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3,77

sur 634 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La narration est assez complexe, l'histoire pas des plus simples non plus et, comme je l'ai lu il y a longtemps, je vais me contenter de quelques réminiscences.
Collages : c'est un peu la technique narrative du romancier ; nous apprenons les événements par morceaux, que nous avons parfois du mal à situer, souvent à cause des changements de focalisation.
Le personnage principal est la ville, celle de New York, et c'est à son portrait que s'attache Dos Passos, essentiellement, par petits tableaux et non à la seule description de la vie des personnages. Ce qui caractérise la ville c'est son état de décadence, dont la peinture n'est guère optimiste : le désespoir ou la fuite. Enfin, je me souviens du symbole de la frontière : le rêve américain de Jimmy Herf, qui se trouve sur la route, sans un sou et qui irait n'importe où (à l'Ouest ?).
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Je suis de retour après un voyage dans le temps, un aller retour à New-York, pas la ville que nous connaissons , mais New-York du début du vingtième siècle. Elle n'a pas tellement changé, le même bruissement, le va et vient incessant telle une fourmilière. Dans ce brouhaha John Dos Passos nous fait découvrir un univers "Manhattan Transfer" une ville et des êtres humains. Sur une période allant de la première guerre mondiale au crack boursier de 1929 jusqu'à la prohibition.
John Dos Passos nous raconte à sa manière des vies de femmes et d'hommes, des destins plus ou moins contrariés, moins linéaires que ces rues et avenues.
Nous suivons particulièrement deux personnages Elaine Oglethorpe et James Herf. Deux tranches de vie particulièrement bien décrit par Dos Passos. le point commun de ces deux jeunes gens c'est la solitude, l'ennui, l'éternel insatisfaction, ils trainent leurs mal-être dans les endroits à la mode, rencontrent des personnes pas toujours recommandables dans un début de siècle en pleine effervescence. Elaine est actrice et James Journaliste.
L'écriture de John Dos Passos est particulière, un mélange de nouveaux journalisme à la "Tom Wolfe" et le style "John Steinbeck" c'est mon ressenti. Une belle étude sociologique d'un monde et d'une ville où le " rêve américain" est en train de devenir le leitmotiv d'une société en quête de renouveau. Une belle découverte en attendant de lire sa célèbre trilogie " le 42ème parallèle " suivi de " 1919" et " La grosse galette".
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Manhattan Transfer, la foule américaine y est grouillante et anonyme, en transit. Ça n'est pourtant qu'à quelques uns de ses contemporains que s'intéresse John Dos Passos au fil de cette fresque aux allures de patchwork de vies urbaines, de mosaïque d'histoires citadines, de puzzle de scènettes humaines.

Ils sont une vingtaine, aux conditions sociales variées, débarqués là parfois via le port. De l'avocat au laitier en passant par l'actrice Ellen ou Jimmy le journaliste, le panel de ces bribes de vies est hétéroclite. On les voit en quête d'argent, d'amour, de boisson ou de travail, leurs petites histoires se tissant parfois pour constituer un ensemble plus lisible dans la Grande, la prohibition ou l'avant et l'après 14-18.
Mais si les personnages sont identifiés, le regard porté sur eux se veut neutre et objectif, on pense à une caméra en ville qui les capterait au hasard de leurs discussions, leurs déplacements ou leurs histoires. Ici pas vraiment de psychologie explicite, plutôt des faits, des dialogues (incisifs) ou des descriptions. Pourtant le profil des personnages ne manque pas de prendre du relief au fil d'un temps en ellipse, dilaté sur près de 30 ans, où l'on peut très bien retrouver l'un d'entre eux de retour de guerre quelques années plus tard, ou un autre prêt à se marier après nous avoir quitté enfant quelque chapitre plus tôt. Des personnages qui finissent par se mêler et s'emmêler, pour former l'écheveau d'une narration libre (et heureusement chronologique).

L'espace quant à lui y est immuable. Tout se passe dans cette ville américaine métallique, bruyante et poussiéreuse, rendue omniprésente par des descriptions récurrentes :« Dans la lourde chaleur, les rues, les magasins, les gens endimanchés, les chapeaux de paille, les ombrelles, les tramways, les taxis surgissaient, l'environnaient d'étincelles, l'effleuraient d'éclairs tranchants, comme si elle eût marché parmi des coupures de métal. Elle se frayait un chemin à travers une inextricable mêlée de bruits, rugueux et tranchants, en dents de scie.».
Pour autant, la ville ne semble pas être le personnage principal à elle seule, sans les êtres humains qui la composent, la font, la quittent ou la retrouvent, dont elle voit les générations se succéder : «Si j'ai mon enfant, l'enfant de Stan, il grandira pour être cahoté lui aussi le long de la 7ème avenue, sous un ciel en fer battu d'où la neige ne tombe jamais, et il regardera aussi les fruiteries, les enseignes, les maisons en construction, les camions, les femmes, les petits commissionnaires, les policemen...».
Les êtres se succèdent et la métropole reste, un siècle plus tard on n'a pas trop de mal à reconnaître New-York, ville d'acier et de lumière qui attire ou rejette, engloutit et oppresse. La description qu'en fait Dos Passos est invariablement sombre, sinistre, avec une succession d'incendies, de meurtres ou de suicides en arrière-plan.

Ce roman de 1925 est pour le moins édifiant dans sa construction en forme de mosaïque. Avec un côté moderne, intemporel. Un air d'évidence aussi, un je ne sais quoi de « mais oui bien sûr », comme on pourrait se dire d'un grand roman. Une première lecture qui m'a captivé, malgré les efforts d'attention qu'elle m'a demandé par moments... Et qui appelle sûrement à une seconde, pour une meilleure appréhension.
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Une histoire de gens venus d'horizons totalement différents, et d'un lieu, la ville cannibale de New-York au début du XXe siècle.
Le titre vient de ce que l'écartement des rails entre le continent américain et l'île de Manhattan n'était pas le même et qu'il fallait aux voyageurs changer de train. Les employés du chemin de fer criaient alors : « Manhattan transfer ».

« Manhattan transfer » résonne comme le nom d'un hall de gare où les gens se croisent, inconnus les uns des autres, mélanges d'existences bigarrées. C'est un roman fourmilière.
Ecriture cinématographique, mouvement perpétuel des protagonistes, croisements de trajectoires de vie, multiplicité des acteurs font vite perdre le fil et transformer le déroulement de l'action en une symphonie cacophonique. le bruit est un élément essentiel dans ce roman. Si l'on y est pas préparé, ce « grouillement » de vie, ce bouillon de culture, peut vite dérouter. le secret est qu'il ne faut surtout pas s'attacher à tel ou tel personnage, bien au contraire, il faut les regarder passer, chacun avec leur propre petite histoire. Il n'y a ni début, ni fin, c'est un peu comme si l'auteur avait décrit un ciel constellé d'étoiles filantes.
Immédiateté, jaillissement, absence d'horizon. le regard ne porte jamais sur l'avenir mais reste fixé sur l'instant présent dans ce qu'il a de plus spontané.
La ville de New-York est le prétexte pour John Dos Passos pour faire jaillir cette multitude d'existences.
L'auteur expérimente le style « courant de conscience », tout comme son contemporain William Faulkner, qui consiste à transmettre les pensées personnelles du personnage, notion de monologue intérieur, en les écrivant, noyées dans le corps de l'histoire, encadrées par une ponctuation adéquate. Il est l'annonciateur des « cut-up » de William S. Burroughs.
C'est un style qui participe largement à la difficulté de la lecture. C'est une oeuvre que l'on n'aborde pas comme les autres. On n'entre pas dans un roman de John Dos Passos comme dans un moulin à vents.
Traduction de Maurice-Edgar Coindreau, professeur de littérature du XVIe siècle à Princeton de 1922 à 1961 et découvreur de talents comme Steinbeck, Hemingway, Faulkner, Flannery O'connor, Truman Capote ou Dos Passos qu'il présente à son ami Gaston Gallimard.
Editions Gallimard, Folio, 505 pages.
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En relisant ce roman vingt ans plus tard, j'ai pu apprécier cette fois-ci la richesse et la beauté de l'écriture de John Dos Passos, l'un des représentants à la fois du Stream of Consciousness et de la Génération perdue. Ses personnages SONT la génération perdue. Celle qui a grandi pendant la première guerre mondiale, qui a vu la fin d'une Amérique puissante et libre tombée dans la répression - La prohibition de l'alcool - et qui est maintenant à l'aube du krash boursier de 1929.
Ellen, petite fille solitaire et charmeuse, devenue une comédienne poursuivie par les hommes, complexe, secrète, superficielle mais aussi profonde. Jimmy, riche orphelin devenu journaliste, ne sachant que faire de son existence.
Ce sont différentes strates sociales qui sont présentées ici dans ce roman ambitieux, qui se rencontrent dans les rues quadrillées de Manhattan. Tous les personnages partagent néanmoins une attitude désabusée, perdue, désireuse de se sortir de là, mais comment quitter New York, la ville ultime?
John Dos Passos pénètre dans les émotions des hommes mais surtout des femmes de son époque avec une grande acuité et sensibilité. J'ai été très touchée par Ellen, notamment, figée dans le rôle de la starlette aux pieds desquels tombent tous les hommes et qui, elle, ne parvient pas à aimer ni à être heureuse.
Le Manhattan des années 20 est dépeint avec un regard de sociologue, grouillant, multiculturel, froid et scintillant.
J'ai adoré relire ce roman, un vrai plaisir, malgré la mélancolie qu'il dégage.
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Imaginons une grosse pomme que Dos Passos tente de broyer dans un mixer vertigineux où fulgurent les lignes de fuites du pont de Brooklyn, le vacarme des steamers, l'irrisation multipliée des néons sous la pluie, la valse des affiches d'un new street art, les bruits chaotiques d'une ville bourdonnante, verticale, insomniaque, les sourdes rumeurs de la première guerre mondiale, Ellis Island, la poésie fugace et colorée des rails de métro et des jardins, des eaux lourdes de l'Hudson.... New York ville spectacle et ville refuge, pétaudière des temps modernes de Chaplin, de tous les voyages, tous les trafics, démesurée, hypertrophiée dans son luxe et sa misère, que traversent un journaliste, un marin, une comédienne, un avocat.... attirés par le fric, la violence, la couleur des rêves, ce rêve américain qui rassemble tous les continents épris de liberté, d'un nouveau monde.
Dos Passos par la technique du collage a fait de cette ruche de béton une grandiose symphonie où se tissent, d'entrelassent des vies fugitives, émiettées, disparates, fauchées ou mondaines et tellement incertaines. Chacun veut sa part de bonheur distribué à la va comme je te pousse, donne moi la salade, je te donne la rhubarbe.
Ce livre donne le tournis, roman où les humbles fleurs de rue, les couleurs du ciel brouillees, l'éclat du fleuve, rythment l'immense cacophonie de ces vies qui veulent vivre, qui réclament leur place au soleil, avec les grèves syndicales, les petits arrangement, l'art de la débrouille de Congo le pauvre marin noir devenu sur le tard un magnat New yorkais. En somme Dos Passos déplie dans un miroir la multitude et le grandiose désordre d'une ville démesurée dont il orchestre à la Berstein le bruit et la fureur, et en contre point, par fragments, distille la solitude existentielle des Nighthawks telle que l'a captée Edward Hopper. Il est difficile de faire plus americain que ce roman de Dos Passos.
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Manhattan Transfer, édité en 1925, traduit et publié par Gallimard en 1928, offre en première lecture, tous les plaisirs et toutes les inquiétudes propres à un dépaysement littéraire complet et réussi, pourvu que l'on consente tout simplement à s'y abandonner. L'écriture puissante, éminemment suggestive, de Dos Passos donne à cet imbroglio urbanistique et humain une énergie détonante où le processus narratif aussi inattendu que surprenant fait oublier toutes références à des formes romanesques familières ou prévisibles. Une expérience de lecture unique qui pourrait seulement désarçonner s'il n'y avait à la clé la découverte vibrante de l'aventure irrésistible de la construction d'une ville, New-York, de Manhattan en particulier.

Tout commence avec une maternité où deux enfants naissent le même jour et l'arrivée concomitante, du nord de l'Etat, d'un homme qui fuit sa cambrousse et cherche le chemin le plus court pour rejoindre Broadway. le lecteur est immédiatement "au parfum" : juxtapositions de vies éparses, addition de récits qui ne vont cesser de se croiser et de proliférer jusqu'à la fin du roman même s'ils peurent parfois sembler décousus. La crainte de s'y perdre cède bientôt au désir de s'y fondre. Magie d'un voyage dans un flux de dialogues dont la langue est tout sauf léchée, voilà à quoi nous convie Dos Pasos. Manhattan Transfer, c'est la transhumance des peuples, leurs mouvances singulières et multiples, souvent incertaines, imbriquées les unes dans les autres, comme autant de contributions solidaires à l'édification collective de la ville. Symbole entre celle-ci et l'ensemble de ceux qu'on y rencontre : la famille d'Ed Thatcher ; Bud et ses déboires d'ouvrier agricole ; Gus Mac Neil, le laitier à l'ascension sociale et politique fulgurante, sa femme Nellie ; l'avocat Baldwin ; Stan Emery un peu déjanté ; Jeff et Emily qui ont recueilli Jimmy à la mort de Lily Herf sa mère ; Jojo. On y parle de théâtre avec Ellen et de journalisme avec Jimmy ; de trafics avec Congo Jake et Emile ; de Wall Street et de Joe Harland ; de Ruth et Cassie et de bien d'autres que j'oublie. Peu importe leur psychologie, les voir, les entendre et les suivre au rythme où ils vont suffit à notre compréhension.

C'est en hélant un taxi ou au croisement d'une rue, au hasard des carrefours, des blocks et des avenues, des quais de débarquement, dans des cafés pouilleux, des restaurants plus chics ou des drugstores pimpants, qu'ils se rencontrent. Des faits divers, incendies (nombreux) ou accidents de la circulation, suicides, renversent les parcours. Au hasard d'embauches ou de grèves, de licenciements, de trafics illicites, de réussites spectaculaires et d'infortunes, de séparations, mariages ou de divorces, leurs vies se font et se défont, parfois poignantes jamais désespérantes. Ils boivent pas mal, fument beaucoup, s'empoignent, s'écroulent, s'aiment et se haïssent, s'invectivent et s'épuisent en parcourant Manhattan qu'ils inventent à leur tour. Car le personnage principal de cette fresque exubérante, c'est sans doute elle, l'île de Manhattan. Ici commence l'Amérique en 1928, à cet endroit exact où l'écartement des rails doit s'adapter à ceux du continent. Manhattan qui prête ses paysages urbains bruyants, ses infrastructures et son architecture balbutiante au formidable défilé d'images et de situations, d'instantanés de ce "direct" socio-urbanistique de forme littéraire empruntant aux moyens du cinéma : plans successifs, portraits rapides et incisifs, impressions fugitives. Transports. Départs. Allers-Retours. Mais aussi, ciels et intempéries, horizons dégagés ou obscurcis, saisons, sensations, odeurs et humeurs de la ville, lumières naturelle ou artificielle, affiches et enseignes, déploient page après page le gigantesque film de la ville en train d'advenir.

Ils sont tous migrants ou descendants de migrants et issus des milieux sociaux les plus divers, ce qui pourrait constituer leur dénominateur commun. L'idée de la réussite les taraude, pour certains, mais ils sont plus souvent préoccupés par leur survie alimentaire quotidienne. Roman social - roman d'une édification sociale plutôt, publié peu avant la première grande crise financière capitaliste mondiale - qui n'assène jamais de vérités mais montre la réalité sans fard. Les vies s'entremêlant sans qu'aucun dénouement ne prévale sur l'autre. Rien n'est affecté, tout n'est que mouvement. le melting-pot américain trouve ici son terreau d'origine, c'est l'histoire de ces migrants qui fait Manhattan et Manhattan qui fait leur histoire. le temps historique et politique traverse cet espace. du coup d'Agadir à Sarajevo (de leurs conséquences boursières sur Wall Street) dont les conversations se font l'écho lointain, c'est la guerre en Europe - il y a un avant et un après 14/18 - qui structure la composition du texte en trois parties. Un fragment allusif couronne et illustre chaque chapitre, en scansion régulière, rapprochant les foules humaines industrieuses, l'architecture, la fragilité des hommes et de leurs civilisations urbaines, en morceaux quelquefois poétiques, journalistiques ou musicaux.
L'oeuvre s'achève (prophétique ?) sur l'évocation de Ninive, et sur un nouveau départ de Jimmy, sans but ni destination précise. Manhattan Transfer emmène loin, bien au-delà des gratte ciels new-Yorkais.

Cinq étoiles très méritées... Respect comme on dit.




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Dix ans avant l'invention de la télévision, John Dos Passos inventait le zapping. Le procédé consistant à « engager » une troupe de personnages puis à les mettre en scène à tour de rôle, de façon récurrente, sur de très courtes séquences, le plus souvent par des dialogues sans autre introduction ou explication que l'endroit de la ville où ils ont lieu, fit de ce roman un monument qu'on étudie, aujourd'hui encore, en licence de lettres.
La troupe est nombreuse : Bud le fermier désespéré, Gus le laitier pour qui la chance tourne du bon côté le jour où il se fait renverser par un tramway, Ellen la jolie comédienne de Broadway, Ed Thatcher son père, Jimmy le journaliste, Maisie sa cousine, Georges l'avocat, Tony qui consulte (déjà) un psychanalyste, Joe le spéculateur de Wall Street condamné à la mendicité, Congo le marin qui devient bootlegger pendant la Prohibition en se faisant appeler Armand Duval, aussi comblé qu'était désespéré celui de « la Dame aux camélias », Joe le syndicaliste, Dutch le braqueur…au total une vingtaine de personnages nous accompagnent chaque fois que l'auteur leur donne l'occasion de réapparaître. Ils travaillent, ils parlent, ils rient, ils dansent, ils aiment, ils pleurent, ils boivent, ils réussissent, ils perdent, ils volent, ils mentent, ils meurent… mais la vraie, la seule vedette, c'est New York, qui, à l'époque où le roman est écrit (trois ans avant le Jeudi Noir de Wall Street), ne compte qu'une centaine d'années de développement et devient la ville dominante.
On y évoque la vie urbaine qui dévore le temps et l'énergie des habitants, les immigrants, la faim, l'alcool omniprésent, le travail qu'on cherche, qu'on trouve ou non, les syndicats qui commencent à se créer, les premières grèves, l'argent et Wall Street, les rêves de réussite et d'ascenseur social, les anarchistes, le formidable élan de la construction (bientôt le verre et l'acier remplacent les briques), les paquebots transatlantiques, l'amour, le sexe, les avortements, le divorce, l'émancipation des femmes, la guerre en Europe, les faits divers : incendies, accidents, escroqueries, vols, attaques à main armée, qui constituent un spectacle quasi permanent dans les rues et qui nourrissent les journaux qu'on s'arrache. Il y a aussi la Prohibition qui nous ramène à l'alcool, vraiment très présent même quand il est interdit. On regarde ou on subit la publicité qui envahit les devantures et qui scintille dans la nuit, « Il allait par la ville aux fenêtres resplendissantes, la ville aux alphabets bouleversés, la ville aux réclames dorées ». On sent les murs de la chambre vibrer à chaque passage du métro aérien, on respire les vapeurs d'essence, la poussière, l'enthousiasme et le découragement : « Il se sentait fatigué, malade, lourd de graisse. Un garçon de courses à bicyclette passa dans la rue. Il riait et ses joues étaient roses. Densch se vit, se sentit pendant une seconde, mince, ardent, à l'époque où, bien des années auparavant, il descendait Pine Street, au galop, nu-tête, en guignant les chevilles des femmes. »
On admire au loin « la statue de la Liberté. Une grande femme verte, en peignoir, debout sur un îlot, le bras en l'air.
_ Qu'est-ce qu'elle tient dans la main ?
_ C'est une torche, mon chéri...La liberté éclairant le monde »... et on arpente Manhattan dans un tourbillon, passant de Broadway à Battery Park, déjeunant à l'hôtel Astor, assistant à un match de boxe à Madison Square Garden, attendant, au bord du quai, le Mauretania à défaut du Titanic ou changeant de train à Manhattan Transfer. On ne s'ennuie jamais, on partage espoirs et désillusions ainsi que l'épuisement de ceux qui marchent et piétinent le long des avenues ou dans les couloirs du métro. On est heureux de s'asseoir au bar avec eux et, comme un touriste ravi, d'avoir profité pleinement de cette magnifique promenade dans le temps et dans « la ville qui ne dort jamais ».
Il est temps de refermer le livre, un des personnages quitte la ville dont il a épuisé les joies et les peines. C'est le petit garçon qui admirait, autrefois, la statue de la Liberté avec sa maman. « le soleil levant le trouve en marche sur une route cimentée entre des terrains vagues pleins de détritus fumants. Il a faim. Ses souliers commencent à faire gonfler des ampoules sous ses gros orteils. A un carrefour, il y a un dépôt d'essence et en face un wagon-lunch, The Lightning Bug. Il emploie soigneusement son dernier quarter à déjeuner. Il a encore trois cents pour lui porter bonne chance, ou mauvaise. Un grand camion d'ameublement, brillant et jaune, vient d'arriver. « Dites-moi, voulez-vous me permettre de monter ? demande-t-il à l'homme aux cheveux roux qui tient le volant.
_ Vous allez loin ?
_ Je ne sais pas trop…assez loin. »
On imagine un vagabond, on pense aux milliers d'autres qui prendront la route en 1929, à Chaplin, et finalement on se souvient qu'on est en Amérique, que demain est un autre jour et que tout est encore possible pour Jimmy. Qui peut dire qu'il ne se relèvera pas ?
Manhattan Transfer est bien un monument, un peu à la manière du Flatiron Building, étrange et singulier mais tellement emblématique de la cité, un monument qui vaut vraiment la visite !
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Voilà un roman pour le moins original ! Il dresse un portrait de New York au début du XXe siècle, en entremêlant dans un même chapitre de courts tableaux (certains d'une ou deux pages seulement) décrivant des tranches de vie d'individus d'origines et de conditions parfois très différentes. On découvre par bribes successives les destins des protagonistes principaux : George l'avocat, Ellen l'actrice, Jimmy le journaliste, Congo le trafiquant, et une multitude d'autres qui traversent le roman. Parfois difficile à suivre, mais c'est cette construction particulière du récit qui rend compte du tourbillon incessant de la ville, qui est de fait le personnage principal. C'est pour Dos Passos l'occasion de dénoncer la course à la réussite sociale de ces individus perdus dans la foule anonyme, tentant de lutter contre l'indifférence, la précarité, l'insécurité et donner un sens à leur vie. le ton général est très pessimiste, et toute entreprise volontaire est vouée à l'échec. le destin, le temps, la fatalité, le hasard, Dieu (on l'appelle comme on veut) met in fine tout par terre. Cette vision de l'Amérique est aux antipodes de l'image commune d'une nation conquérante et volontaire, mais ô combien d'actualité. Un vrai plaisir de lecture, d'une modernité époustouflante.
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Je ne m'attendais pas à un livre si beau et si prenant. Dos Passos brosse une fresque sur le New York des années 1890 à 1920, mais il ne s'agit pas d'un roman traditionnel, centré sur un personnage ou éventuellement une famille: à travers des scènes de la vie d'une dizaine de femmes et hommes issus de différentes classes sociales durant cette trentaine d'années, on circule dans bien des milieux et bien des endroits de la métropole. Certains des personnages se connaissent ou seront amenés à se connaître au fil du roman, d'autres pas; Dos Passos évite soigneusement toute intrigue, tout romanesque pour simplement juxtaposer ces moments d'existence. Nul autre intérêt ici que la vie des êtres humains et la vie de la ville.
La ville, justement, compte beaucoup ici, comme si elle était en réalité le protagoniste: Dos Passos décrit par petites touches les rues, les intérieurs, les bars, les hôtels, les restaurants, les ports... Tous les sens sont convoqués: on voit, on entend, on sent New York. le décor de cette métropole, sa dureté aussi, sont magnifiquement rendus par un style sobre, sans clinquant ni effets, souvent poétique, quoique discrètement.
Même sobriété dans la peinture des personnages et de leurs émotions: bien des moments sont tragiques ou au contraire comiques, mais l'auteur sait faire ressortir cela sans appuyer, sans pathos ni burlesque intempestif. La joie comme la peine, constamment présentes, n'en ressortent sans doute que plus fortement.
Un magnifique pendant "nordique" aux romans "sudistes" de Faulkner, de la même époque, dans une même veine moderniste.
(Et pour moi, une cure de belle et bonne littérature après l'assommante "Tragédie américaine" de Theodore Dreiser - cf. ma critique de cet ouvrage sur ce site.)
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