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EAN : 9782707304742
160 pages
Editions de Minuit (01/03/1961)
5/5   1 notes
Résumé :
Il s'agit de correspondances publiées, depuis 1958 pour la plupart, à propos de faits ou d'articles concernant la guerre d'Algérie. "Alors qu'auparavant, écrit Charlotte Delbo qui a composé ce recueil, l'indignation explosait en manifestations et en actions collectives..., elle n'a plus aujourd'hui le moyen de s'exprimer... Il n'y a plus de vie politique... Privé d'autres moyens d'agir on écrit des lettres." A propos de La Question, du Manifeste des 121, de Francis ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ce recueil n'est pas à proprement parler un livre de Charlotte DELBO. Si elle intervient (peu), ce n'est que pour donner foi, agrémenter un propos qui lui tient à coeur. Explication : 1960, la guerre d'Algérie bat son plein, les journaux s'embrasent par des textes très politiques qui se font écho, avec des droits de réponse documentés et militants. Pour ce bouquin édité dès le début de l'année 1961 aux éditions de Minuit, Charlotte DELBO a recueilli des témoignages écrits, en l'occurrence des lettres ouvertes aux médias. Plus de 80 lettres ont été choisies pour figurer ici, signées par des grands noms (surtout littéraires) de l'époque, pensez donc : Claude SIMON, Graham GREENE, Henri ALLEG, Simone de BEAUVOIR, SINÉ, Simone SIGNORET, Jean-Paul SARTRE, André BRETON, Claude MAURIAC, Aldous HUXLEY, Maurice THOREZ et tant d'autres, accompagnés d'anonymes, témoins des atrocités de la guerre civile alors en cours. Parmi eux des religieux, déserteurs, objecteurs, algériens engagés.

C'est de Paris qu'émanent ces lettres, envoyées à des journaux célèbres et influents, le Monde et France-Observateur principalement, rédigées entre fin 1959 et fin 1960. Dans la première du recueil, Jérôme LINDON (alors directeur des éditions de Minuit) revient sur les circonstances des relais médiatiques à ces lettres ouvertes. Puis, ce pourraient être plusieurs procès sous le feu des projecteurs : celui d'une partie de la gauche française qui n'a pas pris suffisamment position pour la paix (très offensif Francis JEANSON !), celui du pouvoir gaullien que certains des intervenants accusent de pratiquer un véritable génocide, celui de l'armée française qui prend violemment et ouvertement position contre l'indépendance en manoeuvrant de son côté, celui de la torture, dossier ô combien brûlant dans cette guerre, et celui très développé des protestations véhémentes contre les signataires du « Manifeste des 121 » pour le droit à l'insoumission, manifeste qui ne plaît pas, mais alors pas du tout au pouvoir en place.

Ce pouvoir a été repris en 1958 par De GAULLE alors qu'il était à terre. La Ve République vient juste de naître et déjà, selon les témoignages ici proposés, elle possède comme un arrière-goût de fascisme. Les clans politiques se déchirent. JEANSON, directement impliqué pour son action dans le Réseau portant son nom (réseau qui fournit des fonds au F.L.N.), tire à boulets rouges : « Il n'y a plus une seule famille en Algérie qui n'ait eu un de ses membres au maquis, ou torturé, ou tué par les français. Des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants de ce pays mangent de l'herbe aux frontières tunisienne et marocaine. 15 à 20 % de la population algérienne – près de 2 millions d'habitants de cette « province française » - sont concentrés dans des camps où il meurt en moyenne (rapports officiels) un enfant par jour sur un « regroupement » de 1000 personnes ; ce qui fait environ 1500 enfants par jour, au total. Faut-il que nous nous consolions en retenant le fait qu'il n'y a, dans ces camps, ni chambre à gaz ni fours crématoires ? ».

Dans ce recueil salutaire, les témoignages se succèdent avec aplomb et dignité, tous documentés. Charlotte DELBO ne commet pas l'erreur de ne choisir que des voix pour la paix, elle donne la parole, la plume plutôt, à des défenseurs de l'Algérie française, mais pour mieux les tacler. Elle met aussi en évidence des extraits revenant aux origines de la colonisation en 1830, comme pour nous rappeler que la guerre d'Algérie n'est ni un hasard ni une fatalité. Concernant le fameux « Manifeste des 121 » et de la réaction de l'Etat français, elle se contente de quelques lignes, qui sentent pourtant la poudre : « … Et le ministre de l'information interdit de citer désormais à la radio et à la télévision les oeuvres ou même seulement les noms des signataires du manifeste ». L'heure est on ne peut plus grave. Charlotte DELBO sert ici de passerelle entre les différents témoins.

Sur le terme de trahison servi par l'Etat et sa volonté d'écarter certains fonctionnaires de l'Education Nationale soutiens du manifeste, un certain monsieur Jehan MAYOUX répond avec habilité et lucidité : « M. Debré a prétendu récemment que les fonctionnaires avaient à l'égard de l'Etat des « obligations particulières ». Faut-il croire que les hommes de ma génération, en choisissant dans les années 20 une carrière administrative, ont prêté serment de fidélité à l'Etat français du maréchal ou à la Ve République du général ? M. Terrenoire a suggéré qu'ils n'étaient pas tenus de rester fonctionnaires. Soit. Mais si les républicains avaient quitté l'enseignement sous l'Empire, les gaullistes sous Pétain, comment aurait été instruite la jeunesse ? ».

La guerre d'Algérie reste l'une des plaies béantes de la France du XXe siècle. Grâce à ces lettres ouvertes scrupuleusement choisies, Charlotte DELBO ne fait pas oeuvre de mémoire puisque le recueil paraît alors que la guerre fait encore rage, mais prend position de manière très politique et avec une certaine adresse. Ce recueil est indispensable, peut-être pas pour répondre à certaines questions que l'on continue de se poser sur ce conflit, mais en tout cas pour bien comprendre le contexte politique à l'aube des années 60, et ne jamais oublier que la France a là écrit l'une des pages les plus noires de son histoire. Réédité en 2012, toujours dans la prestigieuse collection Documents des éditions de Minuit (alors encore indépendantes, avant l'arrivée de Gallimard, engloutissant l'éditeur précisément le 1er janvier 2022, mais ceci est une autre – et sombre à sa manière - histoire), ce livre est un incendie à ciel ouvert.

Cette chronique clôt définitivement un cycle Charlotte DELBO entamé dès fin 2017 sur le blog, qui se proposait de présenter l'oeuvre complète de cette immense dame. Pour diverses raisons, je m'étais fait un devoir de mener ce cycle jusqu'au bout. Avec cet ultime volet, nous voici arrivés au terme de ce passionnant voyage de plus de quatre années, qui m'a personnellement permis de voir désormais en Charlotte DELBO l'une des plumes majeures du XXe siècle, et permettre à sa voix d'être relayée par-delà la mort. Ce cycle fut peut-être l'une des plus belles aventures du blog à ce jour mais, heureusement, de nouvelles sont en cours et promettent d'être passionnantes, comme cette expérience unique et inouïe en compagnie de Charlotte DELBO que je ne suis pas prêt d'oublier.

https://deslivresrances.blogspot.com/

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Vidéo de Charlotte Delbo
Charlotte Delbo : Spectres, mes compagnons - Lettre à Louis Jouvet (France Culture / Théâtre et Cie). Texte présenté par Geneviève Brisac. Réalisation : Marguerite Gateau, avec des archives INA. En partenariat avec l’association “Les Amis de Charlotte Delbo”. http://www.charlottedelbo.org/. Conseillère littéraire : Céline Geoffroy. Enregistré au Festival d’Avignon le 18 Juillet 2013. Diffusion sur France Culture le 2 octobre 2016. Texte lu par Emmanuelle Riva. Photographie : Charlotte Delbo, via le site internet de “L'association des amis de Charlotte” • Crédits : @copyright Schwab. « Charlotte Delbo fut l’assistante de Louis Jouvet au Théâtre de l’Athénée avant d’entrer dans la Résistance. Elle est arrêtée avec son mari Georges Dudach le 2 mars 1942. Le 23 avril 1945, après vingt-sept mois de captivité dans les camps d’Auschwitz-Birkenau et de Ravensbrück, elle fut libérée par la Croix-Rouge et internée en Suède. Elle n’avait pas encore trente-deux ans. Des deux cent trente prisonnières de son convoi, elles n’étaient plus que quarante-neuf. Et Charlotte Delbo se préparait à consacrer le restant de ses jours à trouver les mots justes, à écrire des livres et des pièces de théâtre pour faire vivre la mémoire et les mots de ses amies assassinées, et de son mari fusillé. La première chose qu’elle fit, le 17 mai 1945, ce fut d’écrire une lettre. On peut imaginer dans quel état de faiblesse elle se trouvait. C’était une lettre à Louis Jouvet, qui disait : « Je reviens pour entendre votre voix. » Il y eut d’autres lettres, jusqu’à cette dernière qu’Emmanuelle Riva lira, une lettre non envoyée, non terminée, non reçue, interrompue par la mort de Louis Jouvet, en 1951. Une lettre comme un testament politique et littéraire, où le courage, la peur, le rêve et la pitié pèsent leur juste poids. » Geneviève Brisac Cette lecture de « Spectres, mes compagnons » est agrémentée d'extraits de la Radioscopie consacrée à Charlotte Delbo, produit par Jacques Chancel et diffusée le 2 avril 1974. Remerciements à Claude-Alice Peyrottes, présidente d'honneur de “L'association des amis de Charlotte”. Source : France Culture
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