Sylvain regarda Elisa. Etait-ce de la voir avec le recul particulier que conférait la scène aux spectateurs ? Il la trouva soudain amaigrie. Comment était-il possible qu'il n'y ait pas prêté, jusqu'à présent, attention ? Elle était dans ses bras chaque nuit pourtant, et c'était, comme au premier jour, la même impatience, le même désir, la même force douce. Il se réveillait dans le noir et écoutait son souffle. Son sommeil était si profond qu'il se disait parfois que rien ne pouvait être à la fois plus proche et plus lointain qu'une femme endormie que l'on serrait contre soi. C'était elle, totalement présente et livrée, une peau, une chair devenues siennes par la chaleur du contact. Il en était ainsi depuis leur première fois. Et, au centre des nuits, dans le tourbillon immobile du sommeil, elle lui semblait plus éloignée que les planètes du bout de l'univers ; dans quel monde errait-elle, minuscule et voyageuse. C'était sa fuite, insupportable et douce, son échappée. Tout réveil était un retour au bout des galaxies, l'étoile des confins du ciel s'incarnait, s'étirait, se lovait, grognait, triturant l'oreiller. Elisa entière, enfin reconstituée, revenue. Dehors, la guerre s'était répandue, elle avait infesté jusqu'aux herbes du parc, elle n'était pas seulement dans le bruit des sirènes lors des raids alliés ou dans la ritournelle de Radio-londres, elle était aussi dans l'inférieure qualité de l'azur d'été... Marina Kaplan le disait à peine en plaisantant "avant guerre, le ciel était plus bleu"... tout avait changé, ils vivaient dans un monde rétracté, affadi, mais au matin, Elisa naissait contre lui, et cela seul comptait. Si après survenait les contingences, l'essentiel s'appelait Elisa.
Il ne pleurerait pas. Inutile d'en rajouter. Il fallait qu'il se cramponne à son projet. il en avait parlé à olivia. il n'était pas parvenu à l'intéresser vraiment, elle avait toujours eu une carence du côté de l'enthousiasme. Même avant sa maladie, il en avait été ainsi. il s'étaient trouvés un jour, c'était la première année de leur mariage, devant les fresques de la chapelle Sixtine. Il ne s'y connaissait pas beaucoup mais une émotion l'avait étreint. Il était resté cloué au centre de la salle, elle avait dit alors - il devait se rappeler cette phrase jusqu'à la fin de sa vie : "Ce n'est pas de la peinture pour des gens qui ont le torticolis.
Le voilà.
Elle retrouvait toujours l’endroit avec plaisir. Ce ne devait sans doute pas être, pour un professionnel de l’architecture, une réussite absolue, mais elle aimait les colonnes de la façade, les trois lucarnes, le zeste de chinoiserie dans les toitures et d’Antiquité romaine dans le fronton, le plus étrange était que l’auteur des plans était un fervent de l’art mexicain. Avec de la bonne volonté on pouvait retrouver un écho dans les grilles ; sous les arbres, l’édifice avait une belle allure…
Elle avança et, sous le porche, contempla une fois de plus le buste que les années commençaient à patiner et qui la laissait toujours perplexe.
C’était celui d’un petit monsieur pincé aux lunettes sévères, l’ancien directeur.
C’était à lui que l’on devait la construction du théâtre. En voyant le bronze, on n’aurait jamais songé que l’homme ait pu avoir une idée aussi étonnante.
Il partait bien. Un soleil encore lointain mais présent. Elle chercha Henriette des yeux et se souvint que c’était son après-midi de correspondance, la modiste tirait la langue sur sa feuille blanche pour son hebdomadaire lettre d’amour à Edouard, expédiée dans une double enveloppe chez un receveur de tramway, pour éviter les catastrophes conjugales.
"J'ai le goût du merveilleux, ce sont des restes d'enfance." C'est avec ces quelques mots de Romain Gary, extrait de "La Nuit sera calme", que nous démarrons ce nouvel épisode de notre podcast. Car il y sera justement question d'éblouissement des premières fois, de cet âge où chaque découverte est un trésor à apprivoiser. D'enfance, en somme.
Pour nous accompagner : nous recevons Valentine Goby, autrice de nombreux romans pour adultes, mais aussi pour la jeunesse. Son dernier livre, "L'Île haute", nous emmène à la rencontre de Vadim, jeune garçon de 12 ans, qui vit à Paris. Nous sommes en 1943 et il est envoyé dans les Alpes. Officiellement pour soigner son asthme, mais surtout pour fuir les Allemands... car il est Juif. Arrivé après un long trajet en train et dans la neige, Vadim découvre la splendeur de la montagne, immensité enivrante qui le rend minuscule.
Au cours de cet entretien, Valentine Goby nous dira comment est née cette envie d'écrire un roman d'apprentissage, et en quoi l'enfance la fascine et l'inspire.
Juste après, nous retrouverons les libraires de Dialogues, Romain, Rozenn et Laure. Ils ont sélectionné pour nous plusieurs romans sur l'enfance et l'émerveillement.
Bibliographie :
- L'Île haute, de Valentine Goby (éd. Actes Sud)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/20859799-l-ile-haute-valentine-goby-actes-sud
- Murène, de Valentine Goby (éd. Actes Sud)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/18855093-murene-roman-valentine-goby-actes-sud
- L'Anguille, de Valentine Goby (éd. Thierry Magnier)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/16758956-l-anguille-valentine-goby-thierry-magnier
- Chèr.e moi (éd. Seuil)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/21362899-cher-e-moi-lettres-a-l-ado-qu-lettres-a-l-ado--collectif-seuil
- Germinal, d'Émile Zola (éd. Folio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/843968-germinal-emile-zola-folio
- Les Misérables, de Victor Hugo (éd. Folio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/11354695-les-miserables-victor-hugo-folio
- E = mc2 mon amour, de Patrick Cauvin (éd. le Livre de poche)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/185907-e-mc2-mon-amour-roman-patrick-cauvin-le-livre-de-poche
- Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, de Thomas Giraud (éd. Contre-allée)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/16687921-elisee-avant-les-ruisseaux-et-les-montagnes-thomas-giraud-contre-allee
- Ciel bleu, de Galsan Tschinag (éd. Métailié)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/18909888-ciel-bleu-une-enfance-dans-le-haut-altai-galsan-tschinag-anne-marie-metailie
- L'Invention de Louvette, de Gabriela Trujillo (éd. Verticales)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/18955179-l-invention-de-louvette-roman-gabriela-trujillo-verticales
- le Petit Prince, d'Antoine de Saint-Exupéry (éd. Folio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/392754-le-petit-prince-avec-des-aquarelles-de-l-auteur-antoine-de-saint-exupery-folio
- Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll (éd. Folio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/8194310-les-aventures-d-alice-au-pays-des-merveilles---lewis-carroll-folio
- L'Étranger, d'Albert Camus (ed. Folio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/440374-l-etranger-albert-camus-folio
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