Partie dans
La remise à bateaux, un hangar de pêcheurs désaffecté au creux d'un fjord norvégien.
La remise à bateaux, un endroit pour rêver, un endroit gorgé de secrets bien gardés.
J'ai été bien inspirée de suivre le chemin qui m'y a mené. Motivée par la curiosité de rencontrer un univers dont je ne connaissais rien.
Et là, ça fait tout drôle ! surtout quand on ne sait pas où on met les pieds, mais bon, j'aime bien être étonnée , bousculée, aussi je me suis laisser dérivée sur les mots de
Jon Fosse.
Ah
Jon Fosse, pardonnez-moi, mais je ne connaissais pas et, il est sûr que je ne vais pas l'oublier de si tôt ainsi que son écriture si particulière.
La remise à bateaux, lieu où tout commence : refuge d'une amitié, abri des premiers et derniers émois au milieu des coquillages, de vieilles seines et, le ressac des vagues tout proche libérant le son d' une musique entrechoqué.
La remise à bateau où l'histoire d'une inquiétude, d'une solitude, d'un océan de sentiments ou d'une marée de pulsions.
L'inquiétude ressenti par le narrateur à chaque fois qu'il est bouleversé.
« Je ne sors plus, une inquiétude m'a envahi et je ne sors pas. C'est cet été que l'inquiétude m'a envahi. J'ai revu Knut, ça faisait bien dix ans que je ne l'avais pas vu. Knut et moi on était toujours ensemble. Une inquiétude m'a envahi. Je ne sais pas ce que c'est, mais l'inquiétude me fait mal dans le bras gauche, dans les doigts. Je ne sors plus. Je ne sais pas pourquoi, mais ça fait plusieurs mois que je n'ai pas mis les pieds dehors. Il n'y a plus que cette inquiétude. C'est pour ça que j'ai décidé d'écrire, je vais écrire un roman. »
Les retrouvailles avec Knut, son ami d'enfance, venu en famille passé les vacances et la rencontre de sa femme, lors d'un été, plongent le narrateur dans un énorme chaos émotionnel : un élément perturbateur va provoquer un séisme, tel une lame de fonds, et faire remonter à la surface des histoires passées toujours vives. Dès lors, l'écriture permets au narrateur de trouver l'apaisement, un succédané pour tenir au loin la douleur.
Seuls les protagonistes du récit ayant eu un lien très proche avec le narrateur sont nommés Knut son ami d'enfance, Torkjell, l'ami musicien avec qui il se produit, et bien sûr le vieux Svein, le propriétaire de
la remise à bateaux à présent décédé.
J'ai particulièrement apprécié l'écriture et le style de
Jon Fosse qui dans une langue simple permet de nous projeter dans le psychisme du narrateur, et partager son odyssée intime. Une écriture dont la limpidité, l'authenticité, la proximité avec le protagoniste principal m'a rappelé celle de
Tarjei Vesaas avec Mattis dit la houpette dans
Les oiseaux.
Les nombreuses répétitions et l' utilisation d'un jeu de mots restreint permettent au lecteur de vivre de l'intérieur les tempêtes du narrateur. La profondeur psychologique est servie par la puissance des éléments, la présence du fjord et celle de l'eau accompagnent les pas du narrateur dans son cheminement intérieur et physique.
Les trois parties du récit, elles, apportent des variations sur les faits du récit : la première où le narrateur exprime ses ressentis, la seconde où il essaie de saisir ceux de son ami Knut et enfin la dernière qui amène le dénouement.
Tel un beau poisson prisonnier d'une seine de mer, le narrateur, supposé s' appelé Bard, se débat pour échapper aux mailles du filet, et le lecteur, accroché, est partie prenante de ce mouvement circulaire si bien rendu par le rythme de l'écriture de
Jon Fosse.
Une litanie des émotions entrecoupée par le clapotis des vagues contre des barques amarrées. Des mantras obsessionnels sans cesse ressassés par le narrateur, barde d'une culture qu'il ne peut oublier dont il est en quelque sorte le dépositaire lorsqu'il joue dans les bals populaires, amènent peu à peu une tension dramatique.
Le narrateur, Bard le barde (oui, je reconnais c'est un peu facile), oscille entre monde réel et monde fantasmé, monde passé et présent , monde intérieur et extérieur.
La remise à bateaux est l'espace à la croisée de ces mondes. Bard arrivera-t-il a surmonté sa crise ? survivra-t-il à ce triangle amoureux?
La remise à bateaux de
Jon Fosse, traduit du nynorsk ou néonorvergien par
Terje Sinding (également traducteur d'
Ibsen) est l'une des nombreuses oeuvres de l'auteur surtout connu comme dramaturge. Si comme moi vous ne le connaissiez pas je vous invite à le faire.
Une lecture surprenante et ravie de cette découverte.
Une lecture que l'on a envie d'écouter pour mieux s'en imprégner aussi rendez-vous sur Franceculture où Olivier Martinaud en fait la lecture d'un extrait à voix haute :
https://www.franceculture.fr/emissions/je-deballe-ma-bibliotheque/olivier-martinaud-nous-lit-35