La poésie est un objet que l'on ramène chez soi. C'est un bon verre de vin blanc parfois sec. La poésie réfléchit la lumière. C'est un monde où se réfugient les mots et leurs sonorités. La poésie revêt une dimension spirituelle, un réalisme social, une nature belle, résiliente malgré sa dégradation. Elle raconte des traumatismes, la violence, mais aussi la beauté.
Cette anthologie des éditions Gallimard est magnifique. J'ai découvert des poètes, dont une bonne partie sont encore vivants. J'ai même appris qu'il y avait un poste de Poète lauréat. Cette anthologie rassemble en trois parties des poètes de différents univers. L'Angleterre procure la plus grosse communauté de poètes. le Pays de Galles, avec trois poètes est en queue de peloton. L'Ecosse arrive second.
J'y piocherai de temps en temps avec ravissement.
Le titre "L'Île Rebelle" convient parfaitement. Les poèmes exhalent un sentiment d'insularité, de force naturel, de solitude. Les poètes jouent avec les allitérations en gastronomes de la plaisanterie. Mais la poésie reste un médium sérieux.
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en haut de la falaise...
en haut de la falaise de Maenporth
d'où nous vîmes
un mirage de cristal,
palais et temples à colonnes
érigés sur l'eau
au milieu desquels glissait un bateau de pêche,
inconscients du miracle —
N'en croyant pas nos yeux,
nous demandâmes à un randonneur qui passait,
vous avez vu ?
Son étonnement confirma le nôtre —
il y avait là — effleurant les vagues,
une Byzance de glace
édifiée par accord
de la lumière et de la vapeur glacée,
comme si cette architecte du scintillement se servait
des matières les plus délicates
et les plus rares qui soient –
afin de nous l’offrir...
// Penelope Shuttle (1947 -)
/ traductions de Martine de Clercq et de Jacques Darras,
Vue de la maison
depuis le fond du jardin
Dans l'obscurité. Sous la pluie. Toi à la limite précise
où le sang de ce qui t'appartient s'écoule à travers la clôture
jusqu'à une terra incognita, où la traque sanglante de la nuit
démarre dans les taillis : impression que quelque chose se faufile
avec un sourire, prêt à l'assaut et à l'esquive rapide.
Une femme est en train de mettre le couvert ; la nappe
gonfle en se posant ; un verre à vin réfléchit la lumière.
Corbeille pour le pain, cuillers et bols pour le bouillon
comme de juste, toi sachant justement la fragilité
de ton emprise sur tout cela : fenêtre éclairée, faible
odeur d'iode dans le va-et-vient de la pluie.
Voici qu'elle regarde dehors, mais tu es invisible
tu l'as voulu, quoique ce soit peut-être une faiblesse
de se tenir à l'écart, en spectateur, de vouloir
suspendre son souffle une seconde pour tout figer.
La maison, la femme, la fenêtre, la lumière de la lampe
qui ne pèsent rien en comparaison de la terre nue —
vois-tu bien la scène ? Peux-tu dire pourquoi t
u te trouves justement là, à l'endroit précis où l'allée du jardin
s'enfonce dans le noir, toujours à l'observer
alors qu'elle se détourne brusquement, comme effrayée,
tandis que l'averse redouble et que son ombre sur le mur,
tremblante, est livrée à la nuit ?
Oui bien sûr, c'est le moment précis du mythe
où l'on regarde en arrière et que tout bascule vers l'enfer.
Poème de David Harsent
David Harsent
(1942)
Explorateur d'une terra incognita aux marges de la société, insomniaque en quête d'images oniriques, David Harsent revisite les mythes. Né dans le Devonshire, cet autodidacte a d'abord été libraire et éditeur avant de se consacrer totalement à l'écriture. Librettiste, scénariste, c'est aussi un auteur de romans policiers publiés sous divers pseudonymes. Son imagination macabre le rapproche du théâtre jacobéen ou de Baudelaire qu'il affectionne. C'est un poète instinctif, hanté par la précarité humaine, qui suit sa vision propre. Encouragé à ses débuts par le critique Ian Hamilton, il s'est forgé peu à peu un style très personnel explorant dès son premier recueil, A Violent Count'', (1969), les zones d'ombre des relations humaines : souffrance, perte, violence. Ses narrateurs ambigus créent une atmosphère souvent énigmatique reposant sur le rythme et la sonorité des mots : ‘Si je n'entends pas la musique, je ne pense pas que c'est un poème’ »
(pages 189 à 193)
Ma mère frotte le sol
Elle avait des pieds de danseuse, élégants, spirituels.
Nous, ceux de notre père, rebelles propagateurs de crasse.
Casse de Londres, crasse du Kent,
Boue, poussière, herbe, déjections, humidité, j'en passe.
Crasse effrontée, crasse puante, crasse invisible.
Quoi que ce fût, elle était prête :
Tapis de caoutchouc, seau galvanisé cliquetant,
Sa bouée de sauvetage, de l'eau bien chaude.
Laisse-moi faire ! disions-nous en pensant Te voir me fait mal.
Tu es trop vieille. Trop aigrie. Et puis, tu finiras par
Nous le reprocher.
Jamais elle ne cédait. Nous n'en aurions pas été capables.
N'ayant pas sa haine de la saleté, ses belles mains fortes.
Pas question que tu le fasses, disait-elle, que tu te sentes obligée.
Souviens-toi bien de ceci : l'amour ce n'est pas le sexe
Mais toutes les corvées qu'on fait pour ceux qu'on aime.
Pour une fille, la maison est une prison,
Pour une femme, le bagne, disait-elle.
Ce n'est pas de moi, ajoutait-elle. C'est de Shaw.
Je m'en souviens bien. Je suis debout là où elle était à genoux.
(U. A. FANTHORPE 1929-2009)
Ermenonville
Ce fut ainsi jadis, ça l’est encore aujourd’hui,
le temps d’un après-midi,
à bicyclette, roues ensablées
dans le désert d’Ermenonville
où les filles du feu font flotter leurs spectres
au fond vague des avenues.
C’étaient elles les démons de la mélancolie
là parmi les fougères
elles les sirènes qui m’ont rendu fou.
Pour garder la tête froide cette fois-ci, j’ai ramassé
une pomme de pin que j’ai mise dans ma poche
tandis que tu pédalais devant moi
sur le chemin qui va à Mortefontaine
où Corot a peint en taches argentées,
au-delà du puits sur la route
à l’eau calme et claire.
Cette fois-ci les yeux étaient les tiens
seuls, doux et baissés,
croisant les miens par-delà les années
avec tes cheveux en chignon, ton dos bien droit,
ton port de reine,
comme ce jour d’antan où je t’aperçus,
sur ton vélo, papoose sanglé derrière toi,
sortant résolument de ma vie.
// Stephen Romer
/ Traductions de Martine De Clercq et Jacques Darras
La similitude de cette grande fleur
Ces vignes sont bien taillées, je les renverse. J’ai les traits de ma mère dans mon cœur, la gemme la plus sombre, errant dans le goudron, une affinité avec l’Islande. Le monde cliquète : nom, nom, nom. Sable en chaussure ne fait pas de toi une huître. Cette rivière s’écoule constamment. « La similitude de cette grande fleur », son violent prestige. Abandonne tes intérêts quand la clarté lunaire vire le soleil. Le chien est-il sous verre ou vitré ? La voix du paradis a un enfer derrière. J’observe la fleur du mal, mouche dans la serrure qui tente de déchiffrer le mur. Celui-ci dit que nous ne sommes pas morts malgré le froid, il vend sueur et rire de la chambre verte. Il fait brumeux dans le rêve. Dit que tu as promis de continuer.
Elizabeth Willis : Meteoric flowers, Wesleyan University Press 2006. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.