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L'appel de la nature tome 3 sur 3
EAN : 9782072969362
432 pages
Gallimard (11/01/2024)
4.07/5   171 notes
Résumé :
La lutte pour le territoire peut être belle. Riopelle y met tout son cœur, tout son art, contribue au Bivouac en plein bois comme à une dernière chance de sauver à la fois Gros Pin et une humanité en déroute. Pendant ce temps, à la Ferme Orléane, Anouk et Raph s’y attellent les deux mains dans la terre, portées par la possibilité d’une agriculture et d’un vivre-ensemble révolutionnaires... ainsi que la promesse de suffisamment de conserves pour retourner passer l’hi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (31) Voir plus Ajouter une critique
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Le combat des activistes canadiens continue

Après Encabanée et Sauvagines, Gabrielle Filteau-Chiba poursuit son engagement en faveur de la préservation de la forêt canadienne. Un combat contre la construction d'un oléoduc qui va virer au drame.

Nous avions découvert Gabrielle Filteau-Chiba avec son saisissant premier roman, Encabanée, qui retraçait le choix fait par la narratrice de passer un hiver en autarcie dans la forêt canadienne. C'est là qu'elle avait croisé pour la première fois le militant écologiste Riopelle. Puis dans Sauvagines, elle a suivi le combat de Raphaëlle, agente de protection de la faune dans le haut-pays de Kamouraska. C'est dans ce second épisode qu'elle tombait amoureuse d'Anouk.
Avec Bivouac, le troisième volet de cette trilogie sur les combats écologiques – mais qui peut fort bien se lire indépendamment des deux premiers romans – elle choisit le roman choral qui va donner la parole à tous ces personnages, servis par une plume acérée.
Les premières pages retracent la fuite de Riopelle, le surnom de Robin. Il part chercher refuge dans le Maine à travers la forêt et le froid. Opposé à la construction d'un oléoduc qui dénature la forêt, il a bien essayé les recours juridiques, mais ils n'ont pas abouti ou ont été enterrés dans des procédures administratives, si bien qu'avec ses amis, il ne lui restait plus qu'à s'attaquer aux engins de chantier. Traqué par la police, il va réussir à rejoindre le refuge américain qui sert de base arrière aux militants. C'est là qu'il entreprend, avec ses pairs, de parfaire sa formation et ses connaissances en écologie et en droit de l'environnement avant de poursuivre le combat et de lancer l'opération Bivouac.
Après cette première partie, entre roman d'aventure et d'espionnage, on retrouve Anouk et Raphaëlle. Les deux amoureuses ont passé l'hiver dans leur yourte avec leurs chiens de traîneau, mais doivent désormais songer à refaire le plein de vivres. Anouk, qui doit céder à un ami une partie des chiens, ne voit pas d'un très bon oeil le voyage jusqu'à une ferme communautaire, mais elle suit Raphaëlle. En se promettant de revenir au plus vite.
À la ferme Orléane, le travail ne manque pas et elles vont très vite trouver leurs marques. Mais des dissensions vont commencer à se faire jour, notamment après la perte accidentelle d'un veau et la constatation que tout le troupeau souffre.
Le retour va alors s'accélérer, avec le projet de démolir la cabane existante pour en ériger une plus solide et plus confortable.
Tous les acteurs vont donc finir par se retrouver au Haut-Kamouraska pour mener le combat contre ceux qui abattent les arbres et mettent en péril la biodiversité et accroissent le dérèglement climatique. Une confrontation qui va virer au drame et voiler de noir ce nouveau chapitre d'une lutte à armes inégales.
En fière représentante de la littérature québécoise, Gabrielle Filteau-Chiba continue à nous régaler avec sa langue imagée et ses expressions que le contexte permet de deviner. Remercions donc l'éditeur d'avoir fait le choix de ne pas «franciser» le texte, ce qui nous permet de savourer, par exemple, cette belle volée de bois vert: «Les hosties d'enfants de chienne de mangeurs de tofu du câlisse... M'as les gargariser à l'eau de Javel pis les faire regarder pendant que je rase toute le bois deboutte.»
(Ajoutons qu'un glossaire en fin de volume permet de déchiffrer ces insultes ainsi que tous les mots québécois).
Reste ce combat désormais mené en groupe, servi par le lyrisme de la romancière. Elle nous tout à la fois prendre conscience des dangers qui menacent sans occulter pour autant les contradictions des écologistes. Mais c'est justement cette absence de manichéisme qui fait la force de ce livre, dont on se réjouit déjà de l'adaptation cinématographique, car les droits des trois volumes ont été achetés par un producteur.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Le fait que ce livre soit un 3ème tome ne m'a pas vraiment gênée, quelques rappels fait par Riopelle ont suffi pour que je comprenne.

Il est activiste écologique, il défend les forêts ancestrales au Canada contre les grands groupes qui veulent faire passer un pipeline et exploiter les arbres en faisant coupe nette. En fuite après leur dernière action musclée, il rejoint un camp afin de se préparer pour la suivante.

Une organisation quasi militaire, une préparation longue où ils doivent connaître tous les aspects des sociétés qu'ils vont combattre, leurs moyens et leurs fonctionnements.

Plus d'un an se passe et nous rencontrons Raphaëlle et Anouk qui vivent dans une yourte et partent dans une ferme communautaire pour faire le plein de conserves pour l'hiver. Bien que très intéressante, la partie gestion humaine et technique de la ferme communautaire m'a semblé très éloignée de la notion du bivouac contestataire, même si le couple va s'y rendre.

L'installation et le fonctionnement du bivouac n'a pas été très explicité à mon goût et je regrette que, comme plus de la moitié précédente du livre, l'accent soit mis sur les histoires d'amour et plus si affinités d'Anouk et Raph puis Riopelle ! Autant de pages pour les tourments d'Anouk m'ont semblées interminables et ce jusqu'à la fin !

Même si elles sont les victimes de leur lutte pour la sauvegarde de la forêt, je ne vois pas l'intérêt de mettre autant de romance, même avec l'accent fleuri du Québec, dans un livre qui m'a semblé se présenter comme un porte-parole de l'activisme et de la résistance écologiques !

#Bivouac #NetGalleyFrance

Challenge Muli Défis 2023
Challenge Entre-Deux Volumes 2023
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Avis aux amoureux de plain air en direction du Québec et aussi et surtout aux écrits féministes et contemporains de Gabrielle Filteau- Chiba : "Bivouac", le troisième roman paru en France du remarqué et remarquable Encabanée est une immersion littéraire en Gaspésie, aux côtés des écowarriors, de ceux qui ne renoncent jamais dans leur lutte pour la protection de notre environnement.
Anouk et Raphaelle, deux jeunes héroines d'aujourd'hui, déjà présente dans Encabanée, dotées de caractères bien affirmés, sont décidées à lutter coute que coute pour préserver la nature sauvage.
Elles unissent leurs actions à ceux d'un jeune activiste écologiste, Riopelle qui nstalle un bivouac près d'une zone préservée et menacée de destructions.
"Il s'agit essentiellement de faire reconnaître que l'urgence climatique et l'inaction des gouvernements poussent les uns à la désobéissance civile et d'autres à poser des actes criminels."
Portée par un écriture intense et puissante, et toujours comme dans Encabanée de belles et profondes descriptions de la nature et des saisons cette lutte de David contre Goliath se fond dans un texte à la fois militant et plein de poésie sur l'urgence climatique.
Un récit qui nous happe, avec au bout du chemin, l'espoir d'un monde meilleur.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Quel plaisir de retrouver Anouk, Raphaëlle et Coyote, leur chienne ! Cette fois , les deux amoureuses vont se confronter à la vie en communauté , d'abord dans une éco-ferme communautaire puis , par la force des choses, au coeur d'une tribu de guerriers écologistes.
En effet, Gros-Pin , l'arbre préféré de Raphaëlle , est menacé d'être abattu et avec lui toute une partie de la forêt que les protecteurs de la nature voudraient protéger en en faisant une réserve faunique. Mais les intérêts économiques et politiques priment et la construction d'un oléoduc ne s'embarrasse ni de la biodiversité, ni des conséquences catastrophiques à plus long terme.
Gabrielle Filteau-Chiba, à son habitude, maitrise à la perfection l'art du récit et c'est pourquoi nous retrouvons un personnage,Riopelle, avec qui Anouk avait connu une liaison aussi brève que passionnée. L'occasion pour le lecteur de découvrir la vie de ces "eco-Warriors" qui ont fait le choix de sacrifier leur vie personnelle pour tenter de sauver la Nature. L'occasion aussi de confronter ses personnages aux fluctuations du désir et au polyamour.
La langue est toujours aussi belle, l'intensité dramatique aussi forte et le lecteur ne sortira pas indemne de cette lecture qui fait la part belle aux descriptions de le la forêt et des vies qui s'y déploient. Une réussite qui file sur l'étagère des indispensables.
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Bivouac est le dernier tome de la triologie L'appel de la nature de l'auteur québecoise Gabrielle Filteau-Chiba, il vient clore un cycle mais peu à mon sens se lire indépendamment des autres (et même surtout donner envie de lire les autres).
On y trouve deux histoires qui démarre en parallèle puis se retrouvent. D'abord l'histoire d'un écoguerrier Riopelle/Robin, qui s'engage dans un nouveau combat, celui de protéger une forêt des coupes désastreuses et pour cela de monter un bivouac et de sensibiliser à la cause. En parallèle, l'histoire d'Anouk et de Raphaëlle et de leur chien Coyote. Ce jeune couple, qui vit un peu à l'écart du monde, va devoir trouver ses marques dans une ferme bio structurée en communauté...Pas facile de doser entre besoin de se retrouver soi-même et équilibre amoureux...Et le chemin du couple va croiser à nouveau celui de Robin. Un combat commun dans la sauvegarde de la forêt mais un vrai défi pour le couple...
J'ai beaucoup beaucoup aimé ce roman. Il est à la fois très engageant sur le changement climatique, très introspectif sur les 3 personnages principaux, cette histoire d'amour qui se mêle à un combat plus important permet de relativiser par moment et de prendre de la hauteur à d'autres, et les expressions québecoises à chaque page apporte beaucoup de dépaysement !
Merci à Stock et Netgalley pour cette lecture !
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critiques presse (8)
LaCroix
20 mars 2023
Ce dernier opus d’une trilogie sensible sur la protection de la nature au Québec parie sur la force du collectif.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeMonde
07 mars 2023
Entre les passages lyriques sur la magie des arbres se niche un plaidoyer pour un nouveau rapport au territoire québécois, moins prédateur et partagé avec les peuples autochtones.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Bibliobs
07 mars 2023
Gabrielle Filteau-Chiba, dont la langue chaleureuse tient à distance toute connotation moralisatrice, tisse un récit tendu et émouvant qui traduit l’urgence de s’engager pour la défense de cette nature sans laquelle l’homme ne survivra pas.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeMonde
20 février 2023
Avec Bivouac, Gabrielle Filteau-Chiba boucle une trilogie consacrée à l’appel de la nature et à l’urgence de la défendre. Elle vit ce combat intensément, au point d’avoir acheté une forêt.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Telerama
14 février 2023
Elle a décidé en 2013, à 25 ans, d’aller vivre dans la nature sauvage. Depuis, l’écrivaine partage dans ses livres, dont le dernier, “Bivouac”, cette expérience physique et spirituelle. Et, avec ses droits d’auteur, acquiert pour les protéger des hectares de forêt.
Lire la critique sur le site : Telerama
Bibliobs
13 janvier 2022
A travers ses romans à la fois engagés et poétiques, Gabrielle Filteau-Chiba défend la nature sauvage du Québec, de plus en plus menacée par l’avidité capitaliste.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeJournaldeQuebec
19 avril 2021
C’est là tout le propos de Bivouac, le petit dernier de ce triptyque faisant honneur à la nature : la force du nombre pour accomplir de grandes choses.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LeJournaldeQuebec
12 avril 2021
Avec Bivouac, Gabrielle Filteau-Chiba nous convainc de la beauté de la lutte pour sauvegarder l’environnement.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
(les premières pages du livre)
Vers Allagash

Chapitre 1
Toucher du bois
Riopelle
À voir valser les conifères, à entendre grincer leurs troncs, je ne donnerais pas cher de ma peau. Tout ce qui compte dans l’instant présent : remuer les orteils, déglacer mes doigts, gagner du terrain plus vite que le froid.
Je suis seul. Je ne peux plus compter sur ma meute pour m’éclairer, débattre du chemin le plus sûr et des routes passantes à esquiver, à savoir si le rang du Nord me mènera paradoxalement plus vite à la frontière sud. Pas question que je sorte mon GPS tout de suite. La batterie ne fera pas long feu par un temps pareil. De toute façon, je n’arriverais pas à pitonner*1 tant mes doigts et l’écran risquent de figer.
Je vais de banc de neige en banc de neige, aveuglé par la poudrerie, un pas à la fois. La gifle du vent me fait contracter tous mes muscles, traverse ma capuche et ma tuque. J’entends des sifflements fantomatiques, qui hèlent sans jamais reprendre leur souffle, eux. J’aurais dû donner une autre chance au char. J’aurais dû.
Je revois mon père, qui donnait une volée aux appareils au fonctionnement intermittent, pour les relancer. Des fois, ça marchait. D’autres fois, il se défonçait les jointures en vain. Je me rappelle ses colères, le rose à ses joues, son torse bombé. C’est bien trop vrai, j’ai hérité de son agressivité quand les objets me chient dans les mains. Il y a aussi beaucoup de monde que je rêve de secouer en l’air. Mais la violence n’éveille pas les consciences, dirait m’man, à son époque bouddhiste. Je l’entends presque me susurrer : Anitya, tout est éphémère, mon garçon. Oui, tel le fourmillement des membres avant leur congélation.
C’est mauvais signe, ces apparitions du passé. Je reste imprégné des images qui me viennent, un continuum de guides qui m’aide à persévérer, tandis que je pose machinalement un pied devant l’autre, maintenant la marche ininterrompue vers l’avant. Ma barbe est incrustée de glaçons, qui rejoignent ceux de mon cache-cou en polair. Les étoiles scintillent comme mille milliards de diamants coupants. Mon souffle, qui n’est plus qu’un sifflement, me fait mal. Malgré mes pelures, je sens maintenant la morsure du froid gagner mes os.
Je divague. Un arbre me parle. Je pique vers lui, un hêtre de mon âge, pour flatter son écorce lisse. Toucher du bois. Mes bras sont raides comme des bâtons de ski. Je fais une prière tacite. Forêt, aide-moi.
Je marche longtemps encore, assez pour comprendre que la radio ne mentait pas et que la météo apocalyptique rend périlleuse toute tentative de survie à découvert. Je pense à Saint-Exupéry, écrasé en plein Sahara libyen, à ce que je n’ai pas compris du Petit Prince1. Je songe aux coureurs des bois égarés du temps de la colonie, à ce vieux pêcheur errant en mer d’Hemingway2. Tous allés trop loin. Est-ce la morale de ces histoires, dont j’ai oublié la fin ? Jeu d’esprit. À savoir si on se déshydrate plus vite dans le désert, brûlé de soleil en plein océan ou exposé au froid sur ce rang anonyme ? Mon esprit roule sur la jante, des routes qui ne débouchent sur rien aux banquises qui fondent, jusqu’aux neiges des sommets qui ne sont plus éternelles, en passant par tous ces espaces sauvages devenus hostiles, même pour les espèces qui s’y étaient adaptées au fil de mutations millénaires.
Je suis le plus mésadapté d’entre tous. Mammifère sans fourrure véritable.
J’avance longtemps, longtemps encore, en me parlant, habité par les quêtes d’hommes éprouvés par le climat, toutes époques confondues. Progresser par un temps pareil relève de la pure folie. Mais on m’a entraîné pour ce genre d’épreuves. Je n’ose pas enlever mes gants, même pour constater la gravité de mes engelures. Faut atteindre le point de rendez-vous, et vite. Je pense à Marius et aux autres. Je me demande s’ils ont tous réussi à s’échapper. S’ils sont déjà aux États-Unis, si les faux passeports ont passé aux douanes, s’ils sont menottés au fond d’un char de police ou dans une cellule des Services secrets. Si on les a laissés appeler notre avocate ou croupir dans une autopatrouille des heures et des heures sans chauffage, tous droits bafoués, jusqu’à une salle d’interrogatoire dont ils ne sortiront peut-être jamais.
Nous sommes autodidactes. Vandaliser des installations pétrolières, saboter de futures stations de pompage, forcer l’arrêt de trains charriant du pétrole lourd de l’Alberta, c’est devenu notre métier par la force des choses. Cette fois, urgence climatique oblige, il a fallu aller plus loin. Cet énième béluga échoué sur la rive de Trois-Pistoles nous a inspiré un coup de théâtre. Nous avons récupéré l’animal dans un linceul de toile bleue et l’avons transporté dans un garage, à l’abri des regards. Il fut décidé que, comme tous les bons petits écoliers, il irait faire une visite du Parlement.
Arielle a-t-elle réussi notre pari d’étendre la baleine morte sur une mare de mélasse, en plein centre de la place publique ? Ou s’est-elle heurtée aux gardes de sécurité, alertés par les caméras ? La tempête paralysante a-t-elle joué en sa faveur, toutes les forces de l’ordre étant mobilisées pour sécuriser les stations-service et aider les civils enlisés ? Le parvis de notre pétro-État était-il désert à l’aurore, puis noir de monde et de médias à midi ? Qui de mes frères et sœurs d’armes verra sa véritable identité percée et se retrouvera bientôt derrière les barreaux ? Comment les médias traiteront-ils la nouvelle, s’ils la couvrent ?
L’opération Baleine noire maintenant terminée, nos liens sont dissous. Et moi, il me faut faire mon bout de chemin sans réponses, tant que je n’aurai pas accès à un ordinateur crypté, en lieu sûr. Si, seulement si je parviens au point de rendez-vous.
Soudain, mon esprit cesse brutalement d’errer. À mon horreur, le froid mordant fait place à une sensation de picotement diffus, puis de chaleur douce – mauvais signe, mes engelures gagnent la manche. Je ne sens plus mes doigts mes mains mes orteils mes talons mes oreilles mon front mon nez. Je force le pas, comme un bison à bout de courage, m’accrochant à l’instinct de survie, tout en ruminant mes fautes. Et tout à coup, je me rappelle l’essentiel : les bandelettes autochauffantes, la boisson énergisante, l’huile de CBD, le contenu de la trousse et le protocole pour le rationner.
Sous le vent, je m’assois en boule et déchire les sachets un à un. Bientôt, mes mitaines seront cuisantes, j’avancerai boosté de guarana sans plus sentir la cristallisation de mes extrémités. Mes idées se placent, j’ai malgré tout franchi une bonne distance, la joie revient.
Sous la Voie lactée de mes sept ans, je rêvais de fusées interstellaires. Couché sur le dos, les mains derrière la tête, je perdais la notion du temps, perché dans ma cachette dans les arbres. J’veux jouer encore un peu dehors, maman, y a même pas de mouches ! Mon père m’avait construit cette cache, c’était à mes yeux l’ultime preuve de son amour. Elle était interdite aux adultes et aux filles. J’y ai lu tant de BD, joué au pirate avec un trésor constitué de pépites de pyrite de fer. J’y ai caché toutes mes trouvailles : mues de grillon, cailloux brillants, plumes de geai bleu, onces*2 de pot, capotes. Plus tard, j’ai tapissé mes murs d’articles et de portraits de Julia Butterfly Hill, perchée comme moi mais durant sept cent trente-huit jours pour sauver Luna, un séquoia millénaire, des coupes forestières. C’est là-haut que j’ai appris la honte d’être humain, coupable par association de la destruction de la vie sauvage. L’été de mes douze ans, ma cour arrière, un boisé d’arbres matures, a été rasée à blanc. Désormais, de ma cache, j’avais vue sur une faille dans le décor, une tranchée pour gazoduc. J’arrivais pas à m’y faire. Mets-toi des œillères, mon petit homme, disait p’pa. J’y suis jamais parvenu. Après tout, s’il y avait une Julia Butterfly Hill en Californie, il y avait de l’espoir. J’ai trouvé des têtus comme moi, d’abord chez les scouts, puis à l’exposciences, et enfin au cégep, en parcourant les babillards. On voulait se battre pour tous ceux qui nous conseillaient de détourner le regard de ce qui dérange, riant de nos idéaux soi-disant incompatibles avec la sacro-sainte croissance économique. Nous étions convaincus qu’il suffisait d’une étincelle pour les réveiller.
C’est plus dur que ça, finalement.
Notre Terre est en feu, mais ça leur importe moins que la fructification de leur pension. Les dérèglements climatiques engendrent des tempêtes monstres, comme cette vague de froid qui me scie les bras. L’écolo en moi me pousse à croire que je n’ai pas fini de servir la cause, que je dois continuer de marcher, qu’il faut que je m’en sorte, quitte à perdre quelques doigts. L’autre voix de ma conscience fait contrepoids, soufflant à mon oreille : T’es pas fatigué de te battre, de te mettre tout le monde à dos, de porter tout ce poids sur tes épaules ? On en a vu d’autres, hein, Cowboy ? On n’est pas faits en chocolat.
Bientôt, il fera noir comme dans le cul d’un ours. La fatigue telle une chape de plomb de plus en plus lourde sur mes épaules, je combats l’envie de me coucher par terre. Qu’il serait bon de me laisser aller dans la neige et le sommeil rien qu’un peu.
J’allume mon GPS. C’est là ou c’est jamais. Bip bip bip. Mes coordonnées. Bingo. Le point de rendez-vous, par là. La pile chargée à 97 %. J’arrête de mourir. Je vais pouvoir me sortir vivant du bois.
Déesse soit louée.

Chapitre 2
Sacrer le camp
Riopelle
L’aurore. J’y suis presque. Tous ces kilomètres franchis dans le noir, et cet espoir lumineux au loin. Marche vers le soleil, Riopelle, et tout ira. Je pique plus à l’est sur un sentier tapé par motoneiges et orignaux. Pas un instant cette nuit je n’ai pensé aux bêtes, au risque qu’elles remontent ma trace. Les ours noirs sont au chaud, lovés les uns contre les autres. Les cougars ne courent plus les rues depuis des lunes. J’ai plus peur de la bêtise humaine que d’être pris en chasse.
Comme Arielle, qui préfère
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- On fait de l'éco-anxiété, tu penses ?
Raphaëlle se hisse hors du char, saisit une motte de neige et la fait fondre sur sa peau, son geste parcourant sa nuque, son front, ses joues roses qui rougissent. Les yeux fermés, elle offre ensuite son visage mouillé aux rayons du soleil :
- J’pense que tous les êtres sensibles ressentent la souffrance de la Terre. C'est la maladie de notre génération, l'éco-anxiété. Et j'espère qu'elle est contagieuse, cette peur, cette angoisse-là, parce qu'il faut agir. Pis ça presse. (p. 80)
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Le plus difficile, pour moi, ça aura été de faire la paix avec la violence. Désormais, je comprends mieux à quel point ces causes que l'on porte peuvent accaparer tout l'espace, voir chambouler nos valeurs fondamentales. Raph et Rio ont ça en commun : ils ont été des catalyseurs pour moi. Ils m'ont montré du doigt les vraies menaces mettant en péril l'Habitat. Et voir que Rio est parti à pied aux Etats-Unis, avec un mépris du danger qui semble disparu de nos tripes, depuis le temps des coureurs des bois ! Ça me jette à terre, cet esprit de fronde là. Valentin ne fait pas le poids, il mène les bêtes à l'abattoir, enterre les veaux morts, il ne se révolte pas. Deux à un.
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— Les hosties d’enfants de chienne de mangeurs de tofu du câlisse... M’as les gargariser à l’eau de Javel pis les faire regarder pendant que je rase toute le bois deboutte. p. 308
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Là. Sur le sac de couchage déroulé sur mon matelas repose effectivement une pochette. Assis en tailleur sur le lit, je m’apprête à l’ouvrir quand j’entends soudainement quelqu’un verrouiller la porte derrière moi. Je pense à Eagle, qui a des yeux sur tous les accès du bâtiment et sûrement même sur le corridor menant à ma chambre. Je souris. Je suis un prisonnier consentant. J’adore l’idée que, derrière ces murs, m’attendent le regard omniscient d’Eagle perché sur les écrans, l’exubérante Catwoman et sa canine brisée, Marius et trois autres recrues en pleine formation. Et moi, en garde à vue, je prends mon temps, reprends mon souffle. Avant de succomber à la fatigue, j’examine mes quartiers.
Dans la salle d’eau attenante, près de l’évier, on a posé une brosse à dents neuve et un savon encore enveloppé dans son papier ciré. Je caresse du bout des doigts l’émail de la baignoire, les robinets rutilants, et fais couler de l’eau brûlante jusqu’à ce que toute la chambre soit embrumée. Le temps qu’il se remplisse, je m’allonge sur le lit, les mains derrière la tête. L’oreiller dûment battu, je réalise que je suis bien trop épuisé pour lire. Je vois flou. Mes yeux tombent sur la seule surface de la pièce qui n’a pas été rafraîchie avant mon arrivée : le plafond. Le dernier chambreur y a laissé sa marque à l’aide d’un pochoir et de peinture couleur rouge révolution.
ÉCOWARRIOR.
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Vidéo de Gabrielle Filteau-Chiba
Lecture par l'autrice & rencontre animée par Simon Payen
Pendant huit ans, Gabrielle Filteau-Chiba a vécu au coeur de la forêt québécoise. Seule dans une cabane, elle a dû apprendre à vivre dans ce nouvel environnement. Répartis en quatre saisons, ses poèmes témoignent de cette quête de sens. Ils décrivent son apprentissage des dangers de la nature et son adaptation progressive. Dominée par la beauté de la flore et de ses occupants, sa poésie met également en garde contre les nombreuses menaces qui continuent de planer sur ces territoires sauvages.
« J'en viendrai là c'est clair à aimer la pénombre à préférer au jour mes nuits de veille raconter le ruisseau gelé la soif du lac abreuvoir ce quelque part où enfin étancher toutes les bêtes en moi » Gabrielle Filteau-Chiba, La forêt barbelée.
À lire – Gabrielle Filteau-Chiba, La forêt barbelée, Castor Astral, 2024.
Son par François Turpin Lumière par Patrick Clitus Direction technique par Guillaume Parra Captation par Camille Arnaud
+ Lire la suite
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