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A. Messein (01/01/1925)
3.83/5   29 notes
Résumé :

En 1887 paraît ce petit roman de facture inédite et au destin surprenant. Pour la première fois un récit s'écrit du seul point de vue des pensées du narrateur, Daniel Prince, accessoirement entiché d'une comédienne. De six heures du soir à minuit, on le suit dans ses pensées les plus intimes en même temps que dans ses préparatifs vaguement amoureux. « Lisez Les lauriers sont coupés ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Il arrive fréquemment qu'on découvre les écrivains non directement, mais à travers l'oeuvre des confrères qui les ont prolongés. Et puis un jour, on rencontre l'original. Je me souviens d'avoir été très admiratif du Leutnant Gustl d'Arthur Schnitzler et, en général, de sa technique du monologue intérieur qu'il a certainement contribué à porter à son point le plus élevé de perfection. C'était il y a une quinzaine d'années, et j'avais environ vingt ans. Un peu plus tard, j'ai découvert Alain Robbe-Grillet et Michel Butor qui sont de grands écrivains, quoi que répètent les imbéciles d'hier et d'aujourd'hui qui bêlent ce qu'on leur dit de bêler suivant l'air du temps (hier, pour se donner l'air mariole, obligation de les encenser; aujourd'hui un "connaisseur" doit forcément y aller de son commentaire méprisant - c'est pitoyable!)

D'ailleurs, je vais ouvrir ici une brève parenthèse au passage: admirer et critiquer est à la portée de tous quand on ne sait pas de quoi on parle. Il est très difficile de parler en mal de chefs-d'oeuvres comme le Degrés de Butor ou le Souvenir du Triangle d'Or de Robbe-Grillet une fois qu'on les a lus. Alors, certainement il y aura des imbéciles pour soulever le fait qu'ils étaient de gauche, de gauche caviar, même, et des satellites de 68, bref tout ce que je suis censé détester. Seulement, ça ne marche pas comme ça. La valeur d'une oeuvre, quand elle en a une, est absolue. Et si vraiment on me classe à droite (je ne suis pas de gauche, c'est certain), alors je m'approprierai la réponse de Jean Dutourd à Jacques Chancel qui lui demandait: "Mais y a-t-il vraiment des intellectuels de gauche et des intellectuels de droite? - Oui, expliqua Dutourd: un intellectuel de gauche, c'est un type qui vous fait taire; un intellectuel de droite, c'est un type qui vous écoute". Evidemment, tout le "Nouveau Roman" n'est pas sauvable; ce n'est heureusement pas un mouvement homogène: la minable production de Nathalie Sarraute est bonne à jeter intégralement. J'ai lu l'autre jour sur Wikipedia cette aberration que "les deux chefs de file du Nouveau Roman", c'étaient Robbe-Grillet et Sarraute. Cette stupidité de mauvaise foi ne laisse aucun doute sur son mobile idéologique et communautaire, mais elle n'illusionne personne. Historiquement comme artistiquement, les deux chefs de file du Nouveau Roman étaient Butor et Robbe-Grillet. Je referme la parenthèse.

Retour à Dujardin: avec Les Lauriers sont coupés, roman que j'ai découvert en lisant Valery Larbaud, j'ai rencontré l'original, le précurseur de Leutnant Gustl et des Gommes, le père du monologue intérieur, ce procédé qui fait surgir tout un univers mental et social à travers le développement des rapports entre les êtres, entre les choses, non par la description, mais par la déduction. Tout y est des techniques révolutionnaires qui seront reprises tant de fois par la suite: les ellipses du fragmentaire qui laisse l'imagination du lecteur combler les trous, les descriptions infinitésimales… C'est génial, et assez beau. Les successeurs que j'ai cités se chargeront de mûrir et de perfectionner la technique.
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Mon objectif dans cette lecture, c'était de vérifier la nature du rapport entre la description matérielle – du cadre extérieur – et le monologue intérieur – imitation du flux de la pensée – sachant que ce roman constitue l'acte de naissance de celui-ci.
Il m'apparaît que le monologue intérieur est une dérivation directe de la description matérielle, et non un substitut, une forme stylistique qui se caractérise également par une syntaxe très hachée, très peu verbale, et une ponctuation particulière, où le point-virgule a la part belle.
L'ouvrage n'est pas écrit entièrement en monologue intérieur. En vérité, les dialogues sont encore très présents, car la narration se déroule de façon contemporaine à l'action – au cours d'une soirée ; les descriptions des gestes et actes du protagoniste s'y mêlent également, ce qui constitue une contradiction flagrante avec le monologue intérieur ; de plus, le ch. 5 se compose en grande partie d'extraits de lettres, donc de textes écrits : autre dérogation au genre.
Mais Dujardin doit avoir senti qu'il tenait là quelque chose d'intéressant, dont il essaya de multiples variations en y revenant encore et encore. le passage de l'endormissement du héros est célèbre et indiscutablement habile – drôle aussi, puisque, dans les bras de l'aimée, monsieur Prince risque fort de prononcer tout haut le nom d'une autre, à moins qu'il ne l'ait fait... –, mais personnellement j'ai trouvé que le plus abouti en absolu est le passage suivant, qui s'inscrit dans la description du trajet entre la maison du héros et celle de Léa au son d'une musique de rue. On notera l'introduction d'une partition musicale en miniature, ainsi qu'un usage impressionnant des répétitions, qui peuvent être interprétées de deux manières : comme la reproduction d'un rythme musical ou bien, surtout, comme une très efficace description de la pensée qui se développe par assonances et glissements successifs de métaphores (ce qui correspond bien à une pensée désinvolte) :

« […] un chant d'orgue de Barbarie, un air à danser, une sorte de valse, le rythme d'une valse lente... [miniature de deux mesures de partition] … où est l'orgue de Barbarie ? derrière, quelque part, j'entends sa voix criarde et douce... "j't'aim mieux qu'mes dindons"... un chant qui va et recommence... [trois mesures] … le calme d'une voix qui naît, sous un paysage calme, dans le calme coeur amoureux, et le désir très contenu d'une naissante voix ; et la voix répondante, équivalente et plus haute, ascendante, calme et ténue, ascendante en le désir ; et encore elle qui s'élève ; la croissance du désir ; sous le site toujours naïf et dans ces naïfs coeurs, l'ascendance monotone, alternée, calme, d'une très douce angoisse ; le simple doux chant qui s'enfle et le simple rythme ; entre les feuillages frais, parmi la sourdine des bruits quelconques, voix grêle, s'enfle le chant criard et doux, la monotone litanie, le fixe rythme des lentes danses ; et surgit l'amour... » (p. 71).

Je voudrais conclure par la trame du roman, qui ne me paraît aucunement ancillaire au procédé d'expression qui, naturellement, retient les lecteurs avertis depuis que sa renommée est établie. Les états d'âme et oscillations de sentiments d'un jeune homme condamné à un amour avec une demi-mondaine sans réciprocité, évidemment, pour des raisons structurelles liées au système matrimonial en vigueur à son époque, sur une durée qui s'étend entre quelques heures avant le rendez-vous et le douloureux Au revoir, se prêtent particulièrement bien au monologue intérieur, c'est-à-dire à une description d'âme tourmentée. L'amour non partagé à l'heure du rendez-vous, ça fait une sacrée action mentale !
Sans doute les auteurs successifs auront vite deviné qu'il eût suffit de supprimer la synchronie pour épurer le procédé de ses contradictions.
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Drôle de destin que celui de ce petit livre de Dujardin qui passe totalement inaperçu à sa sortie. Dix ans après sa parution, l'auteur décide de le retoucher et c'est cette nouvelle édition qui tombe un jour entre les mains de James Joyce. le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il s'en souviendra : quand, en 1922, paraît Ulysse dans son intégralité, Joyce avoue avoir été très fortement influencé par Les lauriers sont coupés. Il rend donc à César ce qui appartient à César. Eh oui, c'est que Dujardin, avec ce roman, invente le monologue intérieur - et ce n'est pas rien ! du coup, c'est un livre à lire plus par curiosité qu'autre chose, je dirai. Pas mauvais-mauvais, mais on voit que Dujardin a du mal, qu'il tâtonne - ce qu'on peut tout à fait comprendre, il est tout de même en train de poser les bases d'un nouveau genre, et il a tendance à se perdre. Il ne sait pas trop comment faire pour ne pas décrire son personnage et ses actions, alors on croise parfois des "je toque à la porte" (ce qui n'a aucun sens mais on lui pardonne) ainsi qu'une fiche descriptive à la fin du roman. Plus amusant, on trouve aussi une scène d'endormissement qui ne tardera pas à devenir un topos du genre.
L'histoire en elle-même n'a rien d'extraordinaire : le narrateur entretient une jeune actrice et se plie à ses désirs. Oui, une phrase suffit pour résumé ce petit roman où il ne se passe au final pas grand chose.
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Quel curieux livre ! Court, sans intrigue, avec peu de communication entre les personnages. Je ne connaissais pas l'auteur de ce roman. le procédé narratif m'a rendu perplexe au premier abord. Toutefois au fil des pages je me suis prêté à ce qui m'est apparu comme une innovation littéraire. La forme d'écriture - le monologue intérieur - est déroutante. le lecteur est projeté dans les pensées du personnage principal à propos des conduites à tenir dans la relation amoureuse platonique qu'il a avec Léa. Ces pensées s'inscrivent dans un fonctionnement mental, jamais en repos, où s'interposent furtivement les fragments des décors, situations et objets rencontrés dans sa promenade ou dans ses occupations familières. Ce monologue est une mise à plat d'un tournis mental dont aucun d'entre nous est épargné. le style d'écriture plutôt haché, réussit à traduire les mécanismes de ce fonctionnement mental par le recours à des énumérations juxtaposées d'actes usuels accomplis, d'objets aperçus, d'éléments d'ambiance du milieu urbain. le mental du personnage crée une réalité perçue par sa seule subjectivité. En cela ce roman est très éloignée des livres réalistes et naturalistes de la fin du 19éme siècle.
le monologue intérieur ne porte pas sur une introspection personnelle pour expliquer ce qui motive le personnage à agir de tel façon plutôt que de tel autre. Néanmoins le lecteur dispose des matériaux du livre pour analyser et comprendre le personnage principal. Son amour platonique me semble révéler une personnalité en attente d'une passion physique et sexuelle. Pourtant son ambivalence est un frein qui le rend inactif. Elle me paraît dissimuler sa crainte de la femme et du sexe, son manque de confiance en ses caractéristiques masculines et une vie repliée sur lui-même.
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Très bel exercice de style pour ce court et poétique roman
Il nous entraîne en cette fin de 19ème siècle ou les passions sont enfouies, tues, mais douloureuses au possible
Un bel érotisme tiens le lecteur en haleine et surtout le héro de ce livre qui nous entraîne au plus profond de ses nobles ingénues pensées.
Un moment de fraîcheur littéraire
Un admirable tableau romantique et impressionniste
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Les bougies sont allumées sur la cheminée; voici le lit blanc, moelleux, les tapis; je m'appuie sur la croisée ouverte; dehors, derrière moi, je sens la nuit; la nuit noire, froide, triste, lugubre; l'ombre où les apparences bougent ; le silence où bruissent des sables; les longs arbres tassés en noir; les murs vides, et les fenêtres obscures d'inconnu et les fenêtres éclairées, inconnues; dans la pâleur du ciel, ce trépidement des yeux pleurards des étoiles; le secret des ombres opaques,ténébreuses, mêlés en quelque chose de formidable; ah! là, quelque chose d'ignoré, de formidable...
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Video de Edouard Dujardin (2) Voir plusAjouter une vidéo

Robert Bordaz
- Robert BORDAZ, conseiller d'Etat et PDG du centre Georges POMPIDOU : son goût pour les lettres et les arts, ses études d'économie, les milieux littéraires des années 30, ses amis écrivains : Charles DU BOS, Ramon FERNANDEZ, Edouard DUJARDIN. Son action en tant que directeur général de la RTF (1962-1964), a créé la deuxième chaîne télévisée, les productions auxquelles il a...
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