Spooner (ou plus précisément, Warren Whitlove
Spooner) est le personnage éponyme du roman (quasi pavé) de
Pete Dexter.
Les premières pages s'ouvrent sur sa naissance, fin des années 50, à Milledgeville, en Géorgie. Accouchement d'ailleurs difficile durant lequel il a failli tuer sa mère (son frère jumeau n'y a pas survécu). D'emblée, on sait à quoi s'en tenir…
On découvre rapidement que
Spooner est un gamin beaucoup plus chenapan et un rien rebelle qu'il n'est très malin (son grand-père étant mort d'une ‘'attaque'', il pensait que c'étaient les indiens qui l'avaient tué).
On le voit grandir, on sourit (et rit) à ses découvertes de toutes les bêtises à faire, on le suit dans ses rencontres et ses étonnantes compréhensions des autres et de la nature humaine. On l'accompagne aussi de ville en ville, comme autant de tranches de vie, de sauts dans le temps, de boulots en tout genre, d'innombrables péripéties…
Dans la famille de
Spooner, il y a la mère Lily, prof de sociologie à ses heures, asthmatique plus fréquemment, que dis-je, allergique même au monde entier et surtout aux poils du chien Feez. Peu présente, peu aimante... Même si les choses sont plus complexes que je ne le résume, elle garde notamment un vilain arrière-goût de l'accouchement de cet enfant, de l'absence de l'autre, et peut-être a-t-elle vite fait de baisser les bras face aux bêtises et, même, à la bêtise de ce fils…
Si sa soeur et ses deux demi-frères sont des enfants intelligents, au QI même très élevé,
Spooner, non. C'est même l'inverse. Alors,
Spooner, c'est un peu la tare de la famille, le p'tit gars en qui on ne peut faire confiance… le vilain petit canard dont on ne sait que faire.
Si d'autres personnages sillonnent la vie de
Spooner (la grand-mère à cheval sur les principes ou encore son coach sportif, comme vulgaire cliché prof de sport, on ne fait pas mieux), son beau-père Calmer, ancien officier de marine, devenu prof, lui, n'est jamais très loin. Il représente la force tranquille. Homme courageux, travailleur, toujours à réparer quelque chose dans la maison, au propre comme au figuré, calme, pas très bavard, mais juste. le « sage » de cette histoire. Et sûrement aussi un de ces êtres indispensables à la construction d'un enfant.
Dès son arrivée dans la famille, Calmer remplace les carences de la mère et essaye de (re)mettre son beau-fils dans le droit chemin. (Le passage où le lecteur découvre Calmer est tellement cocasse que rien que ça mérite votre détour.)
Mais
Spooner reste
Spooner. Et chaque page est presque une anecdote de ses conneries (et de ses conséquences), ses méprises sur les choses de la vie et ses « vices et coutumes ».
Courts florilèges de ses premières années :
-Viré de la maternelle parce qu'amoureux de sa maîtresse (plus exactement, montrant un désir très éloquent… Qui a dit que
Spooner était attardé ?)
- Entrant par effraction la nuit dans la maison des voisins pour aller uriner dans les chaussures (fétichiste
Spooner ?), etc., etc.
Je vous en laisse bien d'autres pour goûter, vous aussi, à ces plaisirs d'esclaffements à en agacer vos voisins… (J'ai un peu hésité à vous citer la page 292 et les suivantes mais, finalement, par décence et pour garder mon image de lectrice ‘'sérieuse'', je m'abstiens, frustrée néanmoins…).
Lecteurs à l'humeur maussade et au teint terne, ouvrez donc '
Spooner'. Ça donne tout de suite un je-ne-sais-quoi de légèreté et de sourire à la soirée… Euphorisant presque meilleur qu'un petit verre de vin.
Malheureusement, je ne dois pas vous mentir sur l'autre part du roman…car parfois on a le vin triste…
Et la vie de
Spooner n'est pas qu'une suite de gaffes à la Gaston L.
Tout comme la lecture de
Spooner n'est pas qu'une succession de franches rigolades. Parce que le prix à payer des bévues et méprises en tout genre est de plus en plus lourd au fil des années, montant en crescendo, comme autant d'à-coups et de coups du sort presque incessants... Faut-il qu'on se rappelle qu'avec l'âge, les choses de la vie se révèlent de moins en moins innocentes, mais, au contraire, plus sombres et douloureuses ?
Alors, après avoir ri à ses bêtises, on se laisse avoir, naïvement, en tournant les pages : on veut les croire encore légères mais on se laisse prendre à la gorge par d'autres émotions : sous haute tension face aux conséquences de ses actes, submergés par l'empathie, émus par la relation avec son beau-père (et le vieux voisin), étonnés de rire encore alors que les évènements ne s'y prêtent guère et enfin, surpris par les clés (de lecture) que nous offre l'auteur lors des dernières pages…
Je me suis vite attachée à ce gamin puis à cet adulte pas toujours très futé mais sensible et décalé. On aimerait -de temps à autre- le voir plus heureux, qu'il se range des voitures ou encore pouvoir appuyer sur ‘'pause'' (et que cela lui permette d'être plus proche et aimé de son entourage ; ça, c'est pour mon côté fille fleur bleue). Mais, que voulez-vous ? N'est pas saint qui veut... (Et d'ailleurs, faudrait-il déjà le vouloir). Pourtant, j'avoue que je l'aurais bien pris sous mon aile, ce vilain petit canard (du moment qu'il épargne mes chaussures…).
J'avais découvert l'auteur
Pete Dexter avec un autre roman «
Paperboy » (très bon polar « noir », que je vous recommande au passage. Pour la petite info,
Pete Dexter a été journaliste d'investigation.).
Mais, ce roman-là est d'un tout autre genre : plus intimiste, à la fois jubilatoire et poignant. La 4ème de couv' parle du livre comme « le plus personnel » de Dexter et de
Spooner comme son « double de fiction ». Ses remerciements à la fin du roman en sont la preuve (et confirment son humour -parfois, un brin noir-).
On connaissait un premier et fameux Dexter et ses hobbies sanguinolents, on en découvre un autre, moins saignant certes (quoi que ?) mais ne manquant pas de qualités aussi. Un Dexter qui, faute de savoir manier le scalpel ou le tranchant du couteau, sait manier le verbe (je n'ose écrire ‘'avec dextérité''), jouer avec les mots -qui font mouches-, les images et les situations, comme il joue avec nos sentiments.
En plus de si bien nous croquer ces personnages (d'autres lecteurs pourraient contre-attaquer en disant qu'ils sont un peu des « clichés faciles »… mais à mes yeux, non, parce que c'est surprenant, drôle, déjanté et touchant. Je l'ai déjà dit, ça ?), c'est aussi pour lui l'occasion de nous dépeindre cette Amérique des années 60 et plus, son ambiance rétro, ses classes pauvres ou moyennes et les valeurs de l'époque (sur fond un peu raciste et conservateur.)…
Vous ne serez donc pas étonnés que je ne m'arrête pas à ces deux romans et que je salive d'avance à mon prochain Dexter…
P.S. : chers lecteurs dont je me délecte fréquemment des conseils et critiques, j'implore votre grande indulgence quant à ma première « critique ». Je ne m'y serais certainement pas risquée sans la forte pression d'un des Maîtres de la Critique Babelio. Je le remercie néanmoins pour sa patience et ses encouragements et lui dédie cette 1ère (et peut-être ultime) critique. Il saura pourquoi…