Madame Bovary, c'est ma petite madeleine à moi !
Là, je suis sûre que vous vous dites que j'ai bu et/ou fumé, que je mélange tout... je vous rassure tout de suite : oui, je sais que
Madame Bovary n'est pas de
Proust, mais bien de
Flaubert.
Alors, pourquoi ce terme de "madeleine" ?
Parce que pour moi,
Madame Bovary, c'est bien plus qu'un roman, c'est une année de ma vie.
Je l'ai étudié en classe de première avec un professeur passionnant. Des années plus tard, j'en garde encore un souvenir très fort et très précis.
J'en connais quelques phrases, qui m'avaient frappée à l'époque, par coeur.
La simple évocation du titre ou d'un personnage fait remonter en moi une kyrielle de souvenirs.
Tout récemment, j'ai voulu le relire. J'ai longtemps hésité, parce que je savais que l'exercice était périlleux et que je risquais une immense déception si ma relecture me décevais.
Mais l'envie a été plus forte et je me suis lancée.
Comme j'ai eu raison ! Ce fut un pur plaisir de bout en bout.
Ce qui m'a frappée dès le début, c'est le style : quelle écriture ! Chaque phrase est belle. Chaque passage se lit merveilleusement bien, c'est du grand art. Quel talent, et quel travail ! Chapeau bas, monsieur
Flaubert !
Car une prose de cette qualité ne s'écrit pas toute seule. Et je pense, vu la fluidité de la lecture, à cette magnifique phrase de Chopin, qui s'applique merveilleusement bien ici : "Dans un dernier effort, j'efface jusqu'à la trace de l'effort." du grand art !
Flaubert nous offre donc un roman écrit dans une langue somptueuse, qui se lit avec une grande facilité... et un immense plaisir.
Les phrases, les paragraphes, les chapitres s'enchaînent avec bonheur, et c'est bercé par cette si belle langue que le lecteur peut avancer dans l'intrigue.
Quel bonheur de retrouver cette histoire et ces personnages qui m'avaient tant plu. La maturité aidant, je les ai encore mieux cernés. Je me suis davantage rendu compte de leur justesse, de la précision avec laquelle leurs qualités et leurs défauts étaient mis en valeur.
Rodolphe, le séducteur, le beau parleur, qui se joue de la naïveté d'Emma.
Lheureux, au patronyme si bien trouvé, qui vous soulève le coeur de dégoût à chaque apparition.
Homais, prétentieux et pédant, exaspérant dans tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit.
Charles, bien sûr, ce pauvre Charles, refusant obstinément jusqu'au bout d'ouvrir les yeux et d'accepter la vérité.
Sans oublier Emma Bovary et ses rêves de grandeur qui finiront par la perdre, quel magnifique portrait !
Et tous ceux que je n'ai pas cités, plus justes les uns que les autres.
Flaubert a peint une superbe galerie de personnages !
En ce qui concerne l'histoire, ne comptez pas sur moi pour vous raconter quoi que ce soit : ce n'est pas l'objet d'une critique, et je laisse le plaisir de la découverte à ceux qui n'ont pas encore lu
Madame Bovary.
Je voudrais simplement dire que si j'ai tout aimé dans ce roman, la dernière partie m'a profondément émue. La déchéance d'Emma, ses mensonges et ses dettes qui finissent par avoir raison d'elle, ses tentatives désespérées pour obtenir de l'aide, sa fin tragique :
Flaubert a écrit là des pages bouleversantes.
Quel livre !
Pour ceux qui croient que les "classiques" sont de vieux ouvrages poussiéreux et rébarbatifs, plongez-vous dans ce roman, je fais le pari que vous changerez d'avis.
Les "classiques" sont justement classiques parce que leur qualité leur permet de traverser le temps et de nous toucher, nous, lecteurs d'aujourd'hui.
Pour finir, je ne résiste pas au plaisir de recopier le début du roman.
Pourquoi ?
Pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, pour le plaisir. J'adore cette entrée en matière. J'adore cette écriture. Quand je lis ces phrases, je suis accrochée, ferrée comme un pauvre poisson accroché à l'hameçon. Sauf que je ne suis pas à plaindre, bien au contraire, et c'est avec plaisir que je me laisse emporter.
Pour le souvenir (ça y est, je vais reparler de madeleine...) : le début de ce texte m'a été donné en dictée par mon professeur de français de sixième. Oui, vous avez bien lu : sixième ! J'avais adoré. Quand je pense à ce qu'on fait faire maintenant en cours de français à nos pauvres collégiens (je le vois à travers mes enfants), c'est à pleurer. Et, en ne leur ouvrant pas les portes, on les prive de l'accès à tout un pan de notre culture, on les prive de la découverte du plaisir de la lecture de grands textes... Bon, je m'égare, revenons à nos moutons...
Pour faire plaisir à ceux qui le connaissent déjà, et qui seront, j'en suis certaine, ravis de le relire.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, et à qui ces quelques lignes donneront peut-être envie d'en lire plus.
Un dernier mot avant de céder définitivement la parole à
Gustave Flaubert :
Madame Bovary est, comme toutes les oeuvres d'auteurs décédés il y a plus de cent ans, dans le domaine public. Une petite recherche simple et rapide sur internet vous permet d'accéder gratuitement au texte, dans le format de lecture que vous voulez. Sans oublier le livre papier, bien sûr, qui se trouve dans toute bonne bibliothèque, ou que vous pouvez acheter pour bien moins cher qu'un paquet de cigarettes.
Vous voyez, il n'y a aucune excuse pour ne pas lire
Madame Bovary, et avec lui, bien d'autres classiques à relire ou à découvrir.
Bonne lecture !
Et maintenant, place à
Flaubert :
"Nous étions à l'Étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail. le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d'études : - Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l'appelle son âge. Resté dans l'angle, derrière la porte, si bien qu'on l'apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d'une quinzaine d'années environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l'air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu'il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous. On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n'osant même croiser les cuisses, ni s'appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d'études fut obligé de l'avertir, pour qu'il se mît avec nous dans les rangs. Nous avions l'habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d'avoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussière ; c'était là le genre. Mais, soit qu'il n'eût pas remarqué cette manoeuvre ou qu'il n'eût osé s'y soumettre, la prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. C'était une de ces coiffures d'ordre composite, où l'on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis s'alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d'une broderie en soutache compliquée, et d'où pendait, au bout d'un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d'or, en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait. - Levez-vous, dit le professeur. Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire. Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d'un coup de coude, il la ramassa encore une fois. - Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui était un homme d'esprit. Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon, si bien qu'il ne savait s'il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux."