lointain, hors de vue, hors de prise. De la proximité du lointain, sans doute, d’une terre qu’on a quittée et d’où on ne peut s’éloigner, d’une terre d’où on s’est éloigné et qu’on ne sait quitter.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
La réalité d'une île. Une île est réelle de manière bien précise. On en voit les bords, depuis le bateau, l'avion. (...) Une île est par excellence une entité, une identité, un quelque chose, avec un contour, eidos, elle émerge comme une idée. Dans sa finitude, une île est un point de vue sur le monde. Une île est immergée dans le cosmos, cosmique et cosmologique, avec le ciel étoilé au-dessus de nos têtes et l'immensité de face, sensible au regard.
En Grèce, en Corse, j'ai fait constamment l'expérience du cosmos, le "monde" des Grecs - "ordre et beauté", dit Baudelaire.
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C'est parce qu'on a une responsabilité à l'égard des mots qu'on emploie, une responsabilité d'auteur et non de récepteur ou de passeur communicant,
que la langue est elle aussi chose politique.
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Il arrive, n’est-ce pas ? que l’on rêve ou que l’on invente des phrases sonnantes dans une langue qu’on ne parle pas bien, c’est une manière de lui déclarer son amour. S’il n’est pas facile de savoir ce qu’on change en nous quand on nous change de langue, il n’est pas facile non plus de savoir ce qu’on change en soi quand on change de langue, quand on se met en prise sur un autre corps de langue ouvrant sur un autre monde de signifiants. Je sais seulement qu’il faut parler (aimer suffit) au moins deux langues pour savoir qu’on en parle une, que c’est une langue que l’on parle ; et que l’exilé a chance et nostalgie de comprendre corps et âme qu’il y a pour lui une langue plus maternelle qu’une autre.
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La nostalgie s’écrit alors au futur antérieur, et tel est sans doute le temps de toutes les fondations, qui ne sont peut-être jamais que de re-fondations. Il y va, en somme, de la force rétrograde du vrai qui construit l’histoire via le récit qu’on en fait, history et story, comme un performatif du passé; car les historiens font exister un certain passé quand ils écrivent l’histoire, à partir de leur connaissance du présent, selon leur perspective et leur visée.
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S’il n’est pas facile de savoir ce qu’on change en nous quand on nous change de langue, il n’est pas facile non plus de savoir ce qu’on change en soi quand on change de langue, quand on se met en prise sur un autre corps de langue ouvrant sur un autre monde de signifiants.
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