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4,1

sur 3731 notes
Quand , par une promesse enfantine , Songo engage sa parole de faire sienne , un jour , la petite Samilia , il ne se doute pas qu'il les conduit tous les deux sur les chemins de la ruine .
" Croix de bois , croix de fer , si je mens , je vais en enfer . "

Rempli de ce désir , et pourtant si jeune encore , l'adolescent part courir le monde à la recherche de la gloire et d'un nom qu'il offrira à sa dulcinée en cadeau de mariage .
Il est bien sûr touchant de se représenter des juniors se jurer l'amour pour l'éternité ; à part que Samilia est la fille d'un roi , et , que celui-ci songe à de grands projets pour son unique fille , son trésor .

Le roi Tsongor garde un passé tumultueux qu'il a forgé pendant vingt ans , dans des chevauchées héroïques mais insidieuses aussi , et , ignobles , afin de s'offrir un empire immense .
Une ombre le suit sans cesse , celui qui lui a promis de le trucider pour tous ses assassinats . Pourtant , de bourreau il est passé ami . Il devient à sa mort le veilleur de son corps meurtri et le triste témoin du deuil éternel de la ville de Massala .

" le roi mariait sa fille Samilia .
(...) Samilia n'avait pas de prix .
(...) C'est ce que Tsongor avait dit à Kouame , le roi des terres du sel . Et Kouame avait décidé de venir déposer aux pieds de Samilia tout ce qu'il possédait . Il offrait tout . Son royaume . Son nom . " P. 25

" Personne ne vit que des hommes étaient là qui observaient , immobiles , la ville dans ses derniers préparatifs . Ils étaient là . Sur les collines du Nord . Avec l'immobilité du malheur . " P.25

Sango ne savait pas que sa belle lui avait fait une promesse de marin , car comment savoir quand on est des gamins si le coeur palpitera toujours avec le même entrain ou s'il se découvrira de nouvelles amours .

Gaudé utilise des paroles lumineuses , imagées mais d'une cruauté écoeurante . Il semble rechercher la noirceur qui habite nos âmes et l'amplifier au nom de l'honneur , de la gloire , de l'égoïsme et surtout de l'amour-propre .

" Je comprends ta peur , Songo Kerim . Elle est juste . Il n'y a pas de victoire " (... ) Et il sut que le siège de Massaba était une folie . " P. 141

Ce roman est très proche de " Ecoutez nos défaites " par sa sauvagerie et ses détails sanglants et abondants .
J'aime trop l'amour pour apprécier cette litanie de plaintes , de reproches et de lamentations car je n'y retrouve aucune de mes convictions : vérité et sincérité .
J'ai cru jusqu'à la fin de cette tragédie que Samilia aurait la capacité et la force de caractère de changer l'opinion de ses deux amoureux en les raisonnant ; j'ai espéré pouvoir croire en l'être humain .
Quelle naïveté .


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Massaba....

Tu étais palais majestueux, tu étais cité prospère, bâtie de pierres et d'or...
Tu étais mère des mères, l'âme des rois des terres d'Afrique, matriarche et perle d'un royaume dont les villes et villages s'étendaient jusqu'aux confins du monde, là où nul n'avait encore jamais battu poussière, là où seuls l'océan et les ténèbres subsistaient...
De mémoire d'homme, le monde n'avait jamais été aussi grand depuis toi.

Tu étais la fierté de ton roi, Tsongor, qui pris les armes et mena campagne vingt ans durant, pour faire enfin de toi le coeur battant d'un royaume de paix, unifié, heureux et fidèle à son souverain...

Partout, aux quatre coins de cette contrée sans limites, des terre de sel jusqu'aux collines du Nord, des hautes murailles blanches et jardins suspendus de Saramine jusqu'à la forêt des baobabs hurleurs, de l'archipel des manguiers jusqu'aux plateaux rocailleux des terres du Centre, des dunes du vent et du fleuve Tanak jusqu'au royaume des rampants, partout, femmes, hommes et enfants honoraient ton fidèle bâtisseur comme le plus bon et le plus grand des rois que ta terre ancestrale n'ait jamais connu.

A la mort du roi Tsongor, pourtant, le jour où ce dernier devait marier Samilia, son unique fille, tes murs se mirent à trembler.

Rivalité, traîtrise, colère, violence et désolation devinrent les mamelles nourricières de ta chair auxquelles l'amour et les liens du sang n'auront pu survivre.

Les armes se levèrent, les clans se formèrent, déchirant cette descendance que Tsongor rêvait tant de voir s'unir le jour de son passage vers le royaume des morts.

Massaba, tu devins ville de sang, de cendres et de poussière, dévastée et meurtrie sous le fer des lances, les charges des chevaux et les feux qui te consumèrent jusqu'aux marches du tombeau de ton roi.

Le passage de Tsongor vers l'au-delà aura un prix, celui d'une simple piécette à payer lors du grand voyage. Mais ce prix sera élevé.

Tsongor le glorieux, le bâtisseur et l'explorateur, Tsongor le père et le sage mais aussi Tsongor le guerrier et le sauvage... Tsongor aux sept facettes confiera, avant de mourir, son repos éternel et la destinée de sa lignée à Souba, son plus jeune fils.

C'est à une longue marche rédemptrice qu'il le condamnera en son nom. Souba n'aura alors de cesse, dans son exil, de chercher réponse à cette solitude, pour vaincre la malédiction de ses aïeuls, laver de la honte qui l'imprègne son nom à l'eau du Savoir, et honorer le souvenir de Samilia, pour qui les hommes déchaînèrent les enfers.

- - -

Avec La mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé nous emmène aux origines du monde, en terre d'Afrique. Il y développe déjà des thèmes qu'il reprendra deux ans plus tard dans le soleil des Scorta : réflexion sur la nature humaine, malédiction familiale, exil...

Sa plume m'est toutefois apparue ici moins précise et avec un sentiment d'immersion moins intense que celui qui m'avait habité pour le soleil des Scorta.

Ce roman n'en demeure pas moins un très bon Gaudé, où le thème amoureux abordé ne fut pas sans me rappeler celui de la guerre de Troie, où Pâris et Menélas se livrèrent bataille pour la main de la belle Hélène.

A défaut de m'avoir procuré de grandes émotions, l'histoire abordée et le style Gaudé valent pour moi leurs quatre étoiles.
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Si je n'avais pas lu Ibn Battuta, je n'aurais pas pu mettre d'images sur le roi Tsongor, ni me le représenter semblable à Mansa Moussa, dont l'atlas catalan, pour qui le Mali du XIVe siècle est le centre du monde, donne une image : sur son trône, diadème d'or sur la tête, un oeuf en or dans une main : Moussa est l'homme le plus riche du monde, jusqu'à aujourd'hui.
Tsongor, comme Moussa, a conquis son pouvoir et sa fortune, comme Moussa il règne, s'assied sur un tabouret d'or porté par Katabolonga, comme Moussa il est à la tête d'un empire.
La ressemblance s'arrête là, car Laurent Gaudé introduit un élément peu usuel chez un conquérant qui a versé le sang de milliers d'hommes et de femmes, qui a rasé les villes et les villages durant vingt ans.
Il a honte. Il doute de lui.
Tsongor, alors, en compagnie de Katabolonga, construit les villes, élève ses enfants, administre son royaume de Massaba. Sa fille Samilia va se marier, et les présents affluent, de la part du prétendant et de la part de chacun vivant aux alentours, la paix entre deux clans se fera grâce à cette union.
Trop n'est pas forcément bien, car lorsqu'un deuxième prétendant arrive, nous voilà plongés de nouveau dans la guerre de Troie. Hélène /Samilia ne veut pas choisir, d'ailleurs elle ne comprend pourquoi les deux belligérants qui la veulent ne s'affrontent pas, eux et eux seuls. le roi Tsongor est mort comme prévu au début du livre, tout en refusant de passer le Styx, tout en étant conscient des pires drames qui vont arriver à sa descendance, car la guerre éclate entre les deux armées des deux « fiancés ».
Guerre qui va prendre, comme chez Homère, tout le temps du livre, avec destruction de l'empire, mise à sac de la ville de Massaba, morts de part et d'autre, une armée de Myrmidons comme celle d'Achille, et plus grave encore, l'oubli du pourquoi de cette guerre, comme si Samilia n'avait été qu'un prétexte, et que le vrai projet c'est de faire la guerre, de s'épuiser à la faire, de voir mourir les siens, peu importe, il s'agit de tuer les autres.

Chercher la femme n'a plus aucun sens, ni l'un ni l'autre des prétendants ne pense plus à elle. Ils pensent chacun, ainsi que leur armée qui les suit sans comprendre les enjeux, à la guerre. Les deux hommes proposent même de tuer Samilia, sans se rendre compte que la guerre s'est amplifiée au-delà de ce qu'ils voulaient et qu'elle est la sacrifiée innocente du conflit.

Histoire de fidélité aux promesses, d'honneur à relever, de vengeance des morts occasionnés, qui réclament les larmes des vivants, puisqu'être mort ne veut pas dire disparaitre de la terre.
Gaudé parle du continent, et pourtant, ce continent dépasse les frontières d'Afrique. Souma le fils à la demande de son père et pour lui, cherche sept sépultures dans le monde entier : il visite les statues de Xian, les jardins suspendus de Babylone, le phare d'Alexandrie, et arrive à ce qui peut être Petra, « un palais creusé dans la roche ».
Avec des phrases sèches, courtes, avec l'aide de souvenirs de l''Antiquité (les sept merveilles du monde connu) Laurent Gaudé nous raconte un ravage, l'inanité de la guerre dont les raisons premières sont vite oubliées, pour ne laisser plus que le plaisir de répandre le sang.
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Le roi Tsongor s'apprête à marier sa fille Samilia à Kouame, le prince des terres du sel.
Le pays vit un moment historique car pour la première fois de son règne, le puissant roi accepte de lier son empire à un autre sans effusion de sang.
Un empire sur lequel il règne sans partage, acquis au prix de décennies de guerres et de massacres. Mais ce temps est révolu et le roi Tsongor voit désormais venir la vieillesse avec sérénité depuis son fief de Massaba.
Mais à la veille de ce mariage tant attendu, rien ne va se passer comme prévu dans la cité aux sept collines.

Le malheur arrive avec Sango Kerim, un ami d'enfance de Samilia, venu pour faire honorer une promesse échangée entre enfants au temps de l'innocence. C'est avec l'autorité du passé que le guerrier vient réclamer son dû.
Cruel dilemme pour le roi Tsongor déchiré entre passé et avenir. Abasourdi par son impossibilité à choisir, conscient que deux armées sont prêtes à entrer en guerre, le roi va faire un choix pour le moins déconcertant : imposer son royal cadavre pour mettre fin aux hostilités. Il sera assisté dans son dernier acte par son vieux serviteur Katalabonga qui le suit telle une ombre attendant son heure. Jadis, le roi a remis entre ses mains le droit de disposer de sa vie le moment venu.
Mais la mort du roi Tsongor, loin de calmer la situation, va provoquer l'embrasement de Massaba.

D'où viendra la rédemption ? Peut-être de Souba, le plus jeune fils du roi, chargé par Tsongor d'ériger sept tombeaux à la mémoire du monarque glorieux et conquérant mais aussi guerrier et cruel ? Peut-être de la belle Samilia, qui refuse d'être un butin de guerre et revendique le droit de choisir son destin ?

Dès les premières pages, la magie opère. Littéralement envoûtée par la plume de Laurent Gaudé dans ce roman aux allures de fable où les frontières entre le monde des vivants et celui des morts sont perméables.
Plus près de la tragédie grecque que du conte de fées, l'auteur nous emmène dans une Afrique ancestrale où l'honneur et la bravoure côtoient la violence, la rivalité et la honte qui semble se transmettre de génération en génération dans le clan Tsongor.
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Très populaire en France comme à l'étranger, Laurent Gaudé témoigne dans beaucoup de ses ouvrages d'un goût prononcé pour l'histoire (« Cris » relatait le combat des soldats de la guerre 14-18 ; « Pour seul cortège » était consacré au vol par Ptolémée Ier de la dépouille d'Alexandre le Grand...) Avec « La mort du roi Tsongor », l'auteur renoue avec l'Antiquité, bien que celle-ci soit ici fantasmée, et nous offre le récit tragique et ô combien épique de la chute de Massaba, cité belle et prospère gouvernée par le vieux roi Tsongor dont la mort va précipiter la ruine. En l'espace d'à peine deux cent pages, Laurent Gaudé parvient à totalement happer le lecteur qui assiste, désolé et impuissant, au drame qui secoue la dynastie Tsongor. Sous un prétexte qui se révèlera bien vite fallacieux, deux camps vont impitoyablement se déchirer, incapables de retrouver la raison (par orgueil ? par vengeance ?) et inconscients du fait qu'ils soient en train de détruire ce pour quoi même ils prétendaient se battre. Mais au-delà de l'héritage et du royaume du roi Tsongor, la tragédie touche avant tout l'ensemble des protagonistes : l'un parce qu'il voit avec horreur tout ce qu'il avait construit être réduis en cendres ; l'autre parce que la vengeance à laquelle il aspirait n'a pas la saveur attendue ; une autre encore parce qu'elle ne peut qu'assister, impuissante, à la dislocation de sa famille et de ceux qu'elle aime...

Bien que nous ayons ici affaire à un monde fantasmé et un conflit imaginaire, l'hommage au célèbre poète antique Homère et à son « Iliade » apparait vite comme évident. le siège de Massaba 'st ainsi pas sans rappeler celui de la ville de Troie par les Grecs menés par Agamemnon, de même que le sort de la belle Hélène, déchirée entre Ménélas et Pâris, n'est pas sans posséder quelques similitudes avec celui de Samilia, la fille du roi Tsongor elle aussi déchirée entre deux hommes mais qui montrera davantage de force et de courage que sa compagne d'infortune. Mais là où l'influence d'Homère se fait le plus sentir, c'est au niveau du souffle épique qui balaye tout le récit. Une chose est sûre, Laurent Gaudé a travaillé avec un soin tout particulier chaque scène d'affrontement, aboutissant ainsi à des moments de prouesses guerrières ou de bataille impressionnants. L'intérêt et la force du roman tiennent aussi à la psychologie travaillée des personnages : Katabolonga et sa position ambigüe au côté de ce roi autrefois haï et aujourd'hui aimé ; Souba, adolescent mu par sa piété filiale et qui porte sur ses épaules le poids de la tâche colossale qui lui a été confié ; et puis Tsongor, le plus ambivalent de tous, à la fois conquérant arrogant et sanguinaire mais aussi vieillard accablé par son passé et ravagé de ne pouvoir garantir la pérennité de son royaume et de sa dynastie.

« La mort du roi Tsongor » mérite bien sa renommée, de même que Laurent Gaudé qui nous fait don d'un récit aussi épique que tragique mettant en scène des personnages prisonniers de leurs passions. Un roman court qui se lit d'une traite mais qui laisse un souvenir vivace dans la mémoire longtemps après la dernière page tournée.
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Un nouveau coup de coeur !!! Laurent Gaudé est sans aucun doute un des écrivains français les plus talentueux. Son écriture, poétique, musicale et puissante à la fois m'a transportée dans son univers aux allures de conte.
J'ai été séduite dès les premiers mots.

« D'ordinaire, Katabolonga était le premier à se lever dans le palais. Il arpentait les couloirs vides tandis qu'au-dehors la nuit pesait encore de tout son poids sur les collines. Pas un bruit n'accompagnait sa marche. Il avançait sans croiser personne, de sa chambre à la salle du tabouret d'or. Sa silhouette était celle d'un être vaporeux qui glissait le long des murs. C'était ainsi. Il s'acquittait de sa tâche, en silence, avant que le jour ne se lève. »

*
A nouveau, j'ai voyagé, cette fois-ci, dans l'Afrique médiévale. le roi Tsongor, après une vie de conquête sanglante, décide de marier sa fille unique Samilia. Mais voilà ! Deux prétendants souhaitent épouser la jeune femme. C'est à nouveau une guerre impitoyable qui va se déchaîner.
Le vieux monarque, juste avant sa mort, va confier une mission à son plus jeune fils Souba : celle d'ériger sept magnifiques tombeaux à son image de par le monde, dans des endroits reculés et de choisir un des tombeaux pour y déposer son corps.

*
Plusieurs récits s'entremêlent ainsi : la violence de la guerre, le sérénité et la bienveillance du vieux serviteur Katabolonga qui veille la dépouille de son roi, et le voyage de Souba qui s'apparente à une quête initiatique et qui fera sens une fois sa promesse acquittée.

*
Un récit court, mais dense. J'ai été touchée par l'écriture de Laurent Gaudé, par la beauté des mots et des phrases qui coulent rendant le récit mélodieux.
En quelques mots bien choisis, Laurent Gaudé nous parle de la folie des hommes habités de sentiments cupides ou haineux, de la futilité de la guerre pour des raisons d'égo et de fierté, mais aussi de transmission.

Que transmet-on à nos descendants ? des souvenirs ? l'amour ? la haine ? des biens matériels, des terres, un royaume ? la gloire ? des alliés ?

« La mort du roi Tsongor » est le premier roman que je lis de l'auteur, mais sûrement pas le dernier. Un beau roman tragique que je vous conseille chaudement.
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En lisant ce livre, je ne savais pas dans quoi je me lançais.
J'avais déjà lu un ouvrage de cet auteur, il ne m'avait pas emballé, mais j'avais apprécié son écriture. J'ai bien fait de persévérer, il en valait la peine.
J'ai beaucoup aimé ce conte de 200 pages. Un petit roman qui me donne envie de lire une plus grande aventure.
J'ai été touché par le récit, les combats, et la stupidité des hommes…
Un auteur à suivre !

Bonne lecture !
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Le roi Tsongor est mort. Vraiment ? Ne serait-il plus juste de considérer qu'il est plutôt en train de mourir, qu'il « se meurt » (à l'image de son avatar tragicomique imaginé par Ionesco)? Oui, car l'âme du roi demeure jusqu'à nouvel ordre suspendue entre deux mondes, consignée dans les limbes, au bord de ce Styx qu'elle refuse pour l'instant de traverser, alors que son corps matériel, lui, conservé grâce aux baumes et onguents dont il a été oint, gît encore parmi les vivants dans les sous-sols de son palais royal de Massaba, en attente d'un hypothétique hypogée où il pourra un jour enfin reposer...
Le roi Tsongor semble pour l'instant refuser de céder à la dissolution de ses liens avec un monde qu'il aura pourtant abandonné volontairement. Qu'attend-il au juste pour quitter définitivement son existence terrestre?
Héros tragique par excellence, le spectre de Tsongor – à l'image de cet autre grand roi de tragédie errant dans la lande – est confronté à son ultime défaite face à un Destin qui, indifférent à ses suppliques, s'acharnera inexorablement sur lui et sur sa descendance. le père observera impuissant, depuis les portes de l'au-delà, la folie fratricide qui s'emparera de ses héritiers et qu'il avait en vain essayé d'éviter en se donnant lui-même la mort.

Fable et allégorie autour de l'acceptation de la défaite inhérente à toute entreprise humaine, prônant le renoncement aux instincts d'emprise, à l'orgueil et aux passions conquérantes comme étant le seul rempart possible contre le sentiment de fatalité tragique qui traverse toute l'histoire de l'humanité, Laurent Gaudé propose au lecteur une mimèsis convoquant dans ce récit épique et atemporel, des images puissantes, poétiques, archétypiques et immémoriales.

La narration est étayée ici par une langue déclinée toute en phrases courtes, sectionnées, mais qui donnent néanmoins un relief particulier aux mots. Mots la plupart du temps prononcés d'un ton grave ou d'un souffle suspendu par des personnages confrontés aux conséquences imparables de leurs choix et de leurs actes. Il s'en dégage ainsi par moments une telle vérité, une telle intensité dans la description des passions qui se sont emparées des êtres, des leurs gestes, ou bien une telle hauteur de vue, une telle noblesse dans des propos tenus face à la plus grande adversité, que nous sommes alors tout naturellement transportés vers les plus beaux sommets atteints autrefois par les auteurs classiques. Oui, il y a une sorte d'incantation et une beauté indiscutables dans cette langue fractionnée.

Avant de mourir, Tsongor enjoint Souma, son fils cadet, à renoncer aux fastes de la cour, à fuir les rumeurs de palais et les disputes de pouvoir. Il lui demande, au moment où il sera mort, de quitter Massaba pour partir ériger, à travers tout l'empire, six tombeaux majestueux et différents à la gloire de son père, l'un deux étant destiné à devenir, une fois sa mission accomplie et le choix de Souma arrêté, la dernière demeure, le mausolée où, enfin, la dépouille du roi Tsongor pourra élire son dernier domicile (...et je pense à l'instant, en l'écrivant, que Mausolée était aussi le nom d'un roi légendaire dont l'héritage s'est perpétué à travers les époques par son monument funéraire, considéré comme une des « Sept merveilles de l'Antiquité », et prolongé jusqu'à ce jour dans nos langues modernes par le mot « mausolée » devenu synonyme de «monument funéraire»).

Souma partira donc à la mort de Tsongor. Il s'en ira parcourir l'immense empire de son père accompagné d'une modeste mule et dans le plus grand dénuement. Vecteur de la dernière volonté de ce dernier, Souma devient au passage l'archétype même du renoncement, l'ultime espoir d'une transmission susceptible de briser cette funeste fatalité de la condition humaine. C'est par son entremise que les six merveilles de l'empire de Tsongor (on y retrouve d'ailleurs, entre autres, des décors de jardins suspendus, un phare...), ces six tombeaux à la mémoire du roi disparu seront bâtis. Puis un septième monument, déjà tout prêt et trouvé au hasard des pérégrinations menées par Souma, finira par être choisi comme tombeau royal (on y est pour les sept merveilles!)

Mais en fin de compte, qu'en est-il de la cause première de tout ce malheur qui s'est abattu sur le royaume après la disparition du roi ? Elémentaire, cher lecteur ! Cherchez la femme..! Emblématique de l'ainsi nommé «éternel féminin» qui depuis la nuit des temps s'est implanté avec force dans l'imaginaire et dans la mythologie patriarcales, le personnage de Samilia, fille unique du roi Tsongor, évoque ici la Femme par qui le malheur arrive... Samilia incarne le mystère féminin insondable provoquant la folie irrépressible des hommes et les violences dévastatrices de la guerre, comme Hélène à Troie. Samilia est certes, au départ et malgré elle, Hélène, mais pas que, car elle va se révéler en même temps être aussi celle par qui la loi cruelle et implacable des hommes sera subvertie, elle sera, telle Antigone envers ses frères Polynice et Etéocle lors du siège de Thèbes, celle qui saura s'élever au-dessus des passions meurtrières. Enfin, parce qu'elle sera restée fidèle à l'héritage de son père et aura assumé pleinement les conséquences de ses actes et de ses choix, elle connaîtra l'opprobre et l'exil. Samilia partira, « têtue » et « allant toujours tout droit », pour se transfigurer enfin en Athéna, emblème de l'amour filial, de la transmission du savoir et de la sagesse, image sublime pour laquelle Souma voudra aussi ériger un temple, afin qu'on puisse honorer sa soeur et qui, tel qu'on le décrit, évoque sans ambages cet autre temple, appelé Parthénon : «un édifice austère et somptueux qui sera le couronnement de ses travaux»

Laurent Gaudé n'hésite pas ainsi à emprunter aux oeuvres et à la culture classique occidentale les éléments majeurs servant de support à l'ordre symbolique de son récit (les mythes, les monuments, les rites et croyances – dont la pièce mise entre les dents du défunt, par exemple, jouant un rôle important dans le récit, et qui correspond en principe à l'obole donnée à Charon pour la traversée du Styx dans la mythologie grecque). Par un tour majeur d'illusionnisme et avec un talent de conteur hors-pair, l'auteur réussit à transplanter parfaitement ces éléments dans le décor d'une Afrique mythique, ancestrale, toute aussi légendaire à nos yeux que les civilisations antiques de la Méditerranée. Ce qui contribue sensiblement à mettre en valeur toute l'originalité de cette oeuvre, ainsi que le caractère universel que revêt son propos.
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Le roi Tsongor promet sa fille Samilia en mariage au prince Kouamé, sans se douter que celle-ci enfant, s'était engagée avec un autre, Songo Kerim. Ce dernier revient la veille de l'événement réclamer sa main.
Ni Tsongor, ni Samilia ne tranchent publiquement, croyant éviter un affrontement armé. En vain. C'est le début d'une guerre sans fin qui ébranlera la cité de Massaba.
La tragédie est à son comble car les motifs du conflit dépasseront la question des sentiments pour devenir une bataille d'honneur, une bataille d'orgueil. En face, un roi qui préfère "s'éclipser" plutôt que de constater la décadence de ce qu'il battit avec tant d'ardeur et de fureur.
Un excellent roman servi par une plume épique.
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« L'honneur, c'est comme les allumettes : ça ne sert qu'une fois ».
La mort du roi Tsongor sera scellée par deux serments : celui de sa fille, alors une enfant, et le sien, père aimant de celle qui sera devenue une femme honorable. Des promesses de mariage qui ne pourront honorer deux hommes, qui blesseront les fiertés de ceux qui cracheront sur le visage de cendres de cette femme déshonorée et sacrifiée en « femme de guerre qui fait naître la haine et le combat ». De cette folie appelée honneur naîtra une tragédie, un brasier qui consumera le royaume de Tsongor, dans ses cendres se connaîtra et sera apprise la honte et dans le grand craquement d'une dernière allumette elle sera acceptée et l'honneur sauf.
La mort du roi Tsongor est un conte homérique empreint de philosophie et de spiritualité qui se déroule en une terre africaine fantasmée. Ce court récit de Laurent Gaudé est une tragédie antique et théâtrale d'une beauté remarquable. Un conte envoûtant inoubliable.
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