Miroirs

Une évadée du ghetto de Varsovie raconte au narrateur comment elle a assisté, au milieu de la foule polonaise en fête, à la liquidation de ce même ghetto par les Allemands, et l'impression traumatique qui l'accompagne depuis lors, d'assister à son propre destin du dehors, d'être la spectatrice de sa vie. Ailleurs, le narrateur enfant se souvient de ces bus parisiens pleins d'enfants juifs raflés : de la rue, il regarde ces petits visages avec la nette impression de les trahir. Tant d'autres faits et textes brefs, sans rapport avec le génocide ni avec la guerre, gravitent autour de ces noeuds narratifs qui les expliquent : les personnages de Marcel Cohen assistent à leur vie, étudient soigneusement la moindre hésitation, le moindre malaise ou indécision, comme s'ils regardaient leur existence à travers une vitre sale. Et le plus souvent, ils attendent, n'agissent pas, renoncent. Sur le plan romanesque, une telle inspiration ne pourrait produire qu'un long et pénible récit plein de personnages velléitaires. L'artiste Marcel Cohen a la sagesse de se borner à des narrations brèves, et quand celles-ci dépassent deux pages, elles deviennent à mon goût pénibles à suivre et à lire. Très curieusement, et pour des raisons très différentes, l'auteur rejoint l'école du Nouveau Roman, qui faisait, au nom de la théorie, le procès du personnage romanesque et du récit.