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Daniel Lemoine (Traducteur)
EAN : 9782702013755
374 pages
Buchet-Chastel (01/04/1994)
4.23/5   22 notes
Résumé :
En octobre 1613, quatre samouraïs sont partis pour le Mexique dans un galion spécialement construit pour eux, accompagnés d'un franciscain espagnol qui devait être leur interprète. L'objectif avoué de cette mission sans précédent était d'établir des relations commerciales avec l'Occident en échange du droit des missionnaires européens de prêcher le christianisme au lapon. Se trouvant dans l'impossibilité de remplir leur mission à Mexico, les émissaires allèrent en E... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
L'action débute en 1613, dans le Japon de l'ère des Shoguns. Ieyasu Tokugawa a depuis sa prise de pouvoir procédé à une profonde réorientation politique. Il a quasi unifié le Japon. Seule la région d'Osaka reste fidèle à son prédécesseur Toyotomi Hideyoshi, plus guerrier. Tokugawa a renoncé à une politique agressive contre la Corée, mais a refermé le pays aux missionnaires chrétiens, persécutés. Il projette de développer le commerce avec leurs pays d'origine en Europe et leurs colonies. Les seigneurs locaux réunis en Conseil des Anciens vont apparemment traduire en actes cette volonté en désignant quatre émissaires, des samouraïs de rang modeste, pour voguer vers la lointaine Nueva Espagna (le Mexique). Rokuemon Hasekura sera ainsi accompagné de Matsuki Chusaku, Tanaka Tarozaemon et Nishi Kyusuke. Ces samouraïs paysans espèrent en acceptant être récompensés par la restitution de terres confisquées à leurs familles. Ils seront flanqués de quelques aides japonais, d'un équipage espagnol, et du père francisquain Velasco, tout exprès libéré de prison pour leur servir d'interprète.
Le voyage est très long et se déroule dans des conditions difficiles, notamment d'hygiène. Arrivés au Mexique, une première déception frappe les émissaires, puisque le Vice-roi les renvoie en Espagne où se prendrait la décision de commercer ou non avec le Japon. En outre, des mouvements de révoltes sporadiques des indiens mexicains contre les colonisateurs catholiques sèment le doute sur le prétendu bonheur qu'apporterait l'évangélisation. Matsuki Chusaku, très sceptique et critique contre Velasco, choisi de rester au Mexique pour repartir pour le Japon dès que possible. Velasco va pourtant conduire les japonais en Espagne, où il devra convaincre un nouveau conseil de prélats de l'église catholique. Il devra plaider la cause de l'expédition, contre le redoutable père jésuite Valente, qui prétend que toute nouvelle tentative d'évangélisation du Japon est vaine. Velasco, par sa passion, ne lâchera rien, persuade enfin les samouraïs insensibles et récalcitrants de se convertir au catholicisme, même s'ils semblent le faire non par conviction mais par pur intérêt pour la réussite de la mission. Velasco emmènera les samouraïs jusqu'à Rome dans l'espoir d'une intercession du pape en personne. Pourtant, soit la stratégie politique japonaise a changé, soit ils ont été bernés dès leur embarquement au Japon, en fait probablement un peu des deux…, ils apprennent en effet que le Japon a désormais abandonné toute idée de commercer avec les nations européennes, et n'accepte plus la moindre incursion de prêtres catholiques sur son territoire…Pire, il fera bientôt payer un lourd tribut aux japonais qui se seraient convertis au catholicisme. le retour au pays sera terrible…

Ce roman aurait pu prendre la forme d'un récit d'aventure, d'un roman de mer, avec rebondissements et coups de théâtre relatés avec emphase. Il n'en est rien, l'action est relativement limitée. La composante psychologique, politique et historique prend largement le pas. Pourtant, le tour de force d'Endô est de rendre le récit passionnant de bout en bout tellement l'écriture est riche de qualités. En premier lieu, le traitement des composantes en question est totalement maîtrisé. L'écrivain possède une connaissance remarquable de cette période de l'histoire de son pays et des relations orageuses qu'il a entretenu avec le monde chrétien, et il s'y entend pour composer une psychologie subtile pour chacun de ses personnages. Rappelons qu'Endô était un japonais catholique, mais il semble ne pas juger ni les japonais, ni les européens, ni les catholiques, ni les anti-catholiques, ce qui donne au roman une puissance de vérité extraordinaire qui l'ancre complètement dans un contexte historique bien réel. Tous les personnages sont ambivalents, et pas nécessairement, ou du moins pas uniquement par calcul, mais surtout parce qu'ils sont humains avant tout. Et objectivement, tous leurs arguments sont entendables pour justifier leurs actes.
Si Velasco ne cesse de se persuader de son amour pour le Japon, il n'oublie jamais sa propre destinée, se rêvant en évèque du Japon et en grand évangélisateur de cet archipel indomptable et retors. Sa personnalité est complexe. Passionné, il semble particulièrement investi dans son engagement pour le Japon, mais c'est aussi un opportuniste qui n'oublie jamais ses perspectives de carrière. Doté d'un orgueil démesuré, il juge beaucoup les autres, et pas en bien. Ainsi, il n'échappe pas à la tendance implacable des occidentaux à se croire supérieurs aux autres peuples du monde, même s'il ne nie pas l'intelligence des japonais, dont il croit bien cerner la psychologie (pour lui, ils sont systématiquement et exclusivement guidés dans leurs actions par le bénéficie qu'ils peuvent en tirer). Il déteste les jésuites, qui ont cruellement échoué dans leur mission et prétend que sa stratégie serait meilleure. Sa foi apparaît ainsi parfois sujette à contestation, faute de constance dans sa charité chrétienne et d'un esprit quelque peu calculateur et même manipulateur…
Les émissaires japonais semblent largement ballotés, et s'ils ont une part de naïveté, ils ne sont pas complément dupes des desseins de Velasco. Leur sens de l'honneur est implacable, l'amour de leur terre et de leur famille inébranlable, qualités qui s'imposent clairement sur toute idée de croyance, et encore moins en un Dieu unique et personnifié comme l'est ce misérable Jésus.

Une autre force de ce roman est sa relative concision, 360 pages, qui permet de ne pas trop se perdre en longues descriptions de paysages ou digressions, mais de se concentrer sur les réflexions des personnages et les seuls éléments de contexte historique nécessaires au parfait suivi du fil du récit. Enfin, la construction du récit m'a semblé également pertinente pour bien éclairer la psychologie des personnages. Au sein de la dizaine de longs chapitres, l'auteur fait alterner la voix du narrateur (la sienne), et celle du père Velasco qui tient un journal. On ne s'y perd jamais, la structuration est limpide, et les transitions se font naturellement. Une telle structure met en évidence le propos principal de l'auteur, à savoir l'enjeu d'évangélisation du Japon, largement avortée (même si la région de Nagasaki le sera partiellement), porté par son personnage central Velasco, davantage que son samouraï Hasekura, du reste rarement désigné par son nom mais par cette sorte d'appellation générique et générale, « le Samuraï », comme emblème d'une culture totalement étrangère à la culture chrétienne.

Un très grand livre, particulièrement enrichissant pour comprendre ce douloureux pend de l'histoire des relations nippo-occidentales. Il traduit l'incroyable force intérieure du Japon et des japonais pour résister aux assauts religieux et idéologiques des occidentaux, quand quelques années auparavant, les Philippines voisines avaient été entièrement évangélisés et hispanisés.

Ce roman prouve à mon avis une nouvelle fois qu'Endô, vu son envergure littéraire, mériterait une plus large diffusion de son oeuvre ne France, où on ne l'a finalement redécouvert que depuis quelques années à la suite de l'adaptation de son roman Silence au cinéma par Martin Scorcese. Il est quand même dommage qu'outre ce roman-phare, la quasi-totalité des éditions françaises de ses ouvrages soient désormais épuisées !
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Extraordinaire.
Je vais vous raconter le destin du samouraï Hasekura.
Il n'est pas un samouraï de haut rang, juste un simple brigadier au service de sa Seigneurie, le Daimyo d'une province japonaise. le Conseil des Anciens lui ordonne de partir pour la Nueva España (le Mexique actuel) pour établir des relations commerciales avec les espagnols. Nous sommes dans les années 1670 et le Japon veut s'ouvrir sur le Monde. le Japon, cette minuscule île, qui ne connait rien ou presque du Monde, qui n'a que de rares échanges commerciaux avec Manille et quelques comptoirs indonésiens.

En parallèle, il y a le padre Velasco, un moine top ambitieux, qui veut évangéliser le Japon, qui en veut aux Jésuites colonisateurs, qui veut devenir humblement l'ambassadeur du Vatican, le super évêque venu prêcher la bonne parole et apporter la voix du Seigneur Jésus sur cette île qui vénère tout un tas de dieux pour des raisons bassement matérielles.

Samouraï Hasekura et padre Velasco (en tant que traducteur) vont se retrouver dans une même galère, un grand navire et traverser les océans vers un immense inconnu. Trois autres samouraïs – d'un rang tout aussi inférieur - accompagneront Hasekura ainsi que quelques centaines de marchands japonais flairant les bonnes et futures affaires avec ce pays lointain.

Dans ce roman ‘historique' de Shusaku Endo, il est question d'un long voyage en mer vers l'inconnu, de découvertes d'un nouveau monde, d'une nouvelle culture, d'apprendre à s'ouvrir sur les autres, de les comprendre. Mais il est aussi question de sonder l'âme humaine, de découvrir les ambitions de chacun. Les mensonges, les non-dits, les trahisons sont multiples comme si l'âme humaine semble pourrie de l'intérieur. En fait, j'ai l'impression que seuls ces miséreux samouraïs semblent honnêtes envers les autres, mais surtout envers eux-mêmes. le padre me parait douteux, et peut-être que sa foi est un peu trop forte pour les hommes, peut-être que son ambition est démesurée et en disproportion avec ce que devrait être les espérances d'un prêtre… D'ailleurs, je n'apprendrai à le connaître réellement que sur les dernières pages. Car ce livre, une fois commencé, ne vous lâchera plus tant vous avez envie de découvrir le terminus de cet extraordinaire voyage du samouraï Hasekura.

[...]
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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Endô utilise dans ce roman curieux un fait historique mais assez oublié d'une époque agitée pour le Japon.

En 1613, année où commence le livre, Tokugawa Ieyasu, nouveau souverain du Japon sous le titre de Shogun engage deux stratégies politiques. Sur le plan intérieur, il cherche à unifier le Japon et à centraliser le pouvoir, donc à mettre au pas les seigneurs locaux, les daimyos, en décrétant un remembrement des terres, redistribuant les domaines de ces vassaux et de leurs samouraïs. Par ce jeu, de nombreuses familles de samouraïs modestes, mais néanmoins détenteurs de terres se voient attribué des terres bien plus pauvres ou ingrates que celles qu'ils possédaient auparavant.
Dans le même temps, Ieyasu cherche à doter le Japon d'une capacité maritime, militaire et commerciale, capable de rivaliser avec celles des Occidentaux, en étudiant et en intégrant au pas de charge leurs techniques de construction de grands navires capables de traverser les océans.
Enfin, il est hostile à la tentative d'évangélisation que tentent les missionaires occidentaux. Les Jésuites avaient commencé à prêcher le christianisme au Japon à la fin du XVIème siècle, avec l'accord du souverain de l'époque, et avaient eu un temps le monopole de ce "droit" avant que d'autres ordres, dont les Franciscains, soient à leur tour autorisé à s'y consacrer, en 1600, par une encyclique du Pape Clément VIII. Cette aventure devenait donc aussi une guerre intestine entre les ordres catholiques missionaires, qui, en plus, voulaient empêcher les pays protestants de s'implanter au Japon.
Sur ce fond, Shusakû Endô romance les quatre années du voyage effectué par quatre samouraïs de basse extraction, flanqués chacun de trois serviteurs, et dirigé par un missionaire franciscain dévoré par l'ambition. Voyage qui les mène du Japon jusqu'au Mexique, du Mexique en Espagne et de l'Espagne à Rome.
Ces voyageurs partent avec un groupe de marchands japonais dans le but de tisser des liens commerciaux avec le Mexique. Officiellement, les samourais sont chargés (en échange, espèrent-ils, de la restitution de leurs anciennes terres) de rencontrer les seigneurs espagnols locaux et d'adresser par leur entremise au Pape une lettre du Shogun proposant l'ouverture de relations commerciales entre Japon et Mexique en échange de l'autorisation d'entrée au Japon pour les missionnaires franciscains (et franciscains seulement). Endô fait vite comprendre que les choses ne se passeront pas aussi facilement et que tout cela recouvre des conflits et des manoeuvres politiques autrement plus retorses...

Mais ce n'est pas ce qui intéresse le plus l'auteur, pas plus que le voyage en lui-même. Il n'évoque que rapidement les rebondissements et les péripéties du voyage (tempêtes, attaques par des indiens mexicains révoltés contre les espagnols...) et se concentre sur les questionnements des hommes, en s'attachant à deux personnages principaux: Velasco, le missionnaire exalté et manipulateur, et le samourai le plus modeste, Rokuemon Hasekura, un quasi-paysan très peu loquace, tout le contraire de l'espagnol.

Avec ce roman, Endô réussit à évoquer des images très fortes et à explorer de graves questions sans dévier pourtant d'une écriture très simple.
Il explore ainsi les raisonnements et le mode de pensée particulier qui pousse un prêtre à manipuler les textes chrétiens et ses contemporains pour servir ses ambitions, tout en restant convaincu d'agir pour ce qu'il pense être le bien. Il pose aussi la question de la validité de cette évangélisation : que vaut le baptême d'un Japonais quand celui-ci ne s'y soumet que par intérêt, pour favoriser son commerce ou sa mission, et sans la moindre sincérité ?
Pour le lecteur d'aujourd'hui, la lecture de ce livre rappelle aussi cette relativité du "bien", qui poussait des chrétiens plein d'assurance à vouloir convertir les autres peuples, contre leur gré et fréquemment au mépris de leurs propres cultures et religions. Pour Endô, et sans doute pour le Shogun, les japonais ne pouvaient comprendre l'adoration du Christ, cet "homme laid et émacié", ni le sens du message chrétien, les idées d'un au-delà et d'une rédemption leur étant, d'après l'auteur, totalement incompréhensibles.
Il confronte surtout, avec ces deux héros, deux conceptions radicalement différentes: celle, occidentale, de la foi et du prêche et celle, japonaise, de l'honneur et du devoir. le samouraï Hasekura, torturé à l'idée qu'il devrait se déclarer chrétien pour pouvoir faire progresser sa mission, explique ainsi à l'effigie sculptée d'un crucifix : "je ne peux même pas comprendre pourquoi les étrangers te respectent. Ils disent que tu es mort en portant les péchés de l'humanité, mais je ne trouve pas que notre vie soit plus facile pour autant. [...] Rien n'a changé à cause de ta mort".

Un roman dans lequel Endo, écrivain japonais catholique, exprime ses interrogation sur l'accès du peuple japonais à la parole d'un Dieu qui ne lui ressemble pas.

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On m'avait beaucoup parlé de ce roman, comme je m'intéresse beaucoup aux premiers contacts entre Japonais et Nanbans, les "Barbares du Sud", c'est à dire les Européens, et particulièrement les Portugais et plus tard les Espagnols.

J'ai été vraiment choquée par la pauvreté de ce roman et surtout son caractère hors-sujet, ses prises de liberté par rapport à la réalité. J'ai lu que l'auteur était quelque peu torturé par rapport à sa propre foi catholique, j'imagine donc qu'il a fait une sorte de projection sur ses personnages, pourquoi pas, l'écriture est faite pour cela, mais pourquoi s'être basé sur des faits réels pour les déformer. A la rigueur il aurait pu se centrer sur un personnage fictif qu'il aurait intégré à cette ambassade.

Déjà, le titre est trompeur, puisqu'il devrait plutôt s'appeler "les Ambitions perdues du Padre Sotelo".ou "Les vaines manigances autour du monde du Padre Sotelo". le récit est tantôt de son point de vue, tantôt externe ce qui déjà est assez pénible. On zappe de l'un à l'autre.

On imagine découvrir la Nouvelle Espagne, puis l'Europe, imaginez, l'Espagne, Séville, Madrid, St Tropez, Rome dans les yeux des ces Japonais du 17e siècle, jamais sortis de leur île, ce dut être extraordinaire pour eux! J'espérais découvrir le récit de ces chocs culturels, ces rencontres aussi qui ont dû fortement impressionner, ébranler ces Japonais, du point de vue d'un Japonais du 20e siècle, il n'en est rien.

J'ai assez bien aimé le récit de la traversée, j'ai pensé que le silence des Japonais en mer reflétait leur appréhension avant un grand choc, et qu'une fois sur Terre, nous aurions un contraste, une révélation des personnalités, la surprise de découvrir déjà des femmes européennes
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Une plongée au coeur du 17°siècle dans un système féodal très proche de celui pratiqué dans la France médiévale. Les événements décrits sont historiques, sans que l'on sache vraiment se qui relève de la fiction ou pas. Une région isolée du Japon entend rivaliser commercialement avec les ports prestigieux de Sakaï et Nagasaki pour cela 4 samouraïs locaux son envoyés en Nueva Espagna (Mexique) à l'aide d'un traducteur Européen moine Franciscain afin d'établir des relations commercial.Comme dans ses autres oeuvres Shusaku Endo brode autour du thème du choque des cultures, mais ici plus que de choque, il s'agit de duel. Duel entre les civilisations d'extrême orient et d'occident qui en prennent chacune pour leurs grades. Endo nous démontre en filigrane l'imperméabilité des deux cultures.La galerie de personnages est très étoffé, travaillé. Les 4 samouraïs ont tous des personnalités différentes très complémentaires et le moine Franciscain qui est également le narrateur sur certains chapitres est un personnage complexe à la détermination sans faille et pleins d'ambitions. Au delà de l'aspect philosophique, il s'agit d'un vrai roman d'aventure se à quoi Endo ne nous avis pas habitués. La complexité du roman demande au lecteur une certaine connaissance des cultures en questions et un certains effort de recherches, appelant à d'autres lectures.
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Le banquet se termina. Tandis que je quittais la salle à manger en compagnie des moines et prenais la direction de la chapelle, les mains déjà jointes en prévision de la prière du soir, Matsuki m'entraîna à l'écart. Ne laissant rien paraître sur nos visages tandis que nous tentions de deviner les pensées de l'autre, nous échangeâmes des paroles d'adieu.
"Padre, dit-il à voix basse, nous ne nous reverrons pas."
"Pourquoi ? Quand notre mission sera accomplie, je retournerai..."
"Non. Ne retournez pas au Japon."
"Pourquoi ?" Je parlai avec fermeté, secouant la tête.
"Padre, répondit Matsuki me regardant d'un air presque suppliant, pourquoi voulez-vous déséquilibrer notre domaine ?"
"Déséquilibrer ? Je ne comprends pas."
"Nous...non, ce n'est pas seulement nous. Le Japon a vécu en paix jusqu'ici. Pourquoi les padres viennent-ils troubler notre paix ?"
"Nous ne venons pas semer le trouble. Nous venons partager le vrai bonheur avec vous."
"Le vrai bonheur ?" Les lèvres de Matsuki esquissèrent un sourire tourmenté. "La nature de votre vrai bonheur est trop passionnée pour le Japon. Un médicament puissant peut se transformer en poison chez certaines personnes. Le bonheur que prêchent les padres est un poison pour le Japon. Je l'ai compris clairement depuis que nous sommes en Nueva Espagna. Ce pays aurait vécu en paix si les navires espagnols n'étaient pas venus. Votre conception du bonheur a déséquilibré ce pays."
"Ce pays..." Je compris ce que Matsuki voulait dire.
"Je ne nie pas que beaucoup de sang ait été versé ici. Mais nous nous sommes rachetés. Les Indiens ont appris beaucoup de choses...Et, surtout, ils ont appris le chemin qui conduit au bonheur."
"Dans ce cas, vous avez l'intention de traiter le Japon comme vous avez traité la Nueva Espagna ?"
"Moi ? Je ne suis pas stupide. Je veux simplement faire bénéficier le Japon d'avantages et, en échange, obtenir la permission de prêcher les enseignements du Christ."
"Le Japon sera heureux d'apprendre le savoir et les techniques supérieures de vos pays. Mais nous n'avons pas besoin d'autre chose."
"Quel bilan tirerez-vous de l'imitation pure et simple de nos techniques ? Quel profit obtiendrez-vous par le seul savoir ? Ces techniques et ce savoir ont été créés par des coeurs humains cherchant le bonheur qui émane du Seigneur."
"Le bonheur dont vous parlez, répéta Matsuki, est un fléau pour nos petites îles."
Nous restions tous les deux sur nos positions. Finalement, Matsuki se tut, m'adressa un regard chargé de haine, puis pivota sur ses talons et s'en alla. J'eus alors l'impression, comme il l'avait dit, que nous ne nous reverrions pas.
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Je m’aperçus, honteux, que j’avais fait un rêve sexuel. Je m’attachais étroitement les poignets, précisément pour ne pas commettre de péché en une période comme celle-ci. C’est ainsi que je dus lutter toute la nuit contre les désirs puissants de ma chair, bien qu’ils ne soient plus aussi violents que lorsque j’étais jeune. Je m’agenouillai et priai. Comme ce corps physique est haïssable. Tout en priant, je fus soudain envahi par un terrible sentiment de désespoir. Goutte après goutte, je bus le poison qui filtrait dans mon âme et j’eus l’impression que je venais de découvrir mon visage repoussant dans un miroir. Les désirs de ma chair, ma haine des Jésuites, ma confiance presque arrogante dans l’œuvre que j’accomplissais au Japon, ma soif de conquête… toutes ces choses jaillirent successivement de mon âme si bien que je cessais de croire que le Seigneur accepterait encore d’écouter mes prières et mes requêtes.
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Notre navire est parti de Tsukinoura, port minuscule de la presqu'île d'Ojika, le cinquième jour du cinquième mois. Les japonais appellent le galion Mutsu Maru tandis que les Espagnols l'ont baptisé : San Juan Baptista. Le navire penche tandis que nous voguons en direction du nord-est sur les eaux froides de l'océan Pacifique. Les voiles gonflées font penser à des arcs. Le matin de notre départ, debout sur le pont, j'ai regardé fixement les îles du Japon qui ont été pendant dix ans mon pays d'adoption.
Dix ans...cela me déchire de le dire, mais la parole de Dieu doit encore prendre racine au Japon. A ma connaissance, les Japonais sont doués d'une intelligence et d'une curiosité qui ne sont en aucune manière inférieures à celle des divers peuples d'Europe. Mais, lorsqu'il s'agit de notre Dieu, ils ferment les yeux et s'enfoncent les doigts dans les oreilles. Par moments, ce pays m'est même apparu comme une île perdue, malsaine.
Mais je n'ai pas perdu courage. Je crois que les graines de l'enseignement de Dieu ont été plantées au Japon mais que l'on n'a pas su les faire pousser. Les Jésuites n'ont pas tenu compte de la nature de l'humus et ils n'ont pas choisi les engrais convenables. J'ai tiré profit des erreurs des Jésuites et, surtout, je connais le peuple japonais. Si je suis nommé Evèque, je ne commettrai pas les mêmes erreurs.
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Au matin du cinquième jour, le samouraï sortit pour la première fois de la cabine, qui empestait la laque et l’huile de poisson, et monta sur le pont. Lorsqu’il arriva sur le pont désert, il se trouva soudain exposé à un vent violent. Il retint son souffle et, tout d’un coup, devant ses yeux, les vagues bondissantes, s’étendirent dans toutes les directions.
C’était la première fois qu’il voyait l’océan immense. Il n’y avait pas la moindre trace de terre, pas même la silhouette d’une île. Les vagues se heurtaient, se bousculaient et poussaient des cris comme une mêlées de guerriers innombrables. La proue du navire se dressait, lance dans le ciel gris, et la coque, faisant jaillir de hauts jets d’écume, semblait sur le point de plonger dans une vallée de l’océan, puis remontait.
Le samouraï fut pris de vertige. A peine pouvait-il respirer dans les rafales de vent qui lui fouettaient le visage. A l’est, un océan de vagues bouillonnantes. A l’ouest, un océan de vagues rugissantes. Au sud et au nord, l’océan, aussi loin que portait son regard. Pour la première fois de sa vie, le samouraï prit conscience de l’immensité de la mer.
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Cette nuit-là, le samouraï rêva à nouveau du marais. Dans son rêve, il vit deux cygnes blancs volant dans le ciel brumeux de l'hiver. Les cygnes se laissaient porter par les courants, planant librement et descendant vers l'étang. Yozo leva soudain son mousquet. Le samouraï n'eut pas le temps de l'arrêter. Le coup fut assourdissant, résonnant dans la forêt blanche. Les oiseaux migrateurs perdirent brusquement l'équilibre et tombèrent comme des pierres vers l'eau de l'étang, décrivant des spirales noires dans leur chute. Le samouraï regarda Yozo à travers la fumée âcre de la poudre et, sans véritablement comprendre pourquoi, se sentit légèrement en colère contre lui. Massacre inutile, voulut-il dire, mais il se retint. Pourquoi les as-tu tués ? Ces oiseaux devaient retourner dans un pays lointain. Comme nous...
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Video de Shûsaku Endô (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Shûsaku Endô
Silence (film, 2016), réalisé par Martin Scorsese, d'après Silence de Shūsaku Endō, avec Liam Neeson, Andrew Garfield. Bande annonce.
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