p. 44: "Pendant dix heures de vol, oui, je suis restée ainsi, bras collés, figée, fixée sur cette litanie sordide, rythmée par cette obsession, soudée au fauteuil Air France, guettée, flagellée par cette pensée unique. De temps en temps, un éclair de souffrance plus aiguë que la simple peur me traversait. Venue de quel sombre recoin, de quel souvenir indicible?
Mon gros voisin ne partageait pas mes inquiétudes. Il s'était endormi malgré les turbulences et ronflait avec enthousiasme, sa tête chauve dodelinant sur sa poitrine. Son énormes corps penchait vers moi comme la tour de Pise. Allait-il s'affaler dans mon giron, se cogner le crâne sur la tablette de mon siège? Pourtant, au décollage, il m'avait semblé inoffensif. Plongé dans la lecture d'un listing informatique, il cochait certains items d'une petite étoile rouge ou bleue. Mais maintenant, il me semblait terrifiant, se penchant un peu plus à chaque ronflement. Autour de sa taille, les bourrelets semblaient avoir une respiration autonome. Je n'osais le repousser, il suffisait de le repousser..."
p.: 121-122: "Donc une candeur, héritée de ma mère, qui confine à la stupidité... Trop polie, trop confiante... Une certaine lenteur intellectuelle... Incapable de deviner ce qui se trame dans l'ombre, de prévoir les perfidies, de décrypter les sournoiseries. Bref, une cible parfaite pour les fléchettes en tout genre. Facile à blesser, facile à berner, facile à mépriser. L'écriture est faite pour nous, les lents, les patauds, les inadaptés, les gaffeurs, les timides, elle nous permet de mesurer nos paroles, de trouver enfin la réplique cinglante, de freiner nos impulsions, de cacher nos ridicules, de rendre comestible cet infâme brouet qui nous sort des tripes. L'écriture, ça sert à dégueuler poliment, sans trop gêner les voisins".
p. 15: "Dans les années 1870, Denver était encore un fouillis de baraques en bois, avec quelques commerces et l'incontournable saloon, la dernière étape dans la grande plaine de l'Ouest, du bout du monde. En quelques décennies, la bourgade était devenue l'une des grandes métropoles de la région. Mais la tradition était vivace, et, en cette année 1943, on voyait encore des chapeaux de cow-boys au milieu des gratte-ciel.
A Wellesley, Mary-Louise s'étonna d'aimer la bière salée. L'Est n'avait rien de bien nouveau. Elle était tombée dans une seconde famille, un gynécée tranquille et rassurant. Loin des garçons, loin des problèmes."
p. 49: "Un jour, ou peut-être une nuit, des ouvriers minuscules sont venus pour me décoller les paupières et me forcer à voir. Ils ont installé des échelles sur mes dents pour y poser leurs échafaudages et grimper jusqu'aux orbites en transportant des scies. Ils se sont perchés en équilibre dans la forêt de mes cils, dans les plis de mes paupières, tout autour des globes. Ils se sont perchés là-haut, et ils ont travaillé d'arrache-peau. Mes paupières se sont décollées, d'un coup d'un seul, et sont restées ainsi, soulevées comme des stores décrochés. Et maintenant que le rideau d'insomnie est levé, l'air glacé du dehors me pique les yeux".
Littérature
Emission publique présentée par José ARTUR consacrée à la rentrée littéraire en compagnie des critiques,
Jean Didier WOLFROMM,
Jean François JOSSELIN,
Françoise XENAKIS, et
Jean Jacques BROCHIER.
Les premiers
romans :
- à 03' : "
Le charme noir" de
Yann QUEFFELEC (Gallimard)
- à 07'50" : "L'Océan miniature" de
Catherine DAVID
- à 09'03" : "Escalier c" de Elvire MURAIL
- à 13' : "La...