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Georges Duhamel (édition de 1916).
A priori, j'étais intrigué par la dimension médicale qui prévalait durant cette guerre; l'iode, l'alcool et la liqueur de Dakin, comme antiseptique pour traiter les plaies ouvertes et infectées, pas de pénicilline (découverte en 1928 et utiliser que durant la 2e guerre mondiale), peu d'analgésiques. Ce n'était pas le bon livre. Mais quelle surprise de trouver, dans ce petit livre d'à peine 99 pages, autant de respect et de douceur manifestés par un médecin vis-à-vis ses semblables gravement blessés ou agonisants.
C'est très bien écrit et je dirais que c'est un des meilleurs livres que j'ai lu. de plus, ce qui m'a impressionné, tout au long de ce récit, c'est comment la simplicité de ce texte permet de faire ressortir, avec beaucoup de force, les sentiments et les émotions de l'auteur et des blessés. On ressent avec acuité, au fil des pages, la grande compassion de ce médecin pour ses « poilus » et que, chaque page émerge, d'un vécu qui a profondément marqué
Georges Duhamel. C'est un livre qui m'a beaucoup touché. Un jour, une amie, sur Babelio, m'a écrit cette petite phrase « Je suis d'une insatiable curiosité et peux m'intéresser à tout, tout va dépendre de comment on m'en parle. » C'est exactement ce que j'ai ressenti à la lecture de ce livre.
En fait ce grand livre relate plusieurs expériences de vie avec des blessés ou des mourants. Il y a peu de description des plaies, car c'est la dimension humaine qui prime et, à certains endroits, avec humour (une discussion avec un normand m'a fait penser à un roman de
Fred Vargas). La souffrance, la peur, l'incertitude du regard, l'angoisse, l'espoir, la mort et la peine sont décrits avec beaucoup de respect et sans jamais aucun jugement.
J'ai pensé rendre justice à cet auteur (aussi pour vous titiller) en ajoutant ces citations.
« Naguère, la mort était l'étrangère cruelle, la visiteuse à pas de laine... Aujourd'hui, c'est le chien fou de la maison.
Naguère la mort ne faisait pas partie de la vie. On parlait d'elle à mots couverts. … Elle opérait autant que possible dans l'ombre, le silence et la retraite. On la déguisait par des symboles ; on l'annonçait avec des périphrases laborieuses et empreintes d'une sorte de pudeur.
Aujourd'hui, la mort est intimement mêlée aux choses de la vie. Et cela est vrai, moins encore parce qu'elle fait quotidiennement une besogne immense… parce qu'elle est devenue une chose trop commune pour suspendre, comme elle le faisait autrefois, les actes de la vie : on mange et on boit à côté des morts, on dort au milieu des mourants, on rit et on chante dans la compagnie des cadavres. »
« C'est un bien naïf besoin d'égalité qui nous fait dire que les hommes sont égaux devant la souffrance. Non ! Non ! Les hommes ne sont pas égaux devant la souffrance. Et, comme nous ne connaissons de la mort que ce qui la précède et la détermine, les hommes ne sont même pas égaux devant la mort. »
« Bien sûr, il n'a pu éviter quelques grimaces. Alors le sergent lui a demandé :
— Veux-tu apprendre la chanson des cochons qui pètent ?
— Comment qu'elle est faite, ta chanson ? le sergent commence, d'une voix suraiguë :
Quand en passant dedans la plai-ai-ne On entend les cochons péter, Cela prouve d'une façon certai-ai-ne Qu'ils n'ont pas l'trôôô du... bouché. »
« Mais je ne voudrais pas me faire passer pour un héros.
— Mon ami, on ne te demandera pas ton avis pour te juger et t'honorer. Il suffira de regarder ton corps. »
« Pas une ride de votre visage ne m'échappe ; pas une de vos angoisses, pas un frémissement de votre chair lacérée. Et j'inscris tout cela, comme j'inscris vos paroles simples, vos cris, vos soupirs d'espoir, comme j'inscris aussi l'expression de votre visage, à l'heure solennelle où l'on ne parle plus. »
« On dit comment vous supportez le tourment des champs de bataille, comment, dans la boue décourageante et le froid, vous attendez l'heure du cruel devoir, comment vous vous portez au devant du coup mortel, à travers l'inouï concert des périls.
Mais vous arrivez ici promis à d'autres souffrances encore; et, celles-là, je sais de quel coeur vous savez les endurer. »
« Grégoire ne sait pas souffrir comme on ne sait pas parler une langue étrangère. Seulement, il est plus facile d'apprendre le chinois que d'apprendre le métier de la douleur.
Quand je dis qu'il ne sait pas souffrir, j'entends qu'il souffre, hélas, beaucoup plus que les autres... Je connais la chair humaine, et il y a des signes qui ne me trompent pas. »
« Dans l'intimité, Léglise m'a confié, avec hésitation:
— Ils ne voudront peut-être pas mêla donner, la médaille...
— Et pourquoi donc ?
— J'ai été puni : il manquait des boutons à la capote d'un de mes hommes.
Ô mon ami, enfant scrupuleux, pourrais-je encore aimer les gens de notre pays s'ils se rappelaient, une seconde, ces malheureux boutons?
Il dit gravement : « mes hommes ! » Alors je considère sa poitrine étroite, son mince visage, son front puéril creusé du pli sérieux qui accepte toutes les responsabilités, et je ne sais comment lui témoigner mon amitié, mon respect. »
« J'entends encore ce petit garçon vidé de sang me dire avec une voix suppliante : « Sauvez-moi, docteur! Sauvez-moi, pour ma mère... » et je pense qu'il faut avoir entendu ces phrases-là dans de tels endroits pour les bien comprendre, je pense qu'il faut tous les jours se faire une idée plus exacte, plus stricte, plus pathétique de la souffrance et de la mort. »
« Oh ! j'ai bien pensé qu'il allait mourir. Mais cette souffrance-là veut être soufferte toute entière ; elle n'étourdit même pas ceux qu'elle accable. »
« Il a mis deux jours à mourir. On lui disait : « Veux-tu quelque chose ? » Et il répondait avec des lèvres blanches : « Je vous remercie. » On s'inquiétait : « Comment vas-tu ? » Et il était toujours satisfait : « Ça va fort bien. » Il mourait avec une discrétion, une espèce de modestie, un oubli de soi-même qui rachetaient tout l'égoïsme du monde. »