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sur 4342 notes
♫On allait au bord de la mer
Avec mon père, ma soeur, ma mère
On regardait les autres gens
Comme ils dépensaient leur argent
Nous il fallait faire attention
Quand on avait payé le prix d'une location
Il ne nous restait pas grand-chose
Alors on regardait les bateaux
On suçait des glaces à l'eau
Les palaces, les restaurants
On ne faisait que passer d'vant♫

(Michel Jonasz – Les vacances au bord de mer)

La place, c'est celle du père, place qui sera désormais vide. Et ce vide incitera Annie, sa fille, à écrire la vie de cet homme, pour une certaine façon lui rendre hommage.

J'ai trouvé ce roman d'une violence inouïe. Je ne parle bien sûr pas de violences physiques que le père aurait infligées à sa fille, mais bien de la violence de classe que le père (et la mère aussi) a eu à subir toute sa vie, à travers le mépris de « ceux qui dominent, qui dirigent et qui écrivent dans les journaux ». Et de la violence inconsciente de la fille (je repense à la scène où elle lui offre de l'after-shave, lui qui n'a jamais pris soin de sa peau, de son corps, de lui quoi) qui choisit de renier ses origines modestes, d'abandonner ce monde qui sacralise les choses, ce monde qui compte et compare sans cesse, ce monde où le « bonheur » se définit « par rapport à», afin de se faire accepter dans le milieu bourgeois.

Annie Ernaux choisit de raconter en toute honnêteté ce monde qu'elle a quitté (ou peut-être dois-je écrire abandonner ?), tout en s'interrogeant sur son droit à raconter la vie modeste de son père, et potentiellement à en faire une création artistique. Et comment raconter des faits réels sans les trahir ? Démarche très intéressante, que certains auteurs aujourd'hui ignorent ou écartent trop rapidement, je trouve…

Ernaux ne veut pas tomber dans le piège de la fiction, mais quoi qu'elle fasse, de toute façon ce ne sera jamais « que » de la fiction. D'abord dans le choix des événements qu'elle raconte ou pas. Ensuite en insinuant une suite logique dans ces événements, suite logique qui est toujours inexistante dans nos vraies vies.

Elle prend le parti de s'en tenir aux faits, ce qui rend son écriture épurée, plate, presque scientifique, et qui laisse l'impression d'une enfance, d'une famille dépourvue de tendresse et d'émotions. Et pourtant, on trouve quand même quelques moments de tendresse, comme lorsque le père emmène sa fille à la foire aux manèges ou la conduit à l'école sur son vélo, moments si rares qu'ils n'en sont que plus émouvants, plus poignants.
Une lecture très intéressante sur les sans-voix, ceux qu'on n'entend jamais.

Et aussi, en filigrane, l'hommage tout en pudeur d'une fille à son père, au-delà des silences et des non-dits, au-delà de leurs différences et de l'impossibilité à communiquer.
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« Depuis peu, je sais que le roman est impossible. Pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité, je n’ai pas le droit de prendre d’abord le parti de l’art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant » ou d’ « émouvant ». Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d’une existence que j’ai aussi partagée ».

Dans ce court récit, Annie Ernaux raconte donc l’histoire de son père, né dans une famille paysanne en Normandie, garçon de ferme devenu ouvrier puis petit commerçant. Ses paroles, ses gestes, ses goûts sont ceux de sa « classe sociale », fruste, peu cultivée (« les livres, la musique, c’est bon pour toi. Moi je n’en ai pas besoin pour vivre »). A la force du poignet, il s’élèvera peu à peu à un niveau intermédiaire « entre le petit ouvrier qu’il était au départ et le petit-bourgeois qu’il ne sera jamais ». Malgré l’aisance financière acquise, il conservera toujours un sentiment d’infériorité mêlé de mépris à l’égard des « gens bien », qui parlent « bien », se tiennent « comme il faut », savent « ce qui est bien » et « ce qui ne se fait pas ».
Gêné par son éducation simple, maladroit, il met parfois involontairement sa fille dans des situations embarrassantes voire humiliantes. Le fossé de la communication entre ses parents et elle grandit d’autant plus qu’Annie Ernaux devient universitaire, poussée par ceux-ci à « faire des études » pour qu’elle devienne « mieux qu’eux ».
Mieux qu’eux, donc différente d’eux, d’où le dilemme impossible à résoudre : comment réussir sa vie au sens où l’entendent ses parents et donc prendre l’ascenseur social, sans renier pour autant ses origines et sa dette envers ceux à qui elle doit la vie et ce qu’elle est ?*
C’est pour expliquer cette distance qu’elle prend la plume, sans fioritures : « Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L’écriture plate me vient naturellement ».
De fait, le style est dépouillé, sobre, pudique. Certains diront qu’il est parfois cru, distant. Je crois que cette froideur apparente est une carapace de protection pour Annie Ernaux, qui y cache ses blessures, ou sa subjectivité. Ca n’empêche pas l’amour et les émotions d’affleurer, au contraire…

* L’œuvre d’Annie Ernaux a été analysée par le sociologue Vincent de Gaulejac dans « La névrose de classe ».

Lien : http://www.voyagesaufildespa..
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Quel hommage! Ici le Père d'Annie Erneaux prend toute sa "place". Ecrit tout simplement pour parler de cet homme très pragmatique, mais dont toute l'ambition était de voir sa fille réussir "mieux que lui"! Chacun de nous y retrouvera un parent, un ami, dont un jour on a eu "un peu honte" mais qui ,au fond , reste celui qui nous a appris tendresse et fraîcheur. Ce livre m'a été offert, et c'est vraiment un cadeau!
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Cette brève autobiographie expose l'ascension sociale d'une famille, les rapports familiaux d'un père autodidacte et d'une fille qui réalise enfin le rêve de plusieurs générations en parvenant enfin au monde bourgeois.
L'oeuvre est ordonnée autour de la vie du père d'Annie Ernaux, jusqu'à sa mort.
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Je ne crois pas qu'en dehors de certains écrits scientifiques ou professionnels (et encore!), il puisse y avoir d'écriture purement informative, strictement objective ou vierge de toute implication subjective de son auteur. Surtout, dès que mémoire ou imagination s'immiscent d'une manière ou d'une autre, comment concevoir alors qu'un exercice autobiographique et littéraire puisse raisonnablement se réclamer d'être «plat», comme le prétend l'auteure?

Et même si cela était possible, pour quoi en faire? Cela nous inviterait-il également à une lecture «plate»? Impossible, à mon avis...! La preuve ? Il suffit de lire les très nombreuses critiques du roman (présumé «anti-roman» par son auteure ?) postées sur le site : entre ceux qui le considèrent, soit comme un bel hommage, soit comme un affront à la mémoire de son père, je n'ai lu le moindre avis rédigé à partir d'arguments proches de ceux que pourrait éventuellement inspirer la lecture d'une démonstration quelconque sociologique.

À force néanmoins de vouloir «aplatir» et rester collé à des faits livrés à l'état brut, on risque, comme ce fut le cas pour votre serviteur, de conduire le lecteur à un sentiment désagréable de devoir se débrouiller tout seul pour pallier l'indigence émotionnelle se dégageant d'un texte dont ambition affichée est de bannir tout ce qui est subjectif et susceptible d'«émouvoir» : aucune «poésie du souvenir» ne sera tolérée ici, nous prévient l'auteure d'entrée de jeu.

Mais au nom de quoi? Et pourquoi le vrai «roman» (abandonné) qu'elle avait commencé à écrire dans un premier temps, dont son père était déjà le personnage principal, lui avait donné «une sensation de dégoût» ? Pas un mot là-dessus : strictement rien ne doit dépasser des sentiments scrupuleusement enfouis d'Annie Ernaux. Ravalez-les, lecteurs, et circulez!

Ce que pour ma part j'ai tout de même envie d'appeler simplement une «économie de moyens», technique narrative ayant fait ses preuves en littérature, poussée ici à l'extrême, sous la forme notamment d'un détachement affectif volontaire et radical (ce jusqu'à, par exemple, ne pas daigner nommer «soeur», sa soeur aînée, morte avant la naissance de la narratrice, évoquée sommairement comme «la petite fille») ne m'aura suscité en retour absolument aucune forme d'empathie envers sa narratrice (alors que, bien sûr, «économie» et «empathie» sont dans l'absolu, me semble-t-il, loin de devoir nécessairement s'exclure).

« C'est dans la manière dont les gens s'assoient et s'ennuient dans les salles d'attente, interpellent leurs enfants, font au revoir sur les quais de gare que j'ai cherché la figure de mon père ». Plutôt que dans ce «jardin» de la mémoire et dans les «cendres» qui le recouvrent, pour reprendre la belle image qui donnait titre à un roman de Danilo KisJardin, Cendre») par quel autre mécanisme psychologique donc, me suis-je demandé, se sentirait-on porté à rechercher la mémoire d'un parent proche «dans des êtres anonymes rencontrés n'importe où»?

Cette gageure de vouloir écrire sur soi et sur sa vie dans un style impersonnel et minimaliste, en se fondant soi-disant dans un illusoire anonymat sociologique afin de se prémunir (artificiellement, de mon point de vue) contre tout affect personnel, finira par perdre complètement un lecteur comme moi, habitué à chercher exactement le contraire dans un livre, à savoir ce qui rend toute vie unique, irremplaçable et inchangeable : l'économie des moyens finirait ici par ressembler à mes yeux plutôt à une forme navrante d'avarice émotionnelle.

Il ne m'est pas simple, croyez-moi, de rédiger ce billet spontanément, depuis « la place » que je tiens à occuper en tant que lecteur... de nombreux inconditionnels d'Annie Ernaux, à l'instar de l'auteure elle-même («je veux venger ma race» insiste-t-elle à affirmer comme motivation principale à son écriture lors de son discours de remise du Nobel, ce qui, soit dit au passage, dans le contexte actuel d'extrême polarisation identitaire, ne me paraît pas être une formule tout à fait heureuse et auspicieuse, bref..) - voire même certains de ses détracteurs, considèrent d'un commun accord qu'il s'agit avant tout d'une oeuvre «engagée» politiquement, d'une littérature de «combat». Dès lors, «aimer» ou «ne pas aimer» les livres d'Annie Ernaux peut quelquefois vous valoir un marqueur idéologique…. J'avoue en même temps que, de cet étroit point de vue-là, personnellement j'aurais préféré pouvoir déclarer haut et fort «aimer» Ernaux: ma sensibilité personnelle est sans aucun doute beaucoup plus proche de la plupart de ceux qui l'adorent que de la plupart de ceux qui la détestent...

Mais, honnêtement, je ne peux pas adhérer à un tel style hybride, barricadé derrière la question sociale, ni trouver mon compte dans une lecture qui s'avérerait trop «monocorde» à mes oreilles, et qui, quoiqu'artificieusement placée au ras du factuel, ne cesserait de me renvoyer à une impression de revendication ressentimentaire qui n'ose pas dire son nom, à une sécheresse affective de surface pointant régulièrement, en sourdine, une dose inavouée de cruauté.

Vengeance de sa race à consommer certes bien froide, accommodée en une sauce littéraire propice à mon sens à nourrir copieusement une tribune engagée autour des injustices sociales ou de la problématique identitaire des « transclasses », mais qui me laisserait, moi, en tant que lecteur, exsangue à la fin de ces maigres pages, totalement sur ma faim...
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Ce livre est une autobiographie centrée sur le père de Annie Ernaux. Je suppose qu'un livre ultérieur pourrait mieux expliquer pourquoi l'auteur semble totalement incapable de se souvenir d'un événement impliquant son père sans trouver quelque chose de péjoratif à dire. Il y a des moments où l'on s'aperçoit d'une certaine douceur dans son attitude envers son père.

Cependant, étant donné l'immense lutte que son père a dû mener pour se sortir de la vie de paysan français et améliorer son statut, pour que sa fille puisse avoir un meilleur départ et par l'éducation se sortir complètement de la classe dans laquelle il est né, je trouve son attitude condescendante, arrogante et impitoyable.

Pourtant, en écrivant son histoire, elle rend hommage, sciemment ou non, à son père.

Ernaux lutte avec le mot "honte" tout au long du livre. Cela reste un livre que j'ai lu parce qu'on m'a dit qu'il est "significatif" dans la littérature française mais l'écriture reste simple et plate.
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Lu en audio. Après, naguère, l'avoir lu en papier.
Pourquoi? Après une discussion au cours de laquelle mon jugement initial avait été ébranlé, mais étant incapable de répondre objectivement, ayant oublié pas mal de choses.
La place, c'est la sienne dans la société. Elle est heureuse, elle est devenue une bourgeoise, issue d'une famille modeste qu'elle renie sans le dire. Par fatalisme.
Elle appelle cela une trahison de classe, mais c'est plutôt une désertion.
On a l'impression à chaque ligne qu'elle est spectatrice de son manque d'empathie envers les siens. C'est assez triste mais, l'image de son père en sort presque grandie, ce qui n'en fait finalement qu'un demi-crime d'abandon.
Heureusement, au moment où elle écrit ces lignes, les EHPAD ne sont pas à la mode. Cela l'aurait privé de ce livre.
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Chronique courte

Difficile de chroniquer un livre comme La Place de Annie Ernaux, première incursion pour moi dans l'oeuvre de cette voisine normande devenue culte au fil des livres et du temps.

Difficile de dire ma surprise et ma déception face à une lecture à l'intensité inverse de celle attendue.

Ce récit autobiographique distancié - très distancié – est certes un témoignage fort d'une ascension sociale réussie, racontée au lendemain du décès du père de l'auteure.

Une écriture simple, directe, accessible et pudique. Une célébration de la grâce et des vertus des mots, de l'écriture et de la littérature.

Mais où est l'intensité ? le souffle ? La passion ? le message ? La transcendance de la banalité ? Tant de simplicité m'interpelle…

Mais conscient que comme chez la plupart des « grands », c'est l'oeuvre complète d'Ernaux qui fait sens, je vais persévérer.
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Annie Ernaux nous parle de son père, cet homme dont elle s'est éloigné. Sans émotion ni jugement, elle nous livre la vie de cet homme, vacher devenu patron de café.
Il est difficile de noter ce livre, car bien entendu il ne s'agit pas de juger cette histoire de vie. La forme d'écrit qu'a choisit Annie Ernaux n'est cependant pas très sympathique. Ce sont des mots, à peine des souvenirs de son enfance. Elle se détache de tout ça et nous avons un regard finalement froid sur ce qu'elle nous raconte...
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J'avoue avoir eu quelques préjugés au départ, dans la mesure où, dans les manuels scolaires, on nous donne toujours les deux mêmes passages (celui où elle décrit sa rébellion lorsqu'elle était adolescente et celui où elle parle de la peur de ses parents face aux croix de feu). Par ailleurs, je trouve absurde de donner ces deux extraits car ils sont tirés de leur contexte et on leur fait dire n'importe quoi.


J'ai vraiment aimé ce livre à caractère autobiographique. le point de départ est la mort du père. Annie Ernaux va ainsi retracer la vie de ses parents à travers ses souvenirs. Il n'y a rien de larmoyant (ce que j'appréhendais). L'auteur décrit tout ceci avec une pudeur touchante. L'écriture est fluide.

Lorsqu'on commence ce livre (peu épais, certes, mais à quoi bon s'étaler lorsque tout est dit?), on ne s'arrête plus. On le lit d'un trait.

La Place a obtenu le Prix Renaudot en 1984.
Lien : http://promenades-culture.fo..
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