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sur 1405 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Plan américain : un petit garçon au piano. Sous l'oeil complice de sa mère Anne Desbaresdes, il se soumet à contrecoeur à l'autorité de sa professeure. Hors champ : un cri de mort. Une femme est assassinée par son amant dans le café d'en bas. Un événement-catalyseur pour Anne qui n'aura de cesse de revenir sur la scène de crime.
 
J'ai peut-être déjà lu L'amant quand j'étais ado, mais je n'en suis pas certaine. Je dirai donc que Moderato cantabile est mon premier rendez-vous avec Duras, mais assurément pas le dernier. Un court texte très poétique et cinématographique, grâce aux nombreux dialogues, aux descriptions des regards et des gestes et à celles des lieux en bord de mer. Une atmosphère à couper au couteau et une grande réussite pour ma part.
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Ce roman, quel chef-d'oeuvre !

150 pages de tension grandissante. Des questions redondantes.

Marguerite DURAS n'explique pas, le lecteur interprète, devine, invente, suppose, s'énerve, s'inquiète, se ronge les ongles, ou savoure puis doute ou bien il peut-être est sûr de lui, tout dépendra du lecteur.

Quelle expérience, et j'ai eu ici la même impression qu'après avoir lu L'AMOUR de la même autrice. Une sensation de ne pas avoir tout compris évidemment, de m'être perdue entre mes suppositions et la vérité plausible, d'avoir eu par-dessus tout, un grand plaisir d'être autant dans l'expectative, de m'être laissée prendre au jeu.

Qui est donc cette Anne Desbaresdes ? Elle n'est plus que mère, assez riche, elle est perdue, et à ce moment de sa vie elle est fascinée par la mort d'une femme.

L'ivresse dûe au vin lui permet d'être au dehors d'elle-meme, de sortir de sa condition de femme issue de la bourgeoisie…

Elle est obsédée par le crimes passionnel dont a été victime une femme alors que son fils prenait sa leçon de piano. 

Comment la morte a-t-elle su à ce point ce qu'elle désirait d'elle et de l'homme à qui elle demandait d'ôter la vie? Alors Anne interroge Chauvin à chaque fois qu'elle retourne au café. 

Enfin, c'est ce qu'elle aime entendre se faire raconter par Chauvin, jeune homme énigmatique qu'elle rejoint au café sur le port pendant que son fils joue dans la rue après ses leçons de piano.

Est-ce que c'est ce qu'elle demande à Chauvin pour elle-même ? 

Et cette professeure de piano Madame Giraud, qui crie, qui hurle, qui est autant frustrée que frustrante.

Ce jeune garçon, l'enfant, qui ne fait que réprimer son désir lui, d'arrêter le piano, mais non, il faut continuer, il faut suivre les codes de la société dans laquelle il grandit.

J'ai vraiment été très sensible à ces dialogues, cette lenteur, ces non dits, la gestuelle, les sons, le vent, la lumière. 

Un coup de coeur !

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 Même si je prévois parfois l'ordre de lecture dans une pile de livres en attente, je déroge très souvent à mes choix initiaux. Lorsque je termine un livre, je suis aussitôt saisi par le plaisir procuré par le choix de ma prochaine lecture. La sélection est souvent difficile, car plusieurs critères rentrent en compte. Mon premier mouvement est en faveur d'un livre susceptible de prolonger l'agréable sensation suscitée par le précédent, je cherche alors un autre titre du même auteur. Lorsqu'il s'agit d'un essai ou d'un livre d'histoire, j'ai envie d'approfondir les thèmes étudiés et de mettre à profit mes connaissances fraîchement acquises pour les confronter avec la thèse d'un autre auteur. Un critère purement matériel vient cependant pondérer mon enthousiasme ; lorsque je viens de terminer la lecture d'un texte exigeant sur le plan de la concentration ou très long, j'ai envie de me rafraîchir avec un texte court et plus léger. Ainsi, après "l'introduction à l'histoire de l'Antiquité", thème passionnant, mais en même temps assez aride, j'ai eu envie de passer au roman et si possible avec une histoire relativement brève pour me permettre de reprendre mon souffle. Après avoir fureté dans ma bibliothèque et feuilleté quelques pages ici où là parmi mes Josef Conrad, Patrick Modiano ou Jean Genet, et après avoir éliminé Amélie Nothomb dont j'ai déjà lu pas mal de livres, j'ai jeté mon dévolu sur un petit livre de Marguerite Duras au titre original : "Moderato Cantabile".

 Je ne connais pas bien cette auteure, je n'avais lu jusqu'alors qu'un seul de ses livres "Le square". Ce n'était pas pour moi une révélation, mais j'y avais trouvé de quoi alimenter ma curiosité au point d'envisager la récidive. Après la lecture du premier chapitre de "Moderato Cantabile" j'ai eu l'impression de commencer un recueil de nouvelles, un peu dans le style d'Hemingway, celui de "Paradis perdu" qui commence, après une courte introduction laissant entrevoir une ambiance un peu étrange, par une scène de dialogue entre des personnages qui garderont, jusqu'à la fin de l'histoire, une grande part de leur mystère. Ce premier chapitre de "Moderato Cantabile" pourrait se suffire à lui seul, tant il résume bien le livre. Il met en parallèle deux événements l'un relevant de l'anecdote, un enfant met une certaine mauvaise volonté à suivre les consignes de son professeur de piano, et l'autre relevant du drame ; un crime glauque est commis dans un bar. On en apprendra pas beaucoup plus au cours de la lecture des autres chapitres. Marguerite Duras ne raconte pas une histoire, elle peint une ambiance, décrit une atmosphère étrange avec peu de personnages conversant à demi-mot, presque toutes les scènes se déroulent dans un bistrot, rendez-vous des ouvriers du port situé non loin. Les scènes se répètent comme un thème musicale, des phrases reviennent souvent sous différentes formes, "un verre de vin, demanda-t-elle", "Il commanda du vin...", "Elle avala une gorgée de vin...". le décor est assez sinistre, les personnages un peu suicidaires et l'auteur dessine progressivement le tableau d'une sorte de labyrinthe, le ton est désespéré, on entend comme une plainte déchirante issue d'une souffrance indicible mais rien n'est clairement dit. Ce texte, dont le titre évoque l'univers musical, doit peut-être s'apprécier comme telle, une composition provoquant l'émotion des auditeurs sans raconter réellement d'histoire. C'est une musique ou une peinture lugubre, faite de nuances de gris. Il n'y a rien avant ni après, c'est un récit elliptique ou domine les non-dits, une voie sans issue. le style est minimaliste. Sans doute, faut-il interpréter ce récit à l'aune des autres ouvrages de Duras que je ne connais pas encore. Ce qui est certain, c'est que cette oeuvre à le mérite de surprendre le lecteur par sa tonalité très particulière. On reste un peu en suspend, comme après l'écoute d'une oeuvre musicale, on perçoit l'ambiance, on éprouve des émotions, mais on ne comprend pas tout. Il est vrai qu'un portraitiste de talent n'a besoin que de quelques traits pour s'exprimer.

Bibliographie :

"Moderato Cantabile", Marguerite Duras, Les éditions de minuit, format poche (2015), 159 pages. le récit est complété par des articles de presse rédigés au moment de la parution du livre en 1958.
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"Moderato Cantabile" est un roman de Marguerite Duras publié en 1958. C'est un de mes préféré car les leçons de piano accompagnent la musique des mots. Si l'écriture de Duras est simple et dépouillée, la façon dont elle aborde des thèmes profonds à partir d'un fait divers est tout à fait exceptionnelle et propre à l'auteure.

Anne Desbarèdes emmène son fils à sa leçon de piano du vendredi dans un appartement du port. Elle mène une vie bourgeoise sans doute trop bien organisée. Elle aime son enfant dans ses entêtements, ses oppositions farouches à l'autoritarisme du professeur de piano; elle aime cette vie difficile qu'il lui impose, même si elle ne sait comment s'y prendre pour lui faire aimer ces leçons et lui faire accepter la nécessité d'obéir.

Alors qu'elle attend avec lassitude que se termine la séance musicale, elle assiste d'un peu loin, à l'assassinat d'une jeune femme par son amant dans un café voisin. Dès lors, dans son existence saturée d'ennui, Anne va se laisser envahir par une forme de fascination plus ou moins morbide autour de ce drame passionnel. Jour après jour, inlassablement, elle va revenir sur les lieux du crime pour y retrouver Chauvin qu'elle a rencontré par hasard dans le café juste après le drame.

Tout en subtilité, l'histoire d'Anne Desbaresdes est une histoire de sexualité réprimée, de désirs inassouvis. Seule l'ivresse par le vin rouge lui permet peu à peu d'essayer de concevoir l'idée de la jouissance féminine et d'en tenter l'approche pour, à la fin, y renoncer, incapable de se libérer des contraintes qu'elle s'impose à elle-même.
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🎶 Moderato cantabile ça veut dire modéré et chantant. Bien que sa professeure et sa mère le lui rappellent constamment, l'enfant ne veut pas comprendre. Mais il doit apprendre ses gammes. Et tous les vendredis, la même scène se répète, on lui pose la question, et c'est le même vide qui s'impose à ses interlocutrices. Vraiment, c'est incroyable. Un jour pourtant, un cri vient déchirer la routine hebdomadaire, un cri puissant et qui s'arrête net. Une femme, tuée dans le bar sous l'appartement de la professeure. Par son amant. En plein coeur.

🎶 Moderato cantabile, ça veut dire modéré et chantant et c'est ainsi que la vie de chacun devrait être : toute en mesure et retenue. Mais comment faire lorsque l'inconnu surgit, lorsqu'il renverse tout sur son passage, lorsqu'il bouscule la mécanique quotidienne ? La leçon hebdomadaire devient alors le prétexte d'une rencontre, dans ce même bar où l'irréparable a été commis, et les deux amants, le mère et l'homme, s'y retrouvent pour boire du vin et parler. S'enivrer pour se livrer et discuter. de ce qui est, de ce qui pourrait être ? Parler pour tout dire ou pour ne rien dire, comment savoir ?

🎶 Moderato cantabile. Les mots n'ont plus de sens, sinon les actes. Les dialogues sont sourds, la raison vacille, et seul reste le désir, interdit, prohibé, malvenu, dans ce bar qu'une Dame ne devrait pas fréquenter, avec cet homme qu'elle ne devrait pas regarder. Oui, elle devrait être une dame, être à l'heure, elle devrait rentrer chez elle et ne pas boire, prendre du saumon quand on lui en propose, ne pas bâiller, ajuster sa robe quand son décolleté se fait trop plongeant, elle devrait répondre quand on lui parle. Mais elle s'essouffle d'être celle qu'elle n'est pas, alors la nuit, elle laisse les lumières allumées pour celui qui la regarde, la nuit elle ne ment plus, la nuit elle espère parfois, et à l'image de ce magnolia qui l'étouffe dans ce jardin si bien arboré et soigné, elle tue celle qu'elle rêve de ne plus être... avant que le petit jour se lève à nouveau.

🎶 Moderato cantabile ... un coup de coeur comme je les aime ❤️ !
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Un livre court, un peu plus de 120 pages, lu et relu, pour m'imprégner de cette atmosphère extraordinaire.
Le récit a une trame simple, mais comme toujours chez Duras, les niveaux de lecture et l'ouverture des possibles sont à l'origine d'un monde complexe et poétique.
Une femme, Marie Desbaredes, qui accompagne son enfant à une leçon de piano est le témoin d'un meurtre d'une femme par son amant dans un bar voisin. Elle reviendra régulièrement sur les lieux avec son enfant et cherchera avec Chauvin, un homme rencontré dans le bar, à comprendre ce qui a pu amener l'homme à tuer la femme, et dans quelle mesure ce n'est pas l'amante qui lui a demandé d'aller jusque cette extrémité. Au fur et à mesure, Anne et Chauvin fusionneront avec ces deux là, jusqu'à ce que Chauvin stoppe brutalement cette plongée terrible, et qu'ils se séparent.
Mais, en résumant ainsi, on ne rend pas compte de toute la richesse de ce roman, impeccablement construit en 8 chapitres.
On pourrait évoquer tout ce qui plane: la tension qui traverse tout le roman, la détresse d'Anne, femme délaissée par son mari, Directeur des usines de la Côte, qui n'apparaît que comme une ombre méprisante le soir où elle rentre tard et ivre à une soirée organisée chez elle, la difficulté d'élever un enfant qui n'est peut-être pas le fils de son mari, la violence des hommes qui affleure dans le récit, la fascination de la mort que l'on ressent pour elle comme une liberation heureuse, etc...
Et puis il y a l'atmosphère de cette ville portuaire, merveilleusement décrite, le temps chaud qui engourdit les esprits, la sensualité d'Anne, et la passion sans doute ancienne que lui porte Chauvin.
Et toute une symbolique: le rouge du sang, du vin dans lequel se noie Anne, le tricot rouge de la patronne du bar ; la maison d'Anne, prison dans laquelle elle guette les bruits du dehors, et tant d'autres choses..
Et l'écriture, bien sûr, magique, comme toujours.
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Ce matin encore je ne savais pas ce que c'était, que de lire Duras. J'ai eu une subite envie, une impulsion, comme un besoin vital sauf que c'est pas vital on le sait très bien.

Et là ce soir, je veux des magnolias partout sur ma terrasse, je veux des notes jouées au piano, je veux entendre la mer et qu'il ne se passe quasiment rien, que ce soit conjugué à tous les temps, qu'on me dise que je suis insolent et ce que peut bien vouloir dire modéré et chantant.

J'ai beaucoup aimé les phrases coupées, les non-sens, les relis-moi sinon tu continueras de ne rien comprendre, les blancs qu'on comble mais qui sont comblés plus tard par d'autres mots auxquels on ne peut pas, non, on ne peut pas avoir la prétention de remplacer.

Anyways, j'ai rencontré Duras, ça me fait l'effet d'un festivalier qui découvre quelque chose de manière ponctuelle et qui jurera dans les semaines suivantes qu'il n'existe rien au monde de plus déstabilisant que cette rencontre jusqu'à la suivante. Parce que c'est bien de ça qu'il s'agit n'est-ce pas ? d'une rencontre ?

Alors je laisse l'énergie de la première fois à qui veut la prendre mais je hurle tout de même le merci certain à qui se reconnaitra.

Booyah ! (et pétard minou si t'as jamais lu Duras j'te jure sur ma vie, c'est quelque chose).


Lien : https://www.instagram.com/lo..
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J'avais lu Moderato Cantabile au lycée. Souvent lorsque mon regard s'arrêtait sur ce livre dans ma bibliothèque me revenaient des émotions, des sensations: la sonate de Diabeli jouée par l'enfant, la sensualité des rencontres entre Anne Desbaredes et Chauvin et bien sûr les magnolias. le relire, j'hésitais il y a tant de livres à découvrir...

Aujourd'hui de viens de refermer pour la seconde fois ce roman et de nouveau je suis envoûtée.
L'écriture de Marguerite Duras est précise, incisive et musicale. Elle décrit avec minutie et réalisme les situations, les faits et les gestes.
Anne Desbaresdes jeune bourgeoise femme d'un dirigeant d'usine amène toutes les semaines son fils à sa leçon de piano sur le port. Alors qu'il joue sa sonate à l'extérieur un cri retentit. Anne s'approche de la scène et rencontre Chauvin jeune ouvrier qui lui apprend qu'un crime passionnel vient d'être commis. Jour après jour elle revient dans ce bar, boit du vin, échange avec Chauvin sur cette passion, la passion. le désir s'installe...
Marguerite Duras bouscule la chronologie, entremêle les vies, les souvenirs, le présent, les possibles. Elle ne nous donne aucune clé, au lecteur de construire son chemin, d'interpréter, d'imaginer ce qu'elle nous donne à voir. le texte installe la routine de ces rencontres. L'enfant joue sur le port, ils parlent, boivent, se désirent. Au fil du texte tout s'amplifie, l'addiction s'installe, à l'homme, au vin. Tous nos sens sont mobilisés. La sonate comme le bruit des vagues caressent nos oreilles. le vin rouge coule sur notre langue roule dans notre gorge. Notre peau frissonne au frôlement d'une main et bien sûr l'odeur des magnolias nous submerge. Jour après jour l'ivresse devient addictive, les retours à la villa du bord de mer de plus en plus longs, le désir de plus en plus intense.
Osera-t-elle au risque de tout perdre?

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Ce roman ne date certes pas de la dernière pluie puisqu'il a été publié en 1958 mais je viens de le relire pour les besoins du travail et, stupeur, il a conservé toute la fraîcheur d'une pluie d'été justement. Comme toujours avec Duras qui ne rate jamais son affaire, je suis encore sous le charme, subjuguée par le je-ne-sais-quoi des romans de Marguerite Duras.

Moderato Cantabile c'est l'histoire d'une sonatine de Diabelli encore et encore répétée, de la sirène hurlante de l'arsenal, d'une villa au bord de la mer, d'un arsenal, d'un café, d'une fleur de magnolia qui n'en finit pas de fleurir puis de faner, d'un cri de femme, du rose de journées finissantes, du rouge du crépuscule, du vin qui empoisonne, du sang d'un crime passionnel et du tricot d'une patronne de café, ,... toujours les mêmes comme une obsession lancinante qu'il s'agit pourtant de faire aboutir.

Entre Anne Desbaresde, l'épouse oisive du directeur d'Import-Export et des Fonderies de la Côte et Chauvin ancien ouvrier des Fonderies, il y a un monde et pourtant : (cf citation)



Lien : http://aller-plus-loin.over-..
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J'ai le sentiment d'avoir rencontré une amie.
Une femme que j'avais toujours respectueusement tenue à distance pour une raison qui aujourd'hui m'échappe mais qui avait certainement à voir avec la peur. La peur d'être submergée. Envahie. Dépassée. Bête.
Marguerite Duras était devenue un totem devant lequel jamais je ne brûlerai d'encens ni ne cracherai. Un totem que j'aurais pu continuer à cacher au fond d'une chambre, dans une boîte si bien dissimulée que j'aurais fini par en oublier la localisation. Bref, j'étais bien partie pour laisser Madame Duras là où elle était depuis 1996 et continuer mon petit bonhomme de chemin littéraire en prenant bien soin de ne pas la croiser.

Mais. Mais. Alignement des planètes, hasards ou signes quelconques, Marguerite Duras n'a cessé de sa manifester à moi ces derniers jours. Un article par-ci, une émission par-là, un roman mis en valeur dans une librairie, un autre négligemment oublié sur un banc… Je n'avais plus le choix, il fallait que je m'y mette. J'ai commencé par écouter La Compagnie des auteurs (France Culture) pour apprivoiser le personnage et désherber un peu le pré carré, j'ai revu quelques scènes mythiques de ses films puis, cessant de reculer pour mieux sauter, je me suis attelée à Moderato Cantabile.
Pour mon plus grand bonheur, est-il bien nécessaire de le préciser ?

Je referme donc ce petit roman quelques heures après l'avoir ouvert pour la première fois, avec l'immense joie d'avoir rencontré une amie. Une femme dont la vie me parle infiniment, dont les tourments me parlent, dont les mots et la poésie me parlent. Avec une puissance inattendue. Magique. Une femme brillante, pleine de contradictions, à la parole forte, tendue, sur le fil. Une femme que j'ai l'impression de comprendre ou tout du moins dont les mots résonnent en moi avec force et passion.

Moderato Cantabile pose la question du poids que pèse le destin des autres sur ceux qui en sont témoins. Pourquoi le cri soudain d'une inconnue et la vue de son corps en sang ont-ils troublé si fort Anne Desbaresdes, une riche jeune femme esseulée, exclue, uniquement attachée à son petit garçon ? Pourquoi ne cesse-t-elle de retourner dans ce bar, sur le port, celui qui vit la femme s'écrouler d'une balle dans le coeur ? Pourquoi interroge-t-elle Chauvin, cet inconnu, également témoin du meurtre ? Et pourquoi se met-elle à enchaîner les verres de vin ? Réels désirs d'ivresse ou « simples » prétextes ?

Chaque jour donc, elle revient sur le lieu du crime. S'accoude au comptoir, retrouve Chauvin qui la guide vers une table de son choix, et parle. de plus en plus longtemps, de plus en plus longuement. Dehors, son petit garçon joue sous le soleil couchant. Un jour, il ne sera plus là.

Que cherche-t-elle ? L'amour ? La mort des mains de celui qu'elle désire et qui la désire ?

Un immense scandale enfle entre Anne et Chauvin, un scandale qui, sous les mots de Duras, ne peut se résoudre que dans le silence de leurs mains qui se joignent une seconde durant. Adieu. Tout est dit.

Comment se fait-il qu'un si court récit nous retienne si longuement ? (Non qu'il nous donne l'impression de n'en plus finir : c'est nous qui ne parvenons pas à en finir avec lui).

Comment parvient-il, alors qu'il ne cesse de se tenir à la superficie des êtres, à aller si profond ? Moderato Cantabile est un livre rare, dans lequel « chaque élément nous happe au monde des idées » (Claude Delmont, 1958). L'atmosphère est certes pesante, la personne humaine n'est personne (elle n'a ni histoire, ni destin) mais elle souffre, la lecture est exigeante et ne flatte ni notre paresse ni nos goûts. Mais Moderato Cantabile se mérite.

Chaque page est plus limpide que la précédente. le récit ne donne à voir aucune obscurité (si ce n'est celle qui se loge dans le coeur des personnages), l'écriture est d'une discrétion rare, et il est impossible d'en concevoir des moyens plus stricts et plus rigoureux. Mais cette clarté dure et nue est chargée de foudre et emporte le lecteur dans un labyrinthe sans issue. Marguerite Duras dit tout en ne disant rien. Elle impose en éludant. Tout est narré en creux mais s'engouffre et éclate dans notre coeur, comme une évidence. « Et comme la tranchante lumière laisse dans l'oeil une trace de feu, Marguerite Duras laisse dans l'esprit une sourde trainée de phosphore, qui brûle » (Dominique Aury, 1958).

Et malgré cet infini dépouillement et cette volontaire sécheresse dans l'expression, jamais l'émotion ne se trouve atténuée. Elle domine et ne cesse de frapper aux portes de l'esprit. Si le mot joue son rôle strict (celui de faire constater l'existence), le langage conserve toute sa beauté, toute sa magie aussi. Il est simplement départi de ce que l'on pourrait qualifier de confiance en lui.

Marguerite Duras referme Moderato Cantabile sur ses secrets et c'est tant mieux. Elle nous laisse là, sur le bord de la route, un peu paumés. Et si quelque irritation nous visite, c'est là toute la maitrise de l'écrivaine. Une maitrise qui ne peut aboutir que dans l'inaccomplissement.

De cette épure naît l'art. Il attire sur lui toute la lumière.
Comme il est beau de savoir faire parler le silence !


Lien : http://www.mespetiteschroniq..
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