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sur 1399 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Le piano de Duras,

Dit-on un style “durassien” ou “dur à suivre” s'interrogeaient De Caunes & Garcia (grimé en Duras sur le plateau de Nulle Part Ailleurs) face à une Fanny Ardant hilare…

J'ai déjà discuté du style Duras dans “Les Petits Chevaux de Tarquinia” notamment, écrit quelques années plus tôt, mais cette fois-ci l'aura, l'écrin littéraire de Marguerite Duras semble plus pur encore, peut-être par contraste, parce que la narration y est plus décousue (si tant est qu'une telle chose soit possible), les personnages comme les évènements moins nombreux. Jusque dans ses derniers romans, on retrouvera le style de Duras d'une rare singularité et toujours tendu vers plus d'abstraction et d'économie.

La répétition des mots et des gestes, le retour au café, au Boulevard de la Mer, le canard à l'orange, des mêmes questions, des mêmes réponses, des négations, ces éternels “non”, la répétition des prénoms et patronymes contrastant avec le refus d'identifier “l'homme”, le crime comme déclencheur du roman, tout cela se retrouve dans d'autres oeuvres antérieures et postérieures de Duras. C'est une façon d'ancrer le lecteur dans quelque chose de charnel, peu importe la ville, on ne la connait pas, mais on se figure les cris des oiseaux marins, le ciel capricieux du front de mer, la promenade sur les remparts et ses embruns d'écume et d'algues mêlés…

L'amour impossible et impassible, l'adultère comme transgression pavlovienne d'une certaine bourgeoisie, l'ennui, le désir, la maternité, l'alcool, les antiennes durassiennes jouent en sourdine tout au long de Moderato Cantabile, on a l'impression de lire non pas une histoire mais des émotions, des ressentis. C'est cette alchimie mystérieuse jusqu'au bout qui fait le mesmérisme de sa plume.

“Des dialogues pour ne rien dire, j'adore ça (…) lorsqu'on croit qu'un dialogue est signifiant il ne signifie pas davantage qu'un dialogue bavard, de rencontre” disait l'écrivaine, figure du nouveau roman et parfois appelée romancière de “l'incommunicabilité”. de fait, les dialogues, omniprésents dans son oeuvre quasi cinématographique, sont vidés de leurs fonctions traditionnelles, il ne renseignent plus, ils ne signifient plus, cela fait presque penser au théâtre de Samuel Beckett qui entretien un rapport à la fois méfiant et ironique vis-à-vis de ce qui fait ou doit faire sens. Pourtant, les dialogues durassiens nous semblent lourds, intenses, crispant le coeur, parfois d'une profondeur insondable. Ainsi on ne peut pas non plus dire qu'ils ne signifient rien, mais assurément plus ou autre chose que ce qu'ils veulent bien dire, derrière se joue parfois la tectonique tribale du désir, un peu comme l'analysait Roland Barthes dans Fragments d'un discours amoureux, je “frotte mon langage” contre l'autre, tantôt est-ce un appel au secours d'une femme, au bord du précipice psychique, entourée d'invités mondains mais finalement “seule dans sa grande baraque” pour reprendre une réplique hilarante de la voisine du film “Mon Oncle” de Jacques Tati, paru la même année que le livre de Duras. Pour l'écrivaine, le roman est la “transposition de la vie intérieure”, elle s'inscrit dans cette généalogie du XXe siècle, dans les pas de Proust, de Woolf, de Svevo.

“Anne Desbaresdes resta un long moment dans un silence stupéfié à regarder le quai, comme si elle ne parvenait pas à savoir ce qu'il lui fallait faire d'elle-même.”

J'ai l'impression d'avoir préféré mes excursions précédentes dans le monde de Duras, peut-être davantage d'analyse et de réflexions dans “Les Petits Chevaux de Tarquinia", une tension épidermique plus puissante dans “Dix heures et demie du soir en été” ou un feu d'artifice stylistique dans “L'Amant de la Chine du Nord”. de plus, lorsque l'on commence à connaitre un auteur, passé l'effet de surprise, il faut veiller à ne pas lui reprocher justement ce que l'on est venu chercher à nouveau et qui ne nous surprend plus… Cependant chaque nouvelle lecture, quand on adhère et entre en résonance avec la langue continue, sinon de nous habiter, du moins de nous toucher et cela fonctionne à nouveau complètement avec cette leçon de piano signée Marguerite Duras.

La musica. Duras admettait que son art n'était rien comparé à celui de la musique, elle aurait voulu poursuivre une carrière de musicienne. Incapable de composer Duras s'inspire d'abord des musiques des autres, mais elle ne s'avoue pas vaincue et bientôt on composera pour elle, à l'image de l'entêtante India Song dans le film éponyme, avec Delphine Seyrig, tiré de son roman le Vice-Consul.

Moderato Cantabile, sous ses apparences “modérée” et “chantante” comme la Sonatine de Diabelli, est un volcan sous-
marin dont l'éruption sourde et désespérée est couverte par les vains assauts des vagues contre la digue des convenances, inébranlable.

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Un après-midi de printemps. Une ville côtière. Les usines qui fument à l'autre bout de la ville. Une sonatine qui s'échappe de la fenêtre d'un immeuble. le petit garçon rechigne à jouer la sonatine de Diabelli. Tous les vendredis, sa maman, Anne Desbaresdes, l'épouse du directeur des Fonderies, l'emmène chez Melle Giraud. Elle, reste un peu à l'écart. Or, ce vendredi, un terrible cri provenant de la rue surgit. A la porte du café d'en face, des hommes et des femmes s'agglutinent. Une fois la leçon finie, Anne s'approche de l'établissement. Une femme aurait été assassinée par son amant. le lendemain, accompagnée de son fils, elle retourne sur les lieux du drame pour en savoir plus...

Une intrigue minimaliste, peu de personnages, un mystère qui reste entier et des non-dits chargés de sens et d'émotions... Voilà un roman aux tonalités particulières. Marguerite Duras orchestre parfaitement la rencontre entre ces deux âmes esseulées que sont Anne et Chauvin, ces deux coeurs qui battent la chamade en discordance. L'auteur chuchote les mots plus qu'elle ne les clame. L'on devine, l'on suppose, l'on attend ce qui va se jouer entre eux dans ce bar. On étouffe et on se débat. Ce court roman, troublant et passionnel, porté par une écriture précise et sans fioritures, est empreint d'une certaine mélancolie.

À noter que ce roman a été adapté au cinéma, deux ans après sa parution, avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo.

Semplice ... Moderato cantabile...
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Moderato cantabile c'est comme souvent avec Marguerite Duras une ambiance très particulière, une incursion dans un décor imaginaire très cinématographique, avec le charme des films des années cinquante, un peu désuet dans le jeu des acteurs ou du cadrage, mais terriblement envoutant.

Peu de personnages : une jeune femme et son fils, une prof de piano, la tenancière d'un bistrot et un client intrusif : c'est autour d'une mort violente survenue dans le bar alors que les ouvriers de la fonderie voisine viennent trinquer à la fin d'une journée de labeur que des liens se nouent.

L'intrigue est mince et n'aboutit pas. Beaucoup de questions sans réponse, questions amenées par les personnages, sur le crime passionnel, sur les relations troubles entre Anne et Chauvin.
Peu importe, ce n'est pas ça qui compte. Les situations successives sont terriblement banales, et c'est leur répétition , qui crée cette impression d'épaisseur, de force. C'est ce qui subsistera à distance : une répétition de piano, l'ambiance d'un café à la sortie du travail, les échanges troubles entre une jeune femme bourgeoise et un des employés de son mari qui semble connaitre beaucoup d'elle.


La fascination du crime dont elle a été quasiment témoin agit comme un détonateur dans la vie d'Anne. Un événement extérieur et fortuit bouleverse l'édifice fragile sur lequel sa vie est construite. C'est une femme peu consistante, qui réagit peu aux leçons d'éducation de la prof de musique. Les leçons de piano deviennent un prétexte à une relation trouble avec un quasi-inconnu, avec qui elle n'hésite pas à s'enivrer. Les verrous s'ouvrent les uns après les autres.

Une femme, un enfant, un homme, de l'alcool, le décor durassien est planté. Reste au lecteur à se laisser emporter au fil des pages.
Belmondo et Jeanne Moreau ont-ils su mettre leur art au service de ce monument de la littérature?
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Dans Moderato Cantabile, malgré leur simplicité chaque phrase est limpide, il n'y a aucune obscurité, les moyens utilisés sont stricts et rigoureux.
Pourtant cette brièveté et même les répétitions sont chargées de foudre et de plomb.
La présence des êtres et la fugacité de leurs échanges sont amplifiées par une grande intensité. Ces personnages étrangers, anodins au départ sont poussés dans leurs retranchements, aimantés par une banalité et chauffés à blanc.

Les descriptions bien que concises sont remplies d'images qui forcent le lecteur à se pencher pour écouter les blancs laissés. Il n'y a pas de filtres, les scènes se déroulent comme dans le réel, comme si ce théâtre se jouait sur l'estrade du monde.
Il y a de l'espoir, du désespoir, de la désolation et du combat.

Dérangeant, insaisissable, Moderato Cantabile en déroutera sans doute certains. Mais il y a dans cet objet atypique une folle audace et une grande originalité tout à fait maîtrisée.


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Pendant un cours de piano, le cri d'une femme retentit dehors. C'est un meurtre passionnel qui a eu lieu en bas, devant le café. Cet évènement trouble durablement Anne Desbaresdes qui accompagnait son jeune garçon au cours de musique. Quelques jours plus tard, elle revient au café, poussée par une curiosité un peu honteuse. Au comptoir, elle avale plusieurs verres de vin et entame une étrange discussion avec un témoin du crime.

« Si vous saviez tout le bonheur qu'on leur veut, comme si c'était possible. Peut-être vaudrait-il mieux parfois que l'on nous en sépare. Je n'arrive pas à me faire une raison de cet enfant. » (p. 33) Anne Desbaresdes est une mère trop affectueuse, anxieuse et dépassée. « Vous aurez beaucoup de mal, Madame Desbaresdes, avec cet enfant, […], c'est moi qui vous le dit. / C'est déjà fait, il me dévore. » (p. 16) L'enfant ne veut pas apprendre le piano, il ne veut pas perdre ses après-midi sur des gammes alors que le port est si près et que le bal des navires est si fascinant. « Quand même, […], tu pourrais t'en souvenir une fois pour toutes. Moderato, ça veut dire modéré, et cantabile, ça veut dire chantant, c'est facile. » (p. 20 & 21) Mais à quoi cela sert-il de connaître des indications musicales ? Ne vaut-il pas mieux jouer la mélodie comme on l'entend, même si l'on est en avance de plusieurs mesures ?

Ce court roman de Marguerite Duras ressemble à une pièce de théâtre : on y trouve la tension de certaines tragédies grecques, mais il y manque le drame, l'action. En fait, une fois le crime liminaire accompli, il ne se passe plus grand-chose et l'on suit Anne Desbaresdes et Chauvin sur le chemin d'un adultère incertain. le dialogue est composé de répliques en décalage : on n'est pas vraiment certain que ces deux-là s'entendent et se comprennent, mais il s'agit d'une absurdité régulière, étrangement acceptable.

Après le cri, il faudrait continuer la petite musique, modérément et de façon chantante, mais quelque chose s'est brisé dans l'harmonie artificielle d'avant, et la partition sonne faux. Anne Desbaresdes fuit l'ennui et laisse enfin s'exprimer sa haine des heures fixes, des partitions figées. le vin devient son évasion et plus rien ne reste dans ses limites.

À la fin de l'édition que j'ai choisie sont compilées les critiques contemporaines de la parution du roman. Ces textes donnent un nouvel éclairage et l'envie de reprendre la lecture parce que, c'est certain, on est passé à côté de quelque chose. À la fois fascinant et agaçant, ce roman concentre le talent de Marguerite Duras : plus que jamais, elle exprime son art de ne pas finir.
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Roman sur la jouissance. A défaut d'avouer ses envies à un homme, une bourgeoise découvre l'éloge de l'ivresse. Une vie de platitude où la seule liberté qu'elle a c'est lorsqu'elle emmène son enfant adoré à la leçon de piano. Jusqu'au jour où elle sera témoin d'un crime passionnel. Livre relu grâce à la belle critique de zabeth55.
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Je l'avais lu au lycée pour le bac, j'avais moyennement aimé, on s'ennuie, c'est court mais il ne se passe pas grand chose. L'analyse m'avait pourtant permis de comprendre la richesse de certains passages et surtout la phrase durassienne, au moment où "elle était encore écrivain" (dixit mon prof, après ce sera L'Amant et le succès, donc plus de la littérature...). Il faut bien reconnaître que c'est bien écrit, dans la veine du nouveau roman, avec style et clarté. La forme, la syntaxe, le style, tout concourt à l'ennui de cette femme qui va essayer de s'échapper de sa condition féminine. le titre fait référence à la leçon de piano, superbe, et au style du livre. Tout va doucement, mais ça reste un chant violant et puissant. Un bon livre, mais peut-être pas le plus facile pour découvrir Duras.
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Une fois par semaine, Anne Desbaresdes mène son enfant à la leçon de piano chez Mademoiselle Giraud. L'enfant, car c'est ainsi qu'on le nommera tout au long de ce court roman, apprend à jouer une sonatine de Diabelli. Un soir, alors qu'il fait désespérer son professeur, un cri retentit : une femme est abattue par celui que l'on suppose son amant, dans le café d'en face.
Anne Desbaresdes est l'épouse du directeur d'Import Export et des Fonderies de la Côte. Elle s'ennuie, probablement, de sa vie qui semble assez insipide. Elle ne peut s'empêcher de revenir dans ce café, d'y boire du vin, beaucoup de vin, trop de vin, et de s'entendre raconter par Chauvin, un ancien employé des Fonderies, l'histoire qu'il invente pour expliquer le drame qui eut lieu là quelques jours auparavant.

Ce roman est un curieux roman. Les tournures sont soigneusement choisies et laissent planer au fil de ce récit une atmosphère terrible. Quel nouveau drame se joue dans ce café, autour des verres de vin, entre cette femme et cet homme qui se racontent des histoires au beau milieu des ouvriers tout juste sortis du travail?
Anne paraît vide, tout lui semble égal : son enfant - pourquoi déjà fallait-il tant qu'il apprenne le piano? -, sa grande maison, l'odeur des magnolias... Elle parle de tout cela mais avec une distance effrayante. Quant à Chauvin, il invente l'histoire de la femme tuée et de son amant dans le but de faire revenir Anne dans ce café, de lui faire boire du vin et de la faire parler de sa vie. Leurs mains sont proches et froides sur la table. L'un d'eux se penche vers l'autre mais jamais ne le touche... jusqu'aux dernières pages où tout bascule. Se reverront-ils? Qu'adviendra-t-il d'eux? Nous ne le saurons pas. Tout ce qui importe est seulement ce qui a conduit à cet instant.
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"Moderato cantabile" de M.Duras est un roman assez court et qui évoque les sentiments de deux inconnus. Sur l'impossibilité de l'amour et sur sa fragilité.

Comme c'est souvent le cas avec Duras, le livre est composé de nombreux dialogues dénués de sens au premier coup d'oeil, et qui semblent ne rien dire d'important.

Cette particularité du style de l'auteure nous fait penser au cinéma domaine dans lequel nombre de matière glisse dans les intonations, entre les lignes; où un regard, ou une phrase jetés accidentellement expriment un abîme de sens.

Contrairement au style en retenue d'E.Hemingway qui a eu une grande influence sur la génération Duras, l'idée est de décrire plus en détail les conversations des protagonistes, leurs pensées ou certaines situations ordinaires.

Cette écriture si particulière qui constitue la singularité des romans de Marguerite Duras nous plonge dans une atmosphère de complicité particulière.
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Bord de mer dans une petite ville: dans un appartement avec vue sur les mouettes, un enfant tient placidement tête à son professeur de musique sous le regard tendre et résigné de sa mère, Anne Desbaresdes.
Un peu plus bas, dans un café, une femme crie, s'arrête et bientôt une foule se forme. Un crime passionnel vient d'avoir lieu.
Les jours suivants, Anne Desbaresdes n'aura de cesse d'amener son enfant en promenade sur les quais pour faire une pause au café et boire quelques verres en compagnie d'un ancien employé de son mari pour chercher, de manière lancinante, les circonstances de ce meurtre.

L'atmosphère est pesante et a la lenteur, l'intemporalité des jours d'été qui se répètent. Ce crime lui tient-il vraiment à coeur ou n'est-il qu'un prétexte à s'occuper l'esprit, ou enfin à s'abandonner à l'alcool? Quel est le quotidien de cette jeune bourgeoise seule avec un enfant solitaire? Qui était ce couple, quelles étaient leurs dernières heures?
Qu'est-ce qui pousse ainsi Chauvin, l'employé, à réclamer la présence d'Anne Desbaresdes avec autant d'impatience?

Encore une fois, l'écriture de Marguerite Duras a quelque chose d'intense et hypnotisant qui la distingue absolument des autres et ici, j'aime beaucoup la présence de cet enfant qui apporte une certaine spontanéité et rupture dans ce récit.
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