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L'appel de la nature tome 1 sur 3
EAN : 9782072946059
128 pages
Gallimard (06/01/2022)
3.53/5   702 notes
Résumé :
Anouk a quitté son appartement confortable de Montréal pour un refuge forestier délabré au Kamouraska. Encabanée loin de tout dans le plus rude des hivers, elle livre son récit sous forme de carnet de bord, avec en prime listes et dessins. Cherchant à apprivoiser son mode de vie frugal et à chasser sa peur, elle couche sur papier la métamorphose qui s'opère en elle : la peur du noir et des coyotes fait place à l'émerveillement ; le dégoût du système, à l'espoir ; le... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (145) Voir plus Ajouter une critique
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sur 702 notes
Ça commençait bien.Départ immédiat. Destination solitude (pas tout à fait d'ailleurs, si l'on tient compte des souris), "simplicité volontaire", avec curseur pointé sur congélation. Partir pour se tester, check-up autonomie: de quoi peut-on encore être capable sans béquilles technologiques, avec une hache pour fendre la glace et trouver de quoi boire?
Survie et littérature, Anne Hébert en éclaireuse, Félix Leclerc en rabatteur: notre héroïne emprunte parfois les mots des autres et tient le froid à distance en égrenant tout ce qu'elle abandonné depuis qu'elle s'est encabanée: "L'asphalte, les pelouses taillées -vous savez, ces haies de cèdres torturées-, l'eau embouteillée, la propagande sur écran, la méfiance entre voisins, l'oubli collectif de nos ancêtres et de nos combats, l'esclavage d'une vie à crédit et les divans sur lesquels on s'incruste de fatigue. La ville encrassée où l'on dort au gaz dans un décor d'angles droits."
Mais comme il fait toujours très froid, que les coyotes regardent l'intruse d'un sale oeil et que la hache mal apprivoisée a transformé son visage en "un barbeau de couleurs blessées", voilà notre narratrice obligée d'en remettre bien des couches pour se souvenir qu'elle a de bonnes raisons de s'infliger ça. En guise de guide de survie, le lecteur marri se retrouve bientôt à survoler la plate complainte de la Montréalaise shootée aux implants mammaires et régimes amaigrissants, symbole du monde décadent que Gabrielle Filteau-Chiba a fui. de Anne Hébert, on dégringole dangereusement vers le blog d'adolescente: "Je cherchais des yeux un endroit où m'éclipser, comme un animal blessé se tapit dans l'ombre, mais il n'y avait que du béton partout." Non, non, Gabrielle, il n'y a pas que du béton: beaucoup de gros clichés, aussi.
Des clichés et de la dissertation. Alors, thèse: la civilisation c'est pas bien. Antithèse: la nature, c'est froid. Synthèse (priez pour nous): un bel activiste pourchassé passe par là, la culbute (alors qu'avec la température, il devrait réalistement n'avoir qu'un petit zizi tout ratatiné), fend son bois, déneige le panneau solaire, redémarre la voiture, et hop, notre héroïne est désormais remise sur les rails de sa vie: "Enfin, j'avais découvert le sens à ma vie de féministe rurale: me dévouer à la protection de la nature corps et âme."
(Féministe parce que, même si elle a besoin d'un homme pour déneiger son toit, elle a "brûlé (s)on soutien-gorge et ses cerceaux de torture". Pauvre choupinette, va.)
Sinon, le Don Juan de la toundra a un peu tué quelqu'un et c'est vraiment triste parce que, du coup, il risque la prison.
Je suis moi-même très abattue sur ce coup, ça me ferait presque croire que Sylvain Tesson c'est Victor Hugo. C'est dire.
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Pour le Défi Lecture 2023, il me fallait lire un livre dans lequel il y a une expression québécoise. Mon choix s'était arrêté sur Patrick Senécal, sans encore savoir lequel de ses livres je lirai. Mais ce dernier étant aux abonnés absents dans mon réseau de bibliothèques (au nombre de onze quand même), je me suis rabattue sur "Encabanée" de Gabrielle Filteau-Chiba, elle-même québécoise. Ma première surprise a été de constater, lorsque je suis allée le récupérer après réservation, que c'est en fait un très court roman, de tout juste 120 pages. Mais même si j'aime les romans un peu plus consistants, je ne rechigne plus autant qu'avant devant des romans plus petits, étant tombée de temps à autre sur de petites mais jolies pépites.

Et en ce qui concerne les expressions québécoises, là j'ai eu mon compte ! L'autrice étant « une ardente défenseuse de la langue québécoise », ce livre en regorge, au point d'avoir même glissé un glossaire en fin d'ouvrage pour les expressions qui nous paraîtraient quelque peu biscornues. J'ai lu ce livre sans pouvoir m'empêcher d'entendre l'accent québécois tout du long, surtout dans les dialogues. C'était dément.

C'est bien évidemment au Québec que se déroule l'histoire, dans laquelle nous serons aux côtés d'Anouk durant neuf petits jours :

« Lassée de participer au cirque social qu'elle observe quotidiennement à Montréal, Anouk quitte son appartement pour une cabane rustique au Kamouraska, là où naissent les bélugas. Encabanée dans le plus rude des hivers, elle apprend à se détacher de son ancienne vie et renoue avec ses racines. Couper du bois, s'approvisionner en eau, dégager les chemins, les gestes du quotidien deviennent ceux de la survie. Débarrassée du superflu, accompagnée par quelques-uns de ses poètes essentiels et de sa Marie-Jeanne, elle se recentre, sur ses désirs, ses envies et apprivoise cahin-caha la terre des coyotes et les sublimes nuits glacées du Bas-Saint-Laurent. »

Ce qui a arrêté mon choix sur ce livre, c'est le côté nature-writing. En cela, je suis un peu déçue. Si l'on ressent parfaitement l'atmosphère glaciale et enneigée, les paysages en revanche ne sont pas décrits. Je trouve dommage d'avoir été invitée dans un tel environnement sans pouvoir me le représenter autrement que par une cabane au milieu des bois enneigés, sans le moindre petit détail.

Et puis, ça pêche aussi un peu du côté des personnages, ou plutôt du personnage puisqu'il y en a qu'un (deux en fait, mais le second est plutôt insignifiant). Anouk étant seule et isolée, on est essentiellement dans de l'introspection. En cela, elle est plutôt bien maîtrisée, le style net et spontané de l'autrice n'y étant pas pour rien. Seulement voilà, à part nous dire qu'elle a froid, très froid, et qu'elle a besoin d'un amant, elle ne nous révèle pas grand chose de sa personne et de sa personnalité. On sait les raisons qui l'ont poussée à "s'encabaner", mais comment s'y est-elle prise ? Comment cela a-t-il été possible pour commencer ? Comment en est-elle venue à trouver cette cabane ? Que faisait-elle avant ? Pourquoi ce revirement de situation ? Pourquoi à ce moment-là précisément ? Tant de questions auxquelles on n'a pas les réponses. Tant d'éléments manquants ne nous permettant pas de mieux cerner le personnage.

Quant aux sujets évoquant la crise écologique et le féminisme, là encore, ça manque d'approfondissement et d'argumentation. le message est pourtant clair et peu subtil, mais arrive clairement comme un cheveu sur la soupe, pour repartir aussi sec.

Pour 120 pages, je m'attendais effectivement à ce que ce livre ne réponde pas à toutes mes attentes, mais pas autant je dois dire et c'est pour cela que j'en ressors plus déçue que ravie.

Mais il a tout de même du potentiel. Comme je l'ai déjà dit, on subit parfaitement l'atmosphère hivernale à (très) basse température, avec les bruits et sons de la nature et des animaux au coeur même du silence glacial. le cheminement intérieur d'Anouk est bien mené, dans le sens où l'on comprend bien son quotidien solitaire et pesant (froid, bois à couper et à rentrer, eau à dégeler et à chauffer, pas de moyens de communication, isolement, vie en autonomie, etc). le style de l'autrice, aiguisé, franc, aux phrases courtes, n'est pas désagréable.

Je n'ai donc pas passé un mauvais moment. L'ensemble est même plaisant, mais j'en ressors avec un goût d'inachevé. Un peu (beaucoup) plus développé m'aurait sans doute convaincue davantage.
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Quelquefois, le confinement a du bon

En racontant le séjour d'Anouk, partie en plein hiver «s'encabaner» dans la forêt québécoise, Gabrielle Filteau-Chiba réussit un premier roman écolo-féministe écrit avec poésie et humour. Une belle réussite!

Le 2 janvier, en plein hiver, Anouk, la narratrice de ce court et beau roman «file en douce» de Montréal pour s'installer à Saint-Bruno-de-Kamouraska, «tombée sous le charme de ce nom ancestral - Kamouraska - désignant là où l'eau rencontre les roseaux, là où le golfe salé rétrécit et se mêle aux eaux douces du fleuve, là où naissent les bélugas et paissent les oiseaux migrateurs.»
Elle ne nous en dira guère plus de ses motivations, si ce n'est qu'elle entend fuir un quotidien trop banal et une vie où le superficiel a pris le pas sur l'essentiel. En revanche, elle va nous raconter avec autant de crainte que d'humour, avec autant d'émotion que de poésie sa vie dans et autour de cette cabane perdue dans l'immensité de la forêt. Elle doit d'abord lutter contre le froid intense qui s'est installé avant d'imaginer se consacrer à son programme, lire et écrire. Et se prouver qu'au bout de sa solitude, sa vie va recommencer.
Intrépide ou plutôt inconsciente, elle ne va pas tarder à se rendre compte combien sa situation est précaire. «Le froid a pétrifié mon char. le toit de la cabane est couvert de strates de glace et de neige qui ont tranquillement enseveli le panneau solaire. Les batteries marines sont vides comme mes poches. Plus moyen de recharger le téléphone cellulaire, d'entendre une voix rassurante, ni de permettre à mes proches de me géolocaliser. Je reste ici à manger du riz épicé près du feu, à chauffer la pièce du mieux que je peux et à appréhender le moment où je devrai braver le froid pour remplir la boîte à bois. Ça en prend, des bûches, quand tes murs sont en carton.»
Et alors qu'un sentiment diffus de peur s'installe, que les questions se bousculent, comment faire seule face à un agresseur alors que la voiture refuse de démarrer, peut-elle se préparer à mourir gelée ? Ou à être dévorée par les coyotes qui rôdent? Presque étonnée de se retrouver en vie au petit matin, elle conjure le sort en dressant des listes, comme celle des «qualités requises pour survivre en forêt», avec ma préférée, la «méditation dans le noir silence sur ce qui t'a poussée à t'encabaner loin de tout».
Peut-être que le fruit de ses réflexions lui permettra de goûter au plaisir de (re)découvrir des oeuvres d'Anne Hébert, de Gilles Vigneault et de quelques autres auteurs de chefs-d'oeuvre de la littérature québécoise qui garnissent la bibliothèque de sa cabane. Et d'y ajouter son livre? «J'ai troqué mes appareils contre tous les livres que je n'avais pas eu le temps de lire, et échangé mon emploi à temps plein contre une pile de pages blanches qui, une fois remplies de ma misère en pattes de mouche, le temps d'un hiver, pourraient devenir un gagne-pain. Je réaliserai mon rêve de toujours: vivre de ma plume au fond des bois.»
Après quelques jours, son moral remonte avec l'arrivée inopinée de Shalom, un gros matou «miaulant au pied de la porte comme téléporté en plein désert arctique» et dont la «petite boule de poils ronronnante» réchauffe aussi bien ses orteils que son esprit.
Avec un peu de sirop d'érable, la vie serait presque agréable, n'était cette vilaine blessure qui balafre son visage. Couper le bois est tout un art.
C'est à ce moment qu'une silhouette s'avance. À peine le temps de décrocher le fusil que Rio est déjà là à demander refuge. La «féministe rurale» accueille ce nouveau compagnon avec méfiance, puis avec cette chaleur qui lui manquait tant. «Ton souffle chaud sur ma peau me fait oublier les courants d'air dans la cabane et le froid dehors. Je m'agrippe à tes longs cheveux. Je nous vois, toi et moi, sur un tapis de lichen valser au rythme de la jouissance. Encore et encore. Mon dos cambré comme un arc amazone est prêt à rompre.» Au petit matin son amant lui dira tout. Il est en fuite, recherché par la police pour avoir saboté la voie ferrée. Rio est un activiste environnemental qui se bat contre le pétrole des sables bitumineux. Pour lui, «se taire devant un tel risque environnemental, c'est être complices de notre propre destruction». Alors Anouk va lui proposer de l'emmener à travers la forêt jusqu'aux États-Unis…
Gabrielle Filteau-Chiba a parfaitement su rendre la quête de cette femme, partie pour se retrouver. Et qui, en s'encabanant, va découvrir non seulement des valeurs, mais aussi une boussole capable de lui ouvrir de nous horizons, sans se départir de son humour: «Incarner la femme au foyer au sein d'une forêt glaciale demeure, pour moi,
l'acte le plus féministe que je puisse commettre, car c'est suivre mon instinct de femelle et me dessiner dans la neige et l'encre les étapes de mon affranchissement.»
Quelquefois, le confinement a du bon.
«Ma vie reprend du sens dans ma forêt», dit Anouk. En lisant son témoignage, notre vie aussi reprend du sens.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Jolie lecture âpre et poétique, avec un zeste d'autodérision et d'humour....

J'ai choisi ce texte il y a juste une année, en février 2021...depuis,et tout récemment j'ai offert le second livre de cette auteure québécoise ( faisant suite,d'une certaine façon,à celui-ci):"Sauvagines"...

La narratrice,Anouk, lassée et exaspérée du cirque social qu'elle endure à Montréal, depuis trop longtemps, à son goût, décide de tout quitter pour se réfugier dans une cabane sommaire au fond d'une forêt, au Kamouraska,là où naissent les bélugas.

Exergue choisie par l'auteur nous explique le déclic ayant provoqué ce choix : "Merci Anne Hébert.Après la lecture de -Kamouraska-,j'ai troqué l'ordinaire de ma vie en ville contre l'inconnu et me suis libérée des rouages du système pour découvrir ce qui se dessine hors des sentiers battus.Merci de m'avoir fait rêver d'une forêt enneigée où m'encabaner avec ma plume."

Anouk nous décrit son quotidien difficile à survivre dans un milieu naturel et sauvage difficile,,, d'autant plus que cela se déroule en plein hiver où le froid atteint des températures fort dissuasives...

Toutefois Anouk est déterminée...elle a besoin de retrouver l'Essentiel, ce qui compte vraiment,en dehors d'une société de moutons dociles,broyés dans des courses professionnelles et consuméristes...sans fin...

Son rêve ressemble à ceux de Thoreau: retrouver la nature,en prendre soin,réapprendre à apprécier ce qu'elle nous offre généreusement...et ÉCRIRE au fond des bois dans sa petite cabane,où elle recueille un gros matou noir...ainsi qu'un homme rebelle,recherché, qu'elle hébergera momentanément...
Alternent au récit des listes de souhaits ou de gratitudes...non dénuées de malice et de clins d'oeil ironiques ! (In-fine, définitions d'expressions typiquement québécoises...bien précieuses !)

Après cette lecture très touchante,nous interpellant d'une manière ou d'une autre dans nos propres vies citadines, je vais m'empresser de lire le texte d'Anne Hébert et "Sauvagines"...de Gabrielle Filteau-Chiba,pour rester un plus longtemps avec notre vaillante "héroïne solitaire"...qui dans "Sauvagines" exerce le métier de "Garde-forestier"....

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Kamouraska est une petite localité de 700 habitants au Québec, à l'embouchure du St Laurent. Elle y a acheté une forêt pour le prix d'un appartement en ville. Elle a tout plaqué et s'est retiré dans sa cabane, perdue sous les neiges d'un mois de janvier. Elle fait l'expérience de la solitude, voulant rompre avec le rythme effréné de l'éternelle fuite en avant du monde citadin. Ce sera l'occasion pour elle de rencontrer une meute de coyotes, un chat noir aux yeux orange, un fugitif écolo.
« Encabanée » est le journal d'une femme qui réalise le rêve de beaucoup, stopper la course après les choses futiles pour se recentrer sur l'essentiel : sa vie.
Editions Gallimard, Folio, 110 pages.
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critiques presse (3)
LaPresse
11 mars 2021
Après Encabanée et Sauvagines, Gabrielle Filteau-Chiba renoue avec ses personnages Anouk, Raphaëlle et Riopelle dans Bivouac, un récit engagé et émouvant qui rend hommage aux forêts et aux communautés qui font tout pour les protéger.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LaPresse
28 février 2018
Le premier livre de Gabrielle Filteau-Chiba, Encabanée, est inspiré du rude hiver qu'elle a passé dans sa cabane du Bas-du-Fleuve, en 2013.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LeJournaldeQuebec
19 février 2018
Les 10 jours qu’a dû passer Gabrielle Filteau-Chiba encabanée dans son petit refuge du Bas-Saint-Laurent à cause d’une vague de froid l’ont inspirée à écrire un livre qui s’approche de ce qu’elle a vécu, avec une part de fiction.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Citations et extraits (121) Voir plus Ajouter une citation
Bourrer le poêle de bûches . Remplir la lampe à huile. Lire, écrire, dessiner jusqu'à ce que mes paupières et la nuit tombent.


p22
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Me confronter à moi-même en toute nudité. Sans les mirages d'une vie axée sur la productivité et l'apparence.

p 38
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INCIPIT
Merci, Anne Hébert. Après la lecture de Kamouraska, j’ai troqué l’ordinaire de ma vie en ville contre l’inconnu et me suis libérée des rouages du système pour découvrir ce qui se dessine hors des sentiers battus. Merci de m’avoir fait rêver d’une forêt enneigée où m’encabaner avec ma plume.

2 janvier
Le verre à moitié plein de glace
J’ai filé en douce. Saint-Bruno-de-Kamouraska, ce n’est pas la porte à côté, mais loin de moi le blues de la métropole et des automates aux comptes en souffrance.
Chaque kilomètre qui m’éloigne de Montréal est un pas de plus dans le pèlerinage vers la seule cathédrale qui m’inspire la foi, une profonde forêt qui abrite toutes mes confessions. Cette plantation d’épinettes poussées en orgueil et fières comme des montagnes est un temple du silence où se dresse ma cabane. Refuge rêvé depuis les tipis de branches de mon enfance.
Kamouraska, je suis tombée sous le charme de ce nom ancestral désignant là où l’eau rencontre les roseaux, là où le golfe salé rétrécit et se mêle aux eaux douces du fleuve, là où naissent les bélugas et paissent les oiseaux migrateurs. Y planait une odeur de marais légère et salée. Aussi parce qu’en son cœur même, on y lit « amour ». J’ai aimé cet endroit dès que j’y ai trempé les orteils. La rivière et la cabane au creux d’une forêt tranquille. Je pouvais posséder toute une forêt pour le prix d’un appartement en ville ! Toute cette terre, cette eau, ce bois et une cachette secrète pour une si maigre somme… alors j’ai fait le saut.
C’est ici, au bout de ma solitude et d’un rang désert, que ma vie recommence.
Le froid a pétrifié mon char. Le toit de la cabane est couvert de strates de glace et de neige qui ont tranquillement enseveli le panneau solaire. Les batteries marines sont vides comme mes poches. Plus moyen de recharger le téléphone cellulaire, d’entendre une voix rassurante, ni de permettre à mes proches de me géolocaliser. Je reste ici à manger du riz épicé près du feu, à chauffer la pièce du mieux que je peux et à appréhender le moment où je devrai braver le froid pour remplir la boîte à bois. Ça en prend, des bûches, quand tes murs sont en carton.
Un carillon de gouttelettes bat la mesure et fait déborder les tasses fêlées que j’ai placées le long des vitres. Par centaines, les glaçons qui pendent au-delà des fenêtres sont autant de barreaux à ma cellule, mais j’ai choisi la vie du temps jadis, la simplicité volontaire. Ou de me donner de la misère, comme soupirent mes congénères, à Montréal.
Je ne suis pas seule sous le toit qui fuit. Une souris qui gruge les poutres du plafond s’est taillé un nid tout près de la cheminée. Je l’entends grattouiller frénétiquement jour et nuit. Au fond, pas grand-chose ne nous différencie, elle et moi, ermites tenant feu et lieu au fond des bois, femelles esseulées qui en arrachent. Comme elle, je vais finir par manger mes bas. Comme elle, j’ai choisi l’isolation… ou plutôt l’isolement.
Maman, j’ai brûlé mon soutien-gorge et ses cerceaux de torture. Jamais je ne me suis sentie aussi libre. Je sais qu’avec mon baccalauréat de féministe et tous mes voyages, ce n’est pas là que t’espérais que j’atterrisse.
Mais je t’avoue que dans la nuit noire, quand je glisse sur la patinoire de mon verre d’eau renversé et qu’un froid sibérien siffle entre les planches, je jure entre mes dents et étouffe dans mon foulard un énorme sacre. Fracturation de schiste ! Mardi de vie de paumée! Sacoche de bitume faite en Chine! Tracteur à gazon! Tempête de neige!
J’oublie un moment la politesse de la jeune fille rangée, les règles de bienséance et de civilité. Fini, les soupers de famille où l’on évite les sujets chauds, où les tabous brûlent la langue et l’autocensure coince comme une boule au fond de la gorge. Crachat retenu. Chakra bloqué. Statu quo avalé.
Je passe mon ère glaciaire avec Anne Hébert et Marie-Jeanne, hantée par les cris des fous de Bassan, et plane entre les rêves où, comme ces vastes oiseaux marins, je vole très haut et plonge très creux dans la mer algueuse. Et je m’emboucane dans la cabane comme prisonnière de l’hiver ou prise en mer sans terre en vue, les hublots embués, les idées floues.
Tragique, la beauté des arbres nus me donne envie d’écrire, de sortir mon vieux journal de noctambule et de m’enfoncer dans les courtepointes aux motifs de ma jeunesse, d’y réchauffer mes jambes que je n’épile plus, à la fois rêches et douces comme la peau d’un kiwi. Le vent porte l’odeur musquée des feuilles mortes sous la neige, et j’attends un printemps précoce comme on espère le Québec libre. Le temps doux reviendra. L’avenir changera de couleur.
J’y crois encore, même si nos drapeaux sont en berne. Les écorces d’orange sur le poêle encensent la pièce d’un parfum camphré, comme le vin chaud à la cannelle le soir de Noël. Tous ces souvenirs d’avant la croisée des chemins où j’ai tourné le dos à tout ce qu’il y avait de certain pour foncer là où il y a plus de coyotes que de faux amis.
«La mémoire se cultive comme une terre. Il faut y mettre le feu parfois. Brûler les mauvaises herbes jusqu’à la racine. Y planter un champ de roses imaginaires, à la place.»
La grange est remplie de vieux outils rouillés que je trie. Égoïne, chignole, hache – charpentières de l’Apocalypse ou planches de Salut – armes fantasques de la palissade serpentée de ronces que j’érigerais autour de mon cœur affolé, de mon corps meurtri et de ma terre, trop belle pour être protégée de la bêtise humaine.
Les pionnières errent seules dans la foule. Leur regard transcende l’espace. Leurs traces dans la neige restent un temps, un battement, une mesure.
Comment fait-on pour s’éviter l’usure, le cynisme, l’apathie quand le peuple plie et s’agenouille devant l’autorité, consentant comme un cornouiller qui ne capte plus de rêves?
À quatre heures pile, j’entends au loin le cri strident d’une locomotive s’éreintant sur les rails. Cargos de bitume fusent plein moteur d’un océan à l’autre, et le train noir du progrès ternit mes songes à l’abri de la civilisation, ponctue ma réclusion forestière de bruits laids qui m’écorchent les oreilles à chaque fois. J’ai beau m’être créé un «dôme aux cent noms
où on ne se retrouve que lorsqu’on a tout espéré», j’ai beau m’effacer dans la neige, la peur me remonte à la gorge. Celle qu’on me pollue, que les têtards pataugent dans l’huile et que la boue sente la mort. J’essaie de trouver à la plainte ferroviaire le charme d’une autre époque, comme si j’habitais un Yukon étincelant d’or et que la gare et ses chants de sirènes étaient garants de vivres et de sang neuf.
Rien n’y fait. Il y a, dans ce crissement métallique, tout ce qui m’effraie du monde là-bas. L’asphalte, les pelouses taillées – vous savez, ces haies de cèdres torturés –, l’eau embouteillée, la propagande sur écran, la méfiance entre voisins, l’oubli collectif de nos ancêtres et de nos combats, l’esclavage d’une vie à crédit et les divans dans lesquels on s’incruste de fatigue. La ville encrassée où l’on dort au gaz dans un décor d’angles droits. Pendant ce temps, le poison nous roule sous le nez. Et nul doute, le sang des sables de l’Ouest se déversera un jour sur nos terres expropriées.
À chacun son inévitable alarme : je ne sais plus l’heure qu’il est sans ce train qui crie comme une cloche d’école dicte les moments de rentrée, puis de liberté. Le matin, il me botte le cul pour me tirer du lit.
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Le grand-duc m'accompagne de son houhou feutré. Je lève la tête et le cherche du regard. Il est là, perché dans le tremble mort au bord de l'eau. Au bord de la glace, plutôt. La nuit ne tarde pas à plonger la forêt dans le noir ébène. La flamme d'une chandelle oubliée se noie dans la cire sur la table de chevet. Je fais l'ange dans une couette de neige si douillette que je pourrais m'y endormir. Une belle mort dans la grande noirceur.
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J'ai appris à tâtons les secrets des essences. Le bouleau à papier attise les flammes, l'épinette sert de petit bois d'allumage, et l'érable donne de longues bouffées de chaleur qui me font rêver aux sources thermales des Rocheuses. Je dors comme un dauphin aux hémisphères indépendants, un oeil fermé, un oeil ouvert, guettant les flammes qui se consument. Quand le bout de mon nez est gelé, il est déjà trop tard, il ne reste que des cendres volatiles, et il faut recommencer le rituel - écorces de bouleau, épinette fendue, érable massif - avec patience, même si je cogne des clous.
L'aurore et ses pastels fixent le temps. Nulle âme à qui adresser la parole, j'écris à une amie imaginaire. Le manque de sommeil me fait frôler la folie parfois, mais le soleil se lève chaque matin sur un tableau plus blanc que jamais, avec ses flocons qui tourbillonnent comme dans une boule de cristal. Malgré la rigueur de ma vie ici, le verre d'eau sur la table me paraît encore à moitié plein...même s'il est plein de glace.
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Vidéo de Gabrielle Filteau-Chiba
Lecture par l'autrice & rencontre animée par Simon Payen
Pendant huit ans, Gabrielle Filteau-Chiba a vécu au coeur de la forêt québécoise. Seule dans une cabane, elle a dû apprendre à vivre dans ce nouvel environnement. Répartis en quatre saisons, ses poèmes témoignent de cette quête de sens. Ils décrivent son apprentissage des dangers de la nature et son adaptation progressive. Dominée par la beauté de la flore et de ses occupants, sa poésie met également en garde contre les nombreuses menaces qui continuent de planer sur ces territoires sauvages.
« J'en viendrai là c'est clair à aimer la pénombre à préférer au jour mes nuits de veille raconter le ruisseau gelé la soif du lac abreuvoir ce quelque part où enfin étancher toutes les bêtes en moi » Gabrielle Filteau-Chiba, La forêt barbelée.
À lire – Gabrielle Filteau-Chiba, La forêt barbelée, Castor Astral, 2024.
Son par François Turpin Lumière par Patrick Clitus Direction technique par Guillaume Parra Captation par Camille Arnaud
+ Lire la suite
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