Moderato Cantabile. La sonatine de Diabelli. La petite musique chantante et modérée...
Duras trace une ligne crépusculaire à travers une ville portuaire.Elle incise la toile.
Tout paraît calme. La ville tourne ses pages une à une.
Une femme traverse la ville, un enfant à la main.
Elle répète sa vie, comme son enfant répète ce morceau de musique, docilement, invariablement, obstinément.
La femme sourit « comme un enfantement sans fin ».
Elle boit, verre après verre, elle vide et se remplit, calmement, invariablement, silencieusement.
Rien ne semble pouvoir ni vouloir ôter la main froide et lourde plaquée sur la bouche de cette ville, posée face à la mer.
Sans raison, les hommes perpétuent, sans raison ils traversent la ville.
Un crime, le cri d'un crime passionnel déchire le silence.
La femme retient le cri, la femme recompose, elle veut comprendre la raison de ce cri, la raison de cet amour, la raison de cette tragédie : aimer- le désirer à en mourir.
La musique ne chante plus, elle hurle, la musique ne se modère plus, elle se libère, et brise le miroir qui prétendait refléter le ciel.
Le femme rencontre l'homme qui a, lui aussi, saisit ce cri. Il sait. Il sait le cri. Il sait le désir de la femme, sa douleur, son attente.
Il sait qu'elle veut comprendre, vivre pour comprendre.
Lui a depuis longtemps tout compris.
Quelques jours, quelque nuit, elle va saisir tout le silence qui recouvre la ville.
La ville s'absente, les lieux se resserrent.
La ville contient les hommes et pèse de tout son poids sur leur vie.
Le rythme marque le temps, les pas se décomptent sur les quais.
Sans sans raison les hommes restent en ville.
Alors le choix, le choix s'impose et réclame.
La femme doit choisir : accepter son désir et le vivre jusqu'à en mourir, puisque tel est la nature de ce désir, ou refuser ce désir et accepter de ne jamais vivre.
Choix possible pour l'homme. Impossible pour la femme.
Et c'est lorsqu'elle réalise non pas cette incapacité mais cette impossibilité qu'elle se voit mourir.
Et c'est là que ce situe le crime, le cri du crime et la tragédie. Hors champ. Dans ce lieu où rien n'est écrit mais où tout peut être dit.
C'est ça l'écriture de
Duras la possibilité qu'elle offre d'entendre la musique. le combat qu'elle mène pour libérer l 'espace. Tout est en place, apparemment, rien n'est imposé, évidement.
Le rythme de la sonatine égrène les heures, tic tac incessant, la mer va et vient, ressac constant.
Les hommes répètent le chant ,modérément, comme l'air d'une berceuse qu'une mère fredonnerait en tenant son enfant qu'elle sait déjà mort, dans ses bras.
La petite musique de Marguerite n'est qu'un hurlement déchirant. Et que pourrait- on
écrire après ce cri ?
Astrid SHRIQUI GARAIN