AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 978B003X1Z8F0
Payot et Rivages (01/01/1962)
3.83/5   6 notes
Résumé :
Payot, Paris, 1962. 179 pp. brochées.
Que lire après Psychologie collective et analyse du moiVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Un des premiers types qui a voulu analyser la psychologie de la foule c'est Gustave le Bon, avec sa « Psychologie des foules », ça date de 1895. le père Freud lui succède en 1921. Autant dire que si Gustave et Freud voyaient ce que sont devenues les foules aujourd'hui, ça les ferait flipper : il y a plus de monde au domac le samedi midi qu'il n'y avait d'habitants dans une ville de province moyenne au siècle dernier.


Leurs textes restent quand même intéressants. Déjà, ils montrent qu'un changement s'opère dans les mentalités. Avant ça, pour qu'on prenne conscience de l'existence de l'individu, pas mal de paradigmes avaient dû être renversés. le monothéisme, en instaurant une relation personnelle entre le fidèle et son dieu le père, avait opéré une distinction radicale qui fut à la base de l'individualisme. Avant, on se posait pas trop de questions paraît-il, on vivait dans la communauté, enfin, ça, c'est ce qu'on raconte. Avec la publication de ces deux essais spéculateurs de la foule, on matérialise le passage du phénomène communauté (pas d'individu) > individu > foule (regroupement d'individus). Un siècle plus tard, on pourrait ajouter un 4e terme, celui de masse, c'est-à-dire regroupement d'individus qui se sont perdus. Mais c'est une autre histoire.


Ce bouquin s'inscrit à la suite de Totem et tabou. Ici, Freud nous fait entrer dans la vie des institutions, notamment à travers ces deux figures périmées (ou presque) que sont l'Eglise et l'Armée. Il fonde une psychologie sociale en prenant en compte les comportements réels et la réalité fantasmatique, et en trouvant le lien qui les unit. Celui-ci passe forcément par autrui. Nous assistons donc à une mise en question de l'opposition entre psychologie individuelle et psychologie sociale. Deux interrogations centrales sont soulevées : quelle est la nature de la foule ? et quel est son pouvoir d'influence sur l'individu ? C'est à comprendre les mécanismes de l'identification qu'on sera conviés.


Y a nécessité d'aimer son chef. Pas comme vous en avez l'habitude, non, mais de cet amour plein de mana, fascinant, qui prend la place de l'idéal du Moi. le chef crée le groupe en utilisant l'hypnose. Faisant croire qu'il aime tous les membres d'un amour égal (EGALITE !), il devient l'objet commun du groupe, placé par chacun à la place de son idéal du moi et permettant ensuite l'identification des membres les uns aux autres. Les groupes constitueraient ainsi des formations homosexuelles n'acceptant pas un amour qui tient compte de la différence des sexes, de la confrontation et de la possibilité de rupture. le groupe a également besoin de se constituer un idéal commun qui servira de prétexte pour faire de grandes teufs populaires. C'est l'axiome de base de la communauté. Ainsi donc, la formation collective découle de l'illusion produite par l'hypnose et fonctionne comme une névrose commune, tendant à détourner chacun de la réalisation de ses buts sexuels directs. C'est triste, dit comme ça, mais ça peut éviter bien des situations plus dramatiques, comme on en retrouve maintenant que la collectivité ne nous donne plus rien à aimer.


« Celui-là même qui ne regrette pas la disparition des illusions religieuses dans le monde civilisé moderne conviendra que tant que ces illusions étaient assez fortes, elles constituaient pour ceux qui vivaient sous leur domination la meilleure protection contre les névroses. Il n'est de même pas difficile de reconnaître dans toutes les adhésions à des sectes ou communautés mystico-religieuses ou philosophico-mystiques l'expression d'une recherche de remède indirect contre toutes sortes de névroses. »


Alors, quand on nous dit que Dieu est mort et qu'on va enfin pouvoir s'en payer une bonne tranche de liberté dans la société civile laïque, faut se demander quand même de quel pain moisi on nous donne à bouffer à la place –car il est sûr que la communauté tiendrait pas longtemps et sainement en place si nous n'étions pas tirés par une illusion commune. Mais peut-être, effectivement parce qu'il n'y a rien à la place, allons-nous exploser bientôt pour le plus grand bonheur de l'univers.


Prenons une autre petite phrase anodine : « Dans la vie psychique de l'individu pris isolément, l'Autre intervient très régulièrement en tant que modèle, objet, soutien et adversaire, et de ce fait la psychologie individuelle est aussi d'emblée et simultanément une psychologie sociale, en ce sens élargi, mais parfaitement justifié ». Avec ça, Freud ruine les prétentions des caractérologues de foutre les individus dans des catégories. Il propose plutôt d'examiner les événements réels ou imaginaires qui ont développé le sujet dans son histoire personnelle. On se pose alors la question de savoir si un autre environnement aurait pu changer la conduite de l'individu. On peut concevoir la possibilité de maladies ou de types de comportements dérivés de l'état de la civilisation. Dis-moi de quelle maladie mentale tu souffres et je te dirai quelle société t'a façonné…


On voit donc que malgré le titre de cet essai, plutôt bon enfant, Freud nous a pondu là quelque chose de subversif pour son époque. Avec ça, il mine les rapports sociaux factices, il démystifie les idéologies et il rend au rapport sexuel sa charge dramatique originaire. Pour ce qui est des limites de l'ouvrage, on pourra évoquer la restriction de la définition de la foule aux grandes messes laïques, genre manifestations populaires, ce qui écarte du même coup le fonctionnement des foules de plus petites dimensions comme on les retrouve dans les entreprises par exemple. Freud ne parle pas trop non plus de la nécessité pour la foule de désigner un ennemi externe genre bouc-émissaire. En évoquant seulement le lien d'amour qui réunit les individus, Freud fait l'impasse sur la pulsion de mort qui sous-tend le lien social. Sans doute avait-il envie de changer un peu de style littéraire après nous avoir causé du meurtre du père dans le Totem et tabou.


Lors de sa sortie, ce livre ne provoqua qu'un intérêt poli. Il commença à être kiffé à partir des années 70 et de nombreux types intitulés psychosociologues trouvèrent à lui faire dire une quantité de choses affolantes sur notre époque et ses phénomènes incontrôlables. C'est'y pas bien la preuve que si on veut causer de foule, faut-il encore savoir lui donner le bon grain à l'heure où elle commence à avoir faim, et ne pas avoir l'outrecuidance de lui poser la gamelle alors que le précédent contenu stomacal n'est pas vidé.
Commenter  J’apprécie          122

Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
La foule est extraordinairement influençable et crédule, elle est dépourvue de sens critique, l'invraisemblable n'existe pas pour elle. Elle pense par images qui s'appellent les unes les autres à la faveur de l'association, comme dans les états où l'individu donne libre cours à son imagination, sans qu'une instance rationnelle intervienne pour juger du degré de leur conformité à la réalité. Les sentiments de la foule sont toujours très simples et très exaltés. Aussi la foule ne connaît-elle ni doute ni incertitude.
Commenter  J’apprécie          50
[…] Chez les individus réunis en foule toutes les inhibitions individuelles ont disparu, alors que les instincts cruels, brutaux, destructeurs, survivances des époques primitives, qui dorment au fond de chacun, sont éveillés et cherchent à se satisfaire. Mais sous l'influence de la suggestion, les foules sont également capables de résignation, de désintéressement, de dévouement à un idéal. Alors que l'avantage personnel constitue chez l'individu isolé à peu près le seul mobile d'action, il ne détermine que rarement la conduite des foules. On peut même parler d'une moralisation de l'individu par la foule. Alors que le niveau intellectuel de la foule est toujours inférieur à celui de l'individu, son comportement moral peut aussi bien dépasser le niveau moral de l'individu que descendre bien au-dessous de ce niveau.
Commenter  J’apprécie          20
L'individu en foule se trouve placé dans des conditions qui lui permettent de relâcher la répression de ses tendances inconscientes. Les caractères en apparence nouveaux qu'il manifeste alors ne sont précisément que des manifestations de cet inconscient où sont emmagasinés les germes de tout ce qu'il y a de mauvais dans l'âme humaine […].
Commenter  J’apprécie          30
Dans une foule, pense M. Le Bon, les acquisitions individuelles s'effacent et la personnalité propre à chacun disparaît. Le patrimoine inconscient de la race vient occuper le premier plan, l'hétérogène se fond dans l'homogène. Nous dirons que la superstructure psychique, qui s'est formée à la suite d'un développement variant d'un individu à l'autre, a été détruite et a mis à nu la base inconsciente, uniforme, commune à tous.
Commenter  J’apprécie          20
[…] La psychanalyse collective envisage l'individu en tant que membre d'une tribu, d'un peuple, d'une caste, d'une classe sociale, d'une institution, ou en tant qu'élément d'une foule humaine qui, à un moment donné et en vue d'un but donné, s'est organisée en une masse, en une collectivité.
Commenter  J’apprécie          30

Lire un extrait
Videos de Sigmund Freud (100) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Sigmund Freud
Retrouvez les derniers épisodes de la cinquième saison de la P'tite Librairie sur la plateforme france.tv : https://www.france.tv/france-5/la-p-tite-librairie/
N'oubliez pas de vous abonner et d'activer les notifications pour ne rater aucune des vidéos de la P'tite Librairie.
Quand une situation semble désespérée, quand il n'y a plus d'espoir, quand on est en guerre, une chose qui peut aider : la culture. Ce n'est pas moi qui le dit, mais un célèbre psychanalyste. Savez-vous qui ?
« Malaise dans la culture » de Sigmund Freud, c'est à lire en poche chez GF.
autres livres classés : psychologieVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (14) Voir plus



Quiz Voir plus

Freud et les autres...

Combien y a-t-il de leçons sur la psychanalyse selon Freud ?

3
4
5
6

10 questions
434 lecteurs ont répondu
Thèmes : psychologie , psychanalyse , sciences humainesCréer un quiz sur ce livre

{* *}